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Full text of "Grammaire élémentaire de la vieille langue française"

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V.  '.-.^V 


GRAMMAIRE  ÉLÉMENTAIRE 


VIEILLE  LANGUE  FRANÇAISE 


CoBDBiL.  Typ.  et  slôr.  CnctB. 


SL^**'^ 


GRAMMAIRE  ÉLÉMENTAIRE 


DE   LA 


GLEDAT 


PROFESSEUR  DE  LANGUE  ET  DE  LITTERATURE  FRANÇAISES  DU  MOYEN  AGE 

A  LA   FACULTÉ  DES  LETTRES   DE  LYON 

ANCIEN    ÉLÈVE   DE   L 'ÉCOLE   DES    CHARTES 

ANCIEN    MEMBRE    DE    l'ÉCOLE    FRANÇAISE    DE    ROME 


PARIS 

GAHNIER  FRÈRES,   LIBRAIRES-ÉDITEURS 

0,    RUE    DES    SAINTS-PÈRES,    6 


ES,    t) 

SEEN  BY 

PRESiiRVATîON 

StkVKES 

DATE...T 


PC 
lîll 


PRÉFACE 


^  Si  ce  livre  n'est  pas  trop  au-dessous  du  but  que 
s'est  proposé  l'auteur,  il  pourra  conduire  à  la  connais- 
sance de  notre  vieille  langue  non  seulement  ceux  qui 
font  ou  qui  ont  fait  des  études  classiques  complètes, 
mais  encore  ceux  qui  ne  sont  pas  allés  au  delà  d'une 
bonne  instruction  primaire  et  qui  n'ont  aucune  notion 
préalable  de  la  grammaire  latine.  Sans  doute  ce  se- 
rait une  chimère  que  de  vouloir  expliquer  le  dévelop- 
pement de  notre  langue  en  se  passant  du  latin.  Mais, 
s'il  est  nécessaire  de  connaître  l'organisme  du  latin,  il 
n'est  pas  indispensable  d'avoir  fait  de  cette  langue  une 
étude  approfondie.  Ce  qu'il  en  faut  savoir  est  bientôt 
appris  :  la  déclinaison  réduite  à  deux  cas,  la  conju- 
gaison réduite  à  quelques  temps  de  la  voix  active.  J'ai 
tâché  de   réunir  dans  ce  livre  toutes  les  notions  de 
grammaire  latine  qui  sont  particulièrement  utiles  pour 
comprendre  la  granunaire  française  du  moyen  âge. 

M'occupant,  depuis  plusieurs  années,  de  rassembler 
les  matériaux  d'une  grammaire  développée  du  vieux 


YI  PREFACE. 

français,  j'avais,  sur  la  plupart  des  questions  que  j'ai 
dû  aborder  ici,  des  notes  abondantes  entre  lesquelles 
il  m'a  fallu  choisir,  pour  ne  pas  dépasser  les  limites 
d'un  ouvrage  élémentaire.  Il  importait  de  laisser  de 
côté  les  détails  qui  n'auraient  pu  que  rebuter  les 
commençants  et  disperser  inutilement  leur  attention, 
ou  charger  leur  esprit  de  connaissances  qui  ne  sau- 
raient y  demeurer.  i\[ais  il  n'importait  pas  moins 
de  n'omettre  aucun  phénomène  essentiel,  et,  sans  pré- 
voir, ce  qui  serait  impossible,  toutes  les  difficultés  qui 
peuvent  se  présenter  dans  la  lecture  d'un  vieux  texte 
français,  de  préparer  l'esprit  du  lecteur  à  les  résou- 
dre^ par  des  notions  très  précises  sur  les  lois  géné- 
rales et  les  principales  exceptions.  Je  n'ose  me  flat- 
ter d'avoir  toujours  été  heureux  dans  le  choix  de  ce 
qu'il  fallait  dire  et  de  ce  qu'il  convenait  d'omettre  : 
ee  que  je  puis  affirmer,  c'est  que  je  ne  me  suis  jamais 
décidé  à  la  légère  et  sans  mûre  réflexion. 

Je  ne  pouvais  songer  à  aborder  l'examen  comparé 
des  différents  dialectes  du  vieux  français.  Je  me  suis 
borné,  en  général,  aux  formes  d'où  dérive  le  français 
actuel,  sans  négliger  toutefois  de  signaler  les  formes 
dialectales  les  plus  remar(juables,  et  celles  qui  pou- 
•vaient  éclairer  l'étude  du  français  proprement  dit. 

C'est  à  l'École  des  Chartes,  au  cours  de  M.  Paul 
Meyer,  que  j'ai  appris  les  premiers  éléments  de  la 
phonéli(jue,  qui  est  l'objet  d'une  partie  de  ce  volume. 
Mais  l;i  science  des  origines  de  notre  langue  fait  tous 


PREFACE.  VH 

les  jours  de  nouveaux  progrès,  et,  sans  parler  de  mes 
recherches  personnelles,  j'ai  dû  mettre  à  profit  les 
nombreux  articles  de  revues  et  travaux  de  tout 
genre  qui  augmentent  sans  cesse  la  quantité  des  faits 
connus  et  des  problèmes  résolus.  Parmiles  savants  qui, 
à  des  degrés  divers,  ont  contribué  à  ces  progrès,  je 
citerai  :  en  France,  MM.  Gaston  Paris,  Camille  Cha- 
baneau,  Anatole  Boucherie,  Natalis  de  Wailly,  Arsène 
Darmesteter,  Léon  Gautier,  Louis  Havet,  Marty-La- 
veaux,  et  à  l'étranger,  après  Frédéric  Dicz,  qu'on  doit 
mettre  hors  de  pair,  3LM.  Tobler,  Fœrster,  Bartsch, 
Cornu,  Mussafia,  Scheler,  Lûcking,  Ayer.  Je  cite  ces 
noms  au  hasard,  n'ayant  pas  la  prétention  de  fixer  des 
rangs  ni  de  donner  une  liste  complète.  Si  on  voulait  dé- 
terminer la  part  de  chacun  dans  les  résultats  actuelle- 
ment acquis,  il  faudrait,  pour  chaque  point  particulier, 
une  longue  bibliographie,  qui  ne  saurait  entrer  dans 
un  livre  élémentaire,  mais  qui  trouvera  naturellemeni 
sa  place  dans  la  grammaire  détaillée  que  je  prépare. 
Je  dois  une  mention  spéciale  aux  vastes  dictionnaires 
de  MM.  Littré  et  Godefroy,  qui  sont,  comme  on  Fa 
dit,  de  merveilleux  instruments  de  travail.  Enfin  il 
serait  injuste  de  ne  pas  signaler  les  services  qui  ont  été 
rendus  par  les  ouvrages  de  M.  Brachet  *.  Ils  ont 
commencé  avec  éclat  la  grande  œuvre  de  la  vulgari- 

1.  A  la  suite  do  M.  Bi'achet,  presque  tous  les  auteurs  de  nouvelles 
grammaires  frannaises,  —  et  notamment  M.  Ciiassang,  —  ont  fait  une 
place  à  riùstoiro  de  la  langue. 


YIII  PRÉ?ACE. 

sation,  complément  indispensable  de  l'œuvre  scien- 
tifique. J'ai  lâché  d'aller  plus  loin  dans  la  même  voie, 
et  je  serais  heureux  que  mes  efforts  méritassent  du 
public  un  peu  de  l'estime  que  je  professe  pour  ceux 
de  mon  devancier*. 

L.  GLÉDAT. 

1.  J'adresse  ici  tous  mes  remercîments  à  mon  excellent  collègue, 
M.  Brunot,  qui  a  bien  voulu  m'aider  à  revoir,  non  sans  profit,  les 
épreuves  de  ce  livre,  et  qui  s'est  acquitté  de  celte  tâche  ardue  avec 
une  complaisance  que  je  ne  saurais  trop  reconnaître. 


Deuxième  édition. 


Je  remercie  les  critiques  qui  se  sont  occupés  de 
mon  livre,  et  particulièrement  MM.  Chabaneau  et 
Stimming,  des  utiles  améliorations  qu'ils  m'ont  per- 
mis d'introduire  dans  cette  seconde  édition. 

Quant  aux  remarques  de  détail  que  j'avais  systé- 
matiquement négligées  pour  ne  pas  enlever  à  cet 
ouvrage  son  caractère  élémentaire,  une  bonne  partie 
ont  trouvé  place  dans  l'introduction,  les  notes  et  le 
glossaire  de  nos  Morceaux  choisis  du  moyen  âge. 

Enfin  l'explication  des  usages  de  la  langue  actuelle, 
qui  ne  peut  figurer  qu'accessoirement  dans  une 
grammaire  de  la  vieille  langue,  recevra  tout  le 
développement  qu'elle  comporte  dans  la  Grammaire 
histonque  que  nous  préparons. 

L.  GLÉDAT. 


GRAMMAIRE  ELEMENTAIRE 

DE  LA 

VIEILLE  LANGUE  FRANÇAISE 

te 

INTRODUCTION  ET  NOTIONS  PRÉLimiNAIRES 


CHAPITRE  PREMIER 

LA   LANGUE 

ORIGINE  DE  LA  LANGUE  FRANÇAISE 

§  1.  —  La  langue  française  est  une  langue  romane,  c'est- 
à-dire  dérivée  de  la  langue  romaine  ou  latine.  Les  autres 
langues  romanes  sont  :  l'italien,  l'espagnol,  le  portugais, 
le  roumain.  En  réalité  il  y  a  eu  en  France  deux  langues 
romanes:  la  langue  du  Midi,  appelée  langue  d'oc  parce  que 
oui  se  disait  oc  (aujourd'hui  o)  dans  le  Midi  de  la  France, 
et  la  langue  du  Nord,  ou  langue  d'oïl,  langue  d'oui,  qui 
est  le  français  proprement  dit. 

§  2.  —  Une  langue  se  compose  essentiellement  de  deux 
éléments  :  de  mots  et  de  flexions.  L'ensemble  des  mots 
constitue  le  vocabulaire  ou  le  dictionnaire.  Les  flexions, 
dont  on  donne  le  tableau  dans  les  grammaires,  sont  des 
désinences  qui,  en  s'ajoutant  à  la  partie  invariable  des 
mots,  permettent  d'exprimer  les  circonstances  accessoires 
Clédat.  1 


2  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

de  nombre,  de  genre,  de  temps,  de  mode,  de  personne. 
C'est  à  ]a  fois  par  ces  deux  éléments  que  notre  langue  est 
romane  ;  les  mots  du  vocabulaire  français  sont  en  grande 
partie  d'origine  latine,  et  toutes  nos  flexions  dérivent  du 
latin  :  ceux  des  mots  français  qui  viennent  d'autres  lan- 
gues ont  des  flexions  d'origine  latine,  comme  le  mot  ger- 
manique wartên,  qui  a  eu  sa  désinence  germanique  en 
remplacée  par  la  désinence  latine  are,  devenue  en  fran- 
çais er/  c'est  ainsi  que  ivartên  a  produit  garder,  et  dans 
toute  la  conjugaison  de  ce  verbe  les  flexions  romanes  sont 
substituées  aux  flexions  germaniques. 

FORMATION  DU  VOCABULAIRE 
I.  —  Époques  et  procédés  de  formation. 

Origines  diverses  des  mots  français. 

§  3.  —  Je  viens  de  dire  que  nous  devions  au  latin  la  plu- 
part des  mots  de  notre  vocabulaire.  Nos  autres  mots  vien- 
nent de  langues  très  diverses  :  nous  les  avons  empruntés 
à  tous  les  peuples  avec  lesquels  nous  avons  été  en  rela- 
tion aux  difl'érentes  époques  de  notre  histoire.  Tout  d'a- 
bord nous  trouvons  représentées  dans  la  langue,  au  mo- 
ment où  elle  s'est  constituée,  les  trois  grandes  races  qui 
ont  formé,  en  se  combinant,  la  nationalité  française  :  à 
côté  des  mots  latins  nous  avons  des  mots  germaniques  et 
des  mots  celtiques,  qui  s'étaient  d'ailleurs  introduits  dans 
la  langue  latine  parlée  en  Gaule,  avant  que  celle-ci  eût 
subi  la  transformation  qui  devait  en  faire  le  français.  Nos 
relations  successives  avec  les  Orientaux  et  les  Grecs,  au 
commencement  du  moyen  âge  et  surtout  à  l'époque  des 
Croisades,  avec  les  Italiens  au  temps  des  guerres  d'Italie 
et  des  reines  de  France  italiennes,  avec  les  Espagnols  pen- 


INTRODUCTION.  —  LA  LANGUE.  3 

dant  la  Ligue,  sous  Louis  XIII  et  sous  Louis  XIV,  avec  les 
Anglais  et  tous  les  autres  peuples  dans  les  temps  moder- 
nes, ont  fait  aussi  entrer  dans  notre  langue  un  grand  nom- 
bre de  mots  appartenant  aux  langues  de  ces  différents 
peuples*.  A  toutes  ces  causes  du  développement  de  no- 
tre vocabulaire,  il  faut  joindre  l'étude  des  œuvres  littérai- 
res des  Grecs  et  des  Latins,  dont  l'influence  s'est  surtout 
manifestée  aux  xv^  et  xvi"*  siècles. 

Mots  savants  et  mots  populaires. 

§  4.  —  Parmi  les  mots  français  d'origine  latine,  il  im- 
porte de  discerner  les  mots  savants  des  mots  populaires,  et 
les  mots  de  formation  latine  des  mots  de  formation  fran- 
çaise. 

Les  mots  populaires  sont  le  produit  de  la  transforma- 
tion insensible  des  mots  latins  que  nos  ancêtres  avaient 
appris  des  Latins  eux-mêmes.  En  modifiant  insensiblement 
la  prononciation  de  ces  mots,  nos  ancêtres  ont  suivi  des 
lois  inconscientes,  mais  très  précises.  A  un  même  son  la- 
tin correspond  toujours  un  même  son  français  :  par  exem- 
ple, les  mots  latins  qui  avaient  un  e  bref  tonique  ont  donné 
des  mots  français  oii  l'e  tonique  est  remplacé  par  la  diph- 
tongue ié  ou  iè  :  pied,  hier,  lièvre,  fièvre,  etc.  Les  mots 
populaires  ont  l'accent  tonique  ^  sur  la  même  syllabe  que 
les  mots  latins  correspondants.  Dans  la  prononciation  du 
mot  latin  mobile,  d'où  vient  meuble,  on  appuyait  sur  la 
première  syllabe  en  faisant  à  peine  entendre  l'i,  à  peu 
près  comme  les  Italiens  prononcent  aujourd'hui  le  même 
mot;  dans  le  français  meu6/e l'accent  tonique  est  aussi  sur 
la  première  syllabe. 

1.  Pour  les  exemples  de  mots  de  ces  différentes  oriKines,  consulter 
La  langue  française,  par  II.  Cochcris  et  G.  Strchly.  —  Paris,  Delagrave. 
2.  Pour  la  déliaitioa  de  l'acceut  tonique,  voyez  ci-dessous,  §  12. 


4  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

§  5.  —  Les  mots  dits  savants,  introduits  dans  la  langue 
par  les  littérateurs  et  les  savants,  sont  la  reproduction, 
lettre  par  lettre,  de  mots  latins  le  plus  souvent  mal  pro- 
noncés, dont  on  a  simplement  francisé  la  terminaison.  Le 
français  mobile,  mot  savant,  vient  du  même  mot  latin  que 
meuble  ;  xxidii?,  l'accent  tonique  se  trouve  déplacé,  puisqu'il 
porte  sur  \i  que  les  Latins  faisaient  à  peine  entendre,  au 
lieu  d'être  sur  la  première  syllabe.  Meuble  et  mobile  re- 
montent donc  au  même  mot  latin,  mais  ils  ont  reçu  des 
acceptions  très  différentes,  quoique  dérivées  toutes  deux, 
par  des  voies  diverses,  du  sens  latin.  Ces  doubles  formes 
d'un  même  mot  latin,  qui  sont  fréquentes  en  français, 
sont  appelées  doublets:  «  fragile  »  est  le  doublet  de  «  frêle  », 
«  captif  »  de  «  chétif  »,  etc. 

Il  y  a  des  mots  qui  ne  sont  que  partiellement  savants  ; 
ainsi  dans  adjuger,  juger  est  populaire  et  ad  est  savant  : 
adjudiquer  serait  tout  à  fait  savant,  ajuger  tout  à  fait  po- 
pulaire. Le  plus  grand  nombre  des  mots  savants  de  la 
langue  française  ne  sont  pas  antérieurs  au  xv*  siècle,  mais 
quelques-uns  se  trouvent  dans  les  textes  les  plus  anciens. 
A  mesure  qu'on  s'approche  du  xvi*  siècle  ils  deviennent 
plus  nombreux. 

§  6.  —  On  trouve  souvent  plusieurs  formes  populaires 
d'un  même  mot  latin.  Ainsi  charger,  charrier,  charroyer 
sont  dérivés  par  des  voies  diverses,  mais  également  popu- 
laires, du  latin*  carricare.  Si  ce  mot  avait  aussi  donné  une 
forme  savante,  ce  serait  «  carriquer  »,  analogue  à  «  mas- 
tiquer »  de  «  masticare  ».  Une  des  causes  principales  de 
la  présence  dans  la  langue  des  doubles  formes  populaires 
est  l'introduction  dans  le  français  proprement  dit,  c'est-cV 
dire  dans  le  dialecte  de  l'Ile-de-France,  de  mots  emprun- 
tés aux  dialectes  voisins  :  ainsi  camp  est  la  forme  picarde 
de  «  canipum  »  dont  la  forme  française  est  champ  ;  les 


INTRODUCTION.   —  LA  LANGUE.  o 

deux  mots  sont  aujourd'hui  également  français,  mais  avec 
des  sens  différents. 

Mots  de  formation  latine  et  mots  de  formation  française. 
Préfixes  et  suffixes. 

§  7.  —  Tous  les  mots  d'origine  latine  ne  supposent  pas 
nécessairement  l'existence  d'un  mot  latin  correspondant. 
11  y  a  parmi  eux  beaucoup  de  mots  de  formation  française 
qui  ont  été  composés  d'un  mot  plus  ancien,  auquel  on  a 
ajouté  un  préfixe  ou  un  suffixe,  souvent  l'un  et  l'autre  : 
ainsi  encourager  a  été  créé  avec  courage  (latin  *coraticum) 
à  l'aide  du  préfixe  en  et  du  suffixe  er,  qu'on  trouvait  dans 
un  grand  nombre  de  mots  dérivés  directement  du  latin. 
Toutes  les  parties  6.' encourager  sont  donc  latines  ;  mais 
elles  n'ont  pas  été  réunies  dans  la  langue  latine,  le  mot  est 
de  formation  française.  Notre  vocabulaire  s'est  enrichi  par 
ce  procédé  à  toutes  les  époques  de  la  langue  depuis  l'ori- 
gine jusqu'à  notre  temps. 

§  8.  —  Nous  donnerons  un  tableau  des  principaux  pré- 
fixes de  la  langue  française.  Les  exemples  cités  pour 
chacun  d'eux  seront  pris  au  hasard  parmi  les  mots  de 
formation  française  et  parmi  ceux  de  formation  latine. 

*  On  marque  d'un  astérisque  les  mots  du  latin  populaire. 


GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 


préfiies. 

LATIX. 

EXEMPLES. 

FORME  SAVANTE. 

EXEMPLES. 

a,  ancienne- 

ad. 

agrandir, 

ad(ou,comme 

administrer, 

ment  ad  (le 

ajourner, 

en  latin,  a, 

adjuger, 

même  que  la 

apprendre. 

avec  redou- 

appréhender. 

préposition 

blement    de 

a)  ;  souvent, 

la  consonne 

par  orthogra- 

qui suit). 

phe  savante, 

avec  redou- 

blement  de 

la  consonne 

qui  suit. 

a,  as. 

ab,  abs. 

vieux  mots  : 

asoudre, 
astenir. 

ab,  abs. 

absoudre, 
abstenir  '. 

an. 

ante. 

ancêtre  (latin 
antecessor). 

anté. 

antécédent. 

com^,  con. 

cum. 

comparer, 
conquérir, 
confondre. 

contre      (  le 

contra. 

contredire, 

contra. 

contradic- 

môme que  la 

contrefaire. 

tion. 

proposition 

contre). 

de  (le  mômf 

de. 

demeurer. 

que  la  pré- 

défendre. 

position  de"), 

1   dé. 

dé  (ancienne- 

dis, de-ex. 

déplaire, 

dis. 

distraire. 

ment    des), 

désarmer, 

dés. 

1.  Ces  deux  verbes  sont 

des  mots  d'origine  populaire  où  le  f)  la- 

tin,  après  être  tombé,  a  rop 

iru,  d'abord  dans  l'orthographe,  puis  daus 

la  proiioiiciali 

ou, sous  une 

ulluence  sava 

nte. 

il 

INTRODUCTION.  —  LA    LANGUE. 


PRÉFIXES. 

LATW. 

EXEIUFLEB. 

FORME    SiVAWTE. 

EXEMPLES. 

é  (ancienne- 

ex. 

éloii;ner, 

ex. 

extension, 

ment  es). 

étendre. 

exporter.        1 

en  (le  même 

in    signifian' 

enduire, 

in  (ou,  comme 

induire, 

que  la  pré 

dmif,  et  in 

envoyer, 

en    latin,    i 

importer, 

position  en). 

particule  né 

enfant. 

avec  redou- 

irruption. 

gative. 

blement   di 
la  consonne 
qui  suit). 

infirme. 

entre  (le  me 

inter. 

entrevoir. 

inter. 

interdire, 

me    que    l.i 

s'entremet  - 

interroger. 

préposition 

tre, 

intermittent. 

entre). 

mau      (au- 

maie. 

maudire, 

malé. 

malédiction. 

ciennemeni 

malheureux , 

mal), mal  (Ic 

mcrae     qui 

l'adverbe 

mal). 

mé(ancienno- 

minus. 

mépriser. 

ment  mes). 

médire. 

outre  (le  mê- 

ultra. 

outrepasser, 

ultra. 

ultramon  - 

me    (|ue    l;i 

outremer. 

tain. 

préposition 

et  ladvcrbc 

outre). 

par  (le  même 

per. 

parvenir, 

per. 

perfection, 

quclaprépo- 

pardonner. 

permettre. 

siiion  parj. 

parfait. 

pour  (le  mê- 

pro. 

pourvoir, 

pro. 

procurer, 

me    que    la 

pourlécher. 

protéger. 

préposition 

pour). 

GRAMM.VIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 


PRÉFIXES. 

LATIS. 

EXEMPLES. 

FORME  SAVANTE. 

EXEMPLES. 

re,  ré. 

re. 

réclamer, 
refaire. 

sou,  sous  (le 
même     que 
la   préposi- 
tion  sous). 

sub,  subtus. 

souvenir, 
soutenir, 
soumettre, 
soustraire. 

sub  (ou,  com- 
me en  latin, 
su  avec  re- 
doublement 
de   la   con- 
sonne   sui- 
vante) . 

subvenir, 
succéder. 

sur  (le  même 
que  la  prépo- 
sition sur). 

super. 

surveiller, 
surprendre. 

super. 

superflu, 
superposer. 

tré,  tra. 

trans,  tra. 

trépasser, 
travers. 

trans. 

transporter. 

Nous  n'avons  pas  fait  entrer  dans  le  tableau  les  préfixes 
exclusivement  savants,  tirés  du  latin  ou  du  grec,  comme 
anti  (grec  (xvti)i  de  antipathie,  antifrançais  ;  circum  et  cir- 
con  (latin  circum)^  de  circumnavigation ,  circonspect^  etc. 

Remarque  I.  —  Plusieurs  préfixes  ne  se  trouvent  que  dans 
les  mots  qui  les  avaient  en  latin,  et  n'ont  pas  servi  à  former 
de  nouveaux  mots  :  an  de  ancêtre  par  exemple. 

Remarque  II.  —  Les  préfixes  ont  en  général  conservé  leur 
première  valeur;  mais  re  a  eu  dans  l'ancienne  langue  un  sens 
particulier  qu'il  n'a  plus,  «  Redonner  »,  par  exemple,  signifiait 
tantôt  «  donner  une  nouvelle  fois  »,  comme  aujourd'hui,  tantôt 
«  donner  de  son  côté,  à  son  tour  ». 


1.  11  ne  faut  pas  confondre  cet  anii,  d'origine  grecque,  qui  a  le  sens 
de  «  contre  »,  avec  un  autre  (niti  qui  n'est  qu'une  variante  de  (oité  (du 
latin  ante),  et  qui  a  le  sens  de  «  avant,  devant  »,  dans  antichambre 
par  exemple  (pièce  avant  la  chambre). 


INTRODUCTION.  —  LA  LANGUE.  9 

§  9.  —  Quant  aux  suffixes,  nous  ne  parlerons  pas  ici  de 
ceux  qui  jouent  le  rôle  de  flexions,  c'est-à-dire  qui  servent 
à  marquer  le  genre  et  le  nombre  des  noms  et  adjectifs,  le 
temps,  le  mode  et  la  personne  des  verbes;  on  les  retrou- 
vera plus  loin.  Les  flexions  s'ajoutent  aux  suffixes  propre- 
ment dits. 

§  10.  —  Parmi  les  suffixes  proprement  dits,  un  des  plus 
importants  de  la  langue  est  celui  qui  sert  à  former  tant 
d'adverbes,  et  qui  dérive  du  latin  mente:  ment.  «  Mente  » 
est  le  mot  latin  qui  veut  dire  esprit,  et  par  extension  po- 
pulaire manière,  et  qu'on  retrouve  dans  mental  et  autres 
dérivés.  Le  sens  propre  de  «  fortement,  grandement,  etc.  », 
est  :  d'une  manière  forte,  grande. 

§  11.  —  Voici  un  tableau  des  principaux  suffixes  des 
noms  et  des  adjectifs  i.  Nous  suivrons  l'ordre  alphabé- 
tique de  la  première  lettre  des  suffixes  latins  ;  l'ordre  des 
suffixes  français  aurait  l'inconvénient  de  séparer  souvent 
des  suffixes  de  même  origine,  ois  et  ais  par  exemple. 

1.  Les  suffixes  verbaux  sont  moins  importants.  En  effet,  un  certain 
nombre  de  verbes  sont  formés  avec  des  noms  et  adjectifs,  dont  ils  ont 
naturellement  conservé  les  suffixes.  Beaucoup  d'autres  ont  un  ancien 
suffixe  fondu  avec  la  racine.  C'est  ainsi  que  le  suffixe  uc  ÙQnianducnre 
n'est  plus  représenté  que  par  le  g  du  français  manger.  Je  si^iKilerai 
seulement  ici  le  suffixe  oy  de  larmoyer,  et  autres  verbes  sembla- 
bles, qui  dérive   de   ic   latin  :    icdre  =  oyer. 


10 


GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 


SUFFIXES    LATINS. 

SUFFIXES  FRANÇAIS. 

EXEMPLES. 

àbilera'. 

able. 

mnaùle,  coupable. 

1 

âceam  ou  âciam. 

ace,  asse. 

cuirasse,  menace. 

âcem. 

ace  (savant). 

efficflce,  tenace. 

ais. 

niais,  hïni^,  punafs. 

âceum. 

as. 

fatras,   plâtras,  coutelas. 

acé  (sa vaut  . 

crustacé,  cétace'. 

âculum. 

ail. 

soupira;'/,  attirai/. 

acie  (savant  . 

miracle,  obstacle. 

âlem . 

al. 

\oyal,  central,  originaZ. 

el. 

nature/,  hôtel,  origine/. 

âlia. 

aille. 

épousa///es,  ha.taille. 

âiieam  ouâniam. 

agnc,  aine» 

monXagjie,  hautaine. 

âneum. 

ain. 

hautain. 

ântiam. 

ance. 

ahance,  assurance. 

ânum. 

nin. 

l\onirtf?z. 

• 

ien . 

doyen,  Iroyen. 

an  (savant). 

gallican. 

ârem. 

azVe  (savant). 

militaùe,  cousula// e. 

cr. 

sangl(()e/'. 

ariam. 

crie. 

chevalerie. 

àriam. 

iére,  ère,  aire  (voyez  le 

chevalière,  étrangère,  con- 

suivant). 

traire. 

1.  L'accpnt  aip;u  sur  les  suffixes  latins  indique   la  place   de  l'ac- 

cent tonique  (Voyez  §§  12  et  i:Vi.  11  est  arcoiiipa^'no  cFun  astérisque 

quand  racceiit  tonique  occupe  dans  la  prononciation   populaire  une 

place  dilTérente  de  celle  que  lui  donnait  le   latin  classique.   Quand 

l'accent  toni(|ue  n'est  pas  sur  le  suffixe,  je  l'indique  en  faisant  prc- 

ccdor    le  suffixe  c 

'un  trait  suraionté  de  la 

ccent  aigu.                           'i 

INTRODUCTION.   —   LA  LANGUE. 


H 


SUFFIXES  LATINS 


lâstrum. 
âtam. 

âticum. 

atiônem. 

atôrem. 

àtum. 

atùram. 

éllam. 
éllum. 
énsem . 
érium. 


lam. 
ibilem. 


SUFFIXES  F&ANCIIS. 


n'  (anciennement  ie.f), 
aire. 

f'dre. 


ade  (origine  étrangère). 

nrje. 
tique  (savant). 

aison. 

ution  (savant). 

eur  (anciennement  eor). 
ateur  (savant). 


'it  (savant). 

we  (anciennement  eûre, 
comparez  plus  bas  lo 
suffixe  latin  uram). 

'dure  (savant). 

rlle. 

eau  (anciennement  el). 

ois,  ais. 

ier, 

i're  (savant). 

irtne. 

csime  (savant). 

ie. 

ihle. 


chevaher,  pommj'er. 
étranger,  rocher, 

contraire,  imaginaire. 

t 

mard^)  e,  rouged/re. 

arm^e,  échappée,  croisée. 
croisa(/e,  escapade. 

\oyage,  passage, 
skttique,  aquatique. 

comparawo?z. 
['ondatio7i. 

empereur,  semez^r. 
accusateur,  adorateur. 

duché,  évêché. 
consulat,  cpiscopaf. 

blessKre,  brûlure. 


\\-^aiure. 

iiouve//e.  chape//e. 

niiuveflw,  cliapeau. 

Danois,  Anglais. 

moùt/cr, 
monastère. 

••tcniième. 
iwiUésirne. 

l'ohe,  félon/e,  calomnie. 

pénible,  \isible. 


12 


GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 


SUFFIXES  LATIMS. 

SUFFIXES  FRANÇAIS. 

EXEMPLES. 

icium. 

S. 

ice  (savant). 

fouilh's,  hachis, 
artifice,  factice. 

iculam. 

ille,  eille. 
icule  (savant). 

chent7/e,  chevî7/e,  oreille, 
cdxiicule,  édicule. 

^icum  (voyez  att- 
cum  plus  haut). 

ic,  jque  (savants). 
che,  i  semi-voyelle. 

public,  portique,  laïque, 
porche,  lai. 

'  idum. 

ide  (savant). 
de. 

rapide,  liquide, 
maussade,  raif/e. 

'  ilem. 

ile  (savant). 

le. 

fragile,  uti/e. 
(rèle,  meub/e. 

ilem. 

il. 

avi'il,  genti/,  civiZ. 

inum. 

in. 

mouli«,  mariw. 

itiain. 

esse  (anciennement  ece). 
ise. 

paresse,  justesse, 
sottise,  convoitise. 

ice. 

justice,  notice. 

*ittum  {ittum,  ot- 

tum). 

et. 
ot. 

baque^  pauvret 
bachot  cuissot 

ivum. 

if- 

nai/,  maladi/". 

méntum. 

ment. 

garnement,  ornement. 

ôlam. 

eule. 

oie  (savant  ou  étranger  . 

hWeule, 
camiso/e,  folio/e. 

ôlum. 

eut. 
ol. 

épagnew/,  ùUeul. 
Espagnol. 

ônem. 

on. 

oison,  bâto«. 

ôrem. 

eur. 

chalewr,  faveur. 

ôriam. 

oire. 

histoire,  mémoire. 

INTRODUCTION.  —  LA  LANGUE. 


13 


SUFFIXES    LATINS. 

SUFFIXES  FRANÇAIS. 

EXEMPLES. 

ôrium. 

air. 
oire. 

arrosoir,  comptOîV. 
méritoire,  auditoire. 

ôsum. 

eux. 

glorieMa;,  heureux. 

tâtem. 

lé. 

vérife,  bon^e. 

tiônem. 

i/fion,  çon. 
lion  (savant). 

poison,  fapoM,  Xeçoji. 
'potion,  {3iCtio7î,  afflic<io?i. 

ùculam. 

ouille. 

citroui//e,  grenoî<i//e. 

ùculum. 

ou  (anciennement  oiiil). 

verrou,  genou  (*  genucu- 
lum). 

ùdinem  et  itùdi- 
nem. 

urne,  tume. 

ude,  itude  (savants). 

coutume,  amertume, 
inquiétude,  a.mp\itude. 

ûram. 

ure  (voyez  aturam  plus 
haut). 

ceinture,  mesure. 

§  11  iîs.  — A  CCS  suffixes  d'origine  latine  il  faut  ajouter 
deux  suffixes  d'origine  germanique  qui  ont  une  grande  im- 
portance :  arc?  (germanique /?ar^)  de  vieillard^  bavard,  etc., 
et  aut  ou  aud,  anciennement  ald  (germanique  ivald),  de 
levraut,  crapaud,  etc. 


Remarque.  —  Plusieurs  suffixes  peuvent  être  agglutinés: 
chapelet  comprend  el  et  et.  Dans  menterie,  on  retrouve  le  suffixe 
eur  (le  menteur  suivi  de  ie;  oisillon  se  rattache  à  oisel,  où  on  a 
déjà  le  suffixe  el.  Nous  avons  d'ailleurs  fait  entrer  dans  le  ta- 
bleau plusieurs  suffixes  ainsi  composés. 


14  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

[I.  — Règles  générales  de  transformation  des  mots 
latins  en  mots  français  ou  lois  générales  de  la 
phonétique. 

Accent  tonique  et  accent  secondaire,  —  Place  de   l'accent 
tonique  en  latin  et  en  français. 

!^  12.  — La  transformation  des  mots  latins  en  mots  fran- 
çais populaires  dépend  surtout  de  la  place  de  ï accent  toni- 
que. Dans  tous  les  mots  de  toutes  les  langues,  il  y  a  tou- 
jours une  syllabe  sur  laquelle  la  prononciation  appuie. 
Cette  insistance  de  la  voix  sur  une  sylla])e,  plutôt  que  sur 
les  autres,  est  ce  qu'on  nomme  V accent  tonique  ou  Vaccent 
proprement  dit,  et  la  syllabe  qui  reçoit  cet  accent  est  dite 
tonique  ou  accentuée'^.  Ainsi  dans  le  mot  français  «  orne- 
ment »  Vaccent  est  sur  la  dernière  sxilabe  :  ment.  Les  au- 
tres syllabes,  par  opposition,  sont  dites  atones.  Mais  parmi 
cùs  dernières  il  faut  remarquer  la  première  du  mot,  qui 
reçoit  en  quelque  sorte  un  accent  secondaire.  Ainsi  dans 
le  mot  fourniture,  les  syllabes  qu'on  entend  le  mieux  sont 
la  première  four  et  la  tonique  tu. 

§  13.  —  En  français,  l'accent  tonique  est  sur  l'a  vaut- 
dernière  syllabe  quand  la  voyelle  de  la  dernière  est  un  e 
muet,  et  sur  la  dernière  dans  tous  les  autres  cas.  En  latin, 
l'accent  n'était  jamais  sur  la  dernière  syllabe;  mais  il  af- 
fectait tantôt  l'avant-dernière,  tantôt  celle  qui  précédait 
lavant-dernière 2.  Nous  marquerons  la  place  de  l'accent 
ilansles  mots  latins  par  un  accent  aigu  au-dessus  de  la 
voyelle  tonique. 

1.  On  voit  que  le  mot  accent  est  pris  ici  dans  un  sens  tout  diflférent 
do  celui  qu'où  lui  donne  lorsqu'il  désigne  un  signe  conveutionncl  placé 
sur  certaines  voyelles  pour  en  préciser  la  prononciation  ^accent  aigu, 
gi-ave,  circonflexe). 

2.  11  allcclait  l'avant-dernière  ou  pénuHième  quand  elle  était  longue, 
Cl  l'antépénultième  quand  la  pénultième  était  brève. 


INTRODUCTION.    —  LA  LANGUE.  15 

Loi  de  la  chute  des  atones.  —  Exceptions. 

§  14.  —  En  règle  générale  les  mots  latins  qui  sont  deve- 
nus français  n'ont  conservé  que  deux  syllabes,  la  pre- 
mière et  la  syllabe  tonique,  et  celle-ci  est  demeurée  toni- 
que en  français.  Ainsi  vindicàre  avait  quatre  syllabes  : 
venger  n'en  a  que  deux,  l'une  ven,  qui  représente  la  pre- 
mière syllabe  du  mot  latin,  vin,  l'autre  qui  représente  la 
syllabe  tonique  ca  avec  adjonction  de  la  consonne  suivante, 
(juant  au  changement  de  Vi  de  vin  en  e,  du  c  de  ca  en  g, 
de  l'a  en  e,ce  sont  des  phénomènes  très  réguliers,  dont  on 
trouvera  l'explication  dans  la  phonétique. 

De  même  que  vindicàre  a  donné  venger,  capitale  a  donné 
cheptel  (dont  le  doublet  savant  est  capital)  ;  adjutdtis, 
aidez pnanducàre,  manger  '  dormitôrium,  dortoir,  etc.  Dans 
tous  ces  mots  français  l'accent  tonique  est  sur  la  syllabe 
qui  correspond  a  la  syllabe  tonique  latine. 

§  15.  —  Les  voyelles  atones  des  syllabes  non  initiales, 
c'est-à-dire  autres  que  la  première,  ont  disparu  complè- 
tement, excepté  dans  trois  cas  principaux  : 

1°  Les  a  latins  atones  des  syllabes  non  initiales  sont 
toujours  représentés  dans  les  mots  français  par  des  e 
muets.  Ainsi  orn2iménturn  a  donné  ornement,  fâOa,  :  fève. 
Pour  bien  comprendre  la  différence  qui  existe,  à  ce  point  de 
vue,  entre  l'a  atone  qui  se  conserve  toujours  sous  foi^me  d'e 
muet,  et  les  autres  voyelles  atones  qui  disparaissent  (sauf 
dans  les  exccplionii  2  et  3  ci-dessous),  il  suffit  de  com- 
parer :  *  candihiiiium  qui  donne  chénevis,  à  sunildlein  qui 
donne  santé;  port  qui  vient  de  porium,  à  porte  qui  vient 
de  porta-rn. 

2"  Les  atones  quelles  qu'elles  soient  (et  non  pas  seu- 
lement l'a)  se  conservent  aussi  par  exception  quand  elles 
sont  suivies  de  deux  ou  plusieurs  consonnes  ou  d'une  cou- 


i6  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

sonne  mouillée  (mouillée  par  uni  suivi  d'une  voyelle).  Ainsi: 
*juvencéllum  donne  jouvenceau,  quadrillônem,  carillon; 
traditiônem,  trahison  (dont  le  doublet  savant  est  tradition); 
*  campinwnem,  ckampignon;*  acMtiàre,  aigyiiser,  etc. 

3°  Certains  groupes  de  consonnes  ne  peuvent  se  pro- 
noncer sans  le  secours  d'un  e  muet.  En  conséquence  lors- 
qu'une atone  latine  quelconque  se  trouve  au  milieu  d'un 
groupe  de  ce  genre  (ou  après  le  groupe,  suivant  les  cas), 
elle  est  remplacée,  dans  le  mot  français  correspondant, 
par  un  emuet,  qu'on  appelle  voyelle  de  soutien  on  d'appui. 
Ainsi  peregrîniim  a  donné  pèlerin  avec  un  e  muet  au  mi- 
lieu du  mot,  à  cause  du  groupe  de  consonnes  r  gr  du  mot 
latin.  De  même  lihrum  a  donné  /ture,  féhrem,  fièvre,  etc. 

Cette  voyelle  de  soutien  a  persisté,  même  lorsque  le 
groupe  de  consonnes  qui  l'a  produite  a  cessé  d'exister  par 
suite  de  la  chute  d'une  des  consonnes.  Ainsi  Ve  qui  termine 
le  mot  père  s'explique  par  le  groupe  tr  qui  se  trouvait 
dans  le  mot  latin  patrem.  La  chute  du  t  qui  précédait  Vr 
a  laissé  intact  Ve  atone  de  soutien,  tout  en  lui  enlevant  sa 
raison  d'être. 

Souvent  la  voyelle  de  soutien  correspond  à  deux  atones 
latines.  Ainsi  pôrticum  a  donné  porche.  Le  latin  avait  un  i 
et  un  u  après  l'accent,  le  français  n'a  qu'un  e  muet;  \i 
atone  a  disparu,  et  le  groupe  r  ?  c  a  amené  Xe  de  soutien 
qui  s'est  substitué  à  l'w  latin. 

§  16.  —  On  voit  que  dans  la  plupart  des  cas,  les  atones 
des  sjdlabes  non  initiales,  quand  elles  ne  tombent  pas, 
sont  représentées  par  des  e  muets.  Quelquefois  il  s'y  joint 
un  i,  provenant  soit  d'un  i  soit  d'un  c  latin,  et  la  diph- 
tongue ei  ainsi  formée  est  aujourd'hui  devenue  oi:*  Domi- 
nicéllam  a  fait  dameiselle,  puis  demoiselle. 

§  17.  —  Ces  différentes  règles  et  exceptions  appellent 
quelques  remarques  complémentaires. 


INTRODUCTION.   —  LA  LANGUE.  17 

Remarque  I.  —  Vi  et  Vu  latins  atones,  lorsqu'ils  se  trou- 
vent dans  les  conditions  où  ils  doivent  tomber,  se  maintiennent 
quelquefois  en  formant  diphtongue  avec  l'une  des  voyelles  qui 
doit  persister.  Ainsi  dans  dormitérium,  qui  a  donné  dortoir,  Yi 
de  la  désinence  ium  a  cessé  de  constituer  une  syllabe,  mais  il 
s'est  ajouté  à  l'o  tonique  pour  former  la  diphtongue  oi.  Vu  de 
vddunt  a  changé  l'a  tonique  en  o  (d'abord  au)  :  vont. 

Remarque  II.  —  Lorsqu'un  préfixe  entre  dans  la  compo- 
sition d'un  mot,  la  syllabe  qui  suit  le  préfixe  doit  être  consi- 
dérée comme  la  première  du  mot,  au  point  de  vue  de  l'appli- 
cation des  règles  ci-dessus.  Elle  persiste  à  ce  titre.  Mais  le 
préfixe  se  conserve  aussi.  Ainsi  dans  *demordre,  mot  latin  de 
quatre  syllabes  qui  commence  par  le  préfixe  de,  la  première 
syllabe  de  persiste  parce  que  c'est  le  préfixe,  la  deuxième  ma 
se  conserve  (sous  la  forme  meu,  anciennement  mou)  parce  que 
c'est  la  première  du  mot  quand  on  fait  abstraction  du  préfixe. 
La  troisième  ra  qui  est  la  tonique,  persiste  à  plus  forte  raison. 
Enfin  l'atone  finale  e  disparaît,  parce  qu'elle  n'est  pas  dans  les 
conditions  où  les  atones  se  conservent.  De  là  le  mot  français 
demeurer,  anciennement  demourer.  Si  de  n'était  pas  un  préfixe, 
le  mot  français  venant  de  démordre  n'aurait  que  deux  syllabes, 
ce  serait  :  dembrer. 

Toutefois,  dans  un  certain  nombre  de  cas,  le  préfixe  a  été 
considéré  comme  la  première  syllabe  radicale  du  mot,  et  la 
syllabe  suivante  est  tombée  (voyez  §§  176  bis,  239,  256). 

Remarque  III.  —  i°  Le  latin  avait,  comme  toutes  les  lan- 
gues, des  mots  simples  et  des  mots  dérivés  :  amicum  était  un 
mot  simple,  et  *amicdbilem  un  dérivé  d'amicum.  L'un  a  donné 
le  français  ami,  et  l'autre  amiable.  On  remarquera  dans  amiable 
la  conservation  de  Vi  atone,  conservation  due  à  ce  que  cet  i 
était  tonique  dans  le  mot  simple:  amicum,  ami.  L'infiuence  de 
la  voyelle  tonique  d'un  mot  simple  peut  donc  sauver  cette 
même  voyelle  dans  les  dérivés  où  elle  est  atone. 

2°L'u  atone  de  virtuôsum?,' est  aussi  conservé  dans  k<.  vertueux  », 
sous  l'intluence  de  Va  tonique  de  virtûtem  {vertu),  ou  peut-rire 
simplement  parce  qu'il  faisait  hiatus  avec  la  tonique  ;  car 
l'hiatus  paraît  avoir  préservé  les  voyelles  atones  :  c'est  ainsi 
que  christidnum  a  donné  chrétien,  mot  qui  formait  jadis  trois 
syllabes. 

Remarque  IV,  —  1°  Par  exception  l'a  latin  atone  est  com- 


18  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

plètement  tombé,  au  lieu  de  se  conserver  sous  forme  d'e  muet, 
à  la  3®  personne  du  subjonctif  du  verbe  avoir  (ait  =  habertl), 
au  singulier  des  imparfaits  (devoit,  devait,  au  lieu  de  devoiet, 
devaiet  =.  debébal)  et  dans  quelques  autres  cas.  Toutefois  il 
faut  faire  une  distinction  entre  les  deux  premières  personnes 
de  l'imparfait  et  la  troisième.  Très  anciennement  on  a  devoit 
sans  e  muet  avant  le  t;  mais  aux  deux  premières  personnes  on 
a  écrit  jusqu'au  xvi^  siècle  :  je  dévoie,  tu  dévoies. 

2°  L'e  muet  résultant  d'un  groupe  de  consonnes  est  aussi 
tombé  dans  quelques  mots  tels  que  persil,  jadis  peresil,  latin 
pe</'Osélinum. 

CHAPITRE  II 

L'ORTHOGRAPHE 

GÉNÉRALITÉS 

§  18.  —  Les  modifications  que  subit,  avec  le  temps,  la 
prononciation  des  mots,  ne  sont  pas  immédiatement  ac- 
compagnées de  modifications  concordantes  dans  l'ortho- 
graphe. Souvent  l'orthographe  ne  marque  les  change- 
ments survenus  dans  la  prononciation  que  très  longtemps 
après  qu'ils  ont  eu  lieu.  Pour  prendre  un  exemple,  les 
mots  français  populaires  d'origine  latine  qui  avaient  un  e 
long  tonique  on  latin  ont  d'abord  remplacé  cet  e  par  la 
di|)hti>ngue  ci  qui  s'est  conservée  longtemps  dans  certains 
dialectes,  mais  que  le  français  proprement  dit  a  de  bonne 
heure  changée  en  o?.  Ainsi  légem  a  d'abord  donné  lei, 
puis  loi,  régcm  a  donné  rei,  puis  7'oi.  Il  est  certain,  d'autre 
part,  que  la  diphtongue  oi  n'a  pas  toujours  eu  le  son 
qu'elle  a  maintenant,  et  qui  se  compose  d'une  sorte  d'où 
consonne  [lu  anglais)  et  d'un  a  :iva.  A  l'origine  cette  diphton- 
gue se  composait  réellement  d'un  o  et  d'un  i,  à  peu  près 
comme  nous  prononçons  oi  dans  la  langue  d'oïl.  La  pronon- 
ciation s'est  modifiée  insensiblement,  sans  que  l'orthogra- 


INTRODUCTION.   —  L'ORTHOGRAPHE.  19 

phe  ait  suivi.  Il  n'y  a  eu  de  modification  dans  l'e'criture 
que  pour  un  certain  nombre  de  mots,  où  l'ancienne 
dipthongue  oi  a  été  remplacée  exceptionnellement  par  le 
son  ai,  notamment  à  l'imparfait  des  verbes.  L'ancienne 
langue  disait  :  il  partait,  il  venait.  Dès  le  seizième  siècle, 
on  a  prononcé  comme  aujourd'hui,  il  partait,  il  venait; 
mais  c'est  seulement  au  xvni''  siècle  qu'on  a  mis  l'ortho- 
graphe d'accord  avec  la  prononciation. 

§  19.  —  Il  faut  remarquer  en  outre  que  cet  ai,  qu'on  a 
substitué  à  oi  dans  les  imparfaits,  n'a  pas  toujours  eu  la 
valeur  d'un  è,  c'est-à-dire  d'une  voyelle  simple.  A  l'origine 
c'était  une  véritable  diphtongue,  composée  d'un  a  et  d'un?, 
et  qui  pouvait  se  prononcer  à  peu  près  comme  l'interjec- 
tion actuelle  aie.  Toutefois,  de  très  bonne  heure  au  moyen 
âge,  cette  diphtongue  s'était  réduite  à  un  è,  mais  on  avait 
continué  à  écrire  et  nous  écrivons  encore  les  mots  où  elle 
se  trouve  comme  si  ai  était  toujours  une  diphtongue.  Celte 
orthographe  toute  conventionnelle  n'était  pas  d'ailleurs  uni- 
versellement adoptée  au  moyen  âge,  et  on  rencontre  sou- 
vent des  textes  où  les  mots  comme  mais,  raison,  fsiit,  etc., 
sont  écrits  par  des  e  :  mes,  i^eson,  fei,  etc. 

§  20.  —  Tous  les  sons  simples  que  nous  écrivons  par 
deux  lettres  (ou  même  quelquefois  par  trois,  eau  de  cha- 
peau, œu  de  œuvre)  sont  ainsi  d'anciennes  diphtongues 
transformées  :  au  équivaut  aujourd'hui  à  un  o,  mais  il 
s'est  prononcéjadis  par  un  a  suivi  de  ou,  comme  lorsqu'on 
veut  imiter  le  miaulement  du  chat.  De  même  eu  a  été 
prononcé  e-ou,  ou  a  été  o-ou.  On  voit  que  dans  l'ancienne 
prononciation  cie  au,  eu,  ou,  on  donnait  à  Vu  le  son  de 
notre  ou  actuel  et  non  pas  celui  de  notre  u. 

§  21.  —  11  faut  savoir  en  efTi-t  que  si  la  lettre  n  existait 
dans  l'alphabnt  latin,  elle  y  désignait  le  son  que  nous  écri- 
vons ou,  et  non  pas  notre  son  u.  Dans  notre  ancienne 


•20  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

orthographe,  cette  lettre  u  a  tantôt  sa  valeur  latine  (ou), 
tantôt  sa  nouvelle  valeur  française  (u). 

COMPARAISON  DE   L'ORTHOGRAPHE    ACTUELLE 
ET  DE  L'ORTHOGRAPHE  DU   MOYEN  AGE 

Nous  allons  examiner  les  principales  différences  entre 
l'orthographe  ancienne  et  l'orthographe  moderne.  Nous 
partirons  des  formes  actuelles  pour  remonter  aux  formes 
antérieures  (sauf  à  suivre  exceptionnellement  l'ordre  in- 
verse quand  il  s'agira  de  consonnes  qui  ne  sont  plus  re- 
présentées dans  l'orlhographe  actuelle),  et  nous  étudie- 
rons les  lettres  dans  l'ordre  suivant  :  1°  diphtongues  et 
voyelles,  2°  consonnes. 

I.  —  Diphtongues  et  voyelles. 

ci,  ai. 

§  22.  —  Nous  n'avons  presque  rien  à  ajouter  à  ce  que 
nous  venons  de  dire,  dans  les  considérations  générales, 
sur  les  diphtongues  oi  (§  18)  et  ai  (§  19),  Il  faut  cepen- 
dant remarquer  que  les  textes  les  plus  anciens  peuvent 
avoir  la  diphtongue  actuelle  oi;  on  la  trouve  de  tout 
temps  dans  les  mots  oii  elle  provient  d'un  o  latin  suivi  d'une 
gutturale  ou  d'un  i  :  poison,  gloire. 

D'autre  part,  nous  écrivons  par  oi  des  mots  qui  s'écri- 
vaient jadis  par  eei,  eoi.  Ainsi  voh^  a  été  veei7\  veoir  (Com- 
parez ci-dessous  §  37). 

au,  eau. 

§  23.  —  La  diphtongue  graphique  au  provient  presque 
toujours  d'un  a  suivi  d'un  /.  On  est  sûr  de  trouver  dans 
l'ancienne  langue  écrits  par  al  les  mots  populaires  d'ori- 


INTRODUCTION.  —  L'ORTHOGRAPHE.  21 

gine  latine  que  nous  écrivons  aujourd'hui  par  au  :  altre 
pour  autre,  chevalche  pour  chevauche^  assalt  pour  assaut, 
mais  pour  maux.  Dans  quelques  mots  seulement  au  est 
une  orthographe  savante  représentant  un  au  latin  et  un  o 
de  l'ancienne  langue  :  ainsi  /auner  (latin  /aurarmm)  .était 
jadis  /oreer,  et  non  IsArier  ;  joauure  était  povre  et  non 
palvre. 

§  24.  —  De  même  que  au  correspond  à  un  ancien  al, 
eau  correspond  (sauf  dans  le  mot  eau,  substantif  féminin) 
à  un  ancien  el  :  ainsi  on  a  belté  pour  besiuté,  agnel  pour 
agnesiVL,  chapel  pour  chapesiu,  etc. 

On  remarquera  d'ailleurs  :  1°  que  la  substitution  de  eau 
à  el  est  fort  ancienne;  2°  qu'on  trouve  souvent  iau  au  lieu 
de  eau.  Iau  est  une  forme  picarde  que  La  Fontaine  a  con- 
servée dans  le  dicton  qui  termine  Le  loup,  la  mère  et  l'en- 
fant :  «  Bia.ux  chires  leups  n'écoutez  mie,  etc.  » 

Nous  avons  des  traces  de  l'ancien  el  dans  bel  et  nouvel, 
que  nous  employons  encore,  au  lieu  de  beau  et  nouveau, 
devant  les  mots  commençant  par  une  voyelle  :  un  bel 
honnne,  son  nouvel  habit.  Il  faut  noter  en  outre  que  tous 
les  el  de  l'ancienne  langue  ne  sont  pas  devenus  eau;  ainsi 
hôtel,  tel  n'ont  pas  donné  hôteau,  teau.  Cette  différence 
tient  à  ce  que,  dans  hôtel,  tel  et  mots  semblables,  el  vient 
du  latin  aie,  tandis  que  dans  beau,  chapeau,  il  vient  du. 
latin  éllum. 

eu,  œu. 

§  25.  —  Les  mots  que  nous  écrivons  par  eu  (ou  œu) 
peuvent  avoir  dans  l'ancienne  langue  des  orthographes 
très  variées,  que  nous  diviserons  en  trois  catégories  prin- 
cipales : 

i"  Eupciil  venir  d'uno  long  latin,  et  alors  on  trouvera, 
suivant  les  dialectes  ou  les  époques,  le  même  mot  écrit 


22  0ftAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

par  0,  u,  ou,  eu.  A  côté  de  valeur  on  a  en  vieux  français  : 
valor,  valur,  valour;  à  côté  de  merveilleuse  :  merveillose, 
merveillouse,  etc. 

2"  Eu  peut  encore  venir  d'un  o  bref  latin,  auquel  cas  on 
le  trouvera  dans  les  anciens  textes  sous  la  forme  oe,  ue. 
A^euf  sera  écrit  noef,  nuef;  cœur  :  coer,  cuer;peut  :  poet, 
puet;  œuvre  :  oevre,  uevre,  etc. 

3°  Enfin  eu  peut  venir  d'un  ancien  el  (comme  au  de  al, 
voyez  ci-dessus  §23).  Cheveu  a  été  ckevel,  eux  a  été  els. 
En  se  reportant  au  paragraphe  24,  on  verra  que,  sui- 
vant les  cas,  el  de  l'ancienne  langue  est  resté  el  (morte/) 
ou  bien  est  devenu  eau  (château)  ou  eu  (cheveu). 

Remarque.  —  Dans  le  cas  où  eu  provient  d'un  ancien  o  ou 
u,  il  était  quelquefois  précédé  d'un  e,  qui  a  disparu  par  con- 
traction :  empereur  a  été  jadis  em}jereor  ou  empereur.  L'o  ou  l'u 
est  devenu  eu,  et  l'e  qui  précédait  est  tombé. 

OU. 

§  26.  —  Les  sources  de  la  diphtongue  ou  ne  sont  pas 
moins  variées. 

1**  Les  mois  tels  que  courage,  mourir,  couvert,  souvent, 
vous,  nous,  amour,  etc.,  sont  ;  crits  dans  l'ancienne  langue 
curage  et  corage,  mûrir  et  morir,  cuvert  et  covert,  suvent 
ît  sovent,  vus  et  vos,  nus  et  nos,  amur  et  amor. 

2°  Ou  vient  de  ol,  —  de  même  que  au  de  al  et  eu  de  el 
—  dans  cou,  anciennement  col  (conservé  encore  dans 
certaines  acceptions)  fou,  anciennement  fol,  coucher  an- 
ciennement colcher,  etc. 

ui,  oi. 

§  27.  —  Les  mots  que  nous  écrivons  aujourd'hui  avec 
la  diphtongue  uise  rencontrent  souvent,  dans  les  anciens 
te.vles,  écrits  par  oi.  Ainsi  «  je  pois,  que  je  poïsse  »  pour 


INTRODUCTION.   —  L'ORTHOGRAPHE.  23 

«  je  puis,  que  je  pw^■sse  »,  «  noit  »  pour  «  m«t  ».  Quelquefois 
on  a  l'inverse  :  «  juindre  »  pour  «  jomdre  »,  «  angoisse  » 
pour  «  angoesse  ». 


§  28.  —  Au  lieu  de  l'a,  nous  trouvons  ai  :  dans  le  suf- 
fixe aige  au  lieu  de  âge  {couraige,  etc.),  et  dans  aig7ie  au 
lieu  de  agne  {moniaigne,  etc.). 


§  29.  —  Beaucoup  de  mots  qui  avaient  jadis  la  diph- 
tongue ié  l'ont  remplacée  par  un  e  simple.  Nous  n'avons 
plus  de  verbes  en  ier  monosyllabiques  (sauf,  si  l'on  veul, 
les  verbes  en  yer,  gner,  lier,  comme  payer,  régner,  pil- 
ler) ;ààns  les  verbes  comme  allier,  confier,  etc.,  ié  forme 
deux  syllabes  et  n'a  jamais  été  diphtongue.  Cette  diphton- 
gue se  faisait  entendre  jadis  dans  beaucoup  de  verbes  tels 
que  aidier  (aujourd'hui  aider),  aôaissier  (aujourd'hui 
abaisser),  adressier  (aujourd'hui  adresser),  etc.,  et  on  la 
retrouvait  au  participe  passé  de  ces  verbes  [aidié,  aidiée, 
aujourd'hui  aidé,  aidée)  et  à  la  deuxième  personne  du  plu- 
riel de  l'indicatif  présent,  qui  se  confondait  avec  celle  du 
subjonctif  :  aidiez. 

En  dehors  des  verbes,  un  grand  nombre  d'autres  mots 
ont  perdu  la  diphtongue  ié  :  légier,  c/névre,  c/iief,  etc. 


§  30.  —  A  la  place  d'un  u  simple  de  noire  orthogra- 
phe, on  a  souvent  eu  et  quelquefois  ou  :  ainsi  ploii,  pieu, 
pour  plu.  (participe  passé  du  verbe  plaire),  plous,  pleus, 
pour  plus  (deuxième  personne  du  singulier  du  prétérit  du 
même  verbe),  receu,  receus,  pour  reçu,  reçus;  meur, 
cheute,  seur,  ùlesseure,  pour  mû?-,  chule,  sûr,  blessure. 


24  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

On  imprime  généralement  ces  anciennes  formes  avec 
un  tréma  sur  i'w,  pour  indiquer  qu'on  prononçait  au 
moyen  âge  en  deux  syllabes  ;  mais  on  a  continué  à  écrire 
ces  mots  par  eu  assez  longtemps  après  que  eu  a  été  con- 
tracté en  u  dans  la  prononciation;  et  même  nous  écrivons 
encore  ainsi  le  prétérit  et  le  participe  passé  du  verbe 
avoir  :  eu,  eus,  etc.,  bien  que  nous  prononcions  :  u. 

0. 

§  31.  —  Certains  textes  (surtout  anglo-normands)  ont 
souvent  u  au  lieu  de  o  :  Cunduire,  cnmbattre,  cvintrey 
cwnune,  pour  conduire,  combattre,  contre,  commune. 

y.  i- 

§  32.  —  Il  ne  faut  attacher  aucune  importance  à  la 
substitution  de  l'y  à  Vi,  ou  inversement.  Ces  deux  lettres 
ont  généralement  la  même  valeur  dans  l'ancienne  ortho- 
graphe. Il  ne  faudra  donc  point  s'étonner  de  voir  notre 
adverbe  y  écrit  i,  le  mot  image  écrit  ymage,  ai  (d'avoir) 
écrit  ay,  etc. 

II.  —  Consonnes. 

Consonnes  chuintantes  et  gutturales {3,ch,c,  k,qu,  g). 

§  33.  —  Si  des  voyelles  nous  passons  aux  consonnes, 
nous  verrons  que  notre  ch  est  quelquefois  remplacé  dans 
les  anciens  textes  par  un  c  ou  un  k,  et  notre  j  par  un  g 
Cette  orthographe  et  cette  prononciation  se  rencontrent 
surtout  dans  le  nord-est  de  la  France.  Ainsi  on  trouvera 
"keval  pour  cheval,  "kien  pour  clilen,  cambre  pour  cham- 
bre, gambe  pour  jambe. 

§  34.  —  On  a  souvent  k  au  lieu  de  gu,  ou  bien  k  ou  qu 
au  lieu  de  c  dur.  Toutes  ces  orthographes  sont  équiva- 
lentes :  car  est  écrit  /car  ou  quar  ;on  a  /d  aussi  bien  que  qui. 


INTRODUCTION.   —  L'ORTHOGRAPHE.  25 

§  35.  —  Dans  un  certain  nombre  de  mots  le  c  (devant 
e,  i)  de  l'ancienne  orthographe  a  été  remplacé  par  deux  s  : 
fasse  (subjonctif  du  verbe  faire)  au  lieu  de  face,  bosse  au 
lieu  de  boce.  Tous  ces  mots  se  distinguent  encore  des 
autres  mots  écrits  par  deux  s  :  ils  sont  dits  à  rimes 
brèves.  Ceux  qui  ont  toujours  été  écrits  par  deux  s  donnent 
des  rimes  longues. 

§  36.  —  Enfin  dans  certains  dialectes  du  nord-est  de  la 
France  on  trouve  souvent  le  w  comme  équivalent  d'un p' dur 
français  (d'origine  germanique)  :  warder  pour  garder,  etc. 

Dentales  (d,  t). 

§  37.  —  Les  mots  latins  qui  avaient  un  c?  ou  un  ^  entre 
deux  voyelles  ont  perdu  cette  consonne  au  bout  d'un  cer- 
tain temps  dans  les  mots  français  correspondants  ;  il  en 
est  résulté  que  les  deux  voyelles  séparées  en  latin  par  le 
^  ou  le  ^  ont  formé  hiatus  en  français,  et  souvent  elles  se 
sont,  avec  le  temps,  contractées  en  une  seule.  Ainsi  vidére 
a  donné  voir,  oh  oi  a  été  produit  par  Ve  tonique  du  latin. 
Mais  voir  a  été  précédé  de  la  forme  veoir,  en  deux  sj'lla- 
bes  dont  la  première  représente  le  vi  latin.  Cette  forme  a 
été  elle-même  précédée  d'une  autre,  oii  le  d  latin  était 
conservé,  et  comme  à  cette  époque  le  diphtongue  ei  n'avait 
pas  encore  été  remplacée  par  oi  (voyez  ci-dessus  §  18),  on 
trouvera  dans  les  textes  les  plus  anciens  vedeir  au  lieu  de 
voir,  sedeir  au  lieu  seoir  {s'assseoir).  On  a  de  même  edage 
au  lieu  de  âge. 

§  38.  —  Lorsque  le  t  terminait  un  mot  français  et  suivait 
immédiatement  la  voyelle  tonique  ou  un  e  muet,  il  est  gé- 
néralement tombé  de  bonne  heure,  mais  on  le  trouve  encore 
dans  les  anciens  textes  :  bontet  ' bonté),  p or tet{(\vi\é(\\i\v&\x[. 
tantôt  à /)oKe,  troisième  personne  de  l'indicatif  présent 
de  porter,  tantôt  à  porté,  participe  passé  du  même  verbe). 
Cléuat.  2 


26 


GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 


Labiales  (p,  f,  b,  v)  et  liquides  (1,  r). 

§  39.  —  Il  n'y  a  aucune  remarque  importante  à  faire 
pour  les  labiales,  ni  pour  les  liquides;  cependant  dans 
quelques  mots  /  est  tombée  après  ou  :  pouldre,  fouldre', 
17  mouillée  finale  est  souvent  écrite  ill  :  conseill,  périll. 

Nasales. 

§  40.  —  L'n  mouillée  [gn)  est  quelquefois  précédée  d'une 
autre  n  [ngn)  :  empoingner^  plaingnant,  etc. 

s,  X  et  z. 

§  41.  —  Dans  un  très  grand  nombre  de  mots,  ïs  de 
l'ancienne  orthographe  est  tombée  devant  une  autre  con- 
sonne; la  voyelle  qui  la  précédait  a  souvent  pris  l'accent 
circonflexe  : 


escrit 

aujourd'hv 

li    écrit 

espée 

— 

épée 

esté 

— 

été 

mesprendre 

— 

méprendre 

desfaire 

— 

défaire 

teste 

— 

tête 

chasteau 

— 

château 

qu'il  portast 

— 

qu'il  portât 

lascher 

— 

lâcher 

nostrCf  le  nostre 

— 

notre,  le  nôtre 

apostre 

— 

apôtre 

épistre 

- 

éj'ître 

croistre 

■— 

croître 

paistre 

— 

paître 

77list 

— 

mit 

soustenir 

— 

soutenir 

§  42.  —  Nous  écrivons  aujourd'hui  par  un  x  (au  lieu 
d'une  s)  le  pluriel  des  noms  en  au,  eau,  eu.,  et  de  plusieurs 
noms  enoj(.  Dans  l'ancienne  orthographe  cela;  représentait 


INTRODUCTION.  —  L'ORTHOGRAPHE.  27 

non  pas  simplement  une  s,  comme  aujourd'hui,  mais  Ms;  on 
écrivait  animaus  ou  animax,  fous  ou  /bx,  cieus  ou  ciex. 

Quant  aux  mots  qui  se  terminent  aujourd'hui  par  un  i 
et  un  X,  comme  paix,  faix,  poix,  l'ancienne  langue  les  a 
écrits  longtemps  :  pais,  fais,  pois,  etc.,  ou  paiz,  faiz,  etc. 
(Voyez  les  paragraphes  suivants). 

§  43.  —  Le  z  de  l'ancienne  langue  représentait  généra- 
lement un  t  suivi  d'une  s.  A  ce  titre,  il  se  trouvait  au  pluriel 
(cas  régime)  des  mots  tels  que  bontet,i:)ortet  (participe  passé 
de  porter),  qui  faisaient  bontez,  portez.  Le  z  a  persisté  au 
pluriel  longtemps  après  que  le  t  était  tombé  au  singulier. 
Les  participes  présents,  ayant  le  singulier  terminé.par  un  /, 
avaient  aussi  le  pluriel  (cas  régime)  en  z. 

§  44.  —  D'assez  bonne  heure  on  a  employé  le  z  à  la 
fin  des  mots  comme  équivalent  d'une  s,  sans  que  cette  s 
eût  été  jamais  précédée  d'un  t.  On  trouve  aussi  Vs  au  lieu 
du  z,  même  dans  les  mots  où  nous  avons  conservé  le  «pri- 
mitif :  voulés  pour  voulez. 

Consonnes  redoublées. 

§  45.  —  Il  nous  resterait  à  parler  des  consonnes  redou- 
blées. En  général,  surtout  à  l'origine,  elles  étaient  beau- 
coup moins  nombreuses  qu'aujourd'hui;  mais,  d'autre 
part,  celles  qu'on  redoublait  s'écrivent  quelquefois  sim- 
ples de  nos  jours.  L'explication  de  ces  différences  ne  sau- 
rait entrer  dans  le  cadre  d'une  grammaire  élémentaire.  Il 
suffit  d'être  averti  qu'on  rencontrera  des  mots  comme 
roman  écrits  avec  deux  m,  et,  inversement,  des  mots 
comme  couronne  écrits  avec  une  seule  n. 

Nous  aurions  pu  grossir  cette  liste  de  particularités 
orthographiques,  en  y  faisant  entrer  les  variantes  des 
quelques   textes   antérieurs  au  xi°  siècle  qui  nous  sont 


28  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

parvenus;  mais  ces  textes  demandent  une  étude  spéciale, 
et  nous  avons  cru  devoir  nous  borner  à  la  période  déjà 
vaste  qui  s'étend  du  xi®  au  xvi^  siècle. 

ORTHOGRAPHE  DU  XV«  SIÈCLE 

§  46.  —  L'orthographe  du  xv^  siècle  appelle  quelques 
explications  complémentaires.  C'est  alors  (et  même  dès  le 
xiv^  siècle)  que  l'on  voit  s'introduire  dans  nos  mots,  sous 
l'influence  des  études  latines,  ces  lettres  parasites  qu'on  ne 
prononçait  pas,  et  qui  allèrent  en  se  multipliant  dans  le 
courant  du  xvi®  siècle  ;  l'Académie  les  a  heureusement  fait 
disparaître,  sinon  entièrement,  du  moins  en  grande  partie. 

§  47.  —  Ainsi  au  xiv^  et  au  xv*^  siècle  on  a  rétabli 
des  c  et  des  g  qui  existaient  dans  les  mots  latins, 
mais  qui  s'étaient  vocalises  en  i,  et  qui  avaient  formé 
diphtongue  avec  la  voyelle  précédente  ou  s'étaient  con- 
fondus avec  elle.  Dans  le  mot  fait,  le  c  latin  de  factura  était 
représenté  par  Vi  qui  suit  Va;  comme  on  ne  se  rendait  pas 
compte  de  cette  transformation,  on  a  écrit  faict  pour 
mieux  rappeler  l'étymologie,  si  bien  que,  dans  cette  or- 
thographe, le  c  latin  était  représenté  deux  fois,  par  Vi  et 
par  le  c.  Cette  réforme  était  d'ailleurs  purement  ortho- 
graphique. Même  en  écrivant /a?c^  on  prononçait /a?/.  De 
même  le  c  latin  de  c?/c/u??z  s'était  confondu  avec  ^^  tonique  : 
français  dit.  Au  xv*  siècle  on  a  écrit  dict  pour  mieux  rap- 
peler dictum.  Nous  avons  conservé  l'orthographe  doigt, 
pour  doit,  qui  s'explique  de  même. 

§  48.  —  On  faisait  reparaître  des  /  déjà  représentées 
dans  les  mots  par  des  u  de  diphtongues.  On  écrivait  : 
auïtre,  faiilt,  mieulx. 

§  49.  —  Souvent,  dans  cette  orthographe  savante,  on 
trouve  un  p  ou  un  b  parasite  devant  le  u  ;  or  le  u  était  pré- 
cisément la  transformation  du  b  ou  du  p  latin,  de  telle 


INTRODUCTION.  —  L'ORTHOGRAPHE.  29 

sorte  que  cette  consonne  latine  était  représentée  deux  fois  : 
recepvoir,  debvoir.  Le  p  ou\e  b  latin  qui  était  tombé  de- 
vant un  t  ou  un  d,  reparaît  aussi  dans  soubdain,  doubler, 
escript  (écrit),  etc. 

§  50.  —  Le  préfixe  latin  ad  était  devenu  a  en  français  : 
ajomdre,  avenir,  ajourner,  aviser.  Au  xv^  siècle  on  fit  repa- 
raître le  d  latin,  et  on  écrivit  adjoindre,  advenir,  adjour- 
ner,  etc.  Dans  quelques-uns  de  ces  mots  l'influence  de 
l'orthographe  a  été  assez  forte  pour  modifier  la  pronon- 
ciation :  aujourd'hui  nous  prononçons  adjoindre,  advenir^ 
si  bien  qu'il  est  devenu  impossible  de  supprimer  dans  ces 
verbes  le  d  parasite.  Au  xvii^  siècle  on  trouve  très  souvent 
l'orthographe  «  avenir  (infinitif),  il  avient,  etc.  »,  ce  qui 
prouve  que  le  d  actuel  ne  se  prononçait  pas  encore.  Nous 
avons  conservé  d'ailleurs,  comme  substantif,  l'ancien  infi- 
nitif avenir,  et  comme  adjectif  l'ancien  participe  présent 
avenant.  On  a  également  rétabli  le  b  du  préfixe  latin  ab  ou 
abs,  dans  abstenir,  absoudre,  et  la  prononciation  s'est 
encore  ici  soumise  à  l'orthographe. 

Le  redoublement  des  consonnes  après  le  préfixe  a  est 
aussi  un  des  caractères  de  cette  orthographe. 

§51.  —  Enfin  il  est  arrivé  plus  d'une  fois  qu'on  s'est 
trompé  sur  l'étymologie,  et  qu'on  a  ajouté  à  tel  ou  tel  mot 
des  lettres  qu'il  n'avait  jamais  eues  en  latin.  On  a  écrit 
sçavoir  au  lieu  de  savoir,  parce  qu'on  faisait  venir  ce  verbe 
de  scire,  tandis  qu'il  vient  de  sapere,  qui  n'a  jamais  eu  de  c 
après  Vs.  On  a  écrit  et  nous  écrivons  encore  poids  avec  un 
d,  parce  qu'on  le  faisait  venir  de  pondus,  tandis  qu'il  vient 
de  pensum,  ou  il  n'y  a  pas  trace  de  (/. 

ORTHOGIIAPHES  DIALECTALES 
§  52.  —  Ce  qui  complique  l'orthograple  du  moyen  âge, 
c'est  que  le  dialecte  parlé  dans  l'Ile  de  Fiance  n'était  pas 

2. 


30  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

encore  devenu  la  langue  officielle,  la  seule  langue  litté- 
raire. Les  diflereiits  dialectes  parlés  dans  la  France  du 
Nord  sont  aujourd'hui  réduits  à  l'état  de  patois,  c'est-à- 
dire  de  langue?  exclusivement  populaires;  mais  au  moyen 
nge,  chaque  auteur  écrivait  dans  son  dialecte.  Or  souvent 
la  jjrononciation  d'un  même  mot  n'était  pas  identique  dans 
toutes  les  provinces,  et  les  habitudes  orthographiques 
variaient.  Nous  n'avons  pu  signaler  que  quelques-unes  de 
ces  différences  dans  les  dialectes  les  plus  importants,  dans 
ceux  qui  ont  produit  le  plus  d'œuvres  littéraires,  mais  il  y 
en  avait  un  grand  nombre  d'autres.  En  outre  beaucou[i 
d'ouvrages  ne  nous  sont  parvenus  que  par  Tintermédiaire 
de  copistes  qui  appartenaient  à  un  autre  pays  que  l'au- 
teur, et  qui  mélangeaient  les  formes  de  leur  dialecte  à 
celles  du  livre  qu'ils  copiaient.  Enfin  dans  les  limites  de 
chaque  prononciation  dialectale,  il  n'y  avait  pas  une 
orthogi^aphc  officielle,  mais  seulement  des  traditions  et  des 
usages  qui  n'avaient  rien  de  rigoureux  et  qui  admettaient 
souvent  plusieurs  manières  d'écrire  le  même  mot.  Dans 
un  seul  ouvrage,  on  trouve  le  même  mot  écrit  de  deux  ou 
Irois  fa'ons  différentes  :  par  exemple  vos  et  vous  pour  le 
pronom  personnel  de  la  deuxième  personne  du  pluriel,  ou 
1  ien  vus  et  vos.  Il  y  a  des  textes  oià  les  mots  qui  ont  l'an- 
cienne diphtongue  ai  s'écrivent  tantôt  par  ai  tantôt  par  e, 
et  ceux  i[ui  ont  le  son  è  tantôt  par  e,  tantôt  par  ai. 

TABLE.4U  SYNOPTIQUE 

§  53.  —  Nous  résumerons  .ces  remarques  sur  l'ancienne 
orthographe  dans  le  tableau  synoptique  ci-joint,  où  on 
trouvera  réunies  par  ordre  alphabétique  les  principales 
variantes  de  l'orthographe  française.  Nous  n'y  avons  pas 
compris  les  lettres  parasites  du  xv"  siècle. 


INTRODUCTION. 


L'ORTHOGRAPHE. 


3i 


Orlhojjraphe 

ANCIENNE     ORTBOGRAPUE. 

mOlllTD'J 

correspondanle. 

EXEMPLES. 

ai  (dans  aige  et  aigne), 

«, 

coura/ge    (courage),    commo/ge 
((iomniflge)  ; 

aZ(devantuneconsonne). 

au, 

t"a/cher  (l'aj^clier),  o/tre  [auXve); 

c, 

ch. 

cambre  (c/iambre); 

ss. 

face  (fasie)  ; 

e, 

ai, 

mes  (mafs); 

e     (devant    une     autre 
voyeHe), 

supprimé , 

vecir  (voir),  eage  (âge),  seur  (sûr)  ; 
créant  (croyant),  veez  (vo/yez)  ; 

ecl, 

supprime . 

edaga  (âge) ,  vedeir  (voir)  ; 

ei. 

ai, 
oi. 

preneît  (prena/t),  veneit  (venait)  ; 
vei  (roî),  \ei  (lot); 

e/, 

eau, 

chape/   (cliape«2<)  ;   ronde/   (ron- 
deau) ; 

eu, 

cheve/  (chovezf)  ;  e/s  {eu\)  ; 

i, 

», 

carabe  (,/ambo)  ; 

/  {y  adverbe  de  lieu)  ; 

iau, 
ie, 

eau, 
e, 

biau  (beaw);  c\ia.iiau  (chàteaM)  ; 
aidier  (aider); 

/', 

qu, 

ni), 

Ai  {qui)  ; 
/i-eval  (c/icval)  ; 

/  (entre  eu  (oe,  uc)  ou 

supprimé , 

fou/dre  (foudre),  veu/t  (veut); 

bien  ou,  et  une   con- 

sonne), 

//, 

/, 

consei//  (consci/); 

ng7i, 

.7". 

plai«/7?2aiit  (plai^r/zant)  ; 

". 

au. 

lorior  (lawricr),    povrc  (poîivro); 

eu, 

valor  (valejn-)  ; 

32 


GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 


Orthographe 

ANCIENKB     ORTHOGRAPHE. 

moderoe 
correspondante. 

EXEMPLES. 

oe, 

eu, 

noef  (neuf),  poet  [peut]  ; 

oi, 

ui. 

noit  {nuit)  ; 

ol. 

ou. 

co/cher  (cowcher),  îol  (fow)  ; 

ou. 

eu, 

valo»/r  (valewr)  ; 

u. 

ploi<  (plw)) 

s. 

supprimé , 

escrit  (écrit)  ; 

^1 

voule?  (voulez)  ; 

X, 

pais  (paix); 

t, 

supprimé , 

bontei  (bonté)  ; 

M, 

eu. 

vah^r  (vakwr)  ; 

0, 

cunduire  (conduire)  ; 

ou, 

VMS  (voMs),  puv  {pour)  ; 

lie, 

eu, 

nue(  {netd),  pun  (pet^t)  ; 

ui, 

oi. 

j;nndre  (jomdre)  ; 

X, 

ux, 

chevaz  (chevaMj:),  miea;  (miewa:); 

.'/. 

i. 

;/mage  (î'mage)  ; 

^» 

s, 

bontez  (bontéy)  ; 

10, 

Sf^ 

(/,'arder  (^rarder). 

ÉTUDE  DES  FLEXIONS 


CHAPITRE  PREMIER 

DU     NOM 

LA  DÉCLINAISON  EN  LATIN  —  GÉNÉRALITÉS 

§  54.  —  Les  rapports  qui  unissent  un  nom  au  verbe  ou 
à  tout  autre  mot  de  la  phrase  sont  aujourd'hui  marqués  par 
la  place  de  ce  nom,  ou  exprimés  à  l'aide  de  prépositions. 
Ainsi  quand  nous  disons  :  «  Pierre  a  recommandé  Paul  à 
Jacques  »,  c'est  la  place  des  noms  Pierre  et  Paul,  l'un 
avant,  l'autre  après  le  verbe,  qui  indique  que  le  premier 
est  sujet,  le  second  régime,  et  c'est  la  préposition  à,  placée 
devant  Jacques,  qui  nous  apprend  que  ce  dernier  nom  est 
régime  indirect.  Les  Latins  exprimaient  les  mêmes  rap- 
ports par  des  flexions  ou  des  terminaisons  qu'on  appelle 
cas  ;  ainsi  dans  la  phrase  ci-dessus  la  terminaison  us  aurait 
indiqué  le  sujet,  um  le  régime  direct,  o  le  régime  indirect: 
«  Petrws  Jacobo  Paulwm  commendavit.  »  En  intervertis- 
sant les  rôles,  pour  exprimer,  par  exemple,  que  Jacques 
avait  recommandé  Pierre  à  Paul,  on  aurait  dit  :  «  Jacobws 
Petrwm  Paulo  commendavit.  »  Il  en  résulte  qu'on  pou- 
vait, sans  nuire  à  la  clarté,  mettre  les  noms  dans  n'im- 
porte quel  ordre,  les  réunir  avant  ou  après  le  verbe,  com- 
mencer par  le  sujet  ou  par  l'un  des  régimes  ;  la  terminai- 
son, le  cas,  suffisait  à  faire  reconnaître  le  rôle  de  chacun. 


34  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

De  même  quand  nous  disons  :  «  l'ami  de  Pierre  est  arrivé», 
c'est  la  préposition  de  qui  exprime  que  «  Pierre  «  est  le 
régime  d'  «  ami  ».  Les  Latins  auraient  aussi  rendu  ce  rap- 
port par  un  cas,  ils  auraient  donné  au  nom  «  Pierre  » 
la  terminaison  i  :  «  amicws  Pétri  »  ou  «  Petré  amicws  ». 
Comme  on  le  voit,  l'emploi  des  cas  rendait  souvent  inutile 
celui  des  prépositions.  Mais  plus  souvent  encore,  les  deux 
moyens  étaient  employés  à  la  fois,  et  se  complétaient  l'un 
l'autre. 

§  55.  —  Il  y  avait  six  cas  en  latin.  La  succession  des  cas 
constitue  ce  qu'on  appelle  la  déclinaison,  qui  était  pour 
les  noms  ce  qu'est  la  conjugaison  pour  les  verbes.  On  dé- 
clinait les  noms  comme  on  conjugue  les  verbes,  et  de 
même  que  les  verbes  se  répartissaient  entre  quatre  conju- 
gaisons, il  y  avait  pour  les  noms  cinq  déclinaisons  diffé- 
rentes, qui  ont  laissé  des  traces  diverses  dans  la  langue 
française. 

§  56.  —  Parmi  les  six  cas  du  latin,  l'un,  appelé  nomi- 
natif, était  le  cas-sujet,  celui  qui  marquait  le  sujet  de  la 
phrase.  Un  second,  appelé  vocatif,  s'employait  quand  on 
adressait  la  parole  à  quelqu'un.  Les  autres  servaient  à 
rendre  les  différentes  espèces  de  régime.  Le  plus  important 
était  l'accMsafi/,  qui  marquait  le  régime  direct  des  verbes 
et  qui  s'employait  avec  les  prépositions  indiquant  un  mou- 
vement. 

LA  DÉCLINAISON  EN  VIEUX  FRANÇAIS 

§  57.  —  Or,  avant  d'aboutir  à  l'état  actuel,  qui  est  la 
réduction  des  six  cas  latins  à  un  seul,  notre  langue  a  passé 
par  un  état  intermédiaire,  où  elle  avait  encore  une  décli- 
naison composée  de  deux  cas  :  un  cas  sujet  et  un  cas 
régime.  Le  premier  équivalait  au  nominatif  et  au  vocatif 
latins,  et  dérivait  du  nominatif;  le  second  dérivait  de  l'ac- 


DU   NOM.  35 

cusatif  et  s'employait  toutes  les  fois  que  le  nom  était  régi 
par  un  verbe  ou  par  un  autre  mot,  et  notamment  après 
toutes  les  prépositions.  Toutefois  les  noms  féminins  ont 
été  en  général,  dès  l'origine  du  français,  réduits  comme 
aujourd'hui  à  un  seul  cas  pour  chaque  nombre.  Nous  étu- 
dierons donc  séparément  les  noms  masculins  et  les  noms 
féminins. 

I.  —  Noms  féminins. 

Dérivation  de  la  1"  déclinaison  latine. 

§  58.  —  En  latin,  la  1'^  déclinaison,  qui  contenait  sur- 
tout des  noms  féminins,  offrait  au  singulier  les  formes 
suivantes  : 

Nominatif:  porta  (la  porte) 

Accusatif:    pôrtam. 

Le  cas  régime  ne  différait  donc  du  cas  sujet  que  par  une 
m.  Or,  Ym  finale  se  faisait  à  peine  entendre  dans  le  latin 
classique,  et  elle  était  complètement  tombée  dans  le  latin 
populaire.  Les  deux  cas  s'étaient  ainsi  confondus  et  n'ont 
pu  produire  en  français  qu'une  seule  forme,  qui  est  parie. 

Au  pluriel,  le  même  mot  latin  se  déclinait  ainsi  : 

Nominatif:  p6rte  {tatin  classique  portœ) 
Accusatif:   portas. 

Si  on  applique  à  ces  deux  formes  les  règles  générales 
que  nous  avons  données  pour  la  transformation  du  latin 
en  français  (§  12  et  suivants),  et  si  l'on  tient  compte  de  la 
solidité  particulière  de  Vs  finale,  on  obtiendra,  pour  le 
nominaiïf,  port,  et,  pour  l'accusatif,  portes.  Ainsi  les  noms 
français  féminins  dérivés  de  la  1^  déclinaison  latine  au- 
raient dû  conserver  deux  cas  au  pluriel,  l'un  sans  e,  l'autre 
avec  es.  Mais  par  analogie  avec  le  singulier  de  ces  noms,  et 
aussi  avec  le  pluriel  de  plusieurs  autres  déclinaisons  latines, 


36  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

ces  deux,  cas,  dès  le  latin  populaire,  ont  été  réduitsàun seul; 
la  forme  du  nominatif  a  disparu,  et  dès  l'origine  de  notre 
langue  le  mot  «  porte  »  suivait  la  règle  actuelle  ;  il  prenait 
une  s  au  pluriel  et  n'avait  qu'un  seul  cas  pour  chaque  nombre. 

Parmi  les  noms  féminins  dérivés  ainsi  directement  de  la 
première  déclinaison  latine,  on  peut  citer  :  couronne, 
chèvre,  femme,  fève,  àme,  heure,  chaîne,  nonne,  terre,  voie, 
ville,  vie,  chose,  etc. 

§  59.  —  Quelques-uns  de  ces  noms  ont  eu  cependant 
une  véritable  déclinaison,  conforme  au  type  ci-dessous. 

SINGULIER.  PLURIEL. 

Cas  sujet  :      nonne  nonnains 

Cas  régime  :  nonnain  nonnains. 

Cette  déclinaison,  d'origine  germanique  (saufl'sdu  plu- 
riel), consiste  à  substituer  à  Te  final  du  cas  sujet  singulier  : 
ain  pour  le  cas  régime  singulier,  et  ains  pour  le  pluriel. 

On  déclinait  de  même  ante  (ancienne  forme  de  tante)  et 
certains  noms  propres  féminins  tels  que  Berte  (Berthe), 
Eve,  etc.,  qui  faisaient  au  cas  régime  singulier  Bertain, 
Evain .  Mais  on  trouve  aussi  ces  mots  avec  le  cas  régime 
ordinaire,  identique  au  cas  sujet. 

Pluriels  neutres  transformés  en  noms  féminins. 

§  60.  —  Les  noms  français  féminins  peuvent  aussi  déri- 
ver de  pluriels  neutres  latins. 

On  sait  que  le  latin  avait  trois  genres  pour  les  noms, 
adjectifs  et  pronoms  :  le  masculin,  le  féminin  et  le  neutre. 
Nous  avons  conservé  le  neutre  jusqu'à  nos  jours  pour  quel- 
ques pronoms,  mais  nous  l'avons  laissé  perdre  pour  les 
noms  et  adjectifs.  La  première  déclinaison  latine  n'avait 
que  des  masculins  et  des  féminins,  mais  les  autres  comp- 
taient un  certain  nombre  de  noms  neutres,  qui  se  distin- 
guaient par  des  flexions  spéciales  des  noms  masculins  et 


DU   NOM.  37 

féminins.  Au  pluriel,  ils  prenaient  tous  la  désinence  a  au 
nominatif  comme  à  l'accusatif.  hS.x\&\  gaudïum  (joie),  aniuial 
(animal),  cornu  (corne)  faisaient  au  pluriel  (nominatif  ou 
accusatif)  :  gaudia,  animalia,  cornua.  Ces  pluriels  neutres 
avaient  donc  l'apparence  d'un  singulier  féminin  de  la  pre- 
mière déclinaison;  ils  ressemblaient  h  porta,  que  nous  ve- 
nons d'étudier,  et  qui  se  terminait  aussi  en  a  aux  deux  cas. 

D'autre  part,  certains  noms  neutres  s'employaient  sur- 
tout, et  quelquefois  exclusivement,  au  pluriel  :  arma  (ar- 
mes) dans  le  latin  classique,  gaudia  (joies)  dans  le  latin 
populaire.  L'usage  fréquent  ou  exclusif  du  pluriel,  et  la 
ressemblance  de  ce  pluriel  avec  un  féminin  singulier,  ont 
amené  une  confusion  de  nombre  et  de  genre.  Ces  mots 
sont  représentés  en  français  par  des  noms  féminins  en  e  : 
gaudia  a  donné  joie;  animalia,  almaille,  vieux  mot  syno- 
nyme de  «  bête  »;  arma  a  donné  arme  ;  cornua,  corne.  Le 
pluriel  de  ces  noms  étant  devenu  leur  singulier,  on  leur 
a  refait  un  pluriel,  d'après  les  règles  de  la  première  décli- 
naison, en  ajoutant  une  s. 

Les  mots  merveille,  enseigne,  paire,  etc.,  sont  égale- 
ment d'anciens  pluriels  neutres  [mirabilia,  insignia, paria). 

Noms  féminins  dérivés  des  autres  déclinaisons  latines. 

§  61.  —  Nous  n'avons  vu  jusqu'à  présent  que  des  noms 
féminins  terminés  eii  français  par  un  e  muet.  Cependant, 
tous  nos  substantifs  féminins  ne  se  terminent  point  ainsi. 
Les  noms  latins,  autres  que  les  neutres  pluriels  et  les  noms 
de  la  première  déclinaison,  n'avaient  généralement  pas 
d'à  atone  après  l'accent.  Les  noms  féminins  dérivés  des 
autres  déclinaisons  ne  se  termineront  donc  pas  en  prin- 
cipe par  un  e  muet.  Ainsi  :  chair,  main,  foi,  etc.  Toutefois 
Ve  muet  peut  résulter,  comme  nous  le  savons  (voyez  §  15, 
3°),  non  seulement  d'un  a  atone  mais  encore  d'un  groupe 
Clédat.  3 


38  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

de  consonnes  appelant  une  voyelle  d'appui.  C'est  ainsi  que 
le  mot  mère  a  un  e  muet  final  à  cause  des  consonnes  tr  du 
mot  latin  matrem. 

§  62.  —  Toutes  les  déclinaisons  latines  contenaient  des 
noms  féminins;  mais  la  seconde  n'en  avait  qu'un  petit 
nombre  qui  sont  devenus  masculins  en  passant  au  fran- 
çais. Nous  n'avons  pas  à  en  parler  ici.  Pour  les  autres  dé- 
clinaisons, il  faut  remarquer  que  les  noms  féminins  et  mas- 
culins se  terminaient  au  pluriel  par  une  s,  au  nominatif 
comme  à  l'accusatif.  Les  féminins  ont  conservé  en  français 
cette  flexion  s  commune  au  cas  sujet  et  au  cas  régime, 
tandis  que  les  noms  masculins,  comme  nous  le  verrons, 
sous  l'influence  de  la  deuxième  déclinaison,  ont  perdu 
cette  s  au  cas  sujet  pluriel. 

§  63.  —  Nous  verrons  aussi  que  les  noms  de  ces  décli- 
naisons (masculins  ou  féminins)  avaient  en  général  une  s 
au  nominatif  singulier  ;  mais  les  féminins  ne  s'étaient  con- 
servés que  sous  la  forme  de  l'accusatif.  C'est  ainsi  que  les 
mots  tels  que  gent,  mort,  nuit,  dans  les  plus  anciens  textes, 
sont  invariables  au  singulier,  malgré  l's  du  nominatif  la- 
tin ;  si  on  les  trouve  plus  tard  avec  une  s  quand  ils  sont  em- 
ployés comme  sujet  singulier  (sa  viorz  {=:  morts)  fut  belle), 
c'est  qu'ils  ont  subi  l'influence  de  la  déclinaison  masculine. 

§  64.  —  Enfin  beaucoup  de  noms  de  la  troisième  décli- 
naison latine  n'avaient  pas  l'accent  sur  la  même  syllabe 
au  nominatif  singulier  et  à  l'accusatif  singulier  ou  au  plu- 
riel. Singulier  :  nominatif  vi'rtus  ;  accusatif  virtiitem;  plu- 
riel :■  virtutes.  Les  noms  féminins  de  cette  catégorie,  ou 
ceux  qui  sont  devenus  féminins  en  passant  au  français^ 
n'ont  conservé  que  la  forme  de  l'accusatif.  Ainsi  vertu, 
raison,  moisson,  douleur,  viennent  de  virtûtem  (le  nominatif 
virlus  aurait  donné  rerz),  radônem,  messiônem,  dolôrein. 

Dans  tous  ces  mois  la  flexion  atome  em  a  disparu  :  ïm 


DU   NOM.  39 

finale  était  tombée  dans  le  latin  populaire  (§  58),  et  Ve 
devait  tomber  aussi  conformément  à  la  loi  générale  de  la 
chute  des  atones  (§  15).  Quant  aux  modifications  diverses 
subies  i^ar  les  radicaux  latins  vzVf m?,  ration.,  messio7i,  dolvr, 
elles  s'expliquent  par  les  lois  particulières  de  la  phonétique. 
Seul  le  nominatif  sôror  a  donné  soer  (en  une  seule  syl- 
labe, aujourd'hui  écrit  sœuî^),  tandis  que  l'accusatif  sorô- 
rnn  donnait  soror,  seror.  Ce  nom  se  déclinait  donc  ainsi  : 

SINGULIER.     .  PLURIEL. 

Cas  sujet  :     soer  {latin  sôror)  sorors  {latin  sorôres) 

Cas  régime:  soror  (Za^m  sorôrem)         sorors  (toim  sorores). 

Si  la  forme  française  à  deux  syllabes  [soror]  s'était  mainte- 
nue, elle  serait  aujourd'hui  :  sereur.  Mais  par  une  exception 
assez  rare,  c'est  le  cas  sujet  singulier  de  ce  mot  qui  a  per- 
sisté, au  préjudice  du  cas  régime;  car  la  forme  actuelle  est 
sœur.  D'ailleurs  on  trouve  très  anciennement  soer,  sœur, 
aussi  bien  que  soror,  comme  cas  régime  du  singulier. 

Un  a  vu  que  Vo  tonique  de  sôror  a  produit  la  diph- 
tongue oe  (soer) ,  tandis  que  Vo  tonique  de  sororem 
est  resté  o  dans  lancienne  langue  (soror).  Voyez,  pour 
l'explication  de  ces  faits,  les  tableaux  de  phonétique  ;  le 
tableau  de  l'o  bref  pour  sôror,  et  celui  de  l'o  long  pour 
sorôrem.  Pour  le  traitement  du  premier  o  de  sororem,  voyez 
le  tableau  de  «  l'o  bref  de  la  première  syllabe  ». 

>5  65.  —  Les,  mots  tels  que  vertu,  raison,  etc.,  ont  été 
riHployés  avec  une  s  au  cas  sujet  singulier  par  analogie 
avec  la  déclinaison  masculine  (Comparez  §  63). 

Résumé. 

S566.  —  En  résumé  :  i°  les  noms  féminins,  comme  au- 
jourd'hui tons  les  substantifs,  prenaient  une  s  aux  deux 
cas  du  pluiiel. 


40  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

2°  Si  l'on  met  à  part  la  déclinaison  de  sœur  et  celle  des 
mots  tels  que  nonne^  cas  régime  nonnain,  on  peut  dire  que 
les  noms  féminins  n'avaient  à  l'origine  qu'un  seul  cas  au 
singulier  comme  au  pluriel.  Il  en  a  toujours  été  ainsi  pour 
ceux  qui  se  terminaient  par  un  e  muet.  Quant  à  ceux  qui 
n'avaient  pas  un  e  muet  final,  on  leur  a  appliqué  au  singu- 
lier les  règles  de  la  déclinaison  masculine,  c'est-à-dire 
qu'ils  ont  pris  une  s  au  cas  sujet. 

II.  —  Noms  masculins. 

Dérivation  de  la  seconde  déclinaison  latine. 

§  67.  —  Les  noms  masculins  de  l'ancienne  langue  se  ré- 
partissent entre  deux  systèmes  de  déclinaison.  Les  règles 
de  l'un  et  une  partie  des  règles  de  l'autre  dérivent  de  la 
seconde  déclinaison  latine. 

Le  mot  «  amicus  »  (ami),  appartenant  à  cette  déclinai- 
son, offrait  les  formes  suivantes  : 

SINGULIER.  PLURIEL. 

Nominatif  :  amic-us  amici 

Accusatif:    amic-um  aniic-os. 

Le  c  qui  terminait  le  radical  amie  est  tombé  conformé- 
ment aux  lois  delà  phonétique.  Quant  aux  flexions  us,  um, 
i,  os,  les  voyelles  «  u,  i,  o  »  ont  dû  tomber,  d'après  les  lois 
générales  de  transformation  du  latin  en  français  (voyez 
§  15),  Vs  du  nominatif  singulier  et  de  l'accusatif  pluriel  a 
persisté,  de  même  qu'au  i^luriel  des  noms  féminins  (voyez 
§  58)  ;  enfin  Vm  finale  de  l'accusatif  singulier  avait  disparu 
dès  le  latin  populaire,  comme  nous  l'avons  remarqué  à 
propos  des  noms  féminins  (§  58). 

La  déclinaison  d'amicus  est  donc  devenue  en  français  : 


SINGULIER. 

PLURIEL. 

Cas  sujet:     ami-s 

ami 

Cas  régime:  ami 

ami-S 

DU   NOM.  4Î 

Il  n'y  a  pas  de  flexion  au  cas  régime  singulier,  ni  au  cas 
sujet  pluriel,  le  cas  sujet  singulier  et  le  cas  régime  pluriel 
sont  également  caractérisés  par  une  s. 

Par  exception  dans  un  petit  nombre  de  mots,  Vi  final 
atone  du  nominatif  pluriel  a  produit  une  modification  du 
radical  (voyez  §  126). 

Lf(  quatrième  et  la  cinquième  déclinaisons  latines  et  partiel- 
lement la  troisième. 

§  68.  —  Les  noms  de  la  quatrième  et  de  la  cinquième 
déclinaisons,  et  une  partie  de  ceux  de  la  troisième,  s'étaient 
confondus,  pour  le  singulier,  avec  ceux  de  la  seconde.  II& 
offraient  en  effet  les  formes  suivantes  : 

3*  DÉCLIN.  4"=  DKCLIN.  5"  DÉCMN. 

Nominatif:  pan-is  (pain)        fruct-us  (fruit)         di-es  (jour) 
Accusatif:   pan-em  fruct-um  di-em. 

Comme  on  le  voit,  les  noms  de  la  quatrième  déclinaison 
se  cnnfondaient  tout  à  fait,  pour  ces  deux  cas,  avec  ceux 
de  la  deuxième.  Quant  aux  deux  autres  déclinaisons,  elles 
ne  dilTéraient  de  la  deuxième  et  de  la  quatrième  que  par 
des  lettres  qui  devaient  tomber  {Vi  atone  de  panis,  Ve  de 
panem,  diem,  dies).  Ces  noms  latins  ont  donc  produit  des 
noms  français  qui  se  sont  déclinés  au  singulier  comme  ami  : 

SINGULIER. 

Cas  sujet:     pain-s  fruit-s  (ou  fruiz)  di-s 

Cas  régime  :  pain  fruit  di. 

Le  mot  di,  qui  signifie  jour,  ne  s'est  conservé  que 
dans  «  midi^  »  (=  mi-jour)  et  dans  les  noms  des  jours  de 
la  semaine,  lundi,  etc. 

Au  pluriel,  ces  mêmes  noms  différaient  beaucoup  des 
noms  de  la  deuxième  déclinaison  ;  car  leur  nominatif  et 
leur  accusatif  étaient  identiques  et  se  terminaient  par 
ime  s  ;  panes,  fructus,  dies.  On  remarquera  que  les  plu- 


42  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

riels  «  fructus,  dies  »  étaient  également  identiques  au  nomi- 
natif singulier  des  mêmes  mots,  et  que  «  panes  »  différait 
peu  du  nominatif  singulier  «  panis  »  et  avait  dû  se  con^ 
fondre  avec  lui  dans  la  langue  populaire.  Les  noms  finan- 
çais dérivés  de  ces  déclinaisons  latines  devraient  donc  avoir 
une  s  aux^  deux  cas  du  pluriel  comme  au  cas  sujet  singu- 
lier. Mais  il  y  a  eu  (pour  les  noms  masculins)  assimilation 
avec  la  deuxième  déclinaison;  on  a  supprimé  Vs  du  cas 
sujet  pluriel,  et  on  a  décliné  en  français  : 

PLURIEL. 

Cas  sujet  :      pain  fruit  di 

Cas  régime  :  pains         fruiz  dis. 

Les  noms  masculins  qui  n^avaient  pas  f/'s  en  latin 
au  nominatif  singulier. 

§  69.  —  Tous  les  mots  dont  nous  venons  de  parler  se 
sont  donc  confondus  en  français  dans  une  seule  et  même 
déclinaison.  Toutefois,  un  certain  nombre  d'entre  eux 
(comme  liber,  Ubrum,  en  français  livre,  de  la  deuxième 
déclinaison  ;  pâter,  pdtrem,  en  français  père,  de  la  troi- 
sième) ne  se  terminaient  pas  par  une  s  au  nominatif 
singulier.  Aussi,  dans  les  textes  les  plus  anciens,  leur  cas 
sujet  singulier  est-il  identique  au  cas  régime  :  livre,  père. 

Les  deux  cas  du  singulier  de  ces  mots  ont  dû  produire 
en  français  le  même  résultat,  car  Ve  atone  de  pâter  est 
tombé  (§  15),  et  le  groupe  de  consonnes  tr  a  appelé  un  e 
muet  d'appui  qui  termine  le  mot  (§  15,  3°).  Dans  l'accusatif 
pdlrem,  Vm  finale  est  tombée  (§  58  et  67),  et  la  voyelle 
atone  e  a  été  remplacée  par  un  e  muet  d'appui,  qui  occupe 
la  même  place  qu'au  nominatif.  Quant  à  la  partie  inva- 
riable de  ces  deux  formes,  npatri),  elle  a  subi  naturelle- 
ment les  mêmes  modifications  dans  les  deux  cas,  et  ?f 
trouve  .'Mijourd'lnii  représentée  par  «  pèr  »  du  français /jère. 


DU   NOM.  43 

Ce  raisonnement  s'applique  aussi  au  mot  «  livre  ».  On 
<3éclinait  donc  : 

SINGULIER.  PLURIEL. 

Cas  sujet  :    père  (pàter)  père  (pâtres) 

Cas  réijime:  père  (p itrem)  père-s  (pâtres) 

Cas  sujet:    livre  (liber)  livre  (libri) 

Cas  ré{7ime;  livre  (librum)  livre-s  (libros). 

Mais  de  bonne  heure  il  y  a  eu  assimilation  par  analo- 
gie, et  on  a  ajouté  une  s  au  cas  sujet  singulier.  On  avait 
antérieurement  supprimé  une  s  au  cas  sujet  pluriel  du  mot 
père  (latin  patres),  comme  au  même  cas  de  «  pain,  fruit, 
di  »  (Voyez  §  68). 

Les  mots  pèi^e  et  livre  se  terminent  par  un  e  muet.  11 
faut  remarquer  que,  pour  les  mots  masculins,  Ve  muet 
flnal  ne  peut  dériver  que  d'un  groupe  de  consonnes  appe- 
lant une  voyelle  d'appui  (Comparez  §  61). 

Noms  neutres  devenus  masculins. 

§  70.  —  Quant  aux  noms  neutres  de  ces  différentes  dé- 
clinaisons, ils  avaient  l'accusatif  identique  au  nominatif, 
généralement  dépourvu  d's  au  singulier  '  et  terminé  en  a 
au  pluriel  :  vinum  (vin),  pluriel  vhia,  cornu  (corne),  pluriel 
côrnua,  cûput  (tête),  pluriel  càpita.  Ces  mots  devraient 
donc  n'avoir  en  français  qu'un  seul  cas  pour  chaque  nom- 
bre et  ajouter  au  pluriel  un  e  représentant  l'a  final  latin 
{voj'ez  §  15,  i°).  Le  mot  «  vin  »  par  exemple  aurait  dû 
former  son  pluriel  comme  nos  adjectifs  forment  leur  fé- 
minin :  vin,  pluriel  vine. 

Il  n'en  a  ri'èn  été,  ou  du  moins  l'existence  de  ce  mode 
de  déclinaison  est  douteuse^.  Lorsque  la  forme  du  i)luriel 

1.  Nous  verrons  que  ceux  des  neutres  qui  avaient  le  nominatif-accu- 
satif du  siiii;ulier  terminé  par  une  s,  ont  doimc  ries  noms  indéclinaMes 
en  français  (§  8;>). 

2.  On  croit  on  voir  une  trace  dans  ce  vers  de  la  Chanson  de  l\oUint  : 
«  Cinquante  carre  qu'en  ferat  carrier.  >-  Mol  à  mot  :  «  Cinquante  «iiars 


44  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

s'est  conservée,  elle  a  été  assimilée,  comme  nous  l'avons 
vu,  à  un  féminin  singulier  (§  60).  Pour  d'autres  noms 
neutres,  c'est  la  forme  du  singulier  qui  a  persisté,  et  alors, 
il  y  a  eu  assimilation  avec  les  noms  masculins  :  vin  s'est 
décliné  comme  mni,  avec  une  s  au  cas  sujet  singulier  et  au 
cas  régime  pluriel.  De  mênie  :  chef,  dérivé  de  caput.  Le 
mot  «  cornu  »  a  été  traité  des  deux  façons  :  le  pluriel 
latin  a  donné  naissance  à  notre  substantif  féminin  corne, 
et  le  singulier  à  notre  substantif  masculin  cor  (cor  aux 
pieds,  cor  de  chasse,  cor  de  cerf). 

La  troisième  déclinaison  latine. 

§  71.  —  La  troisième  déclinaison  latine  était  celle  qui 
renfermait  le  plus  de  types  variés.  Nous  avons  déjà  vu, 
en  traitant  des  féminins,  qu'un  certain  nombre  de  noms 
de  cette  déclinaison  n'avaient  pas  l'accent  sur  la  même 
syllabe  au  nominatif  et  à  l'accusatif,  et  nous  aurons  à 
parler  plus  longuement  de  cette  particularité.  Mais  les 
noms  mêmes  dans  lesquels  l'accent  ne  se  déplaçait  pas 
n'étaient  pas  tous  conformes  au  type  de  «  panis  »,  ou  à 
celui  de  «  pater  ».  Quelques-uns  avaient  le  nominatif  sin- 
gulier assez  différent  des  autres  cas.  Par  exemple  le  mot 
«  lepus  »  (lièvre)  se  déclinait  ainsi  : 


Nominatif:  li'pus  lépores 

Accusatif  •    léporem  lépores. 

Ce  mot  avait  donc  pour  ainsi  dire  deux  formes  de  ra- 
dical :   l'une    commune  au   cas  régime   singulier  et  aux 

qu'il  en  fera  charrier.  »  Le  mot  latin  ca7'rus  avait  aussi  la  forme  neutre 
carruni,  pluriel  carra,  d'où  seraient  venus,  dans  l'ancienne  langue,  le 
singulier  car  (clinr)  et  le  pluriel  c/f  re  (cliarre).  Mais  carre  peut  être 
aussi  une  forme  léminine,  à  la  lin  de  laquelle  le  copiste  du  manuscrit  ;i 
omis  \'s  du  uluiiel. 


DU  NOM.  45^ 

deux  cas  du  pluriel  (lepor...),  l'autre  spéciale  au  cas  sujet 
singulier  (lep...).  Mais  le  langage  populaire  supprima  cette 
complication,  en  laissant  perdre  l'une  des  formes  et  en  la 
refaisant  d'après  l'autre. 

Ainsi  «  lepus  »  n'a  rien  produit  en  français,  tandis  que 
léporem  a  donné  lièvre.  Le  cas  sujet  singulier  du  mot 
français  était  lièvres  comme  si  le  nominatif  latin  eût  été 
léporis.  Au  pluriel,  le  cas  sujet  perdait  l's,  comme  nous 
l'avons  expliqué,  par  assimilation  avec  la  seconde  décli- 
naison latine,  et  «  lièvre  »  rentrait  ainsi  complètement 
dans  la  même  déclinaison  que  «  ami,  pain,  etc.  »  Si  le  nomi- 
natif singulier  du  latin  s'était  maintenu,  on  aurait  eu  un 
mot  tout  différent  ;  car  la  voyelle  tonique  de  lépus  n'était 
pas,  comme  celle  de  léporem,  suivie  d'un  groupe  de  con- 
sonnes appelant  une  voyelle  d'appui,  et  le  p  devant  l's 
devait  tomber  au  lieu  de  se  changer  en  v  comme  devant 
l'r.  Le  cas  sujet  de  lièvre  eût  donc  été  liés. 

§  72.  —  Les  substantifs  homme  et  comte  ont  eu,  dans 
l'ancien  français,  une  déclinaison  aussi  compliquée  qu'eût 
été  celle  de  liés,  cas  régime  lièvre.  Les  mots  latins 
«  hûmo  »  et  «  eûmes  »  faisaient  à  l'accusatif  hôminem  et 
(ômitera.  Les  groupes  de  consonnes  mn  de  hom[i]n{em)  et 
7nt  de  com{i)t{em)  appellent  une  voyelle  d'appui  ;  de  là  les 
formes  :  «  home,  homme  »  (d'abord  homne)  et  «  comte, 
conte  »,  pour  le  cas  r('gime  singulier.  Mais  au  cas  sujet 
on  avait,  en  une  seule  syllabe,  «  hom,  om,  on  »  et 
«  cuens  »  [ue  de  cuens  ne  forme  pas  deux  syllabes,  c'est 
une  diphtongue).  Le  pluriel  français  était  conforme,  sauf 
la  flexion  s  de  l'accusatif,  à  l'accusatif  singulier.  Ces  mots 
se  déclinaient  donc  : 

SINGULIER. 

Cas  sujet  :      cuens(comcs)  hom  (homo) 

Cas  régime  :  cointe(comitem)  honiiue  (hoinincm) 

3. 


40  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

PLURIEL. 

Cas  sujet  :      comte  (comités)  homme  (homines) 

Cas  régime  :  comtes  (comités)  hommes  (homines). 

Notre  pronom  indéfini  «  on  »  n"est  autre  que  l'ancien 
cas  sujet  de  «  homme  ».  On  s'étonnera  sans  doute  de  voir 
ïo  changé  en  la  diphtongue  tie  dans  «  cuens  »  ;  mai>  l'ex- 
plication de  ce  fait  est  du  domaine  de  la  phonétique. 
(Voy.  §  745,  3"  et  7°.) 

§  73.  —  Il  nous  reste  à  parler  des  noms  masculins  de 
la  troisième  déclinaison  latine  qui  n'avaient  pas  l'accent 
sur  la  même  s^'llabe  au  nominatif  et  à  l'accusatif  singu- 
lier. Nous  n'aurons  à  étudier  que  le  singulier  de  ces  noms, 
car  le  pluriel  n'offre  aucune  difficulté.  En  latin,  il  était 
conforme  à  l'accusatif  singulier,  sauf  la  substitution  de  la 
flexion  es  à  em;  en  français  l's  de  flexion  a  été  supprimée 
au  cas  sujet  pluriel  comme  pour  tous  les  aLitres  noms 
masculins  (§  68,  69,  71),  de  telle  sorte  que  ce  cas  sujet 
est  identique  au  cas  régime  singuUer,  et  qu'il  suffit  d'y 
ajouter  une  s  pour  avoir  le  cas  régime  pluriel. 

§  74.  —  Parmi  les  noms  qui  «  déplaçaient  l'accent  », 
les  uns,  —  comme  leônein  (lion),  nominatif  Ico,  carbùtiem. 
(charbon),  nominatif  cârbo,  —  n'ont  conservé  en  français 
que  la  forme  de  l'accusatif  latin,  mais  en  y  ajoutant,  au 
cas  sujet  singulier,  Va  de  la  déclinaison  masculine  ordi- 
naire, comuie  si  le  nominatif  ^-ingulier  eût  été  :  leùnls, 
cat  bonis. 

^  75.  —  D'autres  ont  eu  une  déclinaison  semblable  à  la 
déclinaison  latine,  avec  déplacement  de  l'accent.  Ainsi  le 
mot  «  baron  »  se  déclinait  au  singulier  : 

Cas  sujet  :      ber  [latin  bàro) 

Cas  rcyinie:  baron  (/«ù'/i  barûnem). 

On  voit  que  Ocr  est  encore  plus  différent  de  baron  que 


DU   NOM. 


47 


bâro  de  barônem.  C'est  que  les  voyelles  latines  n'oTit 
généralement  pas  subi  la  même  transformation  (|ii,'ind 
elles  étaient  à  la  première  syllabe  du  motet  quand  elles 
étaient  toniques;  Va  de  la  première  syllabe  de  baroncm 
est  resté  a  dans  baron;  Va  tonique  de  bâro  est  devenu  é 
dans  ber. 

Voici  une  liste  de  mots  se  déclinant  comme   bcr,   cas 
réaime  baron  : 


Cas  sujet  : 


Cas  régime . 


compani 
fel 

compaignon 
félon 

gars 

garçon 

glot  (glûto) 
1ère  (làlro) 

gloton,  glouton  (glutùneml 
larron  (latrônem) 

ancestre  (antecéssor) 

ancessor  (antecessérem) 

emperére  (imperâtor) 
paslre  (pâstor) 
pechiére  (peccàtor) 

empereor,  empereur  (iniperatorcni) 

paslor  '  (pastôrem) 

pecheor,  pécheur  (peccatùrem) 

sire  (senior) 

traître,  traître  (*traditor) 

seignor,  seigneur  (seniûrem) 
traïtor  (traditôroin) 

trovére,  trouvère 

troveor 

enfes  -  (infans) 

enfant  (iiifànlcin) 

abes  2  (àbbas) 

abé  (al>bâlem) 

niés  (népos) 

neveu  (uepôtem). 

Ajoutez  des  noms  propres,  tels  que  Guenes,  cas  régime 
Ganelon. 

§  76.  —  Plusieurs  de  ces  noms  n'avaient  pas  d's  au  cas 
sujet,  mais  en  ont  reçu  une  postérieurement,  par  analogie 
avec  les  noms  dérivés  de  la  seconde  déclinaison  latine. 
Ainsi  il  n'est  pas  rare  de  trouver  fel,  sire  et  eiupercre 
écrits  :  fels,  sires,  empereres. 

§  77.  —  Quelques  noms  de  la  seconde   déclinaison, 

1.  Si  ce  cas  régime  était,  resté  dans  la  langue  sans  subir  aucune  in-^ 
fluence  savante,  il  serait  anjourd'iiui  pâleur,  et  non  pastaur. 

2.  Prononcez  «  enfe  »  et  non  <c  enfi;  »,  «  abo  »  et  non  '<  abé  »• 


48  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

parmi  ceux  dont  le  nominatif  était  en  er  et  Taecusatif  en 
erum,  pouvaient  aussi  ne  pas  avoir  l'accent  tonique  sur  la 
même  syllabe  aux  deux  cas.  L'un  d'eux  a  donné  en  fran- 
çais un  mot  qui  déplace  aussi  l'accent,  c'est  :  «  prestre  » 
(latin  présbyter),  dont  le  cas  régime  éidJvi  preveire ,  pro- 
voire  (aujourd'hui  prouvaire,  dans  un  nom  de  rue  à  Paris), 
qui  vient  de  presb>jterum. 

§  78.  —  Plusieurs  noms  propres  se  déclinent  tantôt 
comme  «  ami  »,  tantôt  comme  «  baron  ».  Ainsi  dans  la 
Chanson  de  RolancL  le  cas  régime  de  Charles  est  tantôt 
Charte,  tantôt  Charlon. 

Résumé.  —  Les  noms  masculins  dans  la  langue  actuelle. 

§  79.  —  En  résumé,  les  noms  masculins  prenaient  gé- 
néralement une  s  au  cas  sujet  singulier  et  au  cas  régime 
pluriel,  et  n'en  prenaient  pas  au  cas  régime  singulier  et 
au  cas  sujet  pluriel. 

Un  certain  nombre  d'entre  eux  avaient  le  cas  sujet  sin- 
gulier très  différent  des  autres  cas  {comte,  homme, 
seigneur,  etc.),  et  alors  (sauf  dans  comte  et  homme)  l'ac- 
cent tonique  n'était  pas  sur  la  même  syllabe  au  cas  sujet 
singulier  et  aux  autres  cas. 

Plusieurs  noms  masculins  n'avaient  pas  d's  en  latin  au 
nominatif  singulier,  et  n'en  avaient  pas  non  plus,  à  Tori- 
gine,  au  cas  sujet  singulier  français  :  père,  sire,  etc. 
D'autres  avaient  perdu  leur  nominatif  singulier  latin,  et 
la  forme  sans  s,  dérivée  de  l'accusatif,  n'a  pris  une  s  au 
cas  sujet  que  par  analogie. 

§  80.  —  Des  deux  cas  de  l'ancienne  langue,  c'est  le  cas 
régime  qui  s'est  conservé  ;  car  c'est  au  cas  régime  que  les 
noms  masculins  prenaient  une  s  au  pluriel,  et  n'en  pre- 
naient pas  au  singulier. 

Par  exception,  quelques  noms  se  sont  conservés  sous  la 


DU  NOM.  49> 

forme  de  l'ancien  cas  sujet:  ancêtre, pâtre,  traître,  prêtre. 
Et  comme  l'ancien  pluriel  de  ces  noms  se  formait  sur  le 
cas  régime  singulier,  il  a  disparu  en  même  temps  que  ce 
cas  régime.  Ancêtre  ï\q  fait  pas  au  pluriel  ancesseurs;  un 
nouveau  pluriel  s'est  formé,  par  l'adjonction  d'une  s,  sur 
le  cas  sujet  singulier  devenu  cas  unique. 

Il  est  arrivé  aussi  quelquefois,  pour  les  noms  qui 
«  déplaçaient  l'accent  »,  que  les  formes  du  cas  sujet  et 
du  cas  régime  se  sont  également  conservées,  et  ont 
donné  naissance  à  deux  mots  différents,  gui  ont  pris  des 
acceptions  plus  ou  moins  divergentes;  ainsi  sire  et  sei- 
gneur. 

C'est  vers  le  xiv"  siècle  que  la  déclinaison  à  deux  cas  a 
disparu  du  français. 

III.  —  Noms  indéclinables. 

§  81.  —  Les  noms  indéclinables  sont  ceux  qui,  dans 
l'ancienne  langue,  se  terminaient  uniformément  par  une  s 
à  tous  les  cas,  et  qui  aujourd'hui  encore  ont  une  s  (ou  un  x) 
au  singulier  comme  au  pluriel.  Ce  sont  ceux  dont  le  radical 
latin  (après  la  chute  des  voyelles  atones)  se  terminait  par 
une  s  ou  par  une  lettre  qui  est  devenue  s  en  français. 

§  82.  —  Ainsi  le  mot  latin  ménsis  (mois)  faisait  à  l'ac- 
cusatif me'nsem.  Si  on  le  compare  à  jmnis  (pain),  qui  faisait 
panem,  on  verra  que  Vs  de  rnensem  a  dû  se  maintenir  au 
même  titre  que  l'n  àe  panem,  et  que  Vs  finale  et  Vs  inlc- 
rieure  de  mensis  ont  dû  se  confondre,  après  la  chute  de  Vi 
atone.  Mensis  et  rnensem,  le  nominatif  et  l'accusatif  laliri, 
ont  donc  également  donné  mois,  avec  une  s  finale.  Le  mot 
ne  devait  pas  davantage  se  modifier  au  pluriel. 

Pour  la  môme  raison,  étaient  aussi  indéclinables  :  iiés 
(aujourd'hui  écrit  nez),  venant  de  nasKS  (accusatif  nasiim), 
pois  (aujourd'hui  écrit  poids),   venant  de  pensum    (mot 


50  GRAMMAIRE  DU   VIEUX   FRANÇAIS. 

neutre  dont  l'accusatif  est  semblable  au  nominatif),  sens, 
venant  de  sensus  (accusatif  sensinn),  tous  (aujourd'hui 
écrit  toux),  venant  de  tussis  (accusatif  tiissun),  etc. 

§  83.  —  Les  mots  neutres  «  prétlum,  palàtium,  brâ- 
chium  »  ont  donné  en  français  pris  (aujourd'hui  écrit 
prix),  palais,  bras,  mots  indéclinables.  Vs  finale  de  ces 
mots  est  le  produit  de  la  transformation  de  Vi  atone 
latin  placé  entre  un  t  ou  une  gutturale  et  une  voyelle.  De 
même,  l'accusatif  pûteum,  du  mot  masculin  «  pûteus  », 
a  donné,  comme  le  nominatif  :  puiz,  puis  (aujourd'hui 
écrit  puits).  Us  finale  ici  est  le  produit  de  la  transforma- 
tion de  l'e  atone  placé  dans  la  même  situation  que  Vi  de 
palàtium. 

§  84.  —  Un  certain  nombre  de  mots  latins  féminins 
avaient  l'accusatif  singulier  terminé  en  cem  :  pdcem, 
vôcem,  etc.  Or,  le  c  latin  suivi  d'un  e  doit  produire  en 
français  une  s.  Ces  mots  donneront  donc  en  français  des 
noms  féminins  cjui  auront  une  s  au  singulier  comme  au 
pluriel  :  pais  (aujourd'hui  écrit  paix)  de  pdcem,  vois  (au- 
jourd'hui voix)  de  vôcem,  fois  de  vicem,  faus  (aujourd'hui 
écrit  faux)  de  fàlcem,  etc.  Le  nominatif  des  mêmes  mots 
se  terminait  en  latin  par  un  x  (pax,  vox),  qui  a  passé, 
sous  une  influence  savante,  dans  l'orthographe  fran- 
çaise. 

§  85.  —  On  sait  que  l'accusatif  des  mots  neutres  latins 
était  identique  au  nominatif.  Ceux  qui  sont  devenus  mas- 
culins et  qui  ne  se  terminaient  pas  par  une  s  en  ont  cepen- 
dant une  en  français  au  cas  sujet  singuHer,  par  analogie 
avec  les  ncmis  masculins,  et  nous  avons  vu  qu'on  leur 
avait  fait  aussi  un  pluriel  analogique  (^  70).  Mais  ceux  qui 
se  terminaient  par  une  s  n'ont  pas  subi  l'analogie  inverse  et 
n'ont  pas  perdu  cette  s  au  cas  régime  singulier.  N'étant 
pas  traités    comnift  les  autres  mots    masculins   au    sin- 


DE  L'ADJECTIF.  ol 

giilier,  ils  ne  pouvaient  lètre  non  plus  au  pluriel.  Leur 
pluriel  est  identique  au  singulier;  ils  sont  indéclinables. 
Exemples  :  cors  (aujourd'hui  écrit  corps)  de  corpus,  tcns 
(aujourd'hui  écrit  temps)  de  tenipus,  pis  (poitrine)  de 
pectus,    etc. 

Observation  générale  sur  les  noms. 

^  86.  —  Souvent  la  consonne  placée  avant  Vs  de  flexion 
ou  ïs  des  noms  indéclinables  est  tombée  devant  cette  s. 
Ainsi,  le  mot  clef  se  trouvera  écrit  au  pluriel  clés,  arc 
sera  écrit  ars  au  cas  sujet  singulier  et  au  cas  régime  plu- 
riel. Quand  cette  consonne  finale  est  un  t,  en  se  réunis- 
sant à  Vs  de  flexion  elle  forme  un  z,  qui  a  été  ensuite 
remplacé  par  une  s;  c'est  ainsi  que  bontet  (aujourd'liui 
bonté)  a  fait  au  pluriel  bontez,  enfant  a  fait  au  cas  régime 
|>lnriel  enfanz,  puis  enfans,  aujourd'hui  enfants,  etc. 

L'/  s'est  vocalisée  en  u  devant  Vs  de  flexion  ou  Vs  des 
noms  indéclinables  :  chevals,  cas  sujet  singulier  et  cas 
régime  ]iluriel,  est  devenu  checaus,  chccaux  j  fais  est  (.le- 
venu  faus,  faux. 

CHAPITRE    11 

DE  L'ADJECTIF 

LES  DIVERSES   DÉCLL\.\1S0NS   DES   ADJECTIFS 
EiN   VIEUX  FRANÇAIS 

>!  87.  —  La  déclinaison  des  adjectifs  latins  peut  se  résu- 
niei-  dans  les  trois  types  :  bonus  (bon),  talis  (tel)  et  canlans 
(chantant). 

Type  «  bonus  ». 
§  88.  —  L'adjectif  bonus  suivait  au  masculin  et  au  ncu- 


52  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

tre  la  seconde  déclinaison   des  noms,   et  au  féminin  la 
première.  On  déclinait  donc  : 

SINGULIER 

Masculin.        Féminin.  Neutre. 

Nominatif:  bonus  hôna,  bônuin 

Accusatif:  bùnum  bônam  bônum 

PLURIEL. 

Masculin.  Féminin.  Neutre. 

Nominatif:  bùni  (bûnce)  *  bùnas        (buna) 

Accusatif:   bonos        bônas  (bôna) 

Les  explications  que  nous  avons  données  à  propos  de 
la  déclinaison  des  noms  nous  dispensent  de  dire  ici  com- 
ment ces  formes  ont  produit  en  français  la  déclinaison 
suivante  : 


SINGULIER. 

Masculin. 

Féminin. 

Neutre. 

Cas  sujet  :      bons 

bone,  bonne 

bon 

Cas  régime  :  bon 

boue,  bonne 

PLURIEL. 

bon 

Masculin. 

Féminin. 

Cas  sujet:      bon 

bones,  bonnes 

Cas  régiïïie  :  bons 

bones,  bonnes. 

Les  participes  passés  des  verbes  (aimé,  sorti,  fait,  etc.) 
se  déclinaient  de  même. 

Ainsi,  les  adjectifs  ou  participes  tels  que  bon  se  décli- 
naient au  masculin  comme  «  ami  »,  et  au  féminin  comme 
i< porte  ».  Le  neutre  singulier  était  identique  au  cas  régime 
masculin.  Quant  au  neutre  pluriel,  il  avait  disparu. 

§  89.  —  L'adjectif  se  mettait  au  neutre  quand  il  se 
rapportait  à  il  impersonnel  ou  à  ce,  pronom  démonstratif 
neutre;  par  exemple,  dans  ce  vers  de  la.  C kanson  de  Ro- 
land : 

H  est  jiigiet  que  7ius  les  ocinim. 


DE   L'ADJECTIF.  5^ 

C'esl-à-dire  :  «  Il  est  jugé,  il  est  décidé  que  nous  les  tue- 
rons. »  Si  il  représentait  un  nom  de  personne,  le  participe 
jugiet  aurait  été  masculin,  et,  comme  il  est  au  cas  sujet, 
il  aurait  pris  une  s  :  jugiez. 

§  90.  —  Le  féminin  de  ces  adjectifs  ne  se  forme  pas 
toujours  en  ajoutant  simplement  un  e  au  cas  régime  mas- 
culin; il  faut  quelquefois  modifier  la  consonne  finale; 
ainsi  franc  fait  au  féminin  franche.  C'est  que  l'un  vient  de 
fràncum,  et  l'autre  de  frâncam;  or,  d'après  les  lois  de 
la  phonétique,  le  c  devait  se  maintenir  devant  Yu  de  fràn- 
cum, qui  lui-même  est  tombé,  et  se  changer  en  ck  devant 
Va  de  francam,  qui  s'est  conservé  sous  forme  d'e  muet. 
C'est  pour  une  cause  semljlable  que  le  participe  passé  des 
verbes  en  er,  dans  les  textes  les  plus  anciens,  se  termine 
en  l  au  cas  régime  masculin,  et  en  de  au  féminin  ;  cantd- 
lum  avait  donné  chantét,  et  cantàtam  :  chantéde.  Puis  le  d 
de  chantéde  est  tombé,  et,  bientôt  après,  le  t  de  chantét  a 
disparu  également. 

§  91.  —  Il  y  a  des  adjectifs  dont  le  féminin  est  iden- 
tique au  cas  régime  singulier  masculin,  parce  que  celui-ci 
se  termine  par  un  e  muet,  amené  par  un  groupe  de  con- 
sonnes. Ainsi  tépidum  a  donné  tiède,  où  Ve  final,  produit 
par  le  groupe  jorf,  a  persisté  après  la  chute  du  p.  Le  mas- 
culin de  cet  adjectif  et  des  semblables  ne  se  distingue  donc 
du  féminin  qu'au  cas  sujet  singulier  et  au  même  cas  plu- 
riel. Déclinez  : 

SINGULIER. 


Jl 

ïïascuUn. 

Féminin. 

Neutre 

Cas  sujet: 

tièdes 

tiède 

tiède 

Cas  régime  : 

tiède 

tiède 

tiède 

PLURIEL. 


Cas  sujet  :      licdi;  tièdes 

Cas  régime  :  tièdes  tièdes. 


5*  GRAMMAIRE   DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

§  92.  —  Un  certain  nombre  d'adjectifs  latins  qui  ont  le 
féminin  en  a  et  le  neutre  en  um,  comme  bonus,  ont  au 
masculin  la  terminaison  er  au  lieu  de  us;  par  exemple  : 
niger  (noir),  féminin  nigra,  neutre  nigrum.  Pour  les  autres 
cas,  ils  sont  semblables  à  bonus.  Ces  adjectifs  devraient 
donc  ne  pas  prendre  d's  en  français  au  cas  sujet  singulier 
masculin;  mais  l'analogie  leur  a  fait  donner  cette  s,  et  ils 
se  déclinent  entièrement  comme  bon. 

Type  «  talis  ». 

§  93.  —  L'adjectif  talis  (tel)  se  déclinait,  au  masculin 
et  au  féminin,  comme  le  substantif  pa/^is  (pain)  de  la  troi- 
sième déclinaison  latine,  et  avait  le  neutre  en  e,  pluriel  ia. 

SINGULIER. 


Masculin  et  féminin. 

Neutre 

Nominatif:  tâlis 

lâle 

Accusatif  :  lâlem 

làle 

PLURIEL. 

Masculin  et  féminin. 

Neutre. 

Nominatif:  tâles 

(tàlia) 

Accusatif  :    lâles 

(lâlia). 

La  déclinaison  française  correspon 

idante  devrait  donc 

être  : 

SINGULIER. 

Masculin  et  Féminin. 

Neutre. 

Cas  sujet  :      tels 

tel 

Cas  régime  :    tel 

tel 

PLURIEL. 

Masculin  et  Féminin. 
Cas  sujet  :      tels 
Cas  régime  :    tels. 

Mais  cette  déclinaison  a  été  mise  d'accord  avec  les  dé- 
clinaisons analogues  des  subslantil^.  Nous  avons  vu  que 


DE   L'ADJECTIF.  53 

les  substantifs  féminins,  même  ceux  dérivés  de  la  troi- 
sième déclinaison  latine,  n'avaient  en  général  conservé 
qu'un  seul  cas  pour  chaque  nombre,  et  que  ce  cas  unique 
ne  prenait  pas  d's  au  singulier.  On  a  donc  supprimé  l's  au 
cas  sujet  féminin  de  tel,  sauf  à  la  rétablir  à  l'époque  où  le 
cas  sujet  des  noms  féminins  non  terminés  par  un  e  muet 
a  pris  une  s  analogique  (§  63  et  65),  de  sorte  qu'on  a  dit 
successivement  :  «  Sa  raison  estoit  tel  »  et  «  Sa  raisons 
estoit  tels  ».  D'autre  part,  nous  avons  vu  que  les  substan- 
tifs masculins,  même  ceux  dérivés  de  la  troisième  décli- 
naison latine,  n'avaient  pas  d's  au  cas  sujet  pluriel.  On  a 
donc  supprimé  l's  au  cas  sujet  masculin  pluriel  de  tel.  On 
a  olitenu  ainsi  la  déclinaison  suivante  : 

SINGULIER. 

Masculin.  Féminin.  Neutre. 

Cas  sujet  :      lels  tel,  tels  tel 

Cas  régime  :  lel  tel  tel 

PLURIEL. 

Masculin.  Féminin. 

Cas  sujet  :      tel  tels 

Cas  régime  :  lels  tels. 

§  94.  —  Cette  déclinaison  diffère  donc  de  celle  de  bon, 
en  ce  que  le  féminin  ne  prc^iul  pas  Ve  muet.  Mais  les 
adjectifs  de  cette  catégorie  peuvent  avoir  un  e  muet, 
résultant  d'un  groupe  de  consonnes,  au  masculin  et  au 
féminin;  par  exemple /"re7e  (latin  frâgilis),  amable  (lalin 
amâbilis),  etc.,  se  déclinent  comme  «  tiède  »  (Voyez 
ci-dessus  §  91). 

§  95.  —  Se  déclinaient  comme  tel  les  adjectifs  grand  (la- 
tin grandis),  fort  (latin  fortis),  presque  tous  les  adjectifs  en 
f?/oua/.'?no?7e/(mortâlis),roya/(regcUis),/oya/(legàlis),etc. 

§  96.  —  Quelques  adjectifs  latins  de  cette  catégorie  s« 
déclinaient  connue  <a//.s-,  sauf  pour  le  UDminalif  singulier 


56  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

masculin  qui  était  en  er  ;  par  exemple  :  acer  (aigre),  fémi- 
nin acris,  neutre  acre.  En  français,  le  cas  sujet  masculin 
singulier  de  ces  adjectifs  aurait  dû  être  sans  s,  comme  le 
cas  régime;  mais  l'analogie  s'est  exercée  là  comme  ail- 
leurs, et  a  rétabli  la  similitude  avec  ^e/. 

§  97.  —  L'analogie,  au  bout  d'un  certain  temps,  a  aussi 
donné  un  e  muet  au  féminin  de  tel  et  des  adjectifs  sembla- 
bles, et  a  supprimé  ainsi  la  différence  qui  les  séparait  de 
rep  déclinaison  dont  le  type  est  «  bon  ».  Dès  le  xi^  siècle, 
on  trouve  des  exemples  isolés  de  féminins  analogiques, 
tels  que  «  grande,  forte  »,  et,  d'autrt,  nous  con-nsa  pa  Iva 
serve  jusqu'à  nos  jours  le  vieux  féminin  grand  dans  quel- 
ques expressions,  comme  «  à  grand  peine,  grand  rue, 
grand  mère,  grand  messe.  » 

Type  «  cantans». 

§  98.  —  Il  nous  reste  à  parler  de  la  déclinaison  dans 
laquelle  rentrent  les  participes  présents.  Les  mots  de  cette 
déclinaison  «  déplaçaient»  l'accent.  En  outre,  ils  n'avaient 
qu'une  seule  forme  pour  les  trois  genres  au  singulier,  et 
une  seule  au  pluriel  pour  le  masculin  et  le  féminin.  Ils  se 
déclinaient  ainsi  : 

SINGULIER.  PLURIEL. 

Noiyimatif  :  cântans  cantântes 

Accusatif  :    cantântem  cantântes. 

Cantântem  a  donné  chantant,  et  cantântes  :  chantanz. 

Le  cas  sujet  singulier,  dérivé  de  cântans,  devrait  être 
en  français  :  chantes  (comme  enfcs,  cas  sujet  de  enfant, 
§  75).  Mais  la  forme  de  l'accusatif  latin  a  seule  persisté,  et 
le  cas  sujet  singulier  du  français  est  chantanz,  comme  si  le 
nominatif  latin  eût  été  cantantis.  Cette  déclinaison  se  con- 
fondra donc  avec  celle  de  tel,  et  subira  les  mêmes  modifi- 
cations analogiques. 


DE  L'ADJECTIF.  57 

Adjectifs  indéclinables. 
1.    Adjectifs  terminés  par  une  s. 

§  99.  —  Les  adjectifs  dont  le  radical  latin  se  terminait 
par  une  s,  ou  par  une  autre  lettre  pouvant  engendrer 
une  s,  sont  invariables  en  français,  du  moins  au  masculin. 
(Comparez  ce  que  nous  avons  dit  des  noms  indéclinables, 
§  81  et  suivants.) 

\insi  nos  adjectifs  en  eux  (fameux,  envieux,  etc.)  se 
rattachent  à  des  mots  latins  en  ôsus,  accusatif  dswr/?,  qui 
avaient  une  s  à  tous  les  cas,  indépendamment  de  la  flexion. 
Cette  s  (aujourd'hui  remplacée  par  x,  voyez  §  42)  se  re- 
trouve à  tous  les  cas  du  français  ;  le  masculin  de  ces  ad- 
jectifs a  donc  toujours  été  indéclinable  en  français.  Au  fé- 
minin ils  prenaient  e  ou  es,  suivant  le  nombre. 

De  même  l'adjectif  latin  fàlsus,  accusatif /a /swm,  dont 
le  radical  se  termine  par  une  s,  a  donné  en  français  l'ad- 
jectif fais  (puis  faus,  faux),  qui  a  toujours  été  indéclinable 
au  masculin,  parce  que  Vs  flexionnelle,  qu'on  aurait  pu 
ajouter  pour  marquer  le  cas  sujet  singulier  ou  le  cas  ré- 
gime pluriel,  devait  nécessairement  se  confondre  avec  Vs 
finale  du  radical.  Au  contraire  on  pouvait,  au  féminin, 
ajouter  les  flexions  «  e,  es.  » 

Dans  l'adjectif  latin  faclltius,  accusatif  faclltium,  le  ti 
qui  précède  la  flexion  devait  engendrer  unes,  comme  dans 
le  substantif  joa/tîtium,  qui  a  produit  un  nom  indéclinable, 
palais  (§  83).  L'adjectif  français  dérivé  de«  factitius  »  était 
faitis,  qui  avait  le  sens  de  «  bien  fait  »  ;  il  se  terminait  par 
une  s  à  tous  les  cas  du  masculin.  Le  féminin  était /"at^isse. 

Ajoutez  les  participes  en  s,  tels  que  mis,  pris,  etc.  (§  249 
et  suivants). 

§  100.  —  Beaucoup  d'adjectifs  latins  se  terminaient 
par  le  suffixe  ensis,  accusatif  enscm,  qui  a  produit  le  suf- 


58  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

lixe  français  ois  ou  ais  (plus  anciennement  eis)  des  mois 
{eh  que  Danois,  Anglais.  Ces  mots  se  rattachent  au  type 
«  talis  »,  et  auraient  dû  être  entièrement  invariables,  mais 
on  leur  a  donné,  dès  l'origine,  un  e  muet  au  féminin. 

Il  faut  en  dire  autant  des  adjectifs  en  ax,  accusatif 
cicem  (comparez  §  84),  qui  se  rattachent  au  type  «  can- 
tans  »,  et  qui  ont  donné  des  adjectifs  français  en  ais,  tels 
que  niais,  de*  nidacem. 

2.  Adjectifs  en  «  or  ». 

§  101.  —  On  trouve,  dans  l'ancienne  langue,  un  certain 
nombre  d'adjectifs  en  o?%  qui  sont  invariables,  et  qui  sont 
formés  par  l'adjonction  de  cette  syllabe  «  or  »  à  un  autre 
adjectif  ou  à  un  nom  :  franco?^  au  sens  de  franc  ou  fran- 
çais, paienor  au  sens  de  païen. 

Si  ces  adjectifs  avaient  persisté,  ils  seraient  aujourd'hui 
francœur  et  paieneur,  comme  l'adjectif  possessif  leur,  qui 
a  été  lor,  et  qui  a  la  même  origine.  Un  d'eux  s'est  conservé 
sous  forme  de  substantif;  c'est  Chandeleur,  nom  populaire 
d'une  fête  où  l'on  porte  des  chandelles,  des  cierges. 

Il  faut  rattacher  toutes  ces  formes  au  génitif  pluriel  des 
noms  latins  de  la  seconde  déclinaison;  amîcus  (ami)  faisait 
au  génitif  pluriel  :  amicôrwn.  Or,  le  cas  nommé  génitif  expri- 
mait plusieuis  des  rapports  que  nous  rendons  aujourd'hui 
par  la  préposition  de.  «  Caméra,  amicôrum»  est«  la  cham- 
bre des  amis  ».  Le  génitif  pluriel  d'amici/s  n'a  pas  produit 
de  forme  française,  tandis  que  les  génitifs  pluriels  de  /?•«/?.- 
eus  (franc),  de  ille  (il),  de  paganus  (païen),  de  candela 
(chandelle)  ont  donné  les  formes  francor,  lor  (aujourd'hui 
leur),  paienor,  chandelor  (aujourd'hui  Chandeleur),  qui  si- 
■-nilient  proprement:  «  des  francs,  d'eux,  des  païens,  des 
ciiandclles  ».  Le  mot  candela  (chandelle)  appartient  à  la 
première  déclinaison  latine,  dont  le  génitif  pluriel  était  en 


DE  L'ADJECTIF.  a9 

ârum  et  non  en  ôrum  ;  c'est  par  assimilation  avec  la  se- 
conde déclinaison  qu'on  a  pu  dire  candelônim,  d'où  vient 
Chandeleur. 

Observation  générale  sur  les  adjectifs. 

§  102.  —  Nous  répéterons  pour  les  adjectifs  ce  que 
nous  avons  dit  pour  les  noms  (§  86),  c'est  que  la  consonne 
linale  est  souvent  tombée  devant  Ys  de  flexion.  Ainsi  le  cas 
sujet  singulier  et  le  cas  régime  pluriel  du  masculin  franc  se 
trouveront  écrits  «  frans  ».  Quand  cette  consonne  finale 
est  un  t,  en  se  réunissant  à  Vs  de  flexion  elle  forme  un  z, 
qui  a  été  ensuite  remplacé  par  une  s.  Ainsi  le  participe 
masculin  portét  (aujourd'hui  porté)  faisait  «  portez  »  au 
cas  sujet  singulier  et  au  cas  régime  pluriel. 

DEGRÉS  DE  COMPARAISON— TRACES  DU  COMPARATIF 
ET  DU  SUPERLATIF  LATINS 

§  103.  —  Nous  formons  aujourd'hui  le  comparatif  de 
supi'riorité  et  le  superlatif  en  faisant  précéder  l'adjectif  de 
«  plus  »  et  de  «  le  plus  »  ou  «  très  ».  Le  latin  pouvait  mar- 
quer ces  degrés  de  comparaison  à  l'aide  de  flexions.  Ainsi 
le  comparatif  latin  se  formait  en  ajoutant  au  radical  de 
l'adjectif  :  ior  pour  le  masculin  et  le  féminin,  ius  pour  le 
neutre.  Il  se  déclinait  comme  suit  : 

SINGULIER. 

Masculin  et  Féminin.  Neutre. 

Nominatif:  grândior  /plus  grand  \  grândius 

\plus  grande/ 

Accusatif  :  grandiôrem  grândius 

PLURIEL. 

Masculin  et  Féminin. 
Nominatif:  grandiûres 
Accusatif  :    grandiûres. 


00  GRAMMAIRE   DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

«  Grandior  »  se  décline  donc  comme  les  substantifs 
irnperator,  peccator,  qui  ont  donné  les  mots  français 
emperére  (cas  régime  empereor),  pechiére  (cas  régime 
pecheoi"). 

Nous  avons  pris  pour  exemple  un  comparatif  latin 
qui  s'était  conservé  dans  l'ancienne  langue  française.  Il 
était  devenu  «  graindre  »  au  cas  sujet  singulier  et  «  grai- 
gnor  »  au  cas  régime  singulier.  La  forme  du  neutre  devait 
être  «  grainz  »,  mais  on  n'en  trouve  pas  d'exemple.  Quant 
au  pluriel,  il  est  facile  de  voir  qu'il  devait  être  «  graignor  » 
au  cas  sujet  masculin  (suppression  de  l's  par  analogie, 
§  68)  «  graignors  »  au  cas  régime  masculin  et  au  cas 
unique  féminin. 

§  104.  —  Ce  comparatif  a  entièrement  disparu  ;  mais  un 
autre  mot  latin,  qui  signifie  aussi  «  grand  »,  magnus  (le- 
quel a  donné  magne,  de  Charlemagné),  nous  a  laissé  des 
traces  de  son  comparatif.  C'était  en  latin  mdior,  accusatif 
maiôrem.  Or  màior  a  produit  en  français  maire,  dont  le 
sens  étymologique  est  «  plus  grand  »,mais  qui  est  devenu 
un  substantif  désignant  le  «  plus  grand  »  fonctionnaire 
municipal  ;  l'accusatif  maiôrem  avait  produit  maior,  ma- 
ieur,  majeur,  qui  est  devenu  un  adjectif  indépendant,  mais 
qui  était  à  l'origine  le  cas  régime  du  comparatif  et  du  subs- 
tantif maire . 

§  105.  —  On  trouve  aussi  dans  les  anciens  textes  les 
cas  régimes  :  gensor  (comparatif  de  gent,  adjectif  qui  a  le 
sens  de  gentil,  gracieux),  ha Izor  [com]^a.Ta.iiî  de  hall,  haut) 
et  quelques  autres. 

^  106.  —  Les  adjectifs  latins  bonus  (qui  a  donné  bon), 
malus  (qui  signifiait  mauvais),  parvus  (qui  signifiait  pei^V), 
avaient  des  comparatifs,  empruntés  à  d'autres  radicaux, 
qui  se  sont  conservés  en  français  avec  leur  valeur  de  com- 
paratifs. Celui  de  bonus  était  melioi^-  (meilleur),  celui  de 


DE  L'ADJECTIF.  61 

malus  : peior  (pire),   celui  de  parvus  :  minor   (moindre). 
Ces  mots  se  déclinaient  en  latin  comme  grandior  : 

SINGULIER. 

Masculin  et  Féminin.  Neutre. 

Nominatif:  mélior  mélius 

Accusatif:    meliorem  mélius 

Nominatif:  péior  péius 

Accusatif:    peiôrem  péius 

Nominatif:   minor  minus 

Accusatif  :    minôrem  minus. 

Les  formes  françaises  correspondantes  étaient  : 

Masculin  et  Féminin.  Neutre. 

Cas  sujet  :      mieldre,  mieudre   )      .  ,        . 

•         ™    Il  „ii^  ^    i  miels,  mieus,  mieux. 

Cas  régime  :  meillor,  meilleur    )  '  ' 

Cas  sujet  :      pire  )     . 

■  )  DIS 

Cas  régime  :  peior  ^  ^    ' 

Cas  Siijet  :      meindre,  moindre  ) 

n       A  ■  }  moins. 

Cas  régime  :  mener  j 

On  ajoutait  quelquefois  une  s  analogique  au  cas  sujet 
masculin.  Le  pluriel  est  semblable  au  cas  régime  singulier, 
sauf  l's  de  flexion  qu'on  ajoutait  pour  former  le  cas  ré- 
gime masculin  et  le  cas  unique  féminin. 

Comme  on  le  voit,  l'un  de  ces  comparatifs  s'est  conservé 
sous  la  forme  du  cas  régime,  meilleur,  et  les  deux,  autres  sous 
la  forme  du  cas  sujet.  Les  neutres  sont  devenus  des  adverbes. 

§  107.  —  Le  superlatif  latin  {enissimus,  imiis)  n'a  géné- 
ralement pas  laissi';  de  trace  dans  le  français  populaire. 
Cependant  le  vieux  mol  pesme  (très  mauvais,  terrible)  n'est 
autre  que  le  superlatif  qui  correspond  au  comparatif 
«  pire  »  ;  «  pesme  »  vient  du  latin  pessimum.  On  trouve  aussi 
grandisme  superlatif  de  grand,  seintismc  superlatif  de  seint 
(saintj,  altisme  superlatif  de  ait  (haut). 

Clédat.  4 


62  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

CHAPITRE    III 

DES    NOMS    DE    NOMBRE 

NOMS  DE  NOMBRE  CARDINAUX 

§  108.  —  Les  noms  de  nombre  cardinaux  sont  généra- 
lement invariables  aujourd'hui.  Plusieurs  d'entre  eux 
avaient,  dans  l'ancienne  langue,  une  déclinaison  complète. 

Un  a  encore  son  féminin  une,  mais  il  n'a  conservé  son 
pluriel  que  lorsqu'on  l'emploie  comme  pronom  indélini 
(les  uns,  quelques-uns,  les  unes).  Il  se  déclinait  jadis 
comme  l'adjectif  bon,  prenant  une  s  au  cas  sujet  singulier 
et  au  cas  régime  pluriel  du  masculin.  Pour  l'emploi  de  un 
au  pluriel,  voyez  la  Syntaxe  (§  426,  au  mot  un). 

§  109.  —  Deux  et  trois  se  déclinaient  aussi,  comme  duo 
et  ires  en  latin. 

a.  —  Duo  suivait  la  déclinaison  de  bonus  au  pluriel, 
sauf  qu'il  se  terminait  en  o,  au  lieu  de  i,  au  nominatif  mas- 
culin; mais  le  latin  populaire  avait  supprimé  cette  diffé- 
rence, et  on  disait  : 

Masculin.  Fémmin. 

Nominatif:  *dui  (duœ)  Muas 

Accusatif:    duos  diias. 

Le  vieux  français  déclinait  en  conséquence  : 

Masculin.  Féminin. 

Cas  sujet:     dui  )  ,  _. 

Cas  régime:  dous  (aujourd'hui  deux)  ]    °^^'  '^^'^^^• 

Mais  de  très  bonne  heure,  la  forme  féminine  est  tombée  en 
désuétude  et  a  été  remplacée  par  dous,  qui  servait  ainsi  de 
cas  régime  au  masculin  et  de  cas  unique  au  féminin. 

b.  —  Très  se  déclinait  en  latin  comme  talis  au  pluriel 
[taies).  Il  avait  donc  la  môme  forme  au  nominatif  et  à 


DES  NOMS  DE  NOMBRE.  63 

l'accusatif.  Mais,  dans  le  passage  du  latin  au  français,  Vs 
flnale  de  très  est  tombée,  comme  celle  de  taies,  au  cas  sujet 
masculin.  On  disait  donc  en  français  : 

Masculin.  Féminin. 

Cas  sujet:      trei,  troi  i  i     •     t    ■ 

Cas  régime  :  treis,  trois        \  "'^^^'  "'°^^- 

§  110.  — Le  nom  de  nombre  latin  tnllle  avait  un  plu- 
riel millia,  qui  s'employait  quand  ce  nombre  était  multiplié 
par  un  autre.  L'ancienne  langue  française  avait  conservé 
cette  distinction,  et  disait  mil  (latin  mille)  dans  le  premier 
cas,  mille  (latin  millia)  dans  le  second  :  mil  hommes,  trois 
mille  hommes. 

NOMS    DE    NOMBRE    ORDINAUX 

§  111.  —  Les  dix  premiers  noms  de  nombre  ordinaux 
étaient  en  latin  :  primus  (premier),  secundus  (second),  ter- 
tîus  (troisième),  quartus  (quatrième),  quintus  (cinquième), 
sextus  (sixième),  septimus  (septième),  *octimus  (huitième), 
*novimus^  (neuvième],  decimus  (dixième).  Tous  ces  noms 
de  nombre  se  déclinaient  comme  l'adjectif  bonus. 

§  112.  —  Primus.  Le  féminin  français  de  ce  mot,  prinw, 
est  devenu  un  adjectif  des  deux  genres,  qui  ne  s'emploie 
plus  d'ailleurs  que  dans  c'ertaines  locutions  consacrées  : 
déprime  abord,  déprime  saut.  etc.  A  côté  déprimas,  le 
latin  populaire  avait  le  dérivé  primârius,  formé  avec  le 
suffixe  àrius,  qui  a.  donné  premiers  (cas  régime  singulier  : 
premier,  féminin  première).  On  trouve  aussi  en  vieux 
français  un  dérivé  de  premier,  formé  avec  le  suffixe  ain 

1.  Les  formes  classiques  octavus  (huitièrao),  nonus  (neuvième),  ne  se 
sont  conservées  qu'avec  des  valeurs  spéciales  :  le  fcininiu  à'otavus  a 
donne  uilieve,  dont  la  forme  savante  est  octave,  mot  qui  désigne  le 
huitième  jour  après  uue  fétc,  et  le  féminin  de  nonus  a  donné  noue, 
nom  do  la  neuvième  heure  latine  trois  lieures  de  l'après-midi),  qui 
s'est  conservé  dans  la  liturgiij  catholique. 


64  GRAMMAIRE  DU   VIEUX   FRANÇAIS. 

(latin  ànum),  premerain  (cas  sujet  singulier  premerains, 
féminin  premeralné). 

§  112  his.  —  Secundus.  Notre  adjectif  second  est  d'ori- 
gine savante.  Dans  les  plus  anciens  textes  le  second 
nombre  ordinal  est  exprimé  par  l'adjectif  indéfini  altre 
(autre).  Déjà  en  latin  alte)'  a  le  sens  de  second. 

§  113.  —  Tertius.  Le  masculin  tertius  a  donné  en  fran- 
çais tiers,  et  le  féminin  tertia  :  tierce.  Ce  mot  était  indécli- 
nable au  masculin,  pour  la  même  raison  que  le  substantif 
palais  dérivé  de  palatium  (§  83).  Tiers  n'est  plus  nom  de 
nombre  ordinal  que  dans  quelques  locutions  consacrées 
comme  «  le  tiers  état  ». 

§  114.  —  Quartus.  Le  masculin  quartus  a  donné  en 
français  quarz  (cas  régime  singulier  et  cas  sujet  pluriel 
quart),  et  le  féminin  quarta  a  donné  quarte.  La  Fontaine  dit 

encore  ; 

«  Un  quart  voleur  survient.  » 

§  115.  —  Quintus.  Du  masculin  quintus  dérive  quînz 
[quint  aux  cas  sans  s),  et  le  féminin  quinta  a  donné  quinte. 
Nous  disons  encore  :  Charles-Quint,  Sixte-Quint. 

§  116.  —  Les  cinq  noms  de  nombre  qui  suivent  se  ter- 
minent en  français  par  un  e  muet,  même  au  masculin,  à 
cause  des  groupes  des  consonnes.  Ils  se  déclinaient  donc 
comme  tiède  (§  91).  Pour  abréger,  nous  ne  donnerons  que 
la  forme  du  cas  régime  :  «  sextum  »  a  produit  siste;  «  sep- 
timum.  »  sedme;  «  *octimum  »  oïdme,  uidine  ;  «  novi- 
muni  »  noefme  ;  0.  decimum  »  disme. 

§  117.  —  Plusieurs  de  ces  anciens  noms  de  nombre 
ordinaux  ont  complètement  disparu  de  la  langue.  D'autres 
y  sont  restés  avec  des  emplois  spéciaux.  Ils  ont  été  rem- 
placés dans  l'usage  ordinaire  par  de  nouvelles  formes  re- 
faites sur  les  noms  de  nombre  cardinaux  avec  le  suffixe 
ième  :  trûisiême,  quatrième,  etc. 


DES  ADJECTIFS  ET   PRONOMS  DÉMONSTRATIFS.  G5 


CHAPITRE    IV 

DES    ADJECTIFS    ET    PRONOMS    DÉMONSTRATIFS 
ET  DE  L'ARTICLE  DÉFINI 

LE     DATIF    LATIN 

§  118.  —  Nous  aurons  à  parler,  dans  ce  chapitre  et  dans 
les  suivants,  d'un  cas  latin  que  nous  avons  pu  négliger 
jusqu'à  présent  :  c'est  le  datif.  Le  datif  exprimait  plusieurs 
des  rapports  que  nous  rendons  par  la  préposition  à,  et 
marquait  généralement  le  régime  indirect  des  verbes.  Par 
exemple,  si  l'on  veut  traduire  en  latin  :  «  Il  l'a  donné  à  son 
père  » ,  on  mettra  son  et  père  au  datif,  et  on  supprimera  la 
préposition.  Ce  cas,  qui  a  disparu  de  la  déclinaison  des 
noms  et  adjectifs  ordinaires,  s'est  au  contraire  conservé 
dans  la  déclinaison  des  adjectifs  et  pronoms  démonstratifs, 
personnels  et  relatifs. 

LE  PRONOM  LATIN   «  ILLE  » 

§  119.  —  En  latin  et  en  vieux  français,  les  mêmes  dé- 
monstratifs servaient  à  la  fois  d'adjectifs  et  de  pronoms. 
Ils  signifiaient  à  la  fois  «  cet  »  et  «  celui-ci  ».  Le  plus  im- 
portant de  tous,  ille,  a  produit  en  français  :  1°  l'article  dé- 
fini le;  2°  un  adjectif  pronom  démonstratif;  3°  le  pronom 
personnel  de  la  troisième  personne.  Nous  allons  nous  oc- 
cuper des  deux  premiers,  réservant  le  troisième  pour  le 
chapitre  des  pronoms  personnels. 

I .  —  L'article  défini. 

Origine  et  déclinaison  de  l'article. 

§  120.  —  Du  sens  adjectif  de  ille  (cet)  il  est  facile  de 

4. 


66  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

déduire,  par  un  affaiblissement,  la  valeur  de  notre  arlicle 
défini;  car  l'article  n'est  qu'un  adjectif  démonstratif  affai- 
bli. Quant  à  la  forme,  pour  expliquer  comment  il  le  a  pu 
donner  l'article  le,  il  faut  remarquer  que  Ulc,  adjectif 
jouant  le  rôle  d'article,  était  un  mot  proclitique,  c'est-à-dire 
qui  s'appuyait,  dans  la  prononciation,  sur  le  sulislanlif  au- 
quel il  se  rapportait;  on  prononçait  ille  murus  comme  on 
eût  prononcé  un  mot  de  quatre  syllabes,  ayant  l'accent 
tonique  sur  la  troisième  :  illemûrus.  En  d'autres  tonnes, 
ille  n'avait  pas  d'accent  tonique,  mais  simplement  un  ac- 
cent secondaire (voy.  §  12),  placé  sur  il  comme  sur  la  pre- 
mière syllabe  non  tonique  d'un  mot  ordinaire.  L'article  et 
les  adjectifs  démonstratifs  sont  aussi  en  français  des  mots 
proclitiques.  Nous  prononçons  «  la  tente  »  comme  l'adjectif 
«  latente  »  ;  nous  prononçons  «  cette  femme  »  comme  un 
seul  mot  de  quatre  syllabes  ayant  l'accent  tonique  sur  la 
troisième.  Il  faut  remarquer  en  outre  que,  lorsqu'un  mot 
proclitique  a  deux  syllabes,  l'accent  secondaire  tend  à  se 
porter  sur  la  seconde,  et  la  première  tend  à  disparaître  :  le 
peuple  dit  «  ç'te  femme  ».  On  ne  s'étonnera  donc  pas  (jue 
dans  ille  proclitique  la  syllabe  il  soit  tombée,  bien  que 
cette  chute  de  la  première  syllabe  ne  se  soit  pas  produite 
pour  tous  les  proclitiques. 

§  120  bis.  — Voici  quelle  était  la  déclinaison   latine  de 
ille  : 


Si 

.NGULIER. 

Masculin. 

Féminin. 

Neutre 

Nominatif:  ille 
Accusatif:    illum 

illa 
illam 

illiid 
illiid. 

Masculin 

l'Lcnu-.L. 

Fci 

ninin. 

Nominatif:   illi 
Accusatif:    illos 

[iWsi)  * 
illas 

illas 

DES  ADJECTIFS   ET   PRONOMS   DEMONSTRATIFS.  07 

Après  la  chute  de  la  première  syllabe,  celte  déclinaison 
est  devenue  en  français  : 

SINGULIER. 

Masculin.  Féminin.  Neutre. 

Cas  sujet:      \ï  )  ) 

Cas  régime:  lo,  le  ^  ^'^  j  '^'  "^ 

PLUniEL. 

Masculin.  Féminin. 

Cas  sujet  :      li  )  . 

Cas  régime:  los,  les  \   '^^' 

L'article  neutre. 

§  121.  —  On  croit  trouver  l'article  neutre  joint  à  des 
noms  qui  étaient  neutres  en  latin,  par  exemple  dans  ce 
vers  deltiChanso7ide  Roland  :  «  Dèsor  cumencetle  cunseill 
que  mal  prist  »,  c'est-à-dire  :  «  Alors  coinmcnce  le  conseil 
qui  tourna  mal.  »  Si  l'on  fait  de  cunseill  un  mot  masculin, 
comme  il  est  au  cas  sujet  singulier,  il  faut  ajouter  une  .s-  et 
changer  l'article  le  en  //.  Mais  le  mot  latin  consllium  était 
neutre;  on  peut  supposer  qu'il  avait  d'abord  conservé  ce 
genre  en  français,  et  que  le  est  ba  forme  neutre  de  l'article. 

Particularités  phonétiques  des  formes  de  l'article. 

§122.  —  On  remarquera  que,  dans  la  déclinaison  de  l'ar- 
ticle, le  cas  sujet  singulier  et  le  cas  sujet  pluriel  sont  iden- 
tiques, contrairement  à  ce  qui  arrive  généralement  pour 
les  noms  et  adjectifs,  et  que  les  cas  régimes  [le,  les)  ont 
une  autre  voyelle  que  les  cas  sujets  {li).  C'est  que  la  voyelle 
de  l'arlirio  français  représente  non  la  voyelle  radicale  de 
ille,  qui  était  la  môme  à  tous  les  cas,  mais  la  voyelle  de 
flexion  :  ille,  illwn,  illi,  illos.  Les  deux  voyelles  linguales 
e,  i,  se  sont  confondues,  de  môme  que  les  deux  voyelles 
labiales  u  et  o.  Les  premières  ont  donné  Vi  de  li,  et  les  se- 


68  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

condes  Ve  de  le,  les.  Sur  la  forme  H,  voyez  encore  la  note  1 
du  ^  126. 

Articles  contractes. 

§  123.  —  Le  cas  régime  de  l'article,  précédé  de  certai- 
nes prépositions,  s'est  uni  à  elles,  et  a  formé  ce  qu'on  ap- 
pelle les  articles  contractes  : 

de  le  a  fait:  del,ileti,  don,  du 

de  les        —  dels,  des 

à  le  —  fd,  au 

à  les         —  als,  as,  aus,  aux 

en  le         —  el,eu,  ou, 

en  les        —  cls,  es. 

Nous  avons  laissé  perdre  les  deux  articles  contractes 
formés  avec  la  préposition  en.  Cependant  l'un  d'eux  s'em- 
ploie encore  dans  quelques  expressions  consacrées  :  «  ba- 
chelier ès-lettres.  » 

II.  —  L'adjectif  pronom  «  icil,  cil  ». 

Origine  et  déclinaison  de  icil. 

§  124.  —  Ille,  renforcé  par  un  préfixe  qui  n'est  autre 
que  la  préposition  latine  ecce  (voici),  a  produit  en  français 
l'adjectif-pronom  démonstratif  icil.  Eccille  se  déclinait 
naturellement  comme  ille;  or  ille  avait  un  datif  singulier 
qui  n'a  produit  aucune  forme  de  l'article,  mais  qui  s'est 
conservé  dans  le  pronom  démonstratif  icil,  et  dans  le 
pronom  personnel,  dont  nous  parlerons  plus  loin.  Ce 
datif  singulier  était,  en  latin  populaire  ,  illui  pour  le 
masculin,  et  illei  pour  le  féminin',  Eccille  se  déclinait 
donc  : 

1.  M.  A.  Tliomas  a  récemment  étudié  ces  formes,  et  en  a  donné 
une  explication  qui  est  juste  au  moins  pour  le  féminin. 


DES  ADJECTIFS   ET   PRONOMS   DÉMONSTRATIFS.  69 

SINGULIER. 

Masculin.  Féminin. 

Nominatif:  eccille  (cet,  celui-ci,  celui)  eccilla 

Accusatif:   eccillum  eccillam 

Datif  :  eccillûi  (à  cet,  etc.)  eccilléi 

PLURIEL. 

Masculin.  Féminin. 

Nominatif:  eccilli  (eccillœ)   *eccillas 

Accusatif:    eccillos  eccillas. 

Les  formes  françaises  correspondantes  sont  : 

SINGULIER. 

Masculin.  Féminin. 

Cas  sujet  :        icil,  cil  »  icele,  celé,  celle 

Casréaime:  {  *°  ^^'^''  ^^^  ' 

"  (  2°  iceliii,  celui,  celi     icelei,  celei,  celi. 

PLURIEL. 

Masculin.  Féminin. 

Cas  sujet  :     icil,  cil  )  •    t  ,  ,, 

CasréQime:  icels,  cels,  ceus,  ceux  j^celes,  celés,  celles. 

D'après  l'origine  latine,  «  icelui,  celui  »  aurait  dû  être 
employé  exclusivement  comme  régime  indirect  sans  pré- 
position. Mais  de  très  bonne  heure,  il  n'a  plus  été  qu'une 
seconde  forme  du  cas  régime  ordinaire  (voyez  la  Syntaxe). 

Le  neutre  cel. 

«5  125.  —  Il  y  avait  une  forme  neutre  «  icel,  cel  »,  dérivée 
du  neutre  latin  :  eccillud,  mais  qui  a* été  peu  employée. 
\'A\  voici  un  exemple  : 

Roman  d'Enée:  «  Ce/sai-jo  bien  et  prové  l'ai  »,  c'est-à- 
dire  :  «  Je  sais  bien  cela  et  je  l'ai  prouvé.  » 

Parlkularitcs  phonélujues  des  formes  de  icil. 
i:;  126.  —  Comme  l'article,  le  pronom  icil  a  la  même 


70  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

forme  aux  cas  sujets  du  pluriel  et  du  singulier,  etla\oyelle 
tonique  change  aux  cas  régimes  :  icel,  icels.  La  phonéti- 
que rend  compte  de  ces  différences  :  Yi  tonique  bref  suivi 
de  deux  consonnes  (ecczllum,  eccï'Uos)  se  change  réguliè- 
rement en  e;  icel,  icels  sont  donc  conformes  à  la  règle. 
Mais  par  exception,  sous  l'influence  de  Ve  et  de  l'i  atones  de 
«  eccille,  eccîlli  »,  \'i  tonique  latin  s'est  maintenu  aux 
nominatifs  du  singulier  et  du  pluriel  ^. 

LE    PRONOM    LATIN   «  ISTE  »   ET   LE    PRONOM 
FRANÇAIS  «  ICIST,  GIST  » 

§  127-  —  Un  autre  démonstratif  latin,  istc,  renforcé 
également  par  ecce,  a  produit  en  français  un  second  adjec- 
lif-pronom  démonstratif.  Ëcciste  se  déclinait  comme  eccille 
et  a  donné  en  français  les  formes  ci-dessous  : 

SINGULIER. 

Masculin.  Féminin. 

[  icoste ,    ceste , 
Cas  sujet  :        icist,  cist,  cis  (ecciste)  j    celle  (eccista, 

(  eccistam) 
.  .      _   I  1°  icest,  cest,  cet,  ce  (eccislum) 
Cas  rcfjitne  .  j  20  icestiii,  cestiii,  cesti  (eccistùi)     icestei,    cestei, 

cesd  (eccisléi) 

PLURIEL. 

MascuUii.  Féminin-. 

..,.,,,,.•>  (  icestes,  castes, 

Cas  sujet:      icist,  est  (eccist,)  ^^^ 

Cas  régime  :  icez,  cez,  ces  (eccislos)  t    cistas) 

1.  On  explique  do  môme  les  formes  de  icist  (§  127),  celles  du  pro- 
nom personnel  il  (§  137)  et  celle  de  l'article  singulier  U.  h'e  et  ïi  qui 
terniinaieut  les  formes  latines  du  nominatif  seraient  devenus  des  i  con- 
sonnes devant  les  mots  qui  commençaient  par  une  voyelle,  et  c'est  à  ce 
titre  qu'ils  auraient  empoché  \'i  tonique  de  se  changer  en  e.  Une  autre 
explication,  pour  le  cas  sujet  singulier,  consiste  à  y  voir  le  résultat  des 
formes  latines  «  eccillic,eccistic,  illic  »,  qui  existaient  à  côté  de«  eccille, 
ecciste,  ille.  »  Entin  une  théorie  plus  récente  attribue  le  maintien  de  17 
dans  ces  cas  siiji'ts  à  l'inllaence  analogique  du  pronom  relatif. 


DES   PRONOMS   PERSONNELS.  71 

LE  DÉMONSTRATIF  NEUTRE  «  ÇO,  CE  » 

v^  128.  —  Enfin  un  troisième  démonstratif  latin,  «  hic  » 
sous  sa  forme  neutre  hoc,  précédé  également  du  préfixe 
ecce^di,  produit  notre  pronom  démonstratif  neutre  ce.  Entre 
ecce  hoc  et  ce,  les  formes  intermédiaires  sont  :  iceo,ceo,  ço. 

CHAPITRE  Y 

DES   PRONOMS    PERSONNELS 

LES  PRONOMS  PERSONNELS  DES  DEUX  PREMIÈRES 
PERSONNES 

I.  —  En  latin. 

§  129.  —  Les  pronoms  pcrsormels,  comme  les  pronoms 
démonstratifs,  ont  conservé  trois  des  cas  latins.  Occupons- 
nous  d'abord  des  pronoms  des  deux  premières  personnes. 
Les  formes  latines  étaient  : 


SINGULIER. 

l'o  personne. 

2"  personne. 

Nomimatif 
Accusatif: 
Datif  : 

ego  (je) 
me  (moi) 
milii  (à  moi) 

PLURIEL. 

tu  (tu) 

te 

tibi 

Nominatif: 
Accusatif  : 
Datif  : 

f"  personne. 
nos  (nous) 
nos 
nobis 

2°  personne 
vos  (vous) 
vos 
vobis. 

Ces  mots,  suivant  la  place  qu'ils  occupaient,  étaient  tan- 
tôt proclitifpies,  tantôt  pourvus  d'un  accent  tonique.  Par 
exemple  «  te  »  avait  un  accent  tonique  dans  :  «  vaditad  té  » 


T2  GRAMMAIRE   DU   VIEUX   FRANÇAIS. 

(il  va  à  toi)  ;  mais  il  était  ou  pouvait  être  proclitique  dans  : 
«  te  mônstrat  »  (il  te  montre).  On  ne  prononçait  >(  té 
monstrat  »,  avec  deux  accents  toniques,  que  lorsqu'on  vou- 
lait insister  sur  l'idée  de  la  personne. 

II.  —  En  français. 

§  130.  —  Or,  dans  la  transformation  du  latin  en  fran- 
çais, la  voyelle  d'un  mot  proclitique  a  été  traitée  comme 
celle  de  la  première  syllabe  non  tonique  d'un  mot  ordi- 
naire. Et  nous  savons  déjà  qu'une  même  voyelle  peut  subir 
deux  transformations  différentes  suivant  qu'elle  est  à  la 
première  syllabe  d'un  mot  ou  dans  la  syllabe  tonique.  On 
ne  s'étonnera  donc  pas  que  te  latin  proclitique  ait  donné  le 
français  «  te  »,  et  te  latin  accentué  :  «  toi  »,  de  même  que 
les  deux  premiers  e  de  «  deberc  »  ont  donné  l'un  e,  l'autre 
oi,  dans  le  français  «  deyoir.  » 

§  131.  —  Les  pronoms  ci-dessus  n'ont  cependant  pas 
tous  donné  deux  formes.  Les  nominatifs  (sauf  ego)  ne  sont 
représentés  que  par  un  seul  mot  français;  il  en  est  de 
même  des  cas  régimes  du  pluriel.  Seuls,  l'accusatif  et  le 
datif  singuliers  ont  deux  formes  ;  mais  ces  deux  formes 
sjnt  les  mêmes  pour  l'accusatif  et  le  datif,  parce  que  l'ac- 
cusatif et  le  datif  latins  se  sont  confondus  en  passant  au 
français. 

11  faut  remarquer  en  effet  que  Ve  des  pronoms  latins  me, 
te,  et  le  premier  i  de  miki,  tihi,  doivent,  d'après  les  lois  de 
la  phonétique,  être  représentés  en  français  par  le  même 
son.  (Voyez,  dans  là  pho7ié trique,  les  tableaux  de  Vi  bref  et 
de  l'e  long.) 

D'autre  part  la  seconde  syllabe  de  77iihi  et  de  tibi  devait 
tomber  ;  mihi  s'est  donc  confondu  avec  me,  tibi  avec  te. 

^  132.  —  Miki  et  me  ont  donné  mei,  puis  7noi,  comme 
forme  normale,  et  me  comme  forme  proclitique.   Tibi  et 


DES  PRONOMS  PERSONNELS.  73 

te  ont  donné  tei,  puis  toi,  et  te.  Chacun  de  ces  quatre  mots 
(me,  moi,  te,  toi),  se  rattachant  à  la  fois  à  l'accusatif  et  au 
datif  latin,  doit  pouvoir  s'employer  également  comme  ré- 
gime direct  et  comme  régime  indirect  sans  préposition. 
Nous  disons  en  effet  :  «  Il  me  rencontra  »,  où  me  est  régime 
direct,  et  «  il  me  parle  »,  oii  me  est  régime  indirect.  De 
même  pour  te.  On  dit  aussi  :  «  Ecouie-moi,  et  rends-moii' 
justice  »,  donnant  à  moi  successivement  la  fonction  de 
régime  direct  et  celle  de  régime  indirect  sans  prépo- 
sition. —  Les  formes  plus  rares  «  mi,  ti  »  peuvent  s'expli- 
quer par  l'action  de  Vi  final  de  mihi,  tibi  (§  724).  On  trouve 
d'ailleurs  les  mêmes  formes  en  latin. 

§  133.  —  «  Ego»  a  donné  y'o,  je,  où  l'on  remarque  le  main- 
tien de  la  voyelle  de  la  seconde  syllabe,  comme  dans  l'article. 
A  côté  de  «jo,je»,  on  trouve  dans  quelques  textes  la  forme 
gié  (en  une  seule  syllabe),  qui  provient  de  éc/o  non  proclitique. 

§  134.  —  Les  pronoms  des  deux  premières  personnes  se 
déclinent  donc  au  singulier  : 

l'«  personne.  S**  personne. 

Cas  sujet  :  jo,  je  {quelquefois  gié)     tu 

Proclitique.  Proclitique 

Cas  régime  direct  : 


Cas  régime  inclir. 


mei,  moi,  nu    me  tei,  loi,  ti       te 


§  135.  —  En  latin,  le  pluriel  des  mêmes  pronoms  avait 
une  forme  commune  pour  le  nominatif  et  l'accusatif  :  nos, 
vos.  En  outre,  les  lois  phonétiques  devaient  amener  la 
confusion  du  datif  «  nobis,vobis  »  avec  le  nominatif-accusatif 
«  nos,  vos.  »  Nous  aurons  donc  en  français  une  seule  forme 
pour  les  trois  cas  : 

l'^o  personne .  2'^  personne. 

Cas  sujet  :  \ 

Cas  régime  direct  :        nos,  nous  vos,  vous. 

Cas  régime  indirect  :  ) 

Clédat.  5 


74  GRAMMAIRE   DU   VIELX   FRANÇAIS. 

LE  FUONÛM  DE  LA  TROISIÈME  PERSONNE 

§  136.  —  Le  pronom  de  la  troisième  personne  dérive 
du  latin  ille.  Nous  avons  vu  que  ille  était  à  la  fois  adjectif 
et  pronom.  Ille  adjectif  a  produit  l'article  français,  et  ille 
pronom  est  devenu  notre  pronom  personnel  de  la  troi- 
sième personne.  Quant  aux  différences  de  forme  entre 
l'article  et  le  pronom  français,  tous  deux  issus  d'un  même 
mot  latin,  elles  proviennent  de  ce  que  ille  adjectif-article 
était  toujours  proclitique,  tandis  que  ille  pronom  ne 
l'était  que  quelquefois,  comme  les  autres  pronoms  per- 
sonnels (§  129).  Quand  le  pronom  ille  était  proclitique,  il 
a  donné  les  mêmes  formes  que  l'article  :  le  la  les  ;  mais  il  a 
donné  des  formes  spéciales  quand  il  avait  un  accent  tonique. 

§  137.  —  Voici  la  déclinaison  du  pronom  français,  rap- 
prochée de  celle  du  pronom  latin  : 

SINGULIER. 

Masculin. 

Cas  sujet  :      ille         il 
Casrég.  dir.'.  illum      [el] 
Casrég.ind.:  *illui      lui,  11 

PLURIEL. 

Cas  sujet:       illi         il,  ils 

Casrég.  dir.:  illos       els,eus,  eux 

Casrcg.ind.:  illorum  \or,\euT  *illorum  lor,  leur 

NEUTRE    SINGULIER. 

Cas  sujet  :        illud  [el],  il 

Pour  ne  pas  compliquer  ce  tableau,  nous  n'y  avons  pas 
compris  les  formes  proclitiques,  qui  sont  : 

SINGULIER. 

,.     ,     l   masculin  et  neutre  :     lo,  le  iillum,  illud) 
Cas  régime  direct    j   ^^„^.,^.,^  .  i^  ^uiam) 

PLURIEL. 

Cas  régime  direct  :      7nasculin  et  féminin  :  les  (illos,  illas). 


Féminin. 

illa 

ele,  elle  • 

illam 

ele,  elle 

*iUei 

lei,  li 

*illas , 

eles,  elles 

illas 

eles,  elles 

DES   PRONOMS   PERONiNELS.  7K 

Remarques.  —  1°  Singulier,  cas  régime  direct  :  nous  avons 
mis  el  entre  crochets  parce  que  cette  forme  n'a  pas  per- 
sisté. Lui  servait  et  sert  encore  à  la  fois  pour  le  régime  direct 
et  le  régime  des  prépositions,  et  pour  le  régime  'indirect 
sans  préposition.  Au  féminin  lei  avait  aussi  ces  deux  fonc- 
tions. ' 

2°  Pluriel,  cas  sujet  :  il  a  pris  une  s  analogique  quand  la 
vieille  déclinaison  a  eu  disparu  et  que  tous  les  pluriels  se  sont 
terminés  par  des  s.  Le  peuple  dit  encore  :  «  il  ont.  » 

3°  Pluriel,  cas  régime  indirect  :  illôrum  est  le  génitif  pluriel 
de  ille  (voyez  ci-dessus  §  101),  et  signifie  par  conséquent 
«  d'eux  ».  C'est  encore  le  sens  de  «  leur  »  employé  comme  ad- 
jectif possessif.  Mais,  dès  l'origine  de  notre  langue,  leur  (lor)  a 
aussi  pris,  par  extension,  le  sens  de  «  à  eux.  » 

4°  Notre  pronom  neutre  il  {il  faut,  il  est  bon  de...)  ne  vient 
pas  de  illud,  qui  aurait  donné  el  ;  c'est  le  pronom  masculin  em- 
ployé avec  le  sens  neutre. 

Pour  les  particularités  phonétiques  qu'offrent  les  divers  cas 
du  pronom  il,  voy.  §  126. 

LE  PRONOM   RÉFLÉCHI 

§  138.  —  Le  pronom  réfléchi  ne  peut  avoir  que  des  cas 
régimes.  Ce  pronom,  des  deux  nombres,  était  en  latin  se 
à  l'accusatif,  sibi  au  datif.  Si  on  compare  ces  formes  à 
celles  des  pronoms  des  deux  premières  personnes,  on  verra 
facilement  que  le  français  devait  être  : 

Cas  réqime  direct:      i      .       .     . 

Cas  régime  indirect  :  j  '"'  '^''  ''•  "  -P''o^«'^^î"e  :  se. 

PRONOMS  CONïRAGTi:S 

§  139.  —  De  même  que  les  articles  le,  les,  les  formes 
proclitiques  «  le,  les  »  du  pronom  personnel  se  combi- 
naient dans  l'ancienne  langue  avec  certaines  prépositions. 
Du  équivalait  non  seulement  à  de  suivi  de  l'article,  mais 
aussi  ù  de  suivi  du  pronom  le;  on  disait  :  «  il  est  temps  du 
faire  »,  au  lieu  de  :  «  il  est  temps  de  le  faire.  » 


76  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

§  140.  —  Les  pronoms  «  le,  les  »  se  combinaient  aussi 
avec  les  autres  pronoms  personnels  je,  me,  te,  se,  avec  la 
négation  ne,  avec  le  pronom  relatif  qui,  avec  l'adverbe  af- 
firmatif  si.  On  disait:  «-jel  suivrai  »  pour  «^e  le  suivrai  »; 
«  jamais  nel  ou  nés  reverrez  »  pour  «  jamais  vous  tie  le  ou 
ne  les  re  verrez  »  ;  «  sis  met  en  rang  »  (Chanson  de  Roland) 
pour  «  si  les  met  en  rang  »,  c'est-à-dire  «  ainsi  il  les  met 
en  rang  ».  On  trouve  ?m  au  lieu  de  ne/  pour  ne  le,  de 
même  que  du  au  lieu  de  del  pour  de  le  :  «  nii  ferez  »  signi- 
fie «  vous  ne  le  ferez  pas  ». 

§  141.  —  Me  est  souvent  réduit  à  m  (même  devant  une 
consonne),  après  si,  ne  :  «  sim,  nein  ». 

Enfin  le  pronom  se  se  combinait  aussi  avec  certains 
mots,  et  se  réduisait  alors  à  s.  Or  nous  avons  vu  que  les, 
dans  les  combinaisons  analogues,  se  réduit  également  à 
s.  Ainsi  nés  représente  ne  les  (Voy.§  140),  ou  nese;le  sens 
delà  phrase  peut  seul  indiquer  laquelle  de  ces  deux  inter- 
prétations il  faut  choisir.  Ce  sera  ne  se  dans  le  vers  suivant 
de  la  Chanson  de  Roland  : 

Nés  poet  guarder  que  mais  ne  li  ateignet. 

Traduisez  :  «  Il  ne  se  peut  garder  que  le  mal  ne  l'at- 
teigne. » 

On  trouve  aussi  guis  pour  qui  se,  sis  pour  si  se. 

CHAPITRE  YI 

DES   ADJECTIFS   ET    PRONOMS    POSSESSIFS 

§  142.  —  L'adjectif-pronom  possessif  était  en  latiit 
meus  (mon,  mien),  tuus  (ton,  tien),  suus  (son,  sien)  pour 
les  trois  personnes  du  singulier,  et  noster  (notre),  vostc, 
(votre)    suus  (leur)  pour  les  trois  personnes  du  pluriel. 


DES  ADJECTIFS  ET   PRONOMS  POSSESSIFS. 


77 


Chacun  de  ces  mots  se  déclinait  comme  l'adjectif  «  bonus  ». 
Nous  allons  les  passer  successivement  en  revue. 

PREMIÈRE    PERSONNE   DU  SINGULIER 

§  143.  —  Les  divers  cas  latins  de  «  meus  »  ont  produit 
en  français  les  formes  suivantes  : 


Latin. 

Cas  sv jet:      meus 
Cas  régime  :  meum 


SINGULIER. 

Masculin. 

Français. 


Forme  non  proclitique. 


mes,  mis 
mon 


SINGULIER. 

Féminin. 

Latin.      Français. 

mea 


Cas  sujet 

Cas  régime  :  meam  ) 


PLURIEL. 

Masculin. 

Latin. 

Cas  sujet  :      mei 
Cas  régime  :  meos 


Féminin. 

Français. 

mes 


Latin. 

Cas  sujet  :     (mese)  *meas 
Cas  régime  :  meas 


NKUTRE    SINGULIER 
Latin. 

Cas  unique  :  meum 


Forme  non  proclitique. 

mêle,  moie 


Français. 

mei,  mi 
mes 


Forme  non  proclitiiiue. 

mêles,  moies 


Français. 

Forme  non  proclitique  :  mien. 


§  144.  —  Ces  différentes  formes  offrent  des  singularités 
phonéti(|iiPs  que  nous  ne  pouvons  expliquer  ici.  L'adjectif 
non  proclitique  mien,  qui  dérive,  comme  on  le  voit,  d'un 


'^  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

accusatif  singulier  latin,  s'est  développé  en  français  ;  on 
lui  a  donné  un  cas  sujet  en  ajoutant  une  s,  et  on  lui  a 
fait  aussi  un  pluriel  conforme  a  la  déclinaison  masculine 
des  noms  et  adjectifs  :  mien  cas  sujet,  miens  cas  régime. 
On  a  même  refait  sur  mien  une  forme  féminine  mienne,  qui 
s'est  substituée  à  meie,  moie.  Quant  aux  emplois  divers  de 
«  mon  »  et  de  «  mien  »,  nous  en  parlerons  dans  la  syntaxe. 

DEUXIÈME  ET  TROISIÈME  PERSONNE  DU  SINGULIER 

§  145.  —  Tuus  (ton,  tien)  se  déclinait  exactement 
comme  meus.  Ces  deux  mots  différaient  par  la  voyelle  du 
radical,  qui  est  u  dans  «  twus  »  et  e  dans  «  meus.  »  Mais  le 
premier  s'était  assimilé  au  second,  et  on  trouve  «  tes,  tis  » 
en  français,  au  cas  sujet  masculin  singulier,  comme  si  en 
latin  on  avait  dit  «  teus  ».  Pour  d'autres  cas  on  a  deux 
formes  d'origines  différentes,  l'une  se  rattachant  au  radical 
classique,  l'autre  au  radical  assimilé. 

SINGULIER. 

Masculin. 

Formes  non  proclitiques. 

Cas  sujet  :     tes,  tis 

Cas  régime:  ton  tuen  {latiîi  tuum)  ;  tien  {latin  "teum) 

Féminin. 

Formes  non  proclitiques. 

Cas  unique  :  ta        tue  ou  toe  [latin  tuam)  ;  leie,  toie  [latin  *team) 

PLURIEL. 

Masculin.  Féminin. 

Formes  non  proclitiques. 

,  .    ..     _  .  ^      i  tues  OU  tocs  (latin  tuas); 

Cassu3et:     te.,  ti    Cas  m«3»e  :  tes  [      ,eies,  toies  (/afm  *teas). 

Cas  régime:  tes. 

NEUTRE    SINGULIER. 

Cas  sujet  :      )  ^  ,.,. 

Cas  régime:  i  ^'^^'"^^^  ''°"  P^'oclUiques :  lueu,  tien. 


DES  ADJECTIFS   ET   PRONOMS  POSSESSIFS.  79 

§  145  bis.  —  Situs  (son,  sien)  a  donné  l'adjectif  fran- 
çais «  ses,  sis  »,  qui  a  les  mêmes  formes  que    «  tes,  tis  ». 

SUNGULIER. 

Masculin.  Véminin. 

Cas  sujet  :      ses,  sis  "\ 

Cas  rérjime:  son  / 

Formes  non   proclitiques.        l       Formes  non  proclitiques. 

•  suen,  sien  ]    sue,  soe;  seie,  soie. 

PLURIEL. 

!ses 
Formes  non  proclitiques, 
sues,  soes;  seies,  soies. 

NEUTRE.  SINGULIER. 

Cas  sujet  :     (  „  .... 

r,       ■  ■        \  Formes  non  proclitiques  :  suen,  sien. 

Cas  régime  :  |  ^  ^  ' 

§  146. —  On  a  fait  aux  adjectifs  tien,  sien  une  déclinaison 
complète,  comme  à  mieii  (§  144),  et  on  leur  a  donné  un 
féminin  «  tienne,  sienne,  »  qui  s'est  substitué  à  toie,  soie. 

PH KM  1ÈRE  ET  DEUXIÈME    PERSONNE    DU    PLURIEL 

i;  147.  —  Le  lalin  nosler  se  déclinait  aussi  sur  le  modèle 
de  bonus  (bon),  ou  plus  exactement  comme  ni;/er  [noir, 
Voyez  ci-dessus  §  92).  Le  français  nostre  offrait  les  formes 
suivantes  : 

SINGULIER. 

Masculin.  Féminin.  JScutre. 

latin.  Latin.  Latin. 

Cas  suj ..  noster      i  nostra     ;  nostrum  ; 

Casréy.-.nostrnm)''''^^'''  nostram  î '^°''^*^  nostrum  i '"^^^''^ 

PLURIEL. 

Masculin.  Féminin. 

Latin.  Latin. 

Cas  suj..nostr\    nostre  (nostraB)*nostras  piostres, 

C<t.«  rt'y.:  nostros  nusUcs,noz,  nos  nostras  (noz,nos. 


80  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

On  voit  que  le  singulier  se  réduit  à  une  seule  forme, 
nostre,  pour  les  deux  cas  et  les  trois  genres.  Le  féminin 
ne  se  distingue  pas  du  masculin  et  du  neutre  par  Ve  muet 
correspondant  à  Va  atone  du  latin  ;  car  au  masculin  et  au 
neutre  le  groupe  de  consonnes  str  {noster,  nos^rum)  a  pro- 
duit aussi  un  e  muet(Voy.  §  15,  l°et  3°).  Au  pluriel  féminin 
et  au  cas  régime  du  pluriel  masculin,  «  noz,  nos  »  est  une 
forme  abrégée  de  «  nostres  »,  sur  laquelle,  comme  sur  mien 
et  tien,  on  a  refait  toute  une  déclinaison;  car  on  trouve 
quelquefois  no  comme  cas  sujet  pluriel,  cas  régime  singu- 
lier et  féminin  singulier,  nos  comme  cas  sujet  singulier 
(Voyez  la  syntaxe,  §  415). 

§  148.  —  Le  latin  voster  et  le  français  vostre  ont  été 
traités  comme  noster  et  nostre. 

TROISIÈME    PERSONiNE   DU    PLURIEL 

§  149.  —  Le  latin  suus,  qui  a  produit  «  son  »,  s'employait 
aussi  comme  adjectif  possessif  de  la  troisième  personne  du 
pluriel  (au  sens  de  /eur).  Il  a  perdu  cette  valeur  en  français. 
Mais  pour  exprimer  l'idée  de  «  leur  »  adjectif  possessif, 
les  Latins  se  servaient  également,  dans  des  cas  déterminés, 
du  génitif  pluriel  des  pronoms  démonstratifs,  comme  si  en 
français,  au  lieu  de  dire  :  «  leur  patrie  »,  on  disait  :  «  la 
patrie  de  ceux-là,  d'eux  ».  Or,  l'un  de  ces  pronoms 
démonstratifs  latins  était  ille,  dont  le  génitif  pluriel  était 
illôrum;  illôrum  a  produit  le  français  «  lor,  leur  »  qui  signifie 
proprement  d'eux  (Voyez  ci-dessus  §  131, remarques,  3°). 

§  150.  —  Leur,  équivalant  à  «  d'eux  »,  devait  rester 
invariable  quel  que  fût  le  cas  ou  le  nombre  du  substantif 
auquel  on  le  joignait.  Mais  on  perdit  vite  la  notion  de 
l'origine  do  ce  mot.  On  l'assimila  à  un  adjectif  ordinaire, 
en  lui  donnant  une  s  au  ])liuiel. 


DU  PRONOM  RELATIF  ET  INTERR06ÂTIF.       81 

CHAPITRE  Vil 

DU    PRONOM     RELATIF    ET    INTERROGATIF 
§  151.  —  Le  pronom  latin  qui  se  déclinait  comme  =;uit  : 


SINGULIER. 

Masculin. 

Féminin. 

Neutre. 

Nominatif:  qui 
Accusatif  :    quem 
Datif:           cui 

*que  (qua3) 

qiiam 

cui 

PLURIEL. 

quod 
quocl 
cui 

Masculin. 

Féminin. 

Nominatif  :  qui 
Accusatif:     quos 
Datif:            quibus 

*qae  (quœ) 

quas 

quibus. 

^  152.  —  Le  nominatif  pluriel  était  donc  identique  au 
nominatif  singulier.  Cette  identité  des  deux  nombres  pour 
l'un  fies  cas  a  amené  une  assimilation  pour  les  autres  cas  : 
l'accusatif  et  le  datif  pluriel  sont  tombés,  et  les  formes  du 
singulier  ont  été  appliquées  aux  deux  nombres. 

5;  153.  —  Il  y  a  eu  d'autre  part  confusion  phonétique  ou 
assimilation  entre  les  formes  du  masculin  et  celles  du 
féminin,  de  telle  sorte  que  le  pronom  relatif  français  a  les 
mêmes  formes  pour  les  deux  nombres  et  les  deux  genres  : 

MASCULIN   et   FÉMININ,    SINGULIER    et   PLURIEL. 

Cas  sujet  :  qui 

Cas  régime  direct  :      forme  proclitique  :  que 

Cas  régime  indirect  :  cui,  qui. 

Le  cas  régime  indirect  «  cui,  qui,  n  a  servi  aussi,  par  ex- 
tension, pour  le  régime  direct  et  le  régime  des  préposi- 
tions. Nous  l'employons  encore  nprès  les  prépositions. 

5. 


82  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

§  154.  —  Le  neutre  diffère  en  pr.incipe  du  masculin- 
féminin  parce  que  le  cas  sujet  devrait  être  que  (latin  quod) 
comme  le  cas  régime.  Mais  ce  cas  sujet  neutre  ne  s'est 
pas  conservé.  Toutefois  nous  en  trouvons  trace  dans  le 
|iro verbe  :  «  Fais  ce  que  dois,  advienne  que  pourra  ». 
Ailleurs  il  y  a  eu  assimilation  complète  avec  le  mnsculin- 
féminin,  sauf  cependant  que  la  forme  non  proclitique  du 
cas  régime  neutre  n'était  pas  «  cui,  qui»,  mais  «  quoi», 
dérivé  de  quid  latin  interrogatif  :  «  ce  à  quoi  il  se  prépare  ». 

§  155.  —  Le  pronom  interrogatif  latin  était  le  même 
que  le  pronom  relatif.  Toutefois  le  nominatif  masculin  était 
le  plus  souvent  quis  au  lieu  de  qui,  et  le  neutre  quid  au 
lieu  de  quod.  Quis  n'a  rien  donné  en  français;  le  cas  sujet 
masculin  du  pronom  interrogatif  ne  diffère  pas  du  même 
cas  du  pronom  relatif.  Mais  quid  a  produit  deux  formes, 
l'une  proclitique  qui  se  confond  avec  le  pronom  relatif 
neutre,  que,  l'autre,  accentuée,  qui  est  «  qitei,  quoi  ». 
Enfin  au  cas  régime  direct  du  masculin-féminin,  le  pro- 
nom interrogatif  n'a  pas  la  forme  proclitique  que;  on  dit  : 
«  Qui  désiriez-vous  comme  voisin?  »  et  non:  «  Que  dési- 
licz-vous  comme  voisin?  » 

CHAPITRE   YIII 

DES    ADJECTIFS    ET    PRONOMS    INDÉFINIS 

§  156.  —  Il  y  a  peu  de  chose  à  dire  pour  la  flexion  des 
adjectifs  et  pronoms  indélinis.  Ils  se  déclinent  conune  les 
adjectifs  ordinaires.  Quelques-uns  ont  un  douMe  cas  ré- 
gime, analogue  à  celui  d'icil,  d'icisl  et  de  il,  et  de  môme 
origine.  Ainsi  altre  (autre,  latin  oller)  fait  au  cas  régime 
singulier:  allrc  [alterum]  et  allvm  {*ul(erui).  i\uls  (nullus) 
fait  nul  et  nului. 


DU  VERBE.  83 

§  157.  — L'adjectif  <oz,  tôt  [tout,  latin  *tottus)se  décline 
conformément  aux  règles  ordinaires,  sauf  pour  le  cas  sujet 
du  pluriel  masculin,  qui  est  tuit  el  non  tôt,  sous  l'influence 
de  ïi  final  du  latin  toti  (Voyez  §  724). 

^  158.  —  <(  Quelque  »  se  composant  de  quel  et  de  que, 
quel  devrait  s'accorder  en  cas,  en  nombre  et  en  genre,  et 
que  rester  invariable.  C'est  ce  qui  avait  lieu  dans  l'ancienne 
langue  (Voyez  ci-dessous  §  426,  au  mot  Quelque). 

CHAPITRE    IX 

DU    VERBE 

NOTIONS    PRÉLIMINAIRES 

I.  —  Du  rôle  de  l'analogie  dans  la  formation  des 
verbes  français. 

^  159.  —  Beaucoup  des  formes  de  nos  verbes  français 
doivent  leur  origine  à  l'analogie  ou  à  l'assimilation,  qui 
tend  toujours  à  rendre  la  conjugaison  moins  compli(|uée, 
en  assimilant  entre  eux  les  temps  et  les  personnes  dans  la 
mesure  compatible  avec  la  distinction  nécessaire  de  ces 
temps  et  de  ces  personnes. 

Nous  avons  déjà  vu  l'analogie  à  l'œuvre  dans  la  décli- 
naison, donnant  par  exemple  une  s  au  cas  sujet  singulier 
de  certains  noms  qui  n'en  avaient  point  en  latin.  Mais  eile 
agit  bien  plus  encore  sur  la  conjugaison,  et  le  langage  des 
enfants  peut  nous  donner  une  idée  de  son  action  inces- 
sante. C'est  par  analogie  que  les  enfants  disent  souvent 
s'nssirc  au  lieu  de  s'asseoir,  introduisant  à  l'infinitif  Yi  du 
participe  passé,  et  assimilant  ce  verbe  à  d'autres  plus  fa- 
ciles à  conjuguer,  lui  la  inAme  voyelle  se  retrouve  à  tous 
les  temps  :  ri,  rire,  /mi.  nuire,  etc.  C'est  encore  par  ana- 


84  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

logis  qu'ils  disent  «  se  taiser  »  au  lieu  de  «  se  taire  ». 

Un  grand  nombre  de  formes  de  nos  verbes  dérivent  de 
fautes  de  ce  genre,  que  l'usage  a  consacrées,  et  qui  ont  fait 
disparaître  les  formes  antérieures  plus  régulières,  c'esl-à- 
dire  plus  conformes  à  l'étymologie  latine.  Ainsi  nous  ver- 
rons plus  loin  que  l'indicatif  présent  du  verbe  aimer  se 
conjuguait  :  «  j'aim,  tu  aimes,  il  aime,  nous  amons,  vous 
amez,  ils  aiment  ».  On  a  ajouté  un  e  muet  à  la  première 
personne  du  singulier,  par  analogie  avec  les  deux  autres,  et 
on  a  changé  en  ai  Va  des  deux  premières  personnes  du 
pluriel,  en  les  assimilant  aux  quatre  autres  personnes  du 
même  temps.  Nous  aimoiis,  à  la  première  personne  du  plu- 
riel, a  donc  commencé  par  être  un  barbarisme,  comme  si 
on  disait  :  nous  tienons,  au  lieu  de  nous  tenons.  L'usage 
en  a  fait  une  forme  régulière,  et  c'est  l'ancienne  forme 
régulière  qui  serait  aujourd'hui  un  barbarisme. 

L'indicatif  présent  du  verbe  craindre  était  jadis  : 
je  criem,  tu  criens,  il  crient,  nous  cremons,  vous  cremez, 
ils  criement,  et  ces  formes  n'étaient  pas  plus  extraordi- 
naires que  «  je  m'assieds,  nous  nous  asseyons  »,  à  côté  de 
l'infinitif  «  asseoir  ».  L'assimilation  avec  les  verbes  en 
aindre,  comme  plaindre,  qui  avaient  l'indicatif  en  «  ains, 
ai  gnons  »,  a  produit  la  conjugaison  actuelle  de  craindre. 
Les  formes  anciennes  du  verbe  asseoir  ont  persisté  plus 
longtemps,  mais  elles  tendent  à  se  simplifier,  car  on  dit 
aussi  :  «  je  m'assois,  nous  nous  assoyons.  »  Les  phéno- 
mènes de  ce  genre  abondent  dans  l'histoire  de  nos  conju- 
gaisons. 

§  160.  —  Il  faut  remarquer  que  l'analogie  agit  tantôt  de 
verbe  à  verbe,  tantôt  de  temps  à  temps  d'un  même  verbe, 
tantôt  de  personne  à  personne  d'un  même  temps.  L'indi- 
catif présent  de  craindre  est  un  exemple  du  premier  mode 
d'action.  L'indicatif  présent  û' aimer  est  un  exemple  du 


DU  VERBE.  85 

troisième  mode.  Quant  à  l'action  de  temps  à  temps,  nous 
la  trouverons  dans  le  participe  passé  d'aimer,  qui  était 
d'abord  amé,  et  qui  est  devenu  aimé  par  assimilation  avec 
les  temps  où  on  avait  la  diphtongue  ai. 

II.  —  Division  des  verbes  en  conjugaisons 

La  conjugaison  en  er  et  la  conjugaison  en  re,  oir,  ir. 

§  161,  —  C'est  seulement  pour  l'infinitif  que  nous  avons 
encore  quatre  terminaisons  correspondant  aux  quatre 
conjugaisons  latines.  Pour  les  autres  temps,  nous  avons 
conservé  d'une  part  les  principaux  caractères  de  la  con- 
jugaison latine  en  are  (français  er)  et  d'autre  part,  nous 
avons  fondu  en  une  seule  les  trois  conjugaisons  en  ère, 
_ere  (Voyez  page  10,  note  1),  ?>e  (français  oir,  re,  ir). 

La  conjugaison  inchoative. 

§  162.  —  Toutefois  il  faut  mettre  à  part  les  nombreux 
verbes  en  ir  qui  ont  le  singulier  de  l'impératif  en  is  et  le 
singulier  de  l'indicatif  présent  en  is,  is,it,  et  qui,  i°  au  plu- 
riel des  mômes  temps,  2°  à  l'imparfait  de  l'indicatif,  3°  au 
sulijonctif  présent  et  4°  au  participe  présent,  prennent  la 
syllabe  iss  entre  le  radical  et  les  terminaisons  ordinaires 
communes  à  toutes,  les  conjugaisons.  Ces  verbes  sont  dits 
inchoalifs  (du  latin  inchoare,  commencer)  parce  que  la 
syllabe  latine  ?sc  *,  d  où  dérive  la  syllabe  française  iss  (et 
is  ou  it  au  présent  de  l'indicatif  et  à  l'impératif),  donnait 
aux  verbes  dans  lesquels  elle  se  plaçait  le  sens  particu- 
lier de  commencer  faction,  entrer  dans  un  état  et  non  pas 

1.  En  réalité,  ce  sont  les  consonnes  vc  qui  avaient  une  valeur  in- 
choative. Kllcs  s'ajoutaient  à.  la  voyelle  finale  du  radical  dos  verbes, 
et  cette  voyelle  n'était  pas  toujours  i.  Mais  Vi  suivi  de  se  a  fini  par  se 
détacher  du  radical  dont  il  faisait  partie,  et  a  formé  avec  se  une  syl- 
labe mobile  qui  s'est  ajoutée  à.  d"autres  radicaux. 


86  GRAMMAIRE   DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

peulement  «  agir,  être  dans  un  état  »,  comme  les  verbes 
ordinaires. 

§  163.  —  Nous  venons  d'énumérer  les  temps  dans  les- 
quels entre  la  syllabe  inchoative,  et  nous  n'y  avons  pas 
fait  figurer  l'intinitif.  En  latin,  l'inflnitif  de  ces  verbes  avait 
la  terminaison  —ère  (à  laquelle  correspond  la  terminaison 
française  re)  précédée  de  la  syllabe  inchoative.  Les  verbes 
inchoatifs  devraient  donc  être  des  verbes  en  re,  c'est-à-dire 
en  istre  si  l'on  ajoute  la  syllabe  inchoative  et  si  l'on 
intercale  le  t  euphonique  (Voyez  ci-dessous  §  213).  Iscere 
latin  doit  en  effet  damner  htre  français.  Mais  au  lieu  de 
«  istre  »,  nous  trouvons  pour  tous  ces  verbes  la  flexion  ir, 
sans  syllabe  inchoative.  Sur  ce  point  le  français  se  sépare 
donc  du  latin. 

i;  164.  —  Quant  au  participe  passé  et  au  prétérit,  l'idée 
particulière  qu'ils  expriment  (action  accomplie)  est  incon- 
ciliable avec  la  signification  de  la  syllabe  inchoative  (action 
qui  commence).  On  ne  s'étonnera  donc  pas  que  ces  temps 
n'aient  pas  la  syllabe  inchoative. 

§  165.  —  Enfin  le  futur  et  le  conditionnel  et  l'impar- 
fait du  subjonctif  n'ont  pas  non  plus  cette  syllabe,  parce 
qu'ils  dérivent  d'autres  temps  qui  ne  l'ont  pas,  les  deux 
premiers  se  formant  sur  l'infinitif  et  le  troisième  sur  le 
prétérit. 

Au  premier  abord,  l'imparfait  du  ^subjonctif  a  l'appa- 
rence inchoative,  car  il  se  termine  en  isse,  isses,  issons,  etc., 
comme  le  présent,  dont  il  ne  difi'ère  qu'à  la  troisième  per- 
sonne du  singulier  :  qu'il  finît  au  lieu  de  qu'il  finisse.  Mais 
c'est  une  apparence  trompeuse.  La  terminaison  de  l'impar- 
fait du  subjonctif  de  ces  verbes  n'a  pas  la  même  origine 
que  celle  du  présent  :  la  syllabe  inchoative  n'y  est  pour  rien. 
C'est  la  terminaison  régulière  qui,  dans  toutes  les  conju- 
gaisons, s'ajoute  au   prétérit   de   l'indicatif  pour  former 


DU   VERBE.  87 

l'imparfait  du  subjonctif  (que  j'aimasse,  que  je  rendisse,  que 
je  voulusse). 

Résumé.  —  Les  deux  conjugaisons  vivantes. 

s;  166.  —  En  résumé,  il  y  a  en  français  trois  conjugai- 
sons :  la  première  comprend  les  verbes  en  er  :  la  seconde  : 
les  verbes  inchoatifs  en  ir;  la  troisième  :  les  verbes  en  re  et 
eu  oir  et  les  verbes  non  inchoatifs  en  ir.  Sur  environ 
■^(000  verbes  français,  la  première  conjugaison  en  compte 
à  peu  près  3i00,  la  seconde  un  peu  plus  de  300,  et  la  troi- 
sième un  peu  moins  du  même  nombre.  Dans  la  troisième 
conjugaison,  la  moitié  environ  des  verbes  a  l'infinitif  en 
re.  l'autre  moitié  se  partage  à  peu  près  entre  les  verbes  en 
oir  et  ceux  en  ir  non  inchoatifs. 

s5  167.  —  On  voit  que  la  conjugaison  en  er  et  la  conju- 
ix.iison  inehoative  sont  les  plus  importantes.  Ce  sont  aussi 
It's  seules  vivantes,  pour  employer  une  excellente  expres- 
sion proposée  par  M.  Ghabaneau.  De  tout  temps  on  afabri- 
(jué  des  verbes  et  on  en  fabriquera  encore  sur  le  modèle  de 
I  hanterai  de /?««%  tandis  qu'on  n'a  pas  augmenté  le  nombre 
des  verbes  en  re  et  en  oir,  ni  des  non  inchoatifs  en  ir,  que 
le  latin  nous  avait  transmis  (sauf  toutefois  en  ajoutant  des 
préfixes  à  des  verbes  déjà  existants). 

Il  serait  facile  de  citer  de  nombreux  verbes  en  er  qui 
datent  de  notre  siècle  et  même  des  dernières  années.  Le 
verbe  télégraphier  n'est  pas  bien  vieux,  et  le  verbe  télé- 
pltoner,  plus  récent  encore,  et  qui  n'a  pas,  si  l'on  veut, 
acquis  droit  de  cité,  arrivera  certainement  à  s'introduire 
dans  l'usage  général.  Les  verbes  nouveaux  en  ir  sont  plus 
rares  :  M.  Alphonse  Daudet  a  employé  aveulir  (rendre 
veule)  dans  un  de  ses  romans;  l'avenir  seul  nous  apprendra 
si  ce  mot  est  destiné  à  devenir  tout  à  fait  français;  l'usage 
en  décidera.  Ce  qui  pourra  nuire  au  succès  de  ce  verbe, 


88  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

c'est  qu'il  est  formé  avec  un  adjectif  qui  tend  à  dispa- 
raître delà  langue  et  que  beaucoup  de  personnes  ne  com- 
prennent déjà  plus. 

LES  VARIATIONS   DU   RADICAL  DES  VERBES 

§  168.  —  Parmi  les  variations  du  radical  des  verbes, 
nous  n'étudierons  ici  que  celles  qui  ont  le  caractère  de 
flexions,  c'est-à-dire  qui  contribuent,  avec  les  flexions  pro- 
prement dites  ou  terminaisons,  à  différencier  les  temps  et 
les  personnes.  Souvent  d'ailleurs  ces  variations  se  rat- 
tachent plus  ou  moins  directement  aux  flexions  latines. 
Les  différentes  formes  du  radical  du  verbe  tenir  [ten,  tien, 
tin)  ne  servent  pas  moins  que  les  terminaisons  qui  s'y  ajou- 
tent, à  caractériser  les  temps  et  personnes  de  ce  verbe. 

Quant  aux  changements  successifs  d'un  même  radical,  qui 
affectent  également  toutes  les  personnes  et  tous  les  temps, 
comme  le  changement  de  solld  latin,  du  verbe  solidare,cVa- 
bord  en  sold,  puis  en  soud,  radical  du  verbe  français  souder, 
ce  sont  desphénomènespurement phonétiques  dont  nousn'a- 
vons  pas  à  nous  occuper  dans  cette  partie  de  la  grammaire. 

§  168  bis.  — Parmi  les  variations  «  flexionnelles  »  du  ra- 
dical, nous  négligerons  jusqu'au  moment  où  nous  parle- 
rons des  flexions  proprement  dites  de  chaque  temps  :  1°  les 
formes  du  prétérit,  de  l'imparfait  du  subjonctif  et  du  parti- 
cipe passé  dans  les  verbes  qui  présentent,  à  ces  temps,  des 
particularités  exceptionnelles;  2°  les  formes  c{ui  ne  s'ap- 
pliquent qu'à  un  seul  temps,  et  à  ce  point  de  vue  nous  as- 
similerons le  iïitur  et  le  conditionncd  à  un  temps  unique. 

I.  —  Variations  dues  au  traitement  différent  des 
voyelles  latines  toniques  et  des  mêmes  voyelles 
atones.  Radical  tonique  et  radical  atone. 

§  169.  —  Un  sait  qu'en  français,  comme  en  l'tin,rac- 


DU  VERBE.  89 

cent  tonique  est  tantôt  sur  le  radical,  la  partie  permanente 
du  verbe,  et  tantôt  sur  la  flexion,  la  terminaison.  Le  radi- 
cal de  pointer  étant  «  port  »,  l'accent  est  sur  le  radical  dans 
je  porte,  ils  portent,  etc.  Il  est  sur  la  terminaison  dans  : 
porter,  portons,  etc.  Un  certain  nombre  de  verbes  appar- 
tenant à  toutes  les  conjugaisons  sont  dits  irréguliers  parce 
que  la  voyelle  du  radical  n'est  pas  la  même  quand  elle  a 
l'accent  tonique  et  quand  elle  est  atone.  Ainsi  le  radical  de 
mourir  est  meur  dans  le  premier  cas  (il  meurt,  que  tu 
meures,  etc.)  et  mour  dans  le  second  (mourir,  mourant, 
nous  mourons,  etc.).  De  même  «  bwvant  »  et  «  je  bois  », 
«  recevoir  »  et  «  je  reçois  »,  «  tenir  »  et  «  je  t?ens  »,  «  appa- 
roir »  et  «  il  appert  »,  etc. 

Ces  verbes  ont  donc  un  radical  tonique  et  un  radical 
atone  qui  diffèrent  l'un  de  l'autre. 

§  170.  — Le  radical  tonique  se  trouve  1°  aux  trois  per- 
sonnes du  singulier  et  à  la  troisième  personne  du  pluriel 
des  présents  de  l'indicatif  et  du  subjonctif;  2°  à  l'impératif 
singulier;  3°  à  l'infinitif  des  verbes  en  re.  C'est  en  effet  à 
ces  différents  temps  et  personnes  que  l'accent,  d'après 
l'origine  latine,  est  sur  le  radical  du  verbe. 

§  171.  —  Le  radical  atone  se  trouve  à  tous  les  autres 
temps  et  personnes.  Toutefois  il  y  a  des  verbes  qui  ont 
aussi  l'accent  sur  le  radical  au  prétérit  de  l'indicatif  et  au 
participe  passé;  mais  souvent  dans  ces  verbes  le  radical, 
à  ces  temps,  diffère  à  la  fois  du  radical  tonique  ordinaire  et 
du  radical  atone;  ainsi  le  radical  tonique  normal  de  tenir 
étant  tien  (il  tient)  et  le  radical  atone  ten  (nous  tenons), 
le  radical  spécial  du  prétérit  est  tin  (il  tint).  J'ai  déjtà  dit 
que  les  formes  exceptionnf'lles  du  prétérit  et  du  participe 
passé  seront  expliquées  à  propos  de  chacun  de  ces  temps. 

v^  172.  —  Il  n'y  avait,  dans  le  latin,  aucune  différence 
entre  le  radical  tonique  des  verbes  et  le  radical  atone. 


90  GRAMMAIRE  DU   VIEUX   FRANÇAIS. 

Ainsi  mourir  était  «  *?»on're  »,  et  il  meurt  :  «  *m6r'ii.  » 
La  voyelle  du  radical  était  toujours  o.  Mais  cet  o  était  atone 
dans  *morire  et  tonique  dans  *inôrit.  Or  très  souvent  les 
voyelles  latines,  en  passant  dans  le  français,  ont  subi  une 
transformation  différente  suivant  qu'elles  étaient  toniques 
ou  atones.  L'o  tonique  est  devenu  eu,  Yo  atone  de  la  pre- 
mière syllabe  des  mots  est  devenu  ou  :  de  là  «  mouriv, 
mour^ni,  mourons,  etc.  »  et  «  meurs,  meure,  etc.  »,  «  mou- 
roir,  mouvBXii  »  et  «  il  meut  ».  Ainsi  dans  les  verbes  à  radi- 
cal variable,  quand  le  radical  tonique  a  eu,  le  radical  atone 
a  ou.  De  même,  il  y  a  alternance  entre  oi  ou  ié  tonique  et 
e  atone  (e  muet  ou  é)  :  acquérir  et  acquiers,  venir  et 
viens,  recevoir  et  recois.  On  disait  aussi  :  «  il  hoii  »  et  be- 
vant,  bevons  »  ;  l'e  muet  s'est  changé  en  u  dans  le  radical 
atone  par  une  exception  particulière  à  ce  verbe. 

^  173.  —  L'ancienne  langue  possédait  plus  de  verbes  à 
double  radical  que  la  langue  actuelle. 

Ainsi  demeurer,  pleurer,  prouver,  trouver  se  conjugaient 
comme  mourir  et  mouvoir  : 

Demourer,   demourant,  clcmouré,  nous  demourons,  je  démoli- 
rais, etc.  ;  et  tu  demeures,  il  demeure,  etc. 
Ploiirer,  plourant,  nous  plourons,  etc.,  et  pleure,  il  pleure,  etc. 
Prouver,  prouvé,  vous  prouvez,  el  il  preuve,  que  tu  preuves. 
Trouver,  trouvant,  je  trouvais,  et  ils  treuvent,  treuve. 

Les  différentes  formes  de  chacun  de  ces  verbes  se  sont 
assimilées  entre  elles,  mais  tantôt  c'est  eu  qui  a  prévalu,  et 
tantôt  ou.  On  a  dit  «  demeurer,  pleurer  »  comme  on  disait 
«  il  demeure,  il  pleure  »,  et  «  il  prouve,  il  trouve  »  comme 
on  disait  «  prouver,  trouver  ». 

De  même,  on  conjuguait  lever  comme  tenir,  et  me7ier  et 
peser  comme  recevoir  : 

Lever,  levant,  levons,  et  il  liiive,  liève,  etc. 
Mener,  mené,  menez,  et  moine  (d'abord  meine). 
Peser,  pesant,  pesez,  el  il  poise  (d'abord  il  ptise). 


DU  VERBE.  91 

Ici  encore  l'analogie  a-  rendu  la  conjugaison  plus  uni- 
forme; mais  l'assimilation  n'est  complète  qu'en  apparence, 
car  en  réalité  le  radical  tonique  de  ces  verbes  diffère  tou- 
jours du  radical  atone  :  le  premier  est  lèv,  mèn,  pès,  le 
second  lev,  men,  pcs.  C'est  ainsi  que  tous  les  verbes  en 
eler,  eter,  ever,  ont  encore  un  double  radical. 

Le  verbe  voir  se  conjuguait  comme  recevoir,  mener,  peser. 
On  disait  en  effet  :  veoir  (infinitif),  Memit  (participe  pré- 
senti, veons(l'"''  pers.  plur.  de  l'indicatif  présent  etdel'im- 
pératif),  et  tu  vois,  il  voit  (d'abord  tu  veis,  ilveit).  Le  radi- 
cal atone  était  donc  ve,  et  le  radical  tonique  voi;  mais  un 
y  eu]3honique  a  dû  s'introduire  dans  «  veant,  veons  »,  et 
l'analogie  avec  le  radical  tonique  «  voi  »  en  a  fait  rapi- 
dement :  «  voyant^  voyons.  «  A  l'infinitif  il  y  a  eu  contrac- 
tion de  veoir  en  voir.  lien  résulte  que  partout  aujourd'hui 
dans  la  conjugaison  de  ce  verbe  (sauf  aux  prétérit,  impar- 
fait du  subjonctif  et  participe  passé,  sur  lesquels  nous 
reviendrons)  on  a  oy  ou  oi  pour  représenter  la  voyelle 
du  radical,  et  cette  même  diphtongue  se  retrouve  dans  la 
flexion  de  l'infinitif  qui  s'est  substituée  à  la  voyelle  radi- 
cale de  ce  temps. 

Dans  prier  le  radical  tonique  était  ;?r/,  et  le  radical  atone 
proi  (d'abord  prei).  On  disait  donc  :  proier,  proions,  etc., 
et  prie,  ils  prient,  etc. 

Dans  aimer  le  radical  tonique  était  aim,  et  le  radical 
aloneam.L'un  et  l'autre  correspondent  au  radicallatin  am, 
t-ar  Va  latin  devant  une  nasale  se  change  cwai  lorsqu'il  est 
Ionique,  et  reste  a  lorsqu'il  est  atone.  On  disait  donc  : 
amer,  amez,  amons,  etc.,  et  aime,  il  aime,  etc. 

Dans  les  verbes  actuels  à  radical  double  on  ne  trouve 
plus  cette  alternance  entre  a  et  ai.  On  ne  trouve  pas  non 
pbis  l'alternance  entre  z  et  oi  que  nous  avons  remarquée 
dans  l'ancien  verbe  prier,  ni  l'alternance  inverse  (oi  et  /) 


^2  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

que    l'ancienne    conjugaison  offrait    aussi    quelquefois. 

§  174.  —  Le  verbe  asseoir  réunit,  dans  l'état  actuel  de 
la  langue,  les  formes  anciennes  avec  radical  alterné,  et  les 
formes  plus  récentes,  dues  à  l'assimilation. 

L'infinitif  de  ce  verbe  se  prononçait  autrefois  en  trois 
syllabes  :  as-se-oir.  As  étant  le  préfixe,  se  était  le  radical 
atone.  La  voyelle  de  ce  radical  a  disparu  à  l'infinitif:  car, 
bien  qu'on  écrive  encore  asseoir,  on  prononce  assoir  (Com- 
parez voir,  ci-dessus  §  173).  Partout  ailleurs  la  voyelle  du 
radical  atone  n'a  pas  disparu  ;  elle  s'est  développée  au 
contraire;  il  y  a  eu  intercalation  d'un  y  euphonique  (Com- 
parez encore  ce  que  nous  avons  dit  de  voir).  Au  lieu  de 
s'asse-ant,  nous  nous  asse-ons,  on  a  dit  :  s'asseyant,  nous 
nous  asseyons.  Et  par  le  changement  habituel  de  ey  en  oy, 
on  a  aujourd'hui  :  assoyant,  assoyons.  Mais  les  formes 
intermédiaires  par  ey  continuent  à  être  conjointement  en 
usage.  Quant  au  radical  tonique,  il  avait  ié  au  lieu  de  e.  De 
là  «  ils^assied  »,  que  l'on  emploie  encore,  mais  qui  tend  h 
céder  la  place  à  la  forme  assimilée  «  il  s^assoit  »,  qui  dérive, 
par  analogie,  de  «  assoyons,  asseoir  ». 

§  175.  — Quelquefois  la  langue  a  hésité  entre  les  deux 
radicaux,  et  on  trouve,  à  la  même  époque,  le  verbe  entiè- 
rement conjugué  de  deux  façons.  Au  xvii'^  sircle  preuver 
et  prouver  étaient  tous  deux  en  usage.  Puis  le  second  a 
fini  par  l'emporter. 

§  176.  —  Dans  tous  les  exemples  que  nous  venons  de 
citer,  le  radical  n'a  qu'une  syllabe.  La  complication  peut 
être  bien  plus  grande  quand  il  en  a  plusieurs,  comme  dans 
manduc-are  (manger).  Dans  toutes  les  formes  de  ce  verbe 
où  l'accent  est  sur  la  flexion,  la  voyelle  u  du  radical  rnan- 
duc  doit  tomber  d'après  les  lois  générales  de  phonétique; 
c'est  ainsi  (jue  manducâre  donne  manger,  manducùtis : 
manyez,  etc.  (Voyez  §  14).  Mais  dans  les  formes  où  l'accent 


DU  VERBE.  95 

est  sur  le  radical,  comme  Vu  est  long,  l'accent  porte  pr  - 
Gisement  sur  cet  u,  qui,  dès  lors,  doit  se  conserver.  C'est 
ainsi  que  mandûcat  a  donné  :  {il)  manjue  *  (indicatif  pré- 
sent), mandûca  :  manjue  (impératif),  etc.  On  disait  donc  : 
mange?',  mangeant,  mangé,  nous  mangeons,  je  mangeais, 
je  mangeai,  mais  au  singulier  de  l'indicatif  présent  et  de 
l'impératif:  tu  manjues,  il  manjue,  ils  manjuent,  manjue. 

§  176  bis.  —  De  même  le  verbe  adjutâre  (d'où  vient 
aider)  avait  un  radical  de  deux  syllabes,  adjut.  Dans  ce 
verbe  ad  a  été  traité  non  comme  préfixe,  mais  comme  pre- 
mière syllabe  du  mot  (voyez  §  17,  remarque  II).  Il  en  ré- 
sulte que  adjutâre,  adjutàntem,  adjutàmus,  ontdonné  aider, 
aidant,  nous  aidons,  etc.,  tandis  que  adjûta,  adjûtat,  etc., 
donnaient  :  aiue  (impératif),  il  aiue  (indicatif  présent),  etc. 

Le  verbe  parler  (*parabolâre)  faisait  aussi  :  tu  paroles, 
ilsparolent,  etc.,  et  par la7it,  vous  parlez,  je  parlais,  etc. 

Ainsi  le  radical  tonique  de  manger,  aider,  parler,  était 
manju,  aiu,  paroi,  et  le  radical  atone  des  mêmes  verbes  : 
mang,  aid,  pari. 

§  176  ter.  — Dans  les  pages  suivantes  nous  aurons  à  si- 
gnaler les  modifications  que  subit  le  radical  normal  des 
verbes  (tonique  ou  atoué),  sous  des  influences  diverses.  Il 
importe  donc  de  pouvoir  déterminer  le  radical  normal 
de  chaque  verbe.  Pour  ceux  qui  n'ont  pas  une  connais- 
sance suffisante  du  vocabulaire  latin  et  des  lois  de  la 
phonétique,  nous  donnerons  le  moyen  empirique  suivant  : 
en  prenant  l'imparfait  d'un  verbe  quelconque  et  en  sup- 
primant la  flexion  ais,  on  obtient  le  radical  atone.  En  sub- 
stituant, quand  il  y  a  lieu,  à  la  voyelle  ou  à  la  diphtongue 
du  radical  ainsi  obtenu,  la  voyelle  ou  la  diphtongue  radi- 

1.  Rigoureusement  il  faudrait  mandue ;  mais  une  première  assimi- 
lation a  substitue  très  ancionnemonl  au  d  de  cette  forme  et  des  sem- 
blaljles  le  y  doux  ou  j  des  formes  telles  que  man<jer. 


94  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

cale  que  l'on  trouve  aux  deuxième  et  troisième  personnes 
de  l'indicatif  présent,  on  a  le  radical  tonique.  Ainsi  pour 
le  verbe  «  mouvoir  »,  l'imparfait  «  mouvais  »  nous  donne 
le  radical  atone  mouv.  Substituons  à  ïou  de  mouv  la  di- 
phtongue eu  des  deuxième  et  troisième  personnes  de  lin- 
dicalif  présent,  nous  aurons  le  radical  tonique  meuv,  qui 
perd  son  v,  comme  nous  le  verrons,  devant  les  consonnes 
de  flexion. 

II.  — Variations  dues  à  la  présence,  dans  la  flexion 
latine,  d'un  e  ou  i  consonnifiable. 

§  177.  —  J'appelle  e  ou  i  consonnifiable  tout  eou  i  latin 
suivi  d'une  autre  voyelle  (Voyez  ci-dessous  §  723).  Tous 
les  verbes  de  la  quatrième  conjugaison  et  une  partie  de 
ceux  de  la  troisième  avaient  un  i  consonnifiable  *  dans  la 
flexion  ;  4°  à  la  première  personne  du  singulier  et  à  la  troi- 
sième personne  du  pluriel  de  l'indicatif  présent;  2°  à 
toutes  les  personnes  du  subjonctif  présent;  3°  à  l'impar- 
fait de  l'indicatif;  4°  au  participe  présent  et  au  gérondif. 
Nous  donnerons  des  exemples  de  ces  flexions  spéciales 
quand  nous  parlerons  de  chacun  de  ces  temps.  Nous  ne 
signalons  ici  que  le  fait  lui-même  dans  sa  généralité,  avec 
les  conséquences  qu'il  a  eues  sur  la  forme  du  radical. 

§  178.  —  Les  verbes  de  la  deuxième  conjugaison  latine 
avaient  aussi  une  consonnifiable  dans  la  flexion  :  1°  à  la 
première  personne  de  l'indicatif  présent  ;  2"  à  toutes  les 
personnes  du  subjonctif, 

§  179.  — Enfin  plusieurs  verbes  de  la  première  conjugai- 
son latine  avaient  reçu  uneoui  consonnifiable,  dans  le  latin 
populaire,  à  ces  différents  temps  ou  à  quelques-uns  d'entre 
eux,  par  assimilation  partielle  avec  les  autres  conjugaisons. 

1.  Cet  i  faisait  partie  du  radical  priuiitif  dans  les  verbes  de  la  qua- 
trième conjuj^aison. 


DU    VliUUE.  9o 

§  180.  —  L'e  ou  i  consoniiifîîole  a  eu  pour  effet,  parli- 
culièrement  dans  les  verbes  ôout  le  radical  se  tcrmiuait 
par  une  seule  consonne,  demodiQcr  ce  radical.  Générale- 
ment la  voyelle  du  radical  s'est  transformée,  sous  cette 
influence,  en  une  diphtongue  terminée  par  un  i  (ou  y).  Cet 
effet  n'est  pas  sensible  lorsque  le  radical  contenait  déjà 
normalement  une  diphtongue  de  ce  genre,  comme  on  le 
verra  par  les  exemples. 

§  181.  —  On  ne  peut  formuler  aucune  règle  permet- 
tant de  déterminer  à  priori  quels  soni  les  verbes  latin»;  qui 
avaient  e  ou  i  consonnifiable  dans  la  flexion.  D'ailleurs,  le 
latin  populaire,  comme  nous  l'avons  fait  remarquer  (§  179), 
avait  augmenté  arbitrairement  le  nombre  de  ces  verbes.  La 
pratique  seule  des  anciens  textes  peut  les  faire  connaître. 
Nous  en  donnerons  des  exemples  que  nous  grouperons 
d'après  la  consonne  finale  du  radical  latin. 

Radical  terminé  par  un  d. 

§  182.  —  D'après  les  lois  phonétiques,  lorsque  le  radi- 
cal d'un  verbe  était  terminé  par  une  dentale  seule,  la  den- 
tale est  tombée;  toutefois  on  la  trouve  encore  dans  les 
textes  les  plus  anciens,  et  elle  s'est  souvent  combinée  avec 
les  flexions  françaises  commençant  par  une  consonne. 

Sous  ces  réserves,  le  radical  français  de  ces  verbes  se 
termine  par  une  voyelle.  Nous  allons  voir  comment  cette 
voyelle  s'est  modifiée  sous  l'influence  d'un  e  ou  i  conson- 
nifiable. 

§  183.  —  Audire  [ouir,  anciennement  odir,  o'ir).  Norma- 
lement le  radical  latin  aud  est  devenu  en  français  od^  puis 
0  [pu  devant  une  voyelle).  Mais  sous  l'influence  de  Xi  con- 
sonnifiable on  a  eu,  à  la  première  personne  de  l'indicatif 
présent,  «  ]oi  »  (j'entends),  tandis  qu'on  disait  :  tu  os,  il  ot, 
nous  oons,  vous  ocz.  Au  subjonctif  présent  on  a  eu  :  <>  que 


96  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

i'oie  ou  oye,  que  tu  oies  ou  oyes,  etc.  ;  au  participe  présent: 
«  o/ant  ou  oj/ant  »,  tandis  qu'on  disait  à  l'infinitif  oïr,  puis 
oMïr,  et  au  participe  passé  oï,  puis  ouï.  Par  analogie  avec 
la  première  personne  de  l'indicatif  présent,  la  diphtongue 
oi  s'est  introduite  plus  tard  aux  autres  personnes  de  ce 
môme  temps,  et  on  a  conjugué  :  «  tu  ois,  il  oit,  nous 
oî/ons,  etc.  »  On  a  des  exemples  de  l'analogie  inverse  :  a  ils 
oent  »  au  lieu  de  «  ils  oyent  »,  «  j'oais,  j'ouais  »  au  lieu  de 
«  j'oyais  ». 

§  184.  —  Videre  {voir,  anciennement  vedeir,  veeir, 
veoir).  Nous  avons  dit  (§  173)  que  le  radical  tonique  de 
veoir  était  vol  (anciennement  vei)  et  le  radical  atone  ve, 
Videre  avait  un  e  consonnifiable  au  subjonctif  présent  et 
à  la  première  personne  de  l'indicatif  présent.  Or,  à  la  pre- 
mière personne  de  l'indicatif  présent  et  à  toutes  les  per- 
sonnes du  subjonctif  présent,  sauf  les  deux  premières  du 
pluriel,  le  verbe  français  doit  avoir  son  radical  tonique, 
vol  (d'abord  vei),  qui  contient  un  i  semi-voyelle,  et  où  dès 
lors  l'influence  de  l'e  consonnifiable  n'est  pas  sensible  (§180). 
On  retrouve  cette  influence  aux  deux  premières  personnes 
du  pluriel  du  subjonctif  présent,  qui  doivent  avoir  le  radical 
atone  ve,  auquel  s'est  ajouté  un  i  semi-voyelle  provenant 
de  l'e  consonnifiable  :  «  veions,  vey-ons,  voyons;  veiez, 
\eyp/i,  voyez.  »  Nous  écrivons  aujourd'hui  ces  deux  per- 
sonnes avec  un  y  et  un  i  (voyions,  voyiez)  pour  les  distin- 
guer des  mêmes  personnes  de  l'indicatif  présent,  voyons^ 
voyez,  où  la  diphtongue  oi  a  une  autre  origine.  La  forme 
ancienne  du  pluriel  de  l'indicatif  présent  était  veons,  veez 
avec  le  radical  atone  ve  suivi  des  flexions  ordinaires.  C'est 
par  euphonie  et  analogie  avec  le  radical  tonique  qu'on  a 
dit  ensuite  voyons,  voyez  (§  173). 

La  môme  remarque  s'applique  au  participe  présent, 
voyant,  qui  a  été  d'abord  vcant.,  à  l'imparfait  de  l'indicatif, 


DU  VERBE.  97 

voyais,  qui  a  été  d'abord  veois.  Ainsi  la  diphtongue  oi  ou  oy 
que  l'on  trouve  dans  presque  toutes  les  formes  actuelles 
du  verbe  voh\  a  une  quadruple  origine  :  elle  peut  venir, 
comme  dans  «  il  voit  »,  de  la  transformation  régulière  de 
la  voyelle  radicale  tonique  du  latin,  ou,  comme  dans  voir 
(ve-oir),  de  la  transformation  régulière  de  la  voyelle  toni- 
que de  flexion  ;  ou  bien  elle  se  rattache  à  la  voyelle  radi- 
cale atone  du  latin,  moditiée  soit  par  Ve  consonnifiable 
latin  (aux  deux  premières  personnes  du  pluriel  du  subjonc- 
tif présent)  soit  par  l'analogie  avec  le  radical  tonique  (au 
participe  présent,  à  l'imparfait). 

Radical  terminé  par  une  labiale. 

§  185.  —  Le  p  on  ie  b  terminant  le  radical  latin  s'est 
régulièrement  changé  en  v.  Mais  toute  trace  de  la  labiale 
latine  a  le  plus  souvent  disparu  dans  les  formes  qui  ont 
subi  l'influence  de  Ve  ou  i  consonnifiable. 

§  186.  —  Avoir  vient  du  latin  habére;  le  radical  français 
av  représente  le  radical  latin  hab.  Habére  avait  un  e  con- 
sonnifiable au  subjonctif  présent  et  à  la  première  personne 
de  l'indicatif  présent.  Gete  a  changé  l'a  duradical  en  ai,  et 
fait  disparaître  la  labiale  :  «  j'ai,  que  j'aie,  que  tu  aies,  que 
nous  ayons,  etc.  » 

Le  participe  présent  à' habére  avait  aussi  pris,  dans  le 
latin  populaire,  une  flexion  avec  e  ou  i  consonnifiable 
(*habientem)  ;  c'est  ainsi  qu'on  peut  expliquer  la  l'orme 
française  ay-ant.  Le  participe  présent  classique  (habenteni) 
aurait  donné  ayant. 

§  187.  —  Debere,  d'où  vient  devoir,  avait  un  e  conson- 
nifiable aux  mêmes  temps  et  personnes  que  habére.  Mais  le 
radical  tonique  de  ce  verbe  étant  «  deiv,  doiv,  »  et  conte- 
nant un  i  semi-voyelle,  l'influence  de  Ve  consonnifiable  ne 
peut  se  manifosler  sur  ce  radical  que  par  la  chule  de  la 
Clldai.  6 


98  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

labiale.  On  trouve  en  effet  anciennement  :  «  que  je  deie  ou 
doie,  que  tu  deies,  doies,  etc.  »  Le  u  a  été  ajouté  ensuite  aux 
différentes  personnes  de  ce  temps  par  analogie  avec  les 
autres  temps  du  même  verbe,  et  on  a  conjugué  :  que  je 
doive,  etc.  Aux  deux  premières  personnes  du  pluriel  du 
subjonctif  présent,  on  devrait  avoir  le  radical  atone  dev 
modifié  par  l'adjonction  d'un  i  semi-voyelle  et  la  chute  de 
la  labiale  :  dey-ons,  puis  doy-on?,  deyez,  puis  doyez.  Ces 
personnes  ont  aussi  subi  une  transformation  analogique  ; 
on  a  repris  le  radical  atone  pur  dev,  en  y  ajoutant  les 
flexions  ordinaires  du  subjonctif,  ions,  iez. 

§  188.  —  Savoir  vient  du  latin  sapere,  qui  avait  un  i 
consozmifiable  à  tous  les  temps  et  personnes  énumérés 
dans  le  §  177.  A  la  première  personne  de  l'indicatif  pré- 
sent, cet  i  a  produit  le  changement  de  l'a  du  radical  latin 
en  ai,  je  sai  (ensuite  sais.  Voyez  §  265).  Au  subjonctif  et 
au  participe  présent  ce  même  i  s'est  consonnifié  en  ch. 
De  là  les  formes:  «sachant,  que  je  sache,  que  tu  saches,  etc.  » 
La  consonniûcation  de  Yi  a  fait  que  l'a  du  radical  latin 
s'est  trouvé  suivi  de  deux  consonnes  (p  -f-  i  consonne)  et 
n'a  pas  subi  le  changement  ordinaire  des  a  toniques  en  é. 
En  effet,  c'est  le  radical  atone  de  savoir  qui  est  sau;  le  radi- 
cal tonique  de  ce  verbe  est  sév,  que  l'on  retrouve  (sauf  la 
chute  du  V  devant  la  consonne  de  flexion,  voyez  §  266) 
dans  «  tu  ses,  il  set  »  aujourd'hui  écrits  «  tu  sais,  il  sait  », 
et  dans  «  ils  se'uent  »  devenu  «ils  savent  »  par  analogie. 
On  aurait  donc  au  subjonctif  :  «  que  je  sèche  »,  si  le  ch, 
s'ajoutant  à  la  labiale  qui  terminait  le  radical  latin,  n'avait 
maintenu  l'a  conformément  aux  lois  de  la'phonétique. 

Nous  venons  de  voir  que  la  troisième  personne  du  plu- 
riel de  l'indicatif  présent  était  anciennement  sévent ;  on 
n'y  retrouve  pas  l'influence  de  Vi  consonnifiable,  à  moins 
que  séucnt  n'ait  été  précédé  d'une  forme  saivent.  L'impar- 


DU   VERBE.  9:) 

fait,  «  je  savais  »,  ne  porte  pas  non  plus  la  marque  de  Yi 
consonniQable  qu'il  avait  en  latin.  Sai.,  de  la  deuxirme  et 
de  la  troisième  personne  du  singulier  de  l'indicatif  pré- 
sent (sais,  sait,  jadis  ses,  séV),  représente  partiellement 
l'ancien  radical  tonique  sév.  Sai\  de  l'imparfait  et  du  plu- 
riel de  l'indicatif  présent,  est  le  radical  atone  régulier.  Les 
formes  du  prétérit  et  du  participe  passé  seront  expliquées 
à  part. 

Radical  terminé  par  une  1. 

§  189.  —  Dans  les  verbes  dont  le  radical  était  terminé 
par  une  /,  l'e  ou  l'^consonnitiable  a  eu  pour  effet  de  mouil- 
ler cette  /. 

§  190.  —  Ainsi  le  verbe  tressaillir  (transsalire)  faisait  à 
l'indicatif  présent  :  «  je  tressaiï  »  et  «  ils  tressa^V/ent  ».  Les 
autres  personnes  de  ce  temps  n'avaient  pas  à  l'origine  1'/ 
mouillée,  parce  qu'elles  n'avaient  pas  dans  la  flexion  latine 
un  i  consonnitiable  :  «  tu  tressa/s,  il  tressa/t,  nous  ti'essa- 
/ons,  vous  tressa/ez.  »  Mais  l'analogie  a  d'abord  mouillé 
17  des  deux  premières  personnes  du  pluriel,  «  nous  tres- 
sailloriA,  vous  tressaillez.  »  Puis,  comme  la  première  per- 
sonnedu  singulier  ressemblait,  saufl'e  final,  à  la  première 
personne  des  verbes  tels  que  travailler  de  la  conjugaison 
en  er,  on  a  complété  la  ressemblance  en  disant  :  «  je  tres- 
saille »  au  lieu  de  «  jetressail  »,  et  on  a  dit  de  même  aux 
deux  autres  personnes  :  «  tu  tressaille?,  il  tressailli'.  >> 

L'imparfait  «  je  tressaï7/ais  »,  le  subjonctif  «  que  je  très- 
saille  »,  et  le  participe  présent  «  tressa///ant  »,  sont  des 
formes  très  régulières,  puisque,  à.  ces  différents  temps,  le 
latin  avait  un  /  consonnitiable.  Mais  les  autres  temps  du 
même  verbe,  y  ci)m[)ris  linilnitif,  n'ont  reçu  1'/  mouillée 
que  par  analogie. 

§  191.  —  Le  verbe  valerc  (valoir)  avait  l'c  consonniûa- 


iOO  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

ble  au  subjonctif  et  à  la  première  personne  de  l'indicatif 
présent.  De  là  «  je  vail  »  à  côté  de  «  tu  vais  »  (ensuite  tu 
vaux)  et  «  il  valt  »  (ensuite  il  vaut).  De  là  aussi  :  «  que  je 
vaille,  que  tu  vailles,  etc.  »  nous?  avons  conservé  17 
mouillée  au  subjonctif,  mais  à  l'indicatif  présent  nous 
disons  «  je  vaux  »,  par  analogie  avec  «  tu  vaux  ». 

§  192.  —  Le  verbe  *  volere  (vouloir)  avait  pris,  dans  le 
latin  populaire,  un  i  consonnifiable  à  la  première  per- 
sonne de  l'indicatif  présent  et  au  subjonctif.  Aussi  en 
vieux  français,  la  première  personne  de  l'indicatif  présent 
était  :  «  je  veuil  »  (écrit  voil,  vueil,  etc.)  C'est  par  analogie 
avec  la  seconde  personne  qu'on  a  dit  ensuite  :  «  je  veux  ». 
De  même  au  subjonctif  présent  on  a  eu,  avec  1'/ mouillée: 
«  que  je  veuille  (*  voliam),  que  tu  veuilles,  etc.  »  Aux  deux 
premières  personnes  du  pluriel  1'/  consonniûable  aurait  dû 
avoir  pour  effet,  non  seulement  de  mouiller  17,  mais  de 
changer  en  ui  la  voyelle  du  radical  atone  :  «.  que  nous 
vuillions.  »  Les  formes  «  veuillions  »  et  «  voulions  », 
entre  lesquelles  on  a  aujourd'hui  le  choix,  sont  des  formes 
analogiques  qui  se  rattachent,  la  première  aux  autres 
personnes  du  même  temps,  la  seconde  à  la  même  per- 
sonne de  l'indicatif  présent.  Toutefois,  il  n'est  pas  impos- 
sible que  l'une  de  ces  deux  formes  soit  réellement  étymo- 
logique. 

Radical  terminé  par  r  ou  n. 

§  193.  —  Le  verbe  *morire,  qui  a  donné  mourir,  avait 

un  i  consonniilable  à  tous  Ifs  temps  et  personnes  énumé- 
rés  §  177.  Mais  c'est  seulement  au  subjonctif  et  à  la  pre- 
mière personne  de  l'indicatif  présent  qu'on  trouve  des  tra- 
ces de  l'action  de  ^^.  Dans  les  textes  anciens,  la  première 
personne  de  l'indicatif  présent  de  ce  verbe  est  tantôt  mwir, 
tantôt  moerc,  miierc,  ou  moerg,  niuerg.  Et  le  subjonctif 


DU  VERBE.  iO< 

esttantôt«que  jemiiire,que  tumuires,  etc.  »,  tantôt  «  que 
jo  moerge.  »  Or,  quand  il  est  soustrait  à  l'influence  d'un  i 
consonnifiable,  Yo  tonique  de  ce  verbe  devient  oe,  ne,  eu,  (tu 
moers,  muers,  meurs).  Ilfautdonc  voir  dans  la  diphtongue 
ui  de  muîr  et  de  muire,  et  dans  la  gutturale  de  moerc  ou 
moer^ei  de  moerge,  deux  transformations  différentes  du  ra- 
dical, dues  toutes  les  deux  ùrintluence  de  ^^  consonnifiable. 
§  194.  —  Les  verbes  venir  (venire)  et  tenir  (*  tenire)  ont 
fait  pour  la  même  raison,  à  la  première  personne  de  Tin- 
dicalif  présent  :  «  je  vienc  ou  vieng,  ou  je  vie/gn,  — je  tienc 
ou  tieng,  ou  je  tieign  »,  et  au  subjonctif  «  que  je  vienge  ou 
que  je  vieigne,  que  je  tienge  ou  que  je  iieigne  ».  . 

Radical  terminé  par  un  c  ou  un  t. 

§  195.  —  «  Pouvoir  »  dérive  du  latin  *  potere.  Le  t  final 
du  radical  latin  étant  tombé,  pot  latin  est  devenu,  suivant 
qu'il  était  tonique  ou  atone,  poe,  pue,  peu  (il  peut),  ou  po, 
poM  (pouvoir).  Quant  au  v  «  de  pouvoir  »  et  autres  formes 
semblables,  il  ne  fait  partie  ni  du  radical  ni  de  la  flexion, 
c'est  un  V  euphonique  (Voy.  §  219). 

Le  verbe  latin  posse  ou  *  potere  était  formé  du  radical /5o? 
et  du  verbe  esse  {*  essere)  =étre.  L'indicatif  présent  d'esse 
étant  swn  à  la  première  personne  du  singulier,  posse  de- 
vait faire  potsum  à  la  même  personne.  Cette  forme  était 
devenue  possum  en  latin  classique  et  pocsum  en  latin  popu- 
laire. Or  Vo  de  pocsum  s'est  changé  en  ui  sous  rinflucnce 
de  la  gutturale  qui  le  suivait  (Voy.  §  745,  12").  De  là  le 
français  puis,  d'où  dérive,  par  voie  d'analogie,  le  subjonc- 
tif présent  puisse.  Quant  à  la  forme  «je  peux  »,  elle  a  été 
créée  parimitalion  delaseconde  personne  du  mêmetemps. 

§  196.  —  Faire  dérive  de  facere,  radical  fac.  Or,  /ac, 
d'après  les  lois  de  la  phonétique,  (jue  a  soit  tonique  ou 
atone,  doit  donner  également /"«<  en  français  (il  /ait,  faive, 
vous  /<5j(tes).  Mais  quand  le  c  est  accompagné  d'un  i  con- 

6. 


102  GRAMMAIRE  DU   VIEUX   FRANÇAIS. 

sonnifiable,  le  radical  se  modifie  de  deux  façons  diffé- 
rentes, suivant  qu'il  est  tonique  ou  atone  :  fac  tonique 
devient  faz,  faç,  et  fac  atone  devient  fais. 

Facere  avait  en  latin  un  i   consonniûable  à   tous  les 
temps  et  personnes  indiqués  §  177.  Par  conséquent,  la 
première  personne  de  l'indicatif  présent  a  dû  être  faz^ 
l'imparfait  :  je  faissih,  tu  faisais,  etc.  ;  le  participe  présent  : 
faisant;  et  le  subjonctif  :  «  que  je  face,  que  tu  faces,  qu'il 
face,  que  nous  /disions,  que  vous  faisiez,  qu'ils  faceni.  » 
Parmi  ces  formes,  faisais  et  faisant  existent  encore;  «  fais  » 
a  remplacé  faz,  par  analogie  avec  la  deuxième  personne  ; 
on  a  modifié  l'orthographe  de  face  qu'on  écrit  maintenant 
fasse,  et  on  a  substitué,  dans  le  même  subjonctif,  à  «  faisions, 
faisiez  »,  les  formes  analogiques  «  fassions,  fassiez  »,  par 
assimilation  avec  les  autres  personnes  du  même  temps.  La 
troisième  personne  du  pluriel  de  l'indicatif  présent  avait  1'^ 
consonnifîable  dans  le  latin  classique  [faciunt),  mais  l'avait 
certainement  perdu  dans  le  latin  populaire;  car  la  forme 
facunt  (Voyez  §  270)  peut  seule  expliquer  le  français  font. 
§  197.  —  Plaire  et  taire  se  conjuguaient  comme  faire. 
Mais  les  ressemblances  de  ces  trois  conjugaisons  ne  sont 
attribuables  à  Ve  ou  i  consonnifîable  que  pour  la  première 
personne  de  l'indicatif  présent  et  pour  le  subjonctif;  car 
aux  autres  temps  fa<Ve  et  plaire  n'avaient  pasl'e  consonni- 
ûable. (Voyez  ci-dessous  §  203.)  On  disait  à  l'indicatif  pré- 
sent :«  je  p/az,  je  fa-  »,  et  au  subjonctif:  «  quejejo/ace,  que 
je  tace  ;  que  nousp/a/sions,  que  vous  taisiez.  »  Les  formes 
des  différentes  personnes  du  subjonctif  ont  été  assimilées  en- 
tre elles,  mais  ce  sont  les  formes  du  pluriel  qui  l'ont  emporté, 
et  non  celles  du  singulier  comme  pour  le  verbe  faire. 

Formes  exceptionnelles. 
§  198.  —  Un  certain  nombre  de  verbes  de  la  première 


DU   VERBE.  10;ï 

conjugaison  en  er  ont,  dans  l'ancienne  langue,  pour  la 
première  personne  du  singulier  de  l'indicatif  et  pour  le 
subjonctif  présent,  des  formes  spéciales  qui  ne  peuvent 
s'expliquer  que  par  l'influence  d'un  e  ou  d'un  /  consonni- 
fialjle  qui  a  dû  entrer  dans  la  conjugaison  populaire  de  ces 
verbes.  C'est  ainsi  que  le  verbe  donner  fait  à  la  première 
personne  de  l'indicatif  présent  :  «je  dxdns  ou  doins  »,  et  au 
subjonctif  :  «  que  je  donge,  duinse  ou  doin»e.  »  De  même, 
pour  la  première  personne  de  l'indicatif  présent  du  verbe 
trouver,  on  a  «  je  truis.   » 

i;  199.  —  Il  faut  vraisemblablement  rattacher  aussi  à 
Tinlluence  d'un  /consonnifîabledu  latin  populaire  la  forme 
«  je  vois  »,  du  verbe  aller,  devenue  ensuite  «  je  vais  »,  à  côté 
de  «  tu  vas,  il  va  »,  et  le  subjonctif  «  que  je  voise  »,  au  sens 
de  «  que  j'aille.  » 

Traeea  de  toutes  ces  formes  dans  la  conjugaison  actuelle. 

'^  200.  —  L'assimilation  a  fait  disiiaraître  la  plupart  des 
traces  de  l'e  ou  <  consonuiliable  des  flexions  latines.  Nous 
avons  seulement  conservé  : 

1°  Quelques  premières  personnes  de  l'indieatif  présent, 
comme  ']e  jmis,]'ai,  je  sai{s); 

2°  Les  subjonctifs  présents  des  mêmes  verbes  {puisse, 
aie,  sache)  et  de  quelques  autres  :  que  je  vaille,  que  je 
veuille  ; 

3°  Les  participes  présents  ayant,  sachant  ; 

4°  Des  conjugaisons  tout  entières,  où,  à  l'inverse  du 
phénomène  le  plus  ordinaire,  les  formes  qui  avaient  subi 
l'influence  de  \e  ou  i  consonni fiable  se  sont  introduites 
partout  par  assimilation  :  tressaillir. 

Il  faut  ajouter  que  c'est  à  Ve  ou  /'  consonnifiable  que 
nous  devons  l'i  des  flexions  ions,  iez  du  subjonctif.  (Voyez 
§  279.) 


104  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

III.  —  Variations  dues  aux  traitements  divers 
du  c  final  du  radical. 

§  201.  —  Le  c  latin,  seul  entre  deux  voyelles,  a  subi 
des  traitements  fort  divers,  suivant  les  voyelles  qui  le 
précédaient  ou  qu'il  précédait.  Il  en  résulte  dans  la  con- 
jugaison de  certains  verbes  des  variations  de  radical  as- 
sez importantes. 

§  202.  — Ainsi,  partout  où  il  est  devant  e  ou  i  tonique, 
ou  devant  e  posttonique  sauf  devant  la  terminaison  ère 
atone  de  l'infinitif,  le  c  a  produit  en  français  un  i  semi- 
voyelle  suivi  d'une  s,  tandis  que,  devant  i  posttonique  et 
devant  ère  atone,  il  a  seulement  produit  i  semi-vo3'elle. 

§203.  —  Or,  les  verbes  de  la  deuxième  conjugaison  la- 
tine avaient  toutes  leurs  flexions  commençant  par  un  e  ^. 
Ceux  d'entre  eux  où  cet  e  était  précédé  d'un  c  auront  donc 
un  radical  français  terminé  par  is.  C'est  ce  qui  est  arrivé 
pour  les  verbe  luire,  nuire,  plaire,  taire,  dont  le  radical, 
sauf  à  l'infinitif,  et  en  réservant  toujours  le  prétérit  de 
l'indicatif,  l'imparfait  du  subjonctif  et  le  participe  passé 
(voyez  §  168  bis),  est  en  français  luis,  nuis,  plais,  tais. 
Aussi  à  la  troisième  personne  de  l'indicatif  présent,  ces 
verbes  faisaient-ils  :  «  il  luisi,  il  /?*//st,  ilplaisi,  ils  taisl.  » 
Pour  la  première  personne  du  mémo  temps,  voj'ez  ci-des- 
sus §  197.  A  la  deuxième  personne  Ys  du  radical  se  con- 
fond avec  Vs  de  flexion.  Au  subjonctif  présent  ces  mêmes 
verbes  faisaient  :  que  je  luise,  que  je  nuise,  que  ie  plaise, 
que  je  taise.  (Voyez  toutefois  §  197.) 

§  204.  —  Au  contraire,  pnrmi  les  temps  latins  qui  ont 
produit  des  temps  français,  l'iuiparfait  et  le  participe  pré- 
sent seuls  avaient,  dans  lesverbes  latins  de  la  troisième  con- 
jugaison, les  flexions  exigée:i  pour  le  changement  du  e  précé- 

1.  Cet  e  terminait  le  radical  primitif 


DU  VERBE.  105 

dent  en  ts.  Ceux  de  ces  verbes  dont  le  radical  latin  finissait 
par  un  c  n'auront  donc  un  radical  français  terminé  par  h 
qu'au  participe  présent  et  à  l'imparfait.  On  dira  :  «  con- 
duisant, je  conduhdX's,  »,  mais  «  je  conduis  il  conduii.  » 
C'est  par  analogie  qu'on  a  dit,  aux  deux  premières  person- 
nes du  pluriel  de  l'indicatif  présent  :  «  ronduison'S,,  con- 
duisez »  au  lieu  de  «  conduimes^  conduiie^  »,  formes  qu'ap- 
pelait fétymologie.  Au  subjonctif  du  même  verbe,  on  a  en 
principe  une  troisième  variété  de  radical;  car,  la  flexion 
latine  commençant  par  un  a,  le  c  se  trouve  entre  un  u  long 
et  un  a,  et,  dans  ce  cas  spécial,  il  doit  complètement  tom- 
ber. Le  subjonctif  étymologique  est  donc:  «  quejeco/*- 
duG,  que  tu  co7idues,  etc.  »,  formes  que  l'analogie  a  rem- 
placées d'abord  par  condiùp,  puis  par  conduise. 

§  205.  —  Pour  la  même  raison,  le  verbe  dire  faisait  au 
participe  présent  et  à  l'imparfait  «  disant,  disB.\s  »,  mais 
ailleurs  :  «  je  di,  il  dit,  vous  diles,  que  je  die,  que  tu 
dies,  etc.  » 

§  206.  —  Le  verbe  facere  (faire)  appartient  à  une  caté- 
gorie spéciale  de  verbes  de  la  troisième  conjugaison  latine. 
La  terminaison  habituelle  is  de  son  radical  en  français 
s'explique  par  la  double  influence  du  c  et  de  Vi  consonni- 
fîable  (Voyez§196).  Al'indicatif  présent  de  ce  verbe  (sauf 
à  la  première  personne  du  singulier),  le  radical  doit  être 
fai  :  «  il  fali,  vous  faites.  »  La  première  personne  du  plu- 
riel «  faisons  »  est  analogique. 

IV.  —  Verbes  français  en  «  aindre,  eindre, 
oindre  ». 

§  207.  —  Les  verbes  français  en  aindre,  eindre,  oindre, 
dérivent  de  verbes  latins  dont  le  radical  se  termine  par 
ang,  ung,  ing.  Le  g  final  a  produit  un  double  effet  :  1°  il 
a  transformé  les  voyelles  a,  u,  i  en  les  dij)lilongucs  ai, 


106  GRAMMAIRE   DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

oi,  ei;  2°  il  a  mouillé  l'n.  Mais  la  mouillure  de  Vn 
n'est  sensible  aujourd'hui  que  dans  les  formes  oîi  le  radi- 
cal est  suivi  d'une  voyelle  :  «  ils/)/a?^nent,/)o/5'nant,  etc.  » 
Partout  ailleurs  Yn  elle-même  a  disparu  de  la  prononcia- 
tion, en  produisant  la  nasalisation  de  la  voyelle  précé- 
dente :  «  il /)/amt,.yomdre,  etc.  »  Quant  au  d  de  l'inûnitif 
et  du  futur,  nous  l'expliquerons  §  213. 

v^  208.  —  he's,\Qvhe's,  geindre  ai  craindre  n'ont  été  rangés 
parmi  les  verbes  en  «  aindre,  eindre  »  que  par  analogie. 
Leur  radical  latin  se  termine  par  m  et  non  par  ng.  Ces 
verbes  devraient  avoir,  et  ont  eu  en  vieux  français,  comme 
radical  atone,  gem,  crem,  et  comme  radical  tonique  giem, 
criem.  On  disait  «  geniànl,  cre»?îant  »  au  lieu  de  geigymniy 
craignoxiiy  «  il  gemoW,  il  cremoM^  que  je  gième,  que  je 
criéme,  etc.  »  (Voyez  §  159.)  Pour  la  forme  étymologique 
de  l'inflnitif  de  ces  verbes,  voyez  ci-dessous  §  217. 

"V.  —  De  la  vocalisation  de  1'  «  1  »  dans  les  formes 
verbales. 

§  209.  —  Nous  avons  déjà  vu,  dans  les  chapitres  de 
l'orthographe  et  du  nom,  que  VI  (mouillée  ou  pure)  de 
l'ancienne  langue  se  maintenait  en  général  lorsqu'elle 
terminait  le  mot  ou  lorsqu'elle  était  suivie  d'une  voyelle, 
mais  qu'elle  se  vocalisait  en  ii  lorsqu'elle  était  suivie  d'une 
consonne  :  cheval  et  travail  sont  restés  cheval  et  travail^ 
valeur  est  resté  valeur;  mais  chevals  et  trava'ils  sont  de- 
venus chevaus  (chevaux)  et  (ravaus  (travaux),  falcher  est 
devenu  faucher.  L'application  de  cette  loi  de  phonétique 
modifie  singulièrement  la  physionomie  de  la  conjugaison 
dans  les  verbes  dont  le  radical  se  terminait  par  cette  con- 
sonne (simple  ou  redoublée,  pure  ou  mouillée),  du  moins 
dans  les  verbes  en  re,  oir  et  dans  les  non-inchoatifs  en 
ir;  car  dans  les  verbes  en  er,  et  dans  les  inchoalifs  en  ir, 


DU   VERBE.  107 

a  consonne  qui  termine  le  radical  est  toujours  placée 
levant  une  voyelle. 

§  210.  —  Pour  les  verbes  en  re  la  consonne  terminant 
e  radical  se  trouvait  suivie  d'une  autre  consonne  :  1**  à 
.'infinitif,  au  futur  et  au  conditionnel,  devant  r  des  flexions 
"€,  rai,  rais;  2°  aux  deuxièmes  et  troisièmes  personnes  de 
.'indicatif  présent,  devant  s  et  t. 

Or  dans  moudre,  la  consonne  finale  du  radical  est  / 
latin  mol-ere),  que  l'on  retrouve  dans  mow/ons,  moulez. 
Helte  /  s'est  maintenue  partout  où  elle  était  suivie  d'une 
royelle,  mais  elle  a  disparu  par  vocalisation  et  confusion 
ivec  la  voyelle  ou,  dans  mowdre,  moudra.i,  moudrais,  tu 
nous  (aujourd'hui  écrit  mouds),  il  moui  (aujourd'hui  écrit 
rnoud).  Le  d  de  «  mourfre,  mouf/rai  »  est  euphonique 
^Voyez  §  213).  On  l'a  introduit  par  confusion  dans  :  «  tu 
nriouf/s,  il  moue?.  » 

§  211.  —  Pour  les  verbes  en  oir  et  en  ir  (non  inchoa- 
tifs),  la  consonne  terminant  le  radical  se  trouvait  suivie 
d'une  autre  consonne  aux  mêmes  temps  que  ci-dessus, 
moins  l'infinitif  (dont  la  flexion  commence  par  une  voyelle: 
oir,  ir),  c'est-à-dire  au  futur,  au  conditionnel  et  au  sin- 
gulier de  l'indicatif. 

Valoir,  falloir,  ayant  le  radical  terminé  par  une  /,  cette 
l  s'est  vocalisée  en  u  et  a  formé  diphtongue  avec  l'a  qui 
précédait  :  i"  dans  vaut,  faut  ;  2°  dans  vaudrait,  faudrait; 
3°  dansuaurfm,  faudra;  et  dans  les  différentes  personnes  de 
ces  temps  (celles  du  singuher  seulement  pour  l'indicatif). 

Dans  vouloir,  qui  est  un  verbe  à  voyelle  du  radical 
variable,  1'/  s'est  confondue  avec  la  diphtongue  ou  du 
radical  atone  dans  voudrai,  voudrais  (au  lieu  de  uou/drai, 
uow/drais);  elle  s'est  confondue  avec  la  diphtongue  eu 
du  radical  tunique  au  singulier  de  lindicalif  «  il  vcul  « 
au  heu  de  :  il  vculi. 


108  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Faillir  faisait  à  l'indicatif  «  il  faut  »,  comme  falloir,  qui 
remonte  d'ailleurs  au  même  verbe  latin  fallere.  Le  futur 
était  aussi  :  je  faudrai,  qu'on  remplace  aujourd'hui  par 
je  faillirai ,  forme  refaite  sur  l'infinitif. 

Assaillir  et  tressaillir  faisaient  jadis  :  il  assaut,  il  tres- 
saut,  il  assandra,  il  tressaudru.  Le  futur  et  le  conditionnel 
ont  été  refaits  sur  l'infinilif,  et  le  singulier  de  l'indicatif, 
où  l'on  a  rétabli  1'^  mouillée  de  la  première  personne,  et  où 
l'on  a  ajouté  un  e  muet,  ressemble  aujourd'hui  à  un  verbe 
de  la  première  conjugaison,  à  travailler  par  exemple  (Voyez 
ci-dessus  §  190). 

§  212.  —  Ainsi,  dans  la  conjugaison  ancienne  des  verbes 
dont  le  radical  se  termine  par  «  /,  //,  ill,  »  il  arrive  que, 
au  futur,  au  conditionnel  et  au  singulier  de  l'indicatif  (et 
à  l'infinitif  pour  les  verbes  en  re),  cette  /  ou  ces  /  sont 
remplacées  par  un  u,  qui  s'ajoute  à  la  voyelle  précédente 
ou  se  confond  avec  elle. 

VI.  —   Des    consonnes    euphoniques  introduites 
dans  la  conjugaison. 

§  213.  —  Toutes  les  fois  que,  dans  la  transformation 
d'un  mot  latin  en  mot  français,  une  s,  une  n  ou  une  /  s'est 
trouvée  rapprochée  d'une  r,  il  s'est  introduit  un  d  après  n 
ou  /,  et  un  /  après  s,  pour  faciliter  la  prononciation.  C'est 
ainsi  que  le  latin  gén[e)rum  a  donné  gendre,  etc.  Ce  fait 
s'est  produit  dans  les  verbes,  après  un  radical  terminé  par 
l,  s  ou  n,  devant  une  flexion  commençant  par  une  r,  c'est- 
à-dire  devant  les  flexions  du  futur  et  du  conditionnel  {rai, 
rais)  et  devant  celle  de  l'infinitif  des  verbes  en  re. 

Le  radical  de  môlere,  d'où  vient  moudre,  était  mol, 
devenu  moul  en  français.  A  la  suite  de  la  chute  régulière 
de  la  voyelle  atone  e,  qui  séparait  en  latin  le  radical  molàe 
la  terminaison  re  {mol[e)re),  on  a  eu  moire,  qui  a  été  trans- 


DU  VERBE.  109 

formé  en  moldre,  mouldre,  puis  moudre,  par  l'introduction 
d'un  d  euphonique  entre  /  et  r. 

Dans  absôlvere,  VI  était  séparée  de  Vr  par  une  consonne 
et  une  voyelle  qui  sont  tombées  l'une  et  l'autre  :  absôl{ve)re. 
Dès  lors  un  d  euphonique  s'est  introduit  dans  la  forme 
française  :  absoldre,  absoudre. 

Pour  la  même  raison  côns[ue)re  a  donné  cousrfre; 
nà.s{ce)re,  nais^re  ;  cogn6s{ce)re,  connois^re  ;  crés[ce)re, 
croisfre;  plân{gé)re,  plainc?re;  fin{ge)re,  feinrfre,  etc.;  et 
au  futur  :  cousdrai,  absoudrai,  etc. 

§  214.  —  Il  faut  remarquer  que  le  rf  ou  le  ï  s'est  main- 
tenu même  après  la  vocalisation  ou  la  suppression  de  la 
première  consonne  dont  il  facilitait  la  prononciation. 
Aujourd'hui  on  dit  moudre  et  coudre;  la  consonne  finale 
du  radical  (/,  s)  est  tombée,  mais  le  d  est  resté. 

Quand  on  veut,  d'après  l'infinitif  actuel,  retrouver  le 
véritable  radical  de  ces  verbes,  il  faut  donc,  non  seule- 
ment supprimer  la  dentale  euphonique  en  même  temps 
que  la  flexion  re,  mais  encore  rétabhr  l'ancienne  consonne 
qui  précédait  cette  dentale  et  la  rendait  utile  :  /  dans 
moudre,  s  dure  {ss)  dans  croître,  s  douce  dans  coudre  : 
moul,  croiss,  cous.  C'est  ce  radical  ainsi  complété  que  l'on 
trouvera  dans  les  autres  formes  de  ces  verbes  :  «  wou/ant, 
croissais,  coi<sons,  etc.  » 

§  215.  —  Les  verbes  venir,  tenir,  valoir,  falloir,  etc., 
ont  aussi  une  dentale  euphonique  au  futur  et  au  condition- 
nel :  «  tiendrai,  vienc?rai,  faurfrai,  vaur/rai.  » 

§  216.  —  On  peut  dire  d'une  façon  générale  que, 
toutes  les  fois  qu'on  a,  soit  au  futur  et  au  conditionnel 
seuls,  soit  à  ces  deux  temps  et  à  l'intinitif,  un  d  ou  un  t, 
qui  ne  se  retrouve  pas  dans  les  autres  formes  du  même 
veî-be,  cette  dentale  n'appartient  pas  au  radical  latin.  I) 
n'y  a  d'exception  que  pour  prendre  (latin  préndere),  qui 
Clédat.  7 


no  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

perd  sa  denlale  étymologique  à  tous  les  temps  autres  que 
l'infinitif,  le  futur  et  le  conditionnel,  précisément  par  ana- 
logie avec  les  verbes  où  cette  dentale  est  euphonique. 

§  217.  —  Dans  les  verbes  dérivés  des  latins  gém{e)re 
(geindre)  et  trém{e)re  (craindre),  on  devait  avoir,  d'après  les 
lois  phonétiques,  non  un  d  euphonique,  mais  un  b;  car 
c'est  un  b  qui  s'intercale  ordinairement  entre  une  m  et 
une  liquide.  Mais  les  infinitifs  «^î'emère  ongembre,  criembre 
ou  crembre  »,  ont  été  de  bonne  heure  remplacés  par  gem- 
dre,  a'eind7'e  [enmile  craindre,  par  une  modification  pure- 
ment graphique),  par  analogie  avec  les  verbes  en  aindre, 
eindre,  dérivés  des  verbes  latins  en  angere,  ingère  (Voy. 
§  208). 

§218.  —  Nous  avons  déjà  indiqué  le  rôle  de  ly  eu- 
phonique §§  173  et  174. 

§  219.  —  Un  u  euphonique  s'est  introduit  dans  toutes 
les  formes  de  l'ancien  verbe  po-oir,  pou-oir,  où  le  radical 
{peu  tonique,  ou  pou  atone)  était  suivi  d'une  voyelle  : 
pouvoir,  pouvant,  ils  peuvent. 

LES  FLEXIONS  DU  VERBE 

LA  FLEXION  OnS  DES  PREMIÈRES  PERSONNES  DU  PLURIEL. 

§  220.  —  On  trouve  la  flexion  ons  à  la  première  per- 
sonne du  pluriel  de  presque  tous  les  temps  de  toutes  les 
conjugaisons.  Elle  a  été  substituée  à  des  flexions  latines 
très  diverses,  dont  quelques-unes  ont  laissé  des  traces 
dans  l'ancienne  langue,  mais  qui  ont  fini  par  disparaître. 
Cette  flexion  a  été  empruntée  à  la  première  personne  du 
pluriel  de  l'indicatif  présent  du  verbe  * ezsere  (être),  qui 
est  sûmus  en  latin,  sommes  en  français.  De  sommes,  on  a 
tiré  ommes,  bientôt  contracté  en  ons,  qui  est  devenu  la 
flexion  par  excellence  de  la  première  personne  du  pluriel. 


DU  VERBE.  m 

LES   FLEXIONS  DE   CHAQUE  TEMPS. 

Nous  parlerons  d'abord  des  temps  des  modes  imper- 
sonnels, c'est-à-dire  de  l'infinitif  et  des  participes,  puis 
des  présents  de  l'indicatif  et  du  subjonctif  et  de  l'impar- 
fait de  l'indicatif,  après  lesquels  nous  pourrons  placer  le 
futur,  le  conditionnel  et  l'impératif  Le  prétérit  de  l'in- 
dicatif, et  l'imparfait  du  subjonctif,  qui  en  dérive,  viendront 
ensuite.  Nous  dirons  aussi  quelques  mots  du  temps  archaï- 
que dérivé  du  plus-que-parfait  latin,  et  nous  terminerons 
par  la  conjugaison  du  verbe  e7re,  qui  mérite  une  place  à  part 
à  cause  des  irrégularités  qu'elle  renferme.  Nous  ne  croyons 
pas  nécessaire  de  justifier  l'ordre  que  nous  venons  d'indi- 
quer; on  verra  qu'il  repose  sur  la  parenté  des  divers 
temps. 

I.  —  Infinitif. 

§  221.  —  Les  Latins  avaient  quatre  conjugaisons,  aux- 
quelles correspondent  les  quatre  terminaisons  de  nos  infi- 
nitifs : 

er  (latin  dre),  dans  chanter  de  cantéire;  quelquefois 
on  avait  ier  au  lieu  de  er  :  aider  était  jadis  aidier. 

ir  (latin  ire)  dans  ouïr  de  audïre. 

re  (de  rendre)  et  oir  (d'avoir),  qui  viennent  également 
d'une  terminaison  latine  en  ère  :  reddere  (rendre),  hahere 
(a\'oir);  mais  dans  le  premier  verbe  latin  l'accent  tonique 
est  sur  le  radical  :  rédd-ere,  tandis  que  dans  le  second 
il  est  sur  le  premier  e  de  la  Uexion  :  hab-ére. 

§  222.  —  La  flexion  latine  ère,  pare  tonique,  s'est  sou- 
vent confondue  dans  le  langage  populaire  avec  la  flexion 
^cre  par  e  atone  (avec  accent  sur  le  radical).  Il  en  est 
réaullé  que  des  verbes  qui,  d'après  leur  élymologie,  de- 
vraient être  en  oir,  sont  en  re,  ou  inversement,  et  quel- 
quefois les  deux  formes  coexistent.  Suùmoncre  a  donné 


H2  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

semondre  (qui  dérive  de  la  prononcication  populaire  sub- 
mônere  par  e  atone),  au  lieu  de  semonoir  qu'on  attendrait 
d'après  le  latin  classique  submonére  ;  cddere  a  donné  cheoir, 
puis  choir  (de  la  prononciation  populaire  cadére  par  e  to- 
nique), au  lieu  de  chiére;  ardére  a  donné  ardoir  (vieux 
mot  qui  signifie  «  brûler  »),  mais  on  trouve  aussi  ardre, 
dérivé  de  *drdere. 

§  223.  —  D'autre  part,  dans  un  bon  nombre  de  verbes, 
la  terminaison  latine  ire  a  été  substituée  à  l'une  ou  l'autre 
des  terminaisons  en  ère.  De  là  le  verbe  courir  (de  *currire 
au  lieu  de  cwrere),  à  côté  duquel  on  trouve  la  forme 
régulière  courre,  conservée  dans  plusieurs  locutions  telles 
que  «  chasse  à  courre  ».  On  a  aussi  querre  et  quérir. 

§  224.  —  La  terminaison  française  ir  peut  encore  dé- 
river directement  (sans  l'intermédiaire  d'une  transforma- 
tion populaire  en  ire)  du  latin  ère.  Ainsi  placére  a  donné 
directement  plaisir  (ancien  infinitif,  devenu  depuis  long- 
temps substantif)  et  non  plaisoir;  Ve  tonique  latin  ne  s'est 
pas  changé  en  oi,  mais  en  i,  par  suite  de  l'influence  exer- 
cée par  le  c  sur  la  transformation  de  la  tonique  (Voyez 
dans  la  phonétique,  le  tableau  de  ïe  long  tonique,  7°).  Ces 
cas  sont  rares  d'ailleurs. 

§  225.  —  En  résumé,  la  flexion  française  ir  vient  géné- 
ralement de  la  flexion  du  latin  classique  ire.  Mais,  par 
exception,  elle  peut  dériver  de  la  flexion  ère  placée  dans 
des  conditions  déterminées,  ou  bien  encore  elle  peut  cor- 
respondre à  un  ère  ou  à  un  _L.ere,  transformé  par  le  latin 
populaire  en  ire. 

Chacune  des  flexions  françaises  en  oir  et  en  re  peut 
correspondre  à  l'une  ou  l'autre  des  flexions  latines  en  ère. 

Enfin  la  flexion  er  se  ramène  toujours  au  latin  are. 

§  226.  —  Dans  les  infinitifs  choir  et  voir,  toute  trace  de 
la  voyelle  du  radical  a  disparu;  car  si  on  supprime  la 


DU  VERBE.  113 

flexion  oir,  il  reste  pour  tout  radical  ch  ou  v.  La  forme 
ancienne  de  ces  infinitifs  était  ckeoir  et  veoir  (plus  ancien- 
nement chadeir  et  vedeir). 

Nous  avons  un  infinitif  en  uir  monosyllabique,  c'est 
fuir.  Mais  on  prononçait  jadis  en  deux  syllabes  ;  finr. 
Le  radical  est  fu  et  la  flexion  de  l'infinitif  ir. 

§  227.  —  On  comprend  que  les  verbes  en  re  où  la 
flexion  atone  re  était  précédée  d'un  i  [i-re],  aient  pu  se  con- 
fondre avec  les  verbes  en  ir.  C'est  ce  qui  est  arrivé  pour  les 
verbes  dérivés  àe*collegere  et  de  benedicere.  Légère  ayant 
donné  lire,  et  dicere  :  dire,  collégere  et  benedicere  auraient 
dû  donner  ciieillire  et  bénire.  L'assimilation  avec  les  verbes 
en  ir  a  produit  cueillir  et  béîiir  (anciennement  béneir). 
A  côté  de  beneir  on  trouve  aussi  bene'istre,  qui  se  rattache 
à  une  prononciation  du  latin  benedicere  par  c  doux,  comme 
nous  le  prononçons  aujourd'hui. 

§  228.  —  Le  u  final  du  radical  est  tombé  devant  la 
flexion  7'e  de  l'infinitif  dans  boi7'e  (anciennement  boivre)  et 
dans  écrire  (anciennement  escrivre). 

II.  —  Participe  présent  et  gérondif. 

§  229.  —  Le  mot  «  gérondif  »  ayant  été  jusqu'à  présent 
peu  employé  dans  les  grammaires  françaises,  il  est  né- 
cessaire de  l'expliquer.  En  français,  le  gérondif  a  la  même 
forme  que  le  participe  présent,  et  cette  identité  de  forme 
a  été  cause  de  la  confusion  des  deux  temps  sous  un  même 
nom. 

Mais  le  participe  présent  doit  être,  par  définition,  un 
adjectif  verbal,  donnant  au  nom  avec  lequel  il  s'accorde  la 
qualité  d'agent  de  l'action  exprimée  par  le  verbe  ;  il  doit 
pouvoir  être  remplacé  par  le  verbe  à  un  temps  de  mode 
personnel,  précédé  du  pronom  relatif  :  «  parlant  »,  parti- 
cipe présent,  équivaut  à  «  qui  part  »  ou  «  qui  parlait  ».  Au 


114  GRAMMAIRE  DU   VIEUX   FRANÇAIS. 

contraire,  lorsqu'on  dit  :  «  il  nous  a  remerciés  en  partant  », 
il  est  évident  que  «  partant  »  ne  peut  pas  être  remplacé 
par  «  qui  parlait  »,  ne  s'accorde  avec  aucun  nom,  et  ex- 
prime une  idée  toute  différente.  Il  n'a  plus  la  valeur  d'un 
adjectif,  comme  le  vrai  participe  présent,  mais  celle  d'un 
substantif  exprimant  l'action  même  du  verbe,  comme  l'in- 
finitif,•  c'est  en  quelque  sorte  le  cas  régime  de  l'infinitif.  Ce 
cas  régime  ne  s'emploie  d'ailleurs,  dans  la  langue  actuelle, 
qu'après  la  préposition  en  ;  nous  verrons,  dans  les  notions  de 
syntaxe,  que  l'emploi  en  était  moins  restreint  dans  le  vieux 
français.  Plusieurs  patois  se  servent  aujourd'hui  de  l'infi- 
nitif, même  après  en,  et  disent  :  «  en  partir  »,  au  lieu  de 
«  en  partant  ». 

§  230.  —  En  latin  le  gérondif  se  distinguait  du  participe 
présent  par  la  forme  non  moins  que  par  le  sens.  Gomme 
en  français,  le  gérondif  servait  de  cas  régime  à  l'infinitif,  et 
il  avait  les  différentes  terminaisons  des  cas  régimes  des 
noms  et  adjectifs.  L'un  de  ces  cas  (en  o)  donnait  au  géron- 
dif la  valeur  du  gérondif  français  précédé  de  la  préposition 
en,  valeur  que  notre  gérondif  a  conservée  dans  quelques 
locutions  comme  «  chemin  faisant  »,  qui  équivaut  à  «  en 
faisant  chemin  ». 

§  231.  —  Le  gérondif  français  dérive  soit  de  ce  cas  en 
0,  soit  de  l'accusatif  (en  um).  Ces  deux  cas  s'étaient  d'ail- 
leurs confondus  dans  le  latin  populaire  :  cantândo  et  can- 
tàndum  ne  diffèrent  que  par  des  lettres  qui,  d'après  les 
lois  de  la  plionétique,  doivent  tomber. 

Le  gérondif  de  la  conjugaison  latine  en  are  (français  er) 
était  en  «  andum,ando  »  devenu  ant  dans  le  français  parle 
changement  du  d  enf  et  par  la  chute  de  la  finale  atone.  Or, 
le  participe  présent  de  la  môme  conjugaison  était  en  ân- 
tem;  em  final  devant  régulièrement  tomber,  elle  t  devant 
les  conserver  intact,   le  participe  présent  s'est  confondu 


DU  VERBE.  115 

avec  le  gérondif.  Cantantem,  participe  présent,  et  cantan- 
dum,  gérondif,  ont  donné  une  forme  unique  :  chantsint, 
qu'on  pourrait  appeler  gérondif-participe. 

§  232.  —  Pour  les  autres  conjugaisons  latines,  le  gé- 
rondif était  en  endum  et  le  participe  présent  en  entem. 
Nous  devrions  donc  avoir  des  gérondifs-participes  en  ent. 
Mais  de  bonne  heure  la  flexion  a7it,  de  la  conjugaison  en 
er,  a  été  appliquée  à  tous  les  verbes  ;  d'oil  il  résulte  que  les 
difl"érentes  conjugaisons  forment  leur  gérondif-participe 
de  la  même  façon,  en  ajoutant  ant  au  radical  (au  radical 
suivi  de  la  syllabe  iss  pour  les  verbes  inchoatifs). 

III.  —  Participe  passé. 

Participes  en  è,  i,  des  verbes  en  er,  ir. 

§  233.  —  En  latin,  le  participe  passé  de  la  conjugaison 
— are  était  en  àtum,  et  celui  de  la  conjugaison  — ire  en 
îtian.  Àtum  ayant  donné  la  flexion  é  (plus  anciennement 
et),  et  itum  la  flexion  i,  les  verbes  français  en  er  (latin  are) 
auront  le  participe  passe  en  é  [ic  quand  l'inQnitif  est  en  ier), 
et  ceux  en  ir  (latin  ire)  l'auront  en  /. 

§  234.  —  Toutefois,  parmi  les  verbes  en  ir,  les  inchoa- 
tifs seuls  ont  toujours  le  participe  en  i.  Les  non  inchoatifs 
ont  quelquefois  emprunté  la  flexion  de  ce  temps  à  d'autres 
conjugaisons.  D'autre  part,  la  flexion  i  a  été  appliquée  à 
des  verbes  qui  n'avaient  pas  l'infinitif  en  ir. 

§  235.  —  Ainsi  les  verbes  en  er  ont  le  participe  passé 
en  é,  les  inchoatifs  l'ont  en  i;  la  troisième  conjugaison 
française,  composée  des  débris  de  trois  conjugaisons  la- 
tines, et  comprenant  des  verbes  en  oîV,  ir,  re,  a  quelquefois 
le  participe  passé  en  %  (suivi  de  suivre,  senti  de  sentir), 
mais  elle  offre  d'autres  formes  que  nous  allons  étudier 
et  qui  se  raltachcnl  aux  deux  conjugaisons  latines  en  ère. 


116  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Participes  en  t. 

§  236.  —  Les  verbes  de  la  conjugaison  latine  en  ère 
avaient  le  participe  passé  en  itum  comme  ceux  en  ire, 
mais  avec  l'accent  sur  la  syllabe  radicale  qui  précédait  : 
débitum  de  debere  {devoir),  et  non  pas  debitum  comme 
dans  finîtum,  qui  a  donné  fini.  Ceux  de  la  conjugaison 
en  1ère  ajoutaient  simplement  tum  au  radical  :  fâctum,  de 
fdcere  {faire). 

Ces  deux  formes,  àéhitum  et  fâc^wm,  ne  diffèrent  entre 
elles  que  par  Yi  atone  de  àéhitum,  qui  doit  tomber  en 
français.  Il  en  résulte  que,  pour  ces  deux  conjugaisons,  le 
participe  passé  sera  le  même.  Il  se  composera  régulière- 
ment du  radical  suivi  d'un  t,  seul  reste  des  flexions  latines 
«  itum,  tum  ».  C'est  ainsi  que  faire  a  pour  participe  passé 
fait,  et  que  le  participe  passé  théorique  de  devoir  est  det 
(ou  doit)  1  qui  a  été  remplacé  par  une  autre  forme,  mais 
dont  il  reste  encore  dans  la  langue  le  féminin,  devenu  sub- 
stantif :  dette . 

Parmi  les  participes  de  ce  genre,  on  peut  citer  : 


ceint 

de 

ceindre 

teint 

— 

teindre 

plaint 

— 

plaindre 

joint 

— 

joindre 

oint 

— 

oindre 

conduit 

— 

conduire 

dit 

— 

dire 

écrit 

d' 

écrire 

trait 

de 

traire. 

§  237.  —  Le  u  final  du  radical  est  tombé  devant  le  t  de 

I.  La  forme  doit  se  compose  du  radical  tonique  ordinaire  doiv, 
moins  le  l' final,  et  plus  le  t  de  flexion.  Sur  la  chute  de  la  labiale  finale 
du  radical  ilevant  le  t,  voyez  §  2:57.  Dans  dot  on  a  un  radical  tonique 
modifié  par  l'influence  des  deux  consonnes  i'f  de  deb{i)tum  (voyez  §  72tj). 


DU  VERBE.  117 

flexion  dans  écrit,  le  radical  de  ce  verbe  étant  écriv  (Voyez 
î^  228). 

§  238.  —  A  propos  du  participe  passé  des  verbes  en 
aindre,  eindre,  oindre,  il  faut  se  rappeler  que  le  d  de  l'infi- 
nitif ne  fait  pas  partie  du  radical  et  ne  se  trouvait  pas  dans 
les  verbes  latins  (§  213).  D'ailleurs,  lorsque  le  radical  se 
terminait  réellement  par  un  d,  ce  d  tombait  devant  le  t  du 
participe.  Ainsi  les  participes  passés  en  t  des  verbes 
tendre,  vendre,  rendre,  pendre,  perdre,  verbes  dont  le  d 
n'est  pas  euphonique,  mais  étymologique,  seraient  tent, 
mnt,rent,pent,pert;  les  féminins  de  ces  participes  existent 
avec  la  valeur  de  substantifs  :  tente,  vente,  rente,  pente, 
perte.  Mais  tous  ces  verbes  ont  reçu  un  participe  passé  en 
u  dont  nous  verrons  bientôt  l'origine. 

§  239.  —  Quelques  verbes  latins  en  ire  avaient  par  ex- 
ception leur  participe  passé  en  fwm,  comme  ceux  en_Lere  : 
on  disait  apér-tum  (et  non  aperitum),  d'aper-ire  (ouvrir), 
copér-tuni,  de  coper-ire  (couvrir).  Ces  verbes  ont  en  fran- 
çais un  double  radical.  Au  participe  passé,  l'accent  étant 
sur  Ye  de  per,  cette  voyelle  s'est  maintenue,  et  le  radical 
se  compose  de  deux  syllabes  :  ouver,  couver  ;  en  ajoutant 
le  t  de  flexion,  on  obtient  ouvert,  couvert.  Mais  à  tous  les 
autres  temps,  que  l'accent  soit  sur  le  radical  ou  sur  ta 
terminaison,  il  ne  porte  jamais  sur  l'e  de  per,  qui  est 
tomljc  partout  ;  de  telle  sorte  qu'à  tous  les  autres  temps 
le  radical  n'a  qu'une  syllabe  :  ouvr,  couvr. 

§  240.  —  Un  autre  participe  irrégulier  en  t,  apparte- 
nant à  un  verbe  en  ir,  est  celui  de  mourir  :  mort.  Le  parti- 
cipe latin  était  môrtuwn;  Vo  tonique,  étant  suivi  en  latin 
de  deux  consonnes,  a  dû  rester  o  [mort)  tandis  que,  dans 
les  autres  formes  du  môme  verbe,  il  est  devenu,  suivant  la 
place  de  l'accent,  eu,  ou  :  mourir,  7/tevire  (Voyez  §  172). 

§  241.   —  Le  participe  du  verbe  naître,  «  né  »,  a  été 

7. 


H8  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

aussi,  à  l'origine,  un  participe  en  t  :  net.  Le  t  est  tombé 
comme  dans  les  participes  passés  des  verbes  en  er,  qui  ont 
été  successivement  en  et  puis  en  é  :  chantét,  puis  chanté. 
Mais  entre  ces  participes  et  celui  de  naître,  il  y  a  cette  dif- 
férence que  Vé  de  chanté  appartient  à  la  flexion,  tandis  que 
le  de  de  né  appartient  au  radical.  Naître  vient  du  latin 
nasc-ere  dont  le  participe  passé  était  na-tum.  Le  radical 
nasc  a  donné  le  français  nais  (ou  naiss)  que  l'on  retrouve  à 
presque  tous  les  temps.  Le  radical  na  du  participe  passé  a 
donné  le  français  né  auquel  s'ajoutait  jadis  un  t  de  flexion. 

Participes  en  u. 

§  242.  —  Un  certain  nombre  de  verbes  latins  en  —ère 
avaient  le  radical  terminé  par  un  u,  qui  se  prononçait 
comme  une  consonne  à  l'infinitif,  et  qui,  redevenant 
voyelle  au  participe  passé,  prenait  l'accent.  Ainsi  bâttu- 
ere  (battre)  faisait  au  participe  hatlûtuni,  d'oii  battu;  côn- 
siiere  (coudre)  faisait  consûtum,  d'oij  cousu.  Cette  terminai- 
son ûlum,  probablement  mise  en  relief  par  son  analogie 
avec  les  terminaisons  cltumetitum^a.  été  donnée  à  quantité 
de  verbes  dont  le  participe  régulier  était  tout  différent.  Le 
participe  français  en  u,  qui  en  dérive,  s'applique  à  tous 
les  verbes  en  oir,  sauf  asseoir,  à  quelques  verbes  ir 
(courir,  tenir,  venir,  vêtir),  et  à  beaucoup  de  verbes  en  re, 
tels    que  boire,  connaître,    croître,  lire,    croire,    moudre. 

§  243.  —  En  principe  la  terminaison  u  doit  simplement 
s'ajouter  au  radical  du  verbe,  et,  pour  les  verbes  qui  ont 
double  radical,  au  radical  atone.  Ajoutez  u  au  radical  val 
de  valoir,  vous  avez  valu;  ajoutez  u  au  radical  atone  voul 
de  vouloir,  vous  avez  voulu,  etc.  Il  en  est  de  même,  sou- 
vent malgré  les  apparences,  pour  la  plupart  des  autres 
verbes. 


DU  VERBE.  H9 

1.  Verbes  en  «  oir  ». 

§  244.  —  Dans  savoir,  le  radical  atone  est  sav,  qui  cor- 
respond à  sap  latin.  Or,  devant  Vu  tonique  de  la  flexion, 
le  p  latin  doit  tomber  etl'a  se  changer  en  o,  puis  en  e.  De 
là  le  participe  passé  sou,  seii,  enfin  su  par  contraction. 
Ainsi,  dans  l'ancien  verbe  savoi?',  le  radical  spécial  auquel 
s'ajoute  Vu  du  participe  est  «so,  se  »  au  lieu  do  sav.  Aujour- 
d'hui la  flexion  u  s'est  substituée  à  la  voyelle  du  radical, 
et  le  mot  n'a  plus  qu'une  syllabe.  Le  participe  passé  du 
verbe  avoir  s'explique  de  la  même  manière;  nous  l'écri- 
vons eu,  au  lieu  de  u,  par  une  tradition  qui  remonte  au 
temps  OLi  on  prononçait  réellement  eu.  Il  a  été  aussi  oii. 
Recevoir,  devoir,  mouvoir,  pouvoir,  ont  fait,  pour  des  rai- 
sons analogues  :  deû,  poil  et  peu,  moïieimeû.  Dans  devoir 
et  mouvoir  il  y  a  eu  chute  de  la  labiale  du  radical  (è  et  v 
latins)  devant  la  flexion  u,  comme  dans  savoir.  Dans  pou- 
voir (anciennement  pooir,  pouoir),  le  participe  passé  n'a 
pas  pris  le  v  euphonique. 

§  245.  —  Le  cas  de  choir  et  de  voir  est  encore  plus 
simple.  Ces  deux  verbes  ont  été  cheoir  et  veoir,  formes 
auxquelles  correspondent  les  anciens  participes  passés 
ckeû  et  veii,  qui  sont  devenus  chu  et  vu  quand  les  infinitifs 
devenaient  choir  et  voir. 

2.  Verbes  en  «  re  ». 

§  246.  —  Dans  croire,  le  radical  atone  est  cre  (on  disait 
j<-idis  créons,  créant,  au  lieu  de  croyons,  croyant).  Si  l'on  y 
ajoute  la  flexion  u,  on  a  l'ancien  participe  passé  creii,  deve- 
nu cru  par  contraction.  Dans  boire,  le  radical  atone  est  bev 
(devenu  buv  dans  buvons,  buvez,  etc.  Voyez  §  172)  qui  dé- 
rive du  latin  bib;  la  labiale  latine  b  étant  tombée  devant 
I'm  de  flexion,  le  participe  passé  sera  beû,  aujourd'liui  bu. 


120  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

§  247.  —  Quant  aux  verbes  croître,  paraître,  connaître, 
et  autres,  ils  ont  fait  au  participe  passé  «  creû,  pareii,  con- 
neû  »  par  analogie  avec  les  nombreux  participes  en  eu  qui 
déiivent  directement  du  latin.  Ainsi,  dans  ces  verbes,  la 
voyelle  e  de  eu  a  été  substituée  à  la  voyelle  ou  diphtongue 
du  radical,  quelle  qu'elle  fût. 

§  248.  — Le  participe  vécu,  du  verhe  vivre,  est  tout  à  fait 
irrégulier.  Il  se  rattache  au  radical  spécial  que  l'on  trouve 
au  [u'étérit  de  ce  verbe  {vix),  radical  auquel  on  a  ajouté 
ïu  de  flexion  (Voyez  §335). 

Participes  en  s. 

§  249.  —  Des  verbes  latins  des  deux  conjugaisons  en 
ère  avaient  le  participe  passé  en  sum,  souvent  avec  modi- 
fication du  radical. 

§250.  —  Parmi  les  verbes  en  oir,  avoir  »  devrait  faire  au 
participe  passé  vis  (du  latin  visum)  ;  mais  cette  forme,  que 
l'on  trouve  dans  l'ancienne  langue  comme  substantif,  avec 
le  sens  de  visage,  et  d'où  vient  d'ailleurs  le  mot  visage, 
avait  été  remplacée,  dès  l'origine,  comme  participe  passé 
du  verbe  voir,  par  une  forme  analogique  en  ûtum,  d'où 
"ient  le  participe  veû,  vu. 

§  251.  —  Le  vieux  verbe  remanoir  fakâii  régulièrement 
au  participe  passé  remés  (remansum).  La  suppression  de 
Vn  et  le  changement  de  l'a  du  radical  en  e  s'expliquent  par 
les  lois  phonétiques. 

§  252.  —  Le  seul  verbe  actuel  en  air  qui  ait  le  participe 
passé  en  s,  est  seoir  (s'asseoM*)  qui  fait  :  sis  (assis).  Encore 
cette  forme  ne  dérive-t-elle  pas  directement  du  participe 
latin  {sessw7i);  elle  est  due  à  une  analogie  avec  d'autres 
participes  tels  que  occiswn  {d'occidere,  en  français  occire) 
qui  a  donné  occis  (anciennement  ocis).  C'est  à  la  même 
analogie,  et  aussi  à  l'inlluence  du  prétérit  de  l'indicatif^ 


DU   VERBE.  12t 

qu'on  doit  les  participes:  ynis  [admettre),  pris  [&&  prendre) , 
quis  (de  guerre  ou  quérir.  Voyez  §  223).  Les  participes 
passés  de  ces  verbes,  s'ils  étaient  venus  directement 
du  latin,  eussent  été  bien  différents;  au  lieu  de  mis  on 
aurait  mes,  forme  que  l'on  rencontre  en  vieux  français 
avec  la  valeur  d'un  substantif  et  le  sens  de  «  envoyé, 
messager  ». 

§  253.  —  Le  verbe  clore  a  un  participe  passé  en  s,  clos, 
qui  dérive  directement  du  latin.  Il  en  est  de  même  du  vieux 
verbe  ardre  (brûler),  qui  faisait  ars. 

§  254.  —  Enfin,  par  une  analogie  inverse  de  celle  que 
nous  avons  plusieurs  fois  signalée,  le  participe  latin  en 
ûtum  du  verbe  absolvere  [asoldre,  asoudre,  absoudre)  a  été 
remplacé  par  un  participe  en  s  :  français  asols,  asous, 
absous.  Le  féminin  devrait  être  ahsouse  ;  c'est  par  une 
influence  savante  (à  cause  du  t  d'absolutum),  ou  par  ana- 
logie avecles  participes  en  t,  qu'on  dit  :  absoute. 

Participes  exceptionnels  en  i  et  en  eit. 

§  255.  —  11  nous  reste  à  parler  des  quelques  verbes 
français  en  re  qui  ont  le  participe  passé  en  i. 

Suivre,  qu'on  trouve  aussi  sous  la  forme  asivlr,  suivir», 
a  le  participe  passé  qui  convenait  à  cette  seconde  forme. 

A\iire  et  Inire  n'avaient  pas  de  participe  passé  en  latin 
classique.  Pour  le  premier  on  trouve  au  moyen  âge  un 
participe  en  u  :  «  neû  ».  Tous  les  deux  ont  aujourd'hui  le 
participe  en  i  comme  des  verbes  en  ir.  En  réalité,  ces  par- 
ticipes sont  sans  flexion,  carl'i  qui  les  termine  fait  partie 
du  radical  du  verbe. 

On  en  peut  dire  autant  de  rire,  qui  fait  ri,  au  lieu  de  ris 
qu'appelleraient  le  latin  risu7n  et  l'analogie  avec  occis,  de 
occire. 

Suffire  devrait  avoir  au  participe  un  l  comme  confire  : 


122  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

((  suffit  ».  Ce  verbe  a  subi  aussi  une  fausse  assimilation 
avec  les  verbes  en  ir,  et  le  participe  passé  a  été  réduit  au 
radical  suffi. 

§  256.  —  On  trouve  dans  l'ancienne  langue  quelques 
participes  passés  en  eit  qui  ont  longtemps  embarrassé  les 
romanistes  :  colleit  à  côté  de  coilli,  du  verbe  coillir  (cueil- 
lir), chaeit  à  côté  de  chai'c,  du  verbe  chacir  (cheoir, 
choir),  etc.  Colleit  vient  directement  du  participe  latin 
colléctum  :  col  représente  le  préfixe  (c'est  le  préfixe  com 
de  comprendre,  avec  assimilation  de  Vm  à  la  première  con- 
sonne du  radical);  lei  est  le  radical,  et  t  la  flexion.  C'est 
donc  un  participe  ordinaire  en  t.  A  l'infinitif  de  ce  verbe, 
la  voyelle  du  radical  était  i,  et  non  ei  ;  et  cet  i  s'était  con- 
fondu avec  Vi  de  la  flexion  des  verbes  ir  (Voyez  ci-des- 
sus §  227).  Partout  ailleurs  la  voyelle  du  radical  était 
tombée,  par  exception  aux  lois  générales  de  phonétique, 
et  c'était  l'ancien  préfixe,  devenu  coil  et  cueil,  qui  jouait 
le  rôle  de  radical.  A  côté  de  ce  nouveau  radical,  Veit  du 
participe  colleit  ressemblait  à  une  flexion.  C'est  par  suite 
de  cette  ressemblance,  que  la  syllabe  eit  a  été  ajoutée 
comme  flexion  au  radical  d'autres  verbes,  tels  que  chaeir. 

Résumé. 

§  257.  —  En  résumé  :  1°  Verbes  français  en  re.  — 
Les  verbes  latins  correspondant  à  cette  terminaison  avaient 
le  participe  passé  en  tum  et  sum,  et  exceptiojmellement  en 
ûlum.  Cette  dernière  terminaison  (en  français  xi)  a  singu- 
lièrement empiété  sur  les  deux  autres.  Elle  s'applique  au- 
jourd'hui à  près  de  la  moitié  des  verbes  français  en  re. 
Parmi  les  autres,  la  plupart  ont  le  participe  en  t  (latin 
lum),  quelques-uns  en  s  (latin  sum)  ;  enfin  un  petit  nombre 
de  verbes,  dont  la  voyelle  radicale  est  i  et  précède  immé- 
diatement la  terminaison  re,  ont  été  confondus,  à  cause  de 


DU  VERBE.  123 

cette  voyelle,  avec  les  verbes  en  ir,  dont  ils  ne  diffèrent  à 
l'infinitif  que  par  l'e  muet  final,  et  ont  aujourd'hui  le  par- 
ticipe en  i. 

2"  Verbes  en  oir.  —  Ces  verbes,  sauf  asseoir,  ont  le  par- 
ticipe en  u,  qu'ils  doivent  à  une  assimilation. 

3°  Verbes  non  inchoatifs  en  ir  (participes  latins  en  itum, 
sum,  tum).  —  La  plupart  de  ces  verbes  ont  le  participe  en  i, 
conformcment  à  la  flexion  itum  du  latin.  Quelques-uns  ont 
la  flexion  ii,  si  commune  pour  les  verbes  en  re  et  en  oir. 

Ouvrir,  couvrir,  souffrir  et  offrir  ont  le  participe  en  t. 
Enfin  un  seul  de  ces  verbes  a  le  participe  en  s,  et  encore 
appartenait-il,  en  latin,  aune  autre  conjugaison;  c'est ^'t/e- 
rir  (et  ses  composés)  :  conquis. 

IV.  —  Présent  de  l'indicatif. 

Conjugaison  en  er. 

§  258.  —  Le  présent  de  l'indicatif  de  la  première  con- 
jugaison ofi^rait  en  latin  les  formes  suivantes  : 

pôrt-o  (je  porte) 

p(')rt-as  (tu  portes) 

pôrt-at  (il  porte) 

port-àmus  (nous  portons) 

port-âtis  (vous  portez) 

p6rt-aul  (ils  portent). 

§  259.  —  La  partie  invariable,  commune  à  toutes  les 
personnes,  est  port,  qui  a  persisté  en  français  sans  aucun 
changement.  Quant  aux  flexions,  d'après  les  lois  delà  pho- 
nétique, Vo  atone  de  la  première  personne  du  singulier  et 
l  i  atone  de  la  deuxième  personne  du  pluriel  doivent  tom- 
ber; l'a  atone  des  deuxième  et  troisième  personnes  du 
singulier  et  de  la  troisième  personne  du  pluriel  doit 
être  représenté  par  yin  e  muet;  les  consonnes  doivent 
persister  sans  modifications,  sauf  le  changement  de  t-s,  de 


124  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

la  deuxième  personne  du  pluriel,  en;:;  l'a  tonique  de  la 
deuxième  personne  du  pluriel  doit  se  changer  en  é  (en  ié 
dans  les  verbes  en  m\  §  221);  enfin  la  flexion  de  la  pre- 
mière personne  du  pluriel  doit  être  remplacée  parla  syllabe 
ons,  dont  nous  avons  expliqué  l'origine  (§220). 

§  260.  —  L'ancienne  conjugaison  de  ce  verbe  à  l'indi- 
catif présent  était  donc  en  français  :     » 

je  port 
lu  port-es 
il  port-et 
nous  port-ons 
vous  port-ez 
il  port-ent. 

Cette  conjugaison  n'a  subi  que  deux  modifications  : 
1°  le  l  final  de  la  troisième  personne  du  singulier  est  tombé 
de  très  bonne  heure;  2°  plus  tard  on  a  ajouté  un  e  muet  à 
la  première  personne  du  singulier,  pour  l'assimiler  aux 
deux  suivantes. 

Conjugaison  en  re,  oir,  ir. 

§  261.  —  Les  autres  conjugaisons  latines  avaient,  au 
même  temps,  les  formes  suivantes  : 

2«  CONJUGAISON  (ère).  4^  conjugaison  (ire). 

déb-eo  (je  dois)  dùrm-io  (je  dors) 

déb-es  (tu  dois)  durm-is  (lu  dors) 

déb-et  (il  doit)  dôrm-it  (il  dort) 

deb-[émus]  (nous  devons)  dorm-[imus]  (nous  dormons) 

deb-étis  (vous  devez)  dorm-itis        (vous  dormez) 

déb-ent  (ils  doivent)  dôrm-iunt      (ils  dorment). 

3«  CONJUGAISON  (J_ere). 

véud-o  (je  vends)  sàp-io  (je  sais) 

vénd-is  (tu  vends)  sâp-is  (tu  sais) 

véud-it  (il  vend)  sâp-it  (il  sait) 

vénd-inius  (nous  vendons)  s;ip-iuius  (nous  savons) 

vénd-itis  (vous  vendez)  sàp-itis  (vous  savez) 

vénd-uut  (ils  vendent)  sâp-iunt  (ils  savent). 


DU  VERBE.  125 

§  262.  —  Comme  on  le  voit  par  le  tableau  ci-dessus,  les 
trois  Conjugaisons  latines  dont  nous  nous  occupons  se  dis- 
tinguaient nettement  les  unes  des  autres  à  presque  toutes 
les  personnes  de  l'indicatif  présent.  Ces  différences  ont 
disparu  en  français,  surtout  parce  qu'elles  affectaient  prin- 
cipalement des  voyelles  atones,  qui  sont  tombées. 

§  263.  —  Ainsi  à  la  première  personne  du  singulier  la 
ilexion  est  constituée  uniquement  par  les  voyelles  atones 
0,  eo,  io,  qui  ont  disparu,  de  sorte  qu'en  principe  la  pre- 
mière personne  du  singulier  de  l'indicatif  présent  est 
constituée  en  français,  dans  les  verbes  en  re,  oir,  et  en  ir 
non  inchoatifs,  par  le  radical  tonique  sans  aucune  flexion  : 
je  part,  je  vend. 

§  264.  —  Toutefois  le  radical  peut  être  modifié,  sous 
différentes  influences,  à  cette  première  personne.  Nous 
avons  vu  ci-dessus  les  eff"ets  produits  dans  certains  verbes, 
dans  savoir  notamment,  par  l'e  ou  i  consonniûable  des 
flexions  eo,  io.  Dans  d'autres  verbes,  la  consonne  finale 
du  radical  a  pu  subir  une  mutation  spéciale,  parce  que, 
faute  de  flexion,  elle  se  trouvait  terminer  le  mot;  elle  a  pu 
même  tomber  complètement.  Ainsi  le  radical  tonique  de 
recevoir  esireçoiv (ils  reçoive;?^,  etc.)  ;  il  devient  reçoif  à  la 
première  personne  de  l'indicatif  présent. 

§  265.  —  C'est  à  une  époque  relativement  récente  qu'on 
a  assimilé  la  première  personne  à  la  seconde  dans  tous  les 
verbes,  et  qu'on  a  écrit  :  je  parts,  je  vends,  je  reçois,  je 
dois,  etc. 

§  266.  —  Dans  les  flexions  latines  «  es,  is,  et,  it  »,  les 
voyelles  atones,  e,  i,  doivent  disparaître.  Ces  flexions  se 
réduisent  donc  uniformément  à  s  pour  la  seconde  personne 
du  singulier,  «pour  la  troisième  personne.  L's  et  le  t  s'ajou- 
tent au  radical  tonique  des  verbes,  quelquefois  légèrement 
moditié  par  euphonie.  Ainsi  les  labiales  qui  terminent  les 


126  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

radicaux  toniques  doiv  (de  devoir),  rform  (de  dormir),  sév 
(de  savoir),  disparaissent  devant  les  consonnes  de  flexion  : 
tu  dois  efil  doit,  tu  do7's  et  il  do7H,  tu  ses  (sais)  et  il  sét  (sait). 
D'autre  part,  quand  la  consonne  finale  du  radical  est  un  d 
ou  un  t,  elle  forme  un  z  avec  Ys  de  la  deuxième  personne, 
et  elle  se  confond  avec  le  t  de  la  troisième.  Le  radical  de 
vendre  étant  «  vend  »,  et  celui  de  partir  étant  «  pai^t  »,  on 
a  :  «  tu  venz  (puis  tu  vens),  tu  parz  (puis  tu  pars),  il  vent, 
il  part  ».  L'orthographe  «  tu  vends,  il  vend  »  est  récente. 

§  267.  —  Si  les  règles  ordinaires  de  la  phonétique  ex- 
pliquent fort  bien  la  fusion  des  deuxième,  troisième  et 
quatrième  conjugaisons  latines  en  une  seule,  au  singulier 
de  l'indicatif  présent,  il  n'en  est  pas  de  même  au  pluriel. 

Pour  le  pluriel,  c'est  l'analogie  qui  aura  le  rôle  prépon- 
dérant. 

Si  nous  prenons  d'abord  la  première  personne  du  pluriel, 
il  faut  remarquer  que  l'accent  est  sur  la  flexion  dans 
deb-[émus]  et  dans  do7i7î-[imus],  et  sur  le  radical  dans 
vénd-imus  et  sâp-imus.  Nous  avons  mis  les  flexions  accen- 
tuées entre  crochets,  pour  indiquer  que  les  formes  fran- 
çaises ne  viennent  pas  des  formes  latines  correspondantes. 
Nous  savons  déjà  que  la  flexion  uniforme  «  ons  »  a  été 
substituée  aux  difl'ércntes  flexions  accentuée  ^  de  la  pre- 
mière personne  du  pluriel  (§  220). 

Mais  pour  les  verbes  de  la  troisième  conjugaison  latine 
(véndimus,  skpijniis),  l'accent  tonique  restant  sur  le  radi- 
cal, au  lieu  de  passer  sur  la  flexion,  nous  devrions  avoir 
en  français  des  formes  accentuées  sur  le  radical,  telles  que  : 
«  nous  venmes,  nous  sames  ».  De  môme,  et  pour  la  môme 
raison,  nous  devrions  avoir  à  la  deuxième  personne  du 
pluriel  :  «  vous  ventes,  vous  sates  ».  Une  assimilation  très 
ancienne  a  supprimé  ces  formes,  et  on  a  dit  :  «  nous  ven- 
dons, nous  savons,  vous  vendez,  vous  savez  »  par  analogie 


DU  VERBE.  127 

a\'«c  «  nous  devons,  nous  dormons,  vous  devez,  vous  dor- 
mez ».  Seuls  les  verbes  dire  Qi  faire  ont  encore  l'accent 
sur  le  radical  à  la  seconde  personne  du  pluriel  :  vous  faites, 
vous  dites. 

§  268.  —  La  flexion  ez  appelle  une  explication.  Elle  est 
identique  à  la  flexion  correspondante  des  verbes  en  er 
(vous  portez).  Et  cependant  les  flexions  latines  étaient  fort 
difîérentes  :  àtis  (première  conjugaison),  étis  (deuxième 
conjugaison),  itis  (quatrième  conjugaison).  Seul  «  âtis  »  a 
pu  produire  «  ez  » .  Etis  n'a  pu  donner  que  eiz,  plus  tard 
oiz,  et  itis  :  iz.  Certains  dialectes  de  l'Est  ont  en  effet  con- 
servé trois  flexions  différentes  pour  les  trois  conjugaisons. 
Ailleurs  elles  ont  été  réduites  à  deux  :  eiz  et  ez.  La  pre- 
mière appartenait  en  propre  aux  verbes  dont  l'infinitif 
était  en  eir  (oir);  auo?r  étant  un  de  ces  verbes,  et  l'indicatif 
présent  à'avoir  servant  à  former  le  futur,  le  futur  de  tous 
les  verbes  avait  aussi  la  seconde  personne  du  pluriel  en 
eiz.  Mais  l'assimilation  s'est  complétée  assez  vite  et  elle  a 
abouti  à  une  deuxième  personne  du  pluriel  terminée  uni- 
formément en  ez  dans  tous  les  verbes. 

§  269.  —  A  la  troisième  personne  du  pluriel  [à^hent, 
àovmiunt,  vendwn^,  sapmnf)  nous  avons  partout  des 
voyelles  atones  (e,  iu,  u),  qui,  placées  devant  deux  con- 
sonnes (nt),  ne  doivent  pas  tomber  complètement.  Elles 
sont  représentées  dans  les  formes  françaises  par  un  e  muet 
(doivent,  dorment,  vendent,  sévent).  On  remarquera  qu'il 
n'y  a  pas  de  différence,  pour  cette  personne,  entre  les  ver- 
be=;  français  en  re,  oir,  ir,  et  ceux  en  er. 

!^  270.  —  Quand  la  voyelle  du  radical  latin  était  un  a, 
et  n'était  séparée  de  la  lermiruiisou  imt  que  par  ime  con- 
sonne destinée  à  tomber  devant  elle  (e,  b,  d),  cet  a  a  formé 
la  diphtongue  au  avec  I'm  de  la  terminaison,  et  cette 
dii)lilongue  s'est  changée  en   o  comme  dans  un  graml 


128  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

nombre  d'autres  mots.  Ainsi  vadere  (d'où  vient  l'indicatif 
présent  de  notre  verbe  a//e?^)  faisait  à  la  troisième  personne 
du  pluriel  de  l'indicatif  présent  :  va{d)unt,  qui  est  devenu 
V07U.  De  même  *  habunt  (forme  populaire  au  lieu  du  classi- 
que habent)  a  donné  ont,  et  *  facunt  (au  lieu  du  classique 
faciunt)  a  donné  font. 

Conjugaison  inchoative 

§  271.  —  On  peut  prendre  comme  type  de  la  conjugai- 
son inchoative  le  verbe  gemiscere,  dont  les  formes  étaient, 
à  l'indicatif  présent  : 

gemisco,  en  français  je  gérais 
gemiscis         —  tu  gémis 

gemiscit         —  il  gémist,  gémit 

gem[isc-imus] —  nous  gémissons 

gemfiscitis]     —  vous  gémissez 

gemiscunt      —  ils  gémissent. 

§  272.  —  Les  explications  que  nous  avons  données  pour 
les  verbes  latins  en  ère  nous  dispensent  d'entrer  dans  de 
longs  détails  à  propos  de  la  conjugaison  inchoative.  Le  c 
latin  disparaît  à  toutes  les  personnes.  La  première  per- 
sonne française  s'est  terminée  dès  l'origine  par  une  s,  qui 
est,  comme  on  le  voit,  étymologique  :  gemisco.  L'accent 
tonique  latin  restant  sur  la  même  syllabe  à  toutes  les  per- 
sonnes, on  devrait  avoir,  en  français,  aux  deux  premières 
personnes  du  pluriel  :  nous  gémismes,  vous  gémistes.  Ces 
formes  ont  été  modifiées  par  l'analogie,  comme  celles  du 
verbe  vendre  et  autres  semblables  (§  267). 

V.  —  Présent  du  subjonctif. 

Conjugaison  en  er. 

§  273.  —  Le  présent  du  subjonctif  des  verbes  latins  en 
are  se  conjuguait  comme  suit  : 


DU  VERBE.  429 

pôrt-em  (que  je  porte) 

p6rt-es  (que  tu  portes) 

pùrt-et  (qu'il  porte) 

port-émus  (que  nous  portions) 

port-étis  (que  vous  portiez) 

pôrt-ent  (qu'ils  portent).  ' 

§  274.  —  D'après  les  lois  générales  et  particulières  de 
la  phonétique,  la  flexion  de  la  première  personne  du  sin- 
gulier devait  tomber  entièrement,  et  il  ne  devait  rester  que 
l's  pour  la  deuxième  et  le  t  pour  la  troisième  (le  t,  dans  le 
cas  du  verbe  porter,  devait  se  confondre  avec  le  t  final  du 
radical).  Le  subjonctif  du  verbe  porter  devrait  donc  être 
au  singulier  :  «  que  je  port,  que  tu  porz  (ports),  qu'il  port. 
Mais  de  bonne  heure,  le  subjonctif  de  la  conjugaison  en 
are  a  été  assimilé  à  celui  des  autres  conjugaisons  (voyez 
§  276  et  suivants),  et  il  en  est  résulté  que,  pour  les  verbes 
en  er,  le  singulier  du  subjonctif  présent  et  le  singulier  de 
l'indicatif  présent  se  sont  trouvés  identiques  :  port-e, 
port-es,  port-e. 

Aux  deux  premières  personnes  du  pluriel,  on  a  substi- 
tué aux  flexions  étym9logiques  {eins  qu'aurait  donné 
émus,  eiz  de  étis)  les  terminaisons  ans,  ez,  et  plus  tard  i072S 
et  iez,  qu'on  empruntait  aux  verbes  des  autres  conjugaisons 
latines  (Voyez  ci-dessous  §  279).  Quant  à  la  troisième 
personne  du  pluriel,  le  latin  portent  a  donné  régulière- 
ment le  français  portent,  sans  le  secours  d'aucune  assi- 
milation. 

§  275.  —  Parmi  les  exemples  anciens  des  formes  éty- 
mologiques du  subjonctif  présent  dans  la  conjugaison  en 
er,  nous  signalerons  notamment  des  troisièmes  personnes 
du  singulier  en^,  sans  e  muet  :  culzt  du  verbe  cu/c/w'er (cou- 
cher), demeint  du  verbe  démener,  dans  la  Glianson  de  Ro- 
land. Jusqu'au  xvii°  siècle  on  a  dit  :  Dieu  vous  gart! 


130  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS, 

Conjugaison  en  re,  oir,  ir. 

§  276.  —  Dans  les  autres  conjugaisons  latines,  le  sub- 
jonctif présent  offrait  les  formes  suivantes  : 

2®  CONJUGAISON  (ère). 

respônd-eam  (que  je  réponde) 

respônd-eas  (que  lu  répondes) 

resp6nd-eat  (qu'il  réponde) 

respond-eâmus  (que  nous  répondions) 

respond-eâtis  (que  vous  répondiez) 

respùnd-eant  (qu'ils  répondent). 

3^  CONJUGAISON  (_L  ère). 

vénd-am  (que  je  vende) 

vénd-as  (que  tu  vendes) 

vénd-at  (qa'il  vende) 

vend-âmus  (que  nous  vendions) 

vend-âtis  (que  vous  vendiez) 

vénd-aiit  (qu'ils  vendent) 

recip-iam      (que  je  reçoive) 
recip-ias        (que  tu  reçoives) 
recip-iat        (qu'il  reçoive) 
recip-iâmus  (que  nous  recevions); 
recip-iâtis      (que  vous  receviez) 
recip-iant      (qu'ils  reçoivent). 

4"  CONJUGAISON  (ire). 

pârt-iam  (que  je  parte) 

pârt-ias  (que  tu  parles) 

pârt-iat  (qu'il  parte) 

parl-iâmus  (que  nous  partions) 

part-idtis  (que  vous  partiez) 

pàrt-iaut  (qu'ils  partent). 

§  277.  — Sur  ces  quatre  types  de  flexions,  deux  étaient 
identiques  dans  le  latin  classique  (parliam,  recipiam), 
et  un  troisième  (respondeam)  s'était  identifié  aux  deux 
premiers  dans  le  latin  populaire,  l'e  placé  devant  une 


DU  VERBE.  131 

voyelle  s'étant  changé  en  i  :  respondeam  =  respondmw. 
Nous  choisirons  donc  l'un  de  ces  trois  types,  partiam,  et 
tout  ce  que  nous  dirons  de  partiam  s'appliquera  à  res- 
pondeam  et  à  recipiam. 

§  278.  —  Si  l'on  compare  partiam  à  vendam  on  verra 
que,  au  point  de  vue  de  la  flexion,  ces  deux  subjonctifs 
ne  difl'èrent  que  par  une  lettre,  Vide  paitiajn,  qui  est  un  /' 
atone,  et  qui  doit  tomber,  sauf  certaines  réserves  limitées 
à  des  verbes  déterminés  (voyez  §  177  et  suivants).  Donc, 
en  principe,  les  flexions  iam  de  partiam  et  amde  vendam 
doivent  produire  la  même  flexion  française,  un  e  muet.  11 
suffît  d'ajouter  une  au  radical  du  verbe,  pour  avoir  la  pre- 
mière personne  du  singulier  du  subjonctif  présent  :  «  que 
je  part-e,que  je  vend-e.  »  De  même,  à  la  deuxième  et  à  la 
troisième  personne  du  singulier,  ias  et  as  produiront  es 
français,  iat  et  at  :  et  (par  un  e  muet),  puis  e.  Enfin  à  la 
troisième  personne  du  pluriel  iant  et  ant  donneront  eut. 

§  279.  —  Aux  deux  premières  personnes  du  pluriel,  Vi 
atone  se  trouve  avant  la  voyelle  tonique  de  «  part-iâmus, 
part-iâtis  »  et  précède  immédiatement  cette  voyelle.  Or, 
d'après  les  lois  phonétiques,  Vi  atone  doit  exercer  une  in- 
fluence sur  l'a  tonique  qui  suit.  En  règle  générale,  l'a  toni- 
que suivi  d'une  m  se  change  en  ai,  et  non  suivi  d'une  m  il 
se  change  en  é  ;  mais  par  exception,  dans  les  deux  cas, 
quand  il  est  précédé  d'un  i,  il  se  change  en  ié. 

Ainsi  : 

venddmus  devait  produire  vendnins 

vcnddtis  —  vendez 

partiâmus  —  partiens 

partidtis  —  partiez. 

On  a  substitué  aux  flexions  «  ains,  iens  »,  de  la  première 
personne,  la  terminaison  uniforme  ons,  tjui  tendait  à  s'in- 
troduire partout;  mais  on  a  respecté  l'i  de  «  partieus  »,  si 


132  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

bien  que  vendains  (forme  théorique)  est  devenu  vendons,  et 
partiens  (forme  dont  on  a  de  nombreux  exemples)  est  de- 
venu partions.  On  a  donc,  d'un  côté,  «  vendons,  vendez  », 
comme  à  l'indicatif  présent,  et  d'un  autre  côté  «  partions, 
partiez  ».  C'est  ainsi  du  moins  que  l'on  peut  expliquer  les 
premières  et  deuxièmes  personnes  du  subjonctif  en  ans,  ez, 
que  l'on  trouve  dans  les  anciens  textes  au  lieu  de  ions, 
iez.  De  très  bonne  heure  il  y  a  eu  assimilation,  dans  les 
deux  sens,  et  on  a  dit  :  vendions,  vendiez,  et  partons, 
partez  ;  mais  ce  sont  les  flexions  ions  et  iez  qui  l'ont 
emporté. 

Les  flexions  subjonctives  des  deuxième,  troisième  et 
quatrième  conjugaisons  latines  se  sont  donc  confondues, 
et  nous  avons  vu  qu'elles  ont  été  aussi  introduites  dans 
les  verbes  dérivés  de  la  première  conjugaison. 

VI.  —  Imparfait  de  l'indicatif. 

§  280.  —  Les  verbes  latins  avaient  l'imparfait  en  àbam, 
ébam  ou  iebam.  Mais  les  imparfaits  en  iébam  ont  été  traités 
comme  ceux  en  ébam,  sous  réserve  de  l'action  de  Vi  sur  le 
radical  (§  190),  ou  bien  ces  imparfaits  s'étaient  contractés 
en  îbam.  Les  trois  terminaisons  du  latin  étaient  donc  :  àbam 
(verbes  en  are),  ébam  (verbes  en  ère  et  en  _Lere),  îbam 
(verbes  en  /re).  Elles  ont  produit  des  imparfaits  en  éve, 
oie,  ive.  On  trouve  aussi  une  flexion  oe,  qui  correspond, 
comme  éve,  à  àbam. 

Imparfaits  en  éve  et  en  oe. 

§  281.  —  Le  verbe  latin  cantare  (chanter)  faisait  à  l'im- 
parfait ; 

cantâbam  (je  chantais) 
cuntdbas  (tu  chantais) 
cantdbat        (il  chantait) 


DU  VERBE.  133 

cantabdmus    (nous  chantions) 
cantabdtis      (vous  chantiez) 
cantàbant       (ils  chantaient). 

§  282.  —  D'après  les  lois  de  la  phonétique,  ïa  toni- 
que latin  doit  se  changer  en  é,  Va  atone  de  la  flexion 
doit  être  représenté  par  un  e  muet,  et  le  b  qui  suit 
la  tonique  doit  se  changer  en  v  entre  les  deux  voyelles 
(comparez  faham  qui  donne  fève).  Les  formes  françaises 
doivent  donc  être  :  je  chantéve,  tu  chantéves,  il  chantévet, 
chantéve,  il(s)  chantévent.  Aux  deux  premières  personnes 
du  pluriel,  le  b,  placé  avant  la  tonique,  est  tombé  ;  l'e  muet 
produit  par  Va  atone  du  milieu  du  mot  s'est  trouvé  dès 
lors  en  hiatus  devant  la  tonique,  et  s'est  changé  en  i.  Can- 
tabdmus est  donc  devenu  chantiens  (d'abord  en  trois  syl- 
labes) et  cantabdtis  :  chantiez.  Puis,  à  la  première  personne 
du  pluriel,  on  a  remplacé  ens  par  la  terminaison  habi- 
tuelle ons,  d'oii  :  chantions.  L'imparrait  dérivé  de  la  pre- 
mière conjugaison  latine  devrait  donc  être  : 

SINGULIER.  PLURIEL. 

chantéve  chantiens,  chantions 

chantéves  chantiez 

chantévet,  chantéve         chantévent. 

§  283.  —  De  ces  anciennes  formes,  le  français  n'a  que 
les  deux  premières  personnes  du  pluriel,  dont  les  flexions, 
comme  nous  allons  le  voir,  sont  communes  à  toutes  les  con- 
jugaisons. L'imparfait  en  éve  a  existé  et  s'est  conservé 
dans  certains  patois,  mais  le  français  proprement  dit  a  rem- 
placé les  flexions  issues  de  âbam,  par  celles  qui  dérivaient 
de  ébam  (§  285;. 

§  283  bis.  —  On  trouve  aussi,  pour  ces  mêmes  verbes, 
particuhèremcnt  dans  la  région  nord-ouest  de  la  France, 
les  flexions  suivantes,  où  l'a  tonique  s'est  changé  en  o 
Clédat,  8 


134  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

SOUS  l'influence   de  la  consonne  labiale  posttonique   h. 


SINGUUER. 

chantoe 
chanloes 
chantûut,  chantot 


PLURIEL. 

chantions 

chantiez 

chantoent. 


Imparfaits  en  oie. 
§  284.  —  Vendere  (vendre)  faisait  à  l'imparfait  : 


vendébam 

vendébas 

vendébat 

vendebâmus 

vendebâtis 

vendébant 


(je  vendais) 
(tu  vendais) 
(il  vendait) 
(nous  vendions) 
(vous  vendiez) 
(ils  vendaient). 


§  285.  —  Ici  le  b  est  tombé  à  toutes  les  personnes,  Ye 
tonique  s'est  changé  régulièrement  en  ei,  puis  oi,  et  Ve 
muet  produit  par  l'a  atone  est  tombé  de  bonne  heure  à  la 
troisième  personne  du  singulier.  Enfin  aux  deux  premières 
personnes  du  pluriel,  on  a  les  flexions  iens  (puis  ions)  et 
iez,  que  nous  avons  déjà  trouvées  dans  les  imparfaits  en  éve 
et  en  oe.  Soit  qu'on  les  tire  directement  de  ebâmus,  ebâtis, 
soit  qu'on  les  rattache  par  l'analogie  aux  verbes  des  con- 
jugaisons en  are  ou  ire,  ces  flexions  du  pluriel  présentent 
des  modifications  phonétiques  exceptionnelles. 

Les  formes  françaises  dérivées  de  l'imparfait  latin  en 
ébam,  sont  donc  : 


SINGULIER. 

vendeie,  vendoie 
vendeies,  vendoies 
vendeit,  vendoit 


PLURIEL. 

vendiens,  vendions 

vendiez 

vendeient,  vendoient. 


§  286.  —  Plus  tard,  l'e  muet  issu  de  l'a  atone  latin  est 
tombé  successivement  à  la  deuxième  et  à  la  première  per- 


DU  VERBE.  133 

sonne  du  singulier  :  vendais,  vendoi.  Puis  la  première  per- 
sonne a  pris  une  s  finale  par  analogie  avec  la  seconde. 
Enfin  oi  s'est  partout  changé  en  ai. 

Imparfaits  en  ive. 

§  287.  —  L'imparfait  contracte  du  verbe  latin  dormire 
(dormir)  était  : 

dormîbam  (je  dormais) 

dormibas  (tu  dormais) 

dormibat  (il  dormait) 

dormibdmus  (nous  dormions) 

dormibdtis  (vous  dormiez) 

donnibant  (ils  dormaient). 

§  288.  —  Les  formes  françaises  correspondantes  doivent 
être  : 

SINGULIER.  PLURIEL. 

dormive  dormions,  dormions 

dormives  dormiez 

dormivet,  dormive  dormivent. 

§289.  —  Ces  flexions  existent  encore  dans  certains 
patois.  Mais  le  dialecte  de  l'Ile-de-France  les  a  remplacées 
dès  l'origine  par  les  flexions  dérivées  de  l'imparfait  en 
ébam,  qui  sont  ainsi  devenues  communes  à  tous  les  verbes 
français. 

VII.  —  Futur  et  conditionneL 

Formation  du  futur  et  du  conditionnel. 

§  290.  —  Les  Latins  n'avaient  pas  de  temps  spécial 
pour  exprimer  l'idée  du  conditionnel  ;  ils  se  servaient  gé- 
néralement, à  ceteflet,  du  subjonctif.  Quant  au  futur  latin, 
il  n'a  point  passé  en  français.  Il  avait  été  remplacé  dans  le 
latin  populaire  par  une  péri[)lir.ic('  formée  de  l'infinitif  du 
verbe  et  de  l'indicatif  présent  de  l'auxiliaire  haùco  (j'ai). 


136  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

On  disait  :  cantate  habeo,  mot-à-mot  en  français  chan- 
ter ai,  c'est-à-dire  fai  à  chanter.  Puis,  de  très  bonne 
heure,  dès  le  latin  populaire,  l'auxiliaire  s'est  soudé  à 
l'infinitif  du  verbe,  et  on  a  dit  :  cantaràbeo,  d'où  le  fran- 
çais chanterai. 

§  291.  —  Le  futur  français  se  compose  donc  de  l'infini- 
tif du  verbe,  plus  ou  moins  modifié,  et  soudé  à  l'indicatif 
présent  de  l'auxiliaire  avoir  : 

chanter-ai 

chanter-as 

chanter-a 

chanter- ons 

chanter-ez 

chanter-ont. 

Comme  on  le  voiL,  aux  deux  premières  personnes  du 
pluriel,  le  radical  de  l'auxiliaire  est  supprimé  .•  Oîis  au  lieu 
de  avons,  ez  au  lieu  de  avez. 

^  292.  —Le  conditionnel  est  formé  de  même  avec  l'im- 
parfait du  même  auxiliaire,  ou  du  moins  avec  les  désinence? 
de  cet  imparfait  :  chanterais,  chanlera«s,  chanterais,  etc. 
Le  sens  primitif  de  «  je  chanterais  »  est  donc  :  «  j'avais  à 
chanter,  je  devais  chanter  ».  C'est  encore  la  valeur  du  con- 
ditionnel dans  les  locutions  telles  que  :  «  je  savais  qu'il  chan- 
terait »,  c'est-à-dire  «je  savais  qu'il  devait  chanter  ». 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'examiner  comment  les  diffé- 
rentes significations  de  notre  conditionnel  sont  sorties  de 
cette  valeur  première  ^ 

§  293.  — Le  futur  a  donc  les  désinences  de  l'indicatif  pré- 
sent du  verbe  avoir,  et  le  conditionnel  celles  de  l'imparfait. 
Ces  désinences  ont  été  suffisamment  exphquées  ci-dessus. 
Mais  il  nous  reste  à  signaler  les  modifications  que  peut  su- 

1.  Voyez  sur  ce  point  VAnnuaii'e  de  ta  Faculté  des  Lettres  de  Lyon, 
vol.  1,  fascicalo  2,  payes  77  et  suiv. 


DU   VERBE.  137 

liir  l'infinilif  dans  la  formation  du  fiiiur  et  du  conditionnel. 
§  294.  —  L'a  tonique  de  canikre  est  représenté  en  fran- 
çais par  l'e  fermé  déchanter.  Mais  dans  cmî^amAeo,  ce  même 
a  devient  atone,  et  comme  il  n'est  pas  à  la  première  syllabe 
du  mot,  il  doit  se  transformer  en  e  muet,  conformément  aux 
lois  que  nous  avons  données  (§  15,  i").  Dans  la  formation 
du  futur  de  la  première  conjugaison,  Vé  de  l'infinitif  devient 
onc  muet  :  chanter  (prononcé  chanté),  mais  chanterai. 
§  294  bis.  —  Les  te.Ues  du  moyen  âge  offrent  souvent, 
pour  la   première  conjugaison,  des   exemples  de  futurs 
contractes,  oh  l'e  muet  est  supprimé  :  donraiei  même  dor- 
rai  (par  assimilation  de  Vn  à  l'r)  pour  donnerai,  menrai  et 
merrai  pour  mènerai,  lairrai  pour  laisserai.  Nous  avons 
encore  une  contraction  semblable  dans  :  enven-ai. 

295.  —  L'e  tonique  des  verbes  latins  en  e're  est  de- 
venu oi  en  français  :  debére  =  devoir.  Ce  même  e,  étant 
atone  dans  deberâbeo,  doit  tomber  ;  et  en  effet  on  n'en 
trouve  pas  trace  dans  devrai.  De  la  terminaison  oir  de 
l'inlinitif,  il  ne  reste  donc  au  futur  que  la  consonne  r.  Avoir 
devrait  faire  et  a  fait  «  avrai  »,  qui  est  devenu  aurai  par  le 
changement  du  v  en  u,  comme  dans  saurai  de  savoir.  On 
trouve  quelquefois  les  formes  euphoniques  deverai,  avérai. 

§  296.  —  Les  verbes  en  rc  changent  au  futur  l'e  final 
Je  rintinitif  en  ai.  On  a  seulement  quelques  exemples 
de  formes  toiles  que  prenderai,  metterai,  perderai,  ven- 
derai,  avec  un  e  euphonique  (ou,  peut  être,  amené  par 
l'analogie  avec  les  futurs  de  la  première  conjugaison). 

§  297.  —  Quant  aux  verbes  en  ir,  Vi  de  l'infinitif  doit 
régulièrement  tomber  au  futur,  car  l'i  de  audire  (français  : 
ouir)  est  atone  dans  audiràbeo,  et  doit  disparaître  pour  la 
même  raison  que  l'e  de  haberkbeo,  en  français  aurai.  Le 
futur  de  ouir  est  donc  orrai.  De  même  courir  fait  courrai, 
mourir  :  mourrai,  venir  :  vendrai,  tenir  :  tendrai.  Ces  deux 


138  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

derniers  futurs,  où  l'on  remarque  le  d  euphonique  que 
nous  avons  déjà  signalé  §  215,  ont  subi  une  légère  modi- 
fication :  on  a  substitué  a  Ve  de  vendrai,  tendrai,  la  diphton- 
gue ie  du  singuUer  de  l'indicatif  (Voy.  §  302). 

§  298.  —  Mais  dans  un  certain  nombre  de  verbes  en 
tV,  comme  mentir,  dormir,  souffrir  couvrir,  Vi  de  l'infinitif, 
devenu  atone  au  futur,  n'a  pas  pu  tomber  complète- 
ment, à  cause  des  groupes  de  consonnes,  dont  la  pronon- 
ciation ofl'rait  difficulté.  Dans  ce  cas,  d'après  Ja  règle  gé- 
nérale, Yi  devrait  être  remplacé  par  un  e  muet,  et  on  aurait 
alors  :  menterai,  donnerai.  Mais,  sous  l'influence  de  l'infi- 
nitif, Vi  latin  s'est  maintenu,  et  nous  disons  :  dormirai, 
souffrirai,  etc. 

§  299.  —  Enfin,  même  en  dehors  de  la  protection  des 
groupes  de  consonnes,  Vi  de  l'infinitif  de  tous  les  verbes 
inchoatifs  se  maintient  au  futur,  vraisemblablement  parce 
que  ces  verbes  ont  un  i  à  toutes  les  personnes  de  tous 
les  autres  temps. 

Redoublement  de  Vr. 

§  300.  ^  Certains  futurs  et  conditionnels  se  terminent 
en  rrai,  vrais,  au  lieu  de  rai,  rais.  Les  infinitifs  courir  et 
mourir  ayant  deux  r,  il  est  naturel  de  les  retrouver  au 
futur  :  courrai,  7nourrai.  Mais  les  deux  r  de  verrai,  cherrai 
(de  choi)'),  pourrai,  demandent  une  autre  explication.  Les 
infinitifs  de  ces  verbes  ont  été  successivement  vedeir, 
vceir,  veoir,  voir,  —  chadeir,  chaeir,  cheoir,  choir  —  po~ 
deir,  poeir,  pooir,  pouoir,  pouvoir.  Le  d  des  formes  les 
plus  anciennes  dérive  du  ^  ou  du  c?  des  mots  latins  cadere, 
videre,  *  potere,  et  se  trouvait  aussi  dans  les  formes 
les  plus  anciennes  du  futur.  Le  futur  primitif  de  ces 
verbes  était  en  drai;  puis  la  première  consonne  s'est  assi- 
milée à  la  seconde,  phénomène  fréquent  dans  la  phoné- 


DU  VERBE.  130 

tique  de  toutes  les  langues,  et  les  futurs  en  drai  sont  deve- 
nus des  futurs  en  rrai.  Ajoutez  orrai,  de  ouir  (jadis  odir). 

§  301.  —  Il  y  a  dans  la  langue  des  futurs  en  drai  qui  ne 
sont  pas  devenus  en  rrai,  parce  que  cette  terminaison  élait 
précédée  d'une  consonne  (perdrai,  fa/drai,  vo/drai),  cir- 
constance qui  a  protégé  le  d,  même  après  que  la  consonne 
précédente  a  été  vocalisée  et  a  disparu,  comme  dans  fau- 
drai,  voudrai. 

Pour  le  futur  de  vouloir  on  trouve  aussi  la  forme  vour- 
rai,  qui  s'explique  par  l'assimilation  de  la  consonne  finale 
du  radical  {voul)  à  Vr  de  la  flexion  {rai),  tandis  que  dans 
voudrai  il  y  a  eu  intercalation  d'un  d  euphonique  entre 
les  deux  consonnes  (Voy.  §  213  et  214). 

Substitution  exceptionnelle,  au  futur  et  au  conditionnel, 
du  radical  tonique  au  radical  atone. 

§  302.  —  Au  futur  et  au  conditionnel,  on  devrait  tou- 
jours avoir  la  voyelle  du  radical  atone.  (Pour  la  défini- 
tion du  radical  atone,  voyez  §  169  et  suivants.)  Mais 
dans  quelques  verbes  on  a  substitué  à  cette  voyelle  la 
voyelle  ou  la  diphtongue  du  radical  tonique  ;  on  dit  ^ien- 
drai,  viendrai  au  lieu  de  tendrai,  vendrai  (qui  se  confon- 
daientaveclesfuturs  des  xerhQ^vendre,  tendre),  boirai  (sous 
l'influence  de  l'intinitif  6o<re),  au  lieu  de  l'ancien  bevrai. 
L'ancien  futur  de  asseoir  était  jasserrai;  on  dit  aujour- 
d'hui :  j'assoirai  ou  Rassiérai,  avec  l'un  ou  l'autre  des  ra- 
dicaux toniques  entre  lesquels  on  hésite  pour  la  conju- 
gaison de  ce  verbe  (Voyez  ci-dessus  §  174j. 

VIII.  —  Impératif. 

§  303.  —  L'impératif  latin  n'avait  que  deux  personnes, 

la  deuxième  du    singulier    et  la   deuxième  du    pluriel. 

Notre  impératif  singulier  dérive  de  l'impératif  singulier 


140  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

latin,  excepté  dans  les  verbes  avoir,  être,  savoir,  vouloir, 
où  il  est  tiré  du  subjonctif. 

§  304.  —  Or  l'impératif  latin  était  en  a  pour  la  conju- 
gaison en  are,  et  en  e  ou  en  i  pour  les  autres  :  cdnta,  réddc, 
senti.  Les  voyelles  atones  tombant,  excepté  l'a  qui  doit 
être  représenté  par  un  e  muet,  il  en  résulte  que  l'impé- 
ratif de  la  première  conjugaison  française  (qui  correspond 
à  la  conjugaison  latine  en  are)  se  terminera  par  un  e  muet 
{chante)  et  que  l'impératif  des  autres  verbes  se  réduira  au 
radical  sans  flexion.  Nous  écrivons  aujourd'hui  «  rends, 
sens  »,  c'est-à-dire  que  nous  ajoutons  une  s  au  radical  (quel- 
quefois avec  suppression  de  la  consonne  finale,  comme 
dans  sens,  pars).  Cette  s  est  mise  là  par  analogie  avec  les 
secondes  personnes  des  autres  temps  ;  mais  on  ne  la  trou- 
vait pas  dans  l'ancienne  langue,  pas  plus  qu'en  latin  ;  on 
disait  et  on  écrivait  :  i^end  (ou  re/i/),  sent,  part. 

§  305.  —  Les  verbes  inchoatifs  ont  l'impératif  en  is,  ter- 
minaison dérivée  régulièrement  du  latin  isce. 

§  306.  —  En  dehors  de  la  première  conjugaison,  on 
trouve  l'impératif  en  e  muet  lorsque  le  radical  du  verbe 
se  termine  par  des  consonnes  appelant  une  voyelle  d'ap- 
pui :  ouvre,  offre,  etc. 

§307.  — Quant  àla  deuxième  personne  dupluriel,  elle  est 
identique,  dans  nos  verbes,  à  la  même  personne  de  l'indica- 
tif présent.  Elle  ne  vient  pas  de  l'impératif  latin,  qui  aurait 
donné  une  forme  identique  au  participe  passé;  càr portàte 
(impératif)  el  portdtum  (participe  passé)  doivent  aboutir  à 
la  même  forme  française,  porté.  Nous  avons  aussi  une 
première  personne  du  pluriel,  qui  est  identique  à  la  même 
personne  de  l'indicatif  présent  *. 

1.  .Mais  il  faut  se  rappclei*  quo  lo  subjonctif  avait  deux  formes  pour 
les  deux  premières  personnes  du  pluriel:  ions,  iez^  et  aussi,  comme 
riudicatif,  07is,  ez.  Ou  peut  donc  supposer  que  l'impératif  se  rattache 


DU  VERBE.  141 

§  308.  —  Les  quatre  verbes  qui  dérivent  leur  impé- 
ratif singulier  du  subjonctif  empruntent  au  même  temps 
les  personnes  du  pluriel  : 

soyons     ayons     veuillons     sachons 
soyez        ayez       veuillez       sachez. 

Toutefois,  dans  les  deux  derniers,  on  remarquera  la  sup- 
pression de  Yi  des  terminaisons  subjonctives  lojis,  iez 
(Voyez  la  note  du  §  307). 

IX.  —  Prétérit  de  l'indicatif. 

s;  309.  —  Le  prétérit  de  l'indicatif  se  termine  en  latin 
comme  suit  : 

SINGULIER.  PLURIEL. 

{^'^  iper  sonne  :  l_i  _1  imus,  *imus 

2®   personne.*  isli  _1  sti         isùis,  _L  slis 

3«   IKr sonne. ■  J_\[.  (érunl),  *_1  erant,  _1  runt. 

Ces  terminaisons  sont  précédées  de  la  syllabe  av  pour 
les  verbes  en  are  et  de  iv  pour  les  verbes  en  ire.  Les  pre- 
miers ont  donc  au  prétérit  la  flexion  avi,  et  les  seconds,  la 
flexion  ivi.  Quant  aux  verbes  en  ère  ou  _l_ere.,  ils  ont  des 
prétérits  très  divers,  en  évi,  en  ui,  en  si,  ou  simplement 
en  i;  quand  le  prétérit  est  en  i  ou  en  si,  il  arrive  souvent 
que  la  voyelle  thi  radical  n'est  pas  la  même  qu'aux  au- 
tres temps  du  même  verbe  :  f2icio  (je  fais),  feci  (je  fis). 

Prétérit  français  en  ai. 
§  310.  —  Le  prétérit  latin  en  ûvi  a  donné  le  prétérit 

au  subjonctif  plutôt  qu'à  l'indicatif,  ce  qui  expliquerait  bien  les  excep- 
tions signalées  §  308.  Toutefois  les  verbes  faire  et  dire  fout  à  la 
deuxième  i)ersonne  du  pluriol  de  l'impératif  :  faites  kX.  dites,  et  ces 
formes  appartiennent  exclusivement  à  liiidicatif  présent. 


142  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

français  en  ai,  qui  s'applique  à  tous  les  verbes  de  la  conju- 
gaison en  er  : 

SINGULIER .  PLURIEL. 

eantdvi     chantai  cantdvimus  chantâmes,  chantasmes 

cantdsti    chantas  cantdstis      chantastes 

cantdvit    chantât,  chanta      cantdrunt     chantèrent,  chantèrent. 

§  311.  —  L'a  tonique  de  la  flexion  s'est  changé  régu- 
lièrement en  é  à  la  troisième  personne  du  pluriel  ;  il  est 
devenu  ai  à  la  première  personne  du  singulier,  sous  l'in- 
fluence de  ri  atone  qui  termine  le  mot  (Voyez  §  724)  ;  il 
est  resté  a  aux  deuxièmes  personnes  des  deux  nombres 
parce  qu'il  était  suivi  de  deux  consonnes  (Voy.  §  726).  Le 
maintien  de  l'a  à  la  troisième  personne  du  singulier  et  à 
la  première  personne  du  pluriel  s'explique  par  la  chute 
ancienne  de  Yi  (cantâv(i)t,  cantâv(i)mus)  ou  par  l'influence 
analogique  des  personnes  voisines.  L's  de  chantastes  s'est 
introduite  par  analogie  dans  la  première  personne  du 
même  nombre  :  «  chantasmes.  » 

Prétérit  français  en  i. 

§  312.  —  Le  prétérit  français  en  i,  dérivé  du  prétérit 
en  ivi,  s'applique  à  tous  les  verbes  inchoatifs  et  à  i^resque 
tous  les  autres  verbes  en  ?>,  et  par  extension  à  plusieurs 
verbes  en  re  ou  même  en  oir  [choir  dans  l'ancienne  langue)  : 

SINGULIER.  PLURIEL. 

dormivi     dormi  dormivimus    dormimes 

dormisli    dormis  donnistis        dormistes 

dovmivit   dormit  *dormirunt     dormirent. 

La  première  personne  du  singulier  a  pris  ensuite  une  s 
par  analogie  avec  la  seconde  :  je  dormis. 

Prétérits  français  dérivés  des  prétérits  latins  en  evi,  ui. 
§  313.  —  Le  prét('rit  en  évi  n'a  pas  laissé  de  traces  en 


DU  VERRE.  143 

français.  Il  s'était  vraisemblablement  confondu  avec  le 
prétérit  en  ui.  Tout  au  plus  peut-on  lui  accorder  une  cer- 
taine influence  sur  la  formation  de  ceux  des  prétérits  fran- 
çais en  us  qui  ont  toujours  eu  l'accent  sur  la  désinence. 

§  314.  —  Comme  type  de  prétérit  en  ni,  nous  pren- 
drons début  du  verbe  debére  (devoir)  : 

SINGULIER. 

déhui       qui  a  donné:  dui 
delûisti  —  deûs 

débuit  —  deut,  dut 

PLURIEL. 

debûimus  qui  adonné:  deûmes,  deûsmes 
debûistis  —  deùstes 

débuerunt  —  deurent,  durent. 

§  315.  —  On  remarquera  d'abord  qu'aux  secondes 
personnes  du  singulier  et  du  pluriel,  l'accent  tonique,  qui 
devrait  être  sur  le  premier  i  de  debiâsti  et  de  debûistis  (§  13^ 
note  2),  a  glissé  sur  Vu  qui  précède,  ou  du  moins  Vu  atone 
s'est  uni  à  Vi  tonique  et  a  formé  une  diphtongue,  mï,  qui 
s'est  ensuite  réduite  à  u.  A  la  troisième  personne  du  pluriel, 
l'accent  tonique  devrait  être  régulièrement  sur  le  second 
e  de  débuerunt  ;  mais  la  langue  populaire  l'a  reculé  sur  la 
voyelle  du  radical,  parce  que  c'est  la  place  qu'il  occupe  à 
la  troisième  personne  du  singulier,  et  que,  dans  tous  les 
autres  temps,  l'accent  tonique  a  la  même  place  aux  troi- 
sièmes personnes  des  deux  nombres. 

Deûs,  deûsmes,  deûstes  se  sont  contractés  plus  tard  en 
dus,  — dusmes,  puis  dûmes,  —  dusles,  puis  dûtes.  Enfln  ia 
première  personne  du  singuliej-  s'est  assimilée  à  la  seconde  : 
«  je  deus,  dus  »  au  lieu  de  «  je  dui  ». 

On  pourrait  croire  à  priori  que  ui  de  debui  et  u  de  dé- 
buit et  débuerunt  se  sont  sim[)lemcnt  subslilucs  à  Ve  to- 
nique. En  réalité,  il  n'y  a  pas  eu  substitution,  mais  coaibi- 


144  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

naison  :  ui  du  français  dui,  u  de  dut  et  durent,  sont  le  pro- 
duit de  la  combinaison  de  Ve  tonique  latin  avec  les  voyelles 
atones  ui  ou  u. 

§  316.  —  Quand  la  voyelle  tonique  était  a,  la  même  com- 
binaison a  produit  non  pas  «  ui,  u  »,  mais  «  oi,  o  ».  Le  pré- 
térit du  verbe  habére  (avoir)  nous  en  offre  l'exemple  : 

SINGULIER. 

hàbiii      qui  a  donné  oi  *  [eus  par  assimilation  avec  la  2«  pars.) 

habûisti  —  oùs,  eus,  eus 

fidbuit  —  ot<f,  oi  (eî<<  par  assimilation). 

PLURIEL. 

habûlmus    qui  a  donné  oùmes,  eùsmes,  eûmes 

habilistis  —  oùstes,  eùstes,  eûtes 

hdbuerunt  —  ourent,  orent  {eurent  par  assimilaliou). 

Dans  habûisti,  habûimus,  habùistis,  Va  de  la  première 
syllabe  s'est  changé  en  o  sous  l'influence  du  b  ou  de  Vu 
tonique,  et  cet  o  est  ensuite  devenu  e. 

§  317.  — Sur  le  modèle  de  «  oi,eûs»  se  conjuguaient  les 
prétérits  de  : 


savoir  : 

je  soi, 

lu  seùs,  etc. 

taire: 

toi 

teiis 

plaire  : 

ploi 

pleûs 

pouvoir . 

poi 

peùs. 

Seiis,  teiis,  pleiis,  peils  se  sont  contractés  en  sus,  tus, 
plus,  pus.  On  devrait  aussi  écrire  us  pour  le  verbe  avoir; 
mais  ce  verbe  a  conservé  l'orthographe  archaïque  eus.  La 
même  observation  s'applique  à  toutes  les  personnes  de 
$31,  toi,  ploi,  poi  d'une  part,  et  de  oi  d'autre  part. 

§  318.  — Sur  le  modèle  de  «  dui,  deûs  »  se  conjuguaient 
les  prétérits  de  beaucoup  de  verbes  qui  n'avaient  pas,  dans 

1.  Il  importe  de  remarquer  que  oi,  dans  les  anciens  textes,  peut  être 
aussi  la  première  personne  du  singulier  de  l'indicatif  présent  du  verbe 
ouh:  De  môme  ot  peut  signùler  «  il  eut  »  ou  «  il  entend  ». 


DU  VERBE.  145 

le  latin  classique,  le  prétérit  en  ui.  Ces  verbes  avaient  donc 
subi  une  assimilation  dans  la  langue  populaire  : 


croire  : 

je 

crui, 

tu 

creils,  etc. 

boire  : 

bui 

beùs 

croître  : 
recevoir . 

crui 

reçui 

creils 
receûs 

lire  : 

lui 

leiis. 

Pour  crescere  (croître),  qui  a  le  parfait  classique  en  vi 
(crévi),  il  n'est  pas  nécessaire  de  supposer  une  forme  po- 
pulaire en  ui  :  la  parenté  de  Vie  et  du  v  suffit  à  expliquer 
que  C7'évi  ait  donné  le  même  résultat  qu'un  prétérit  en  ui. 

§  319.  —  Dans  tous  les  exemples  que  nous  venons  de 
citer,  la  flexion  latine  ui  était  séparée  de  la  voyelle  du  ra- 
dical par  une  consonne  qui  est  tombée.  Dans  ténui,  prété- 
rit de  tenére  (tenir),  la  consonne  intermédiaire  n'est  pas 
tombée,  et  Vu  atone  n'a  exercé  aucune  influence  sur  la 
modification  delà  voyelle  tonique.  La  forme  française  dé- 
rivée de  ténui  est  «  tinc  »,  où.  le  changement  del'e  tonique 
en  i  est  dû  à  l'influence  de  Vi  final  du  mot  latin.  De  même 
*vénui,  prétérit  populaire  de  venire  (venir),  a  donné  vinc. 
Les  troisièmes  personnes  de  ces  deux  prétérits  sont  vint, 
tint,  pour  le  singulier,  vinrent,  tinrent  (aussi  vindrent,  tin- 
drent,  avec  un  d  euphonique),  pour  le  pluriel.  D'après  les 
lois  phonétiques,  ces  troisièmes  personnes  du  singulier  et 
du  pluriel  ne  devraient  pas  avoir  i  comme  voyelle  tonique. 
Mais  elles  ont  subi  l'analogie  de  la  première  du  singulier. 
Aux  autres  personnes  de  ces  mômes  temps,  c'est  Vi  et  non 
Vu  des  flexions  uisti,  uistis,  uimus,  qui  s'est  maintenu  :  tu 
venis  (et  non  tu  venus),  tu  tenis,  nous  venismes,  nous  ienis- 
mes,  vous  venistes,  vous  tenistes.  Il  est  facile  de  comprendre 
comment  l'analogie  a  ensuite  opéré  sur  ces  formes,  changé 
tenis  et  venis  en  tins,  vins,  remplacé  le  c  de  vinc,  tinc,  par 
Vs  habituelle,  etc. 

Clédat.  " 


146  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

§  320.  —  Dans  d'autres  verbes,  où  la  flexion  latine  ut 
était  séparée  de  la  voyelle  du  radical  par  une  consonne 
qui  n'est  pas  tombée,  l'accent  tonique  s'est  porté  sur  la 
flexion  à  toutes  les  personnes. 


Au  lieu  de  conjuguer: 

On  a  dit: 

vcllui  (je  valus) 

valût 

valûisti 

valûisti 

vdluit 

valûit 

val  ùi  mus 

valûimus 

valùislis 

valùisLis 

mluerunt 

valûerunt. 

n  est  résulté,  en  français, 

la  conjugaison  sui^ 

SINGULIER. 

PLURIEL. 

Je  valut  [valus  par  assimilation)        nous  valûmes 

Tu  valus 

vous  valustes 

Il  valut 

ils  valurent. 

Pour  la  même  raison,  molui  de  molere  (moudre)  a  donné  : 
je  molui,  moului,  tumolus,  moulus,  etc.  Les  prétérits  de  fal- 
loir, mourir,  courir,  se  conjuguent  de  même. 

§  321.  —  Le  prétérit  de  vouloir  se  conjugue  aujourd'hui 
comme  celui  de  valoir.  Mais  on  trouve  dans  l'ancienne 
langue  «  je  voil,  il  volt  »,  et,  à  la  troisième  personne  «lu 
pluriel,  (i  volrent,  voldrent,  voudrent  ».  Ces  formes  déii- 
vent  des  formes  latines  accentuées  sur  le  radical  :  vôlui, 
wûluit,  vôluerunt.  On  a  pour  le  même  verbe  un  autre  pré- 
térit qui  paraît  remonter  à  un  prétérit  latin  en  si,  tel  que 
volsi:  «  je  vols,  tu  volsis,  il  volst,  vous  volsistes.  » 

§  322.  —  En  général,  les  verbes  français  qui  ont  le  pré- 
térit en  us  ont  le  participe  passé  en  u. 

Prétérits  dérivés  des  prétérits  latins  en  si. 
§  323.  —  Le  prétérit  du  verbe  ardere  (vieux  français 


DU   VERBE.  147 

ardre  ou  ardoir,  qui  signifient  brûler)  se  conjuguait  ainsi 
en  latin  : 

SINGULIER.  PLURIEL. 

i'^ 'personne  :  ârsi  (ârsimus)  arsimus 

1<^ -personne  :   arsisti  arsistis 

3*  personne  :  ârsit  *ârserunt. 

Le  déplacement  de  l'accent  tonique  à  la  première  per- 
sonne du  pluriel  s'explique  par  une  assimilation  avec  les 
autres  prétérits  et  tous  les  autres  temps,  où  l'accent  occupe 
la  même  place  aux  deux  premières  personnes  du  pluriel. 

§  324.  —  Le  prétérit  français  était  : 


SL^'GUUER. 

PLURIEL. 

J'ars 

nous  arsimes,  arsismes 

tu  arsis 

vous  ursistes 

il  arst 

ils  arstrent. 

§  325.  Sur  le  modèle  de  «  ars,  arsis  »  se  conjuguaient 
les  prétérits  des  verbes  : 

sourdre  (surgere)  :         sors,sorsis,sorst,Qic.{^véiév\i\s.i\n:*sursi) 
conduire  (conducere)  :  conduis,  conduisis,  conduist  (prétérit  la- 
tin :  conduxi=  conducsi) 
prendre  (prendere)  :     pris,  pî'esis,  prist  (prétérit  Jalin:  *prensi) 
dire  (dicere)  :  dis,  desis,  dist  (prétérit  latin  :  dixi). 

etc. 

§  326.  —  On  remarquera  que,  dans  le  prétérit  de  prendre, 
l'e  du  radical  latin  {prénsi)  s'est  changé  en  i  sous  l'influence 
de  Vi  final  (Je  pris),  et  cet  i  radical  s'est  ensuite  introduit 
par  analogie  aux  troisièmes  personnes  du  singulier  et  du 
pluriel,  qui  n'étaient  pas  soumises  à  l'action  d'un  i  final. 
Quant  à  la  deuxième  personne  du  singulier  et  aux  deux 
premières  du  pluriel,  où  le  radical  est  atone,  elles  ont 
régulièrement  un  e  :  «  presis,  presistes  ».  Cette  alternance 
de  Vi  et  de  l'e  se  retrouve  aux  mêmes  personnes  dans  le 
prétérit  du  verbe  dire  {dis,  desis,  etc.). 


148  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

§  327.  —  Pour  tous  ces  verbes,  on  trouve  des  troisièmes 
personnes  du  pluriel  en  strent  :  distrent,  conduisirent, 
pristrent,  etc.  Le  ?  a  été  introduit  par  euphonie  entre  l'a? 
(ou  s)  et  IV  du  latin  :  dix[e)runt,  condux[e)runt,  etc.  Mais 
l'euphonie  pouvait  aussi  être  obtenue  par  la  suppression 
de  l'une  ou  l'autre  des  deux  consonnes  primitives  ;  on 
pouvait  dire  :  sent  ou  rent,  au  lieu  de  strent.  Ces  terminai- 
sons se  rencontrent  en  effet,  et  c'est  la  seconde  qui  s'est 
conservée  dans  le  français  proprement  dit  :  ils  dirent, 
prirent,  conduirent  (remplacé  ensuite  par  condui- 
sirent). 

§  328.  — Après  avoir  dit  «  j'ars,  tu  arsis,  — je  conduis,  tu 
conduisis  »,  on  a  dit,  en  assimilant  la  première  personne 
à  la  seconde,  et  par  imitation  du  prétérit  des  verbes  en  ir  : 
«  ]arsi  (ou  arsis),  tu  arsis,  —  je  conduisi  (ou  condui- 
sis), iu  co7iduisis  »,  et  aussi,  par  conséquent:  «  il  arsit 
(au  lieu  de  arst),  ils  arsirent,  —  il  conduisit,  ils  condui- 
sirent ». 

§  329.  —  Il  semble  qu'on  aurait  dû  avoir  de  même  : 
«  je  desis  »  pour  le  verbe  rf/re,  «  je  presis  »  pour  le  verbe 
prendre.  Mais  ces  verbes  ont  subi  une  autre  assimilation. 
On  les  a  rapprochés  du  prétérit  du  verbe  voir,  qui  est  : 
«  je  vi,  tu  veis  »  (Voy.  §  334).  Par  analogie  avec  «  tu  veïs  », 
on  a  dit  :  «  tu  preis  »  au  lieu  de  «  tu  presis  »,  et  «  tu  deïs  » 
au  lieu  de  «  tu  desis  ».  Et  toutes  ces  formes  se  sont  ensuite 
contractées  en  :  «  tu  vis,  tu  pris,  tu  dis.  »  Au  pluriel,  on 
a  eu  aussi  :  «  nous  preïmes,  nous  deimes  »  puis  «  nous 
primes,  nous  dimes  »,  et  «  vous  preistes,  vous  déistes  » 
puis  «  vous  pristes,  vous  distes  ».  ^ 

§  330.  —  Le  verbe  prendre  a  une  autre  forme  de 
prétérit,  qui  est  «je  prins  ».  On  a  nasalisé  la  voyelle  de 
«  je  pris  »,  par  imitation  des  formes  d'autres  temps  où  la 
voyelle  tonique   de  ce   verbe  est  nasalisée  (prendre,   il 


DU  VERBE.  149 

prend,  etc.).  On  peut  aussi  voir  dans  «  je  prins  »  l'in- 
fluence des  prétérits  de  venir  et  de  tenir. 

§  331.  —  Parmi  les  verbes  qui  ont  le  prétérit  latin 
en  si,  et  qui  ont  subi  l'analogie  de  «  tu  veïs  »,  il  faut  ran- 
ger :  rire  (prétérit  latin  risi),  qui  a  fait  «  tu  reis  »  puis  «  tu 
ris  »,  au  lieu  de  «  tu  resis  »  ;  —  occire  (prétérit  latin  *occi- 
si),  qui  a  fait  «  tu  oceïs  »  ;  —  mettre  (prétérit  latin  misi), 
qui  a  fait  :  «  tu  meïs;  »  —  asseoir  (prétérit  latin  *  assesi), 
qui  a  fait  :  «  tu  asseïs  »  ;  —  quérir  (prétérit  latin  qusesii), 
qui  a  fait  :  «  tu  queis  ». 

§  332.  —  Les  verbes  en  aindre,  eindre,  oindre,  avaient 
chez  les  latins  le  prétérit  en  xi,  et  auraient  dût  être  traités, 
pour  ce  temps,  comme  conduire.  Prenons  comme  exemple 
le  \erhe  plaindre  {\aX\n  plange^^e,  i[ir éléril  plmixi).  Le  pré- 
térit de  plaindre  était  en  vieux  français  :  «  je  plains,  tu 
plainsis,  il  plainst,  nous  plainsimes,  vous  plainsistes,  ils 
plainstrent  ou  plainrent.  »  L'assimilation  ordinaireaurait  dû 
produire  ensuite  :  «  je  plainsis,  il  plainsit,  ils  plainsirent.  » 

Ces  flexions  ont  été  en  effet  substituées  aux  anciennes, 
mais  le  radical  a  été  en  outre  modifié,  et  rapproché  du 
radical  de  «  plaignons,  plaignent,  plaignais  ».  On  a  dit  : 
«  Je  plaignes,  tu  plaignis,  etc.  » 

§  333.  —  On  a  aussi  modifié  le  radical  au  prétérit  du 
verbe  écrire,  qui  est  devenu  escriv/s  au  lieu  de  escresïs. 

Prétérits  dérivés  des  prétérits  latins  en  i. 

§  334.  —  Le  type  des  prétérits  en  i  est  celui  du  verbe 
videre  (voir)  : 

vieil  a  donné  vî  (veis,  vis,  par  assimilation) 

vidisti  —       veïs,  veis,  vis 

vidit  —       vit 

vidimiis        —        vevnes,  veismes,  vismcs 

vHistis         —       velstes,  vistes 

viderunt       —       virent. 


loO  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

§  335.  —  Les  prétérits  de  nascere  (naître)  et  vivere 
(vivre)  doivent  être  considérés  comme  étant  en  i,  et  non 
en  si.  Car  *nâxi,  qui  équivaut  à  ndksi,  était  devenu,  par 
une  métatlîèse  dont  on  a  d'autres  exemples  *,  nàski.  De 
même  vîxi  était  devenu  viski.  Les  secondes  personnes 
«  naskisti,  viskisti  »  ont  donné  en  français  nasquis,  vesquis. 
Par  analogie,  ou  a  dit  aussi  :  «  je  nasquis,  il  nasquit,  ils 
nasquirent,  »  et  «  je  vesquis,  il  vesquit,  ils  vesquirent.  » 
Ces  formes  analogiques  se  sont  produites  de  très  bonne 
heure.  On  a  ensuite,  pour  le  prétérit  de  vivre,  substitué  la 
flexion  us  à  la  flexion  is. 

§  336.  —  Le  prétérit  du  verbe  faccre  (faire)  était  aussi 
en  i  :  feci.  Mais  sous  l'influence  de  Vi  terminant  le  mot,  le 
caproduitune  s,  en  même  temps  que l'e  tonique  se  changeait 
en  i  ;  la  première  personne  de  ce  prétérit  était  donc  en  fran- 
çais «  fis  »,  forme  tout  à  fait  semblable  à  pris,  mis,  dis,  etc. 
On  en  a  tiré,  par  analogie,  les  troisièmes  personnes  fist  et 
firent.  Quant  à  la  deuxième  personne  du  singulier  et  aux 
deux  premières  du  pluriel,  elles  ont  subi  l'analogie  du  pré- 
térit de  voir,  et  sont  ainsi  devenues  :  fe'ls,  feimes,  feistes. 

Prétérits  se  rattachant  à  dedi. 

§  337.  —  Le  verbe  latin  dare,  qui  signifiait  donner,  et 
qui  n'a  pas  laissé  de  mot  français,  faisait  au  prétérit  e?ec?t.  Ce 
prétérit  aurait  produit  en  français  les  formes  suivantes  : 

dédi  (je)  di  (et  non  dié,  à  cause  de  Vi  final) 

dcdisti  (tu)  dcîs,  dis 

dédit  (il)  diet 

dedîmiis  (nous)  dames,  dîmes 

dcdistis  (vous)  dcîstes,  distes 

déderunt  (ils)  diérent. 

1.  Lazare,  prononcé /a/ware,  a  donné  iaisser.  Le  même  mot,  prononcé 
laskarc,  a  donné  tascher. 


DU  VERBE.  ISl 

§  338.  —  Or,  si  le  simple  dare  a  disparu,  des  composés 
tels  que  perdere  [=  perdare)  ont  produit  des  verbes 
français.  En  latin  classique,  perdere  faisait  au  prétérit 
pnrdidi  ;  mais  le  peuple  disait  perdédi,  rétablissant  dans 
le  composé  les  formes  du  simple.  On  comprend  dès  lors 
que  le  prétérit  français  de  perdre  ait  pu  être  :  «  je  perdt, 
tu  perdes,  il  perdiez,  nous  perd/mes,  vous  perdisses,  ils 
\)(\Tàiérent .  »  En  somme,  ce  sont  les  mêmes  flexions  que 
pour  les  verbes  en  ér,  sauf  aux  deux  troisièmes  personnes: 
perdee^,  perd/ere?7f.  Mais,  par  analogie  a\ec  perdiet,  on  a 
dit  aussi,  à  la  deuxième  personne  du  singulier,  perdies. 
Ces  flexions  se  retrouvent  dans  plusieurs  verbes  dérivés  de 
verbes  latins  en  dere  (français  dre)  :  respondiet  (de  respon- 
dre),  descendiet  (de  descendre),  espMidiet  (de  espandre\ 
entendiet  (de  entendre),  etc.  Elles  ont  même  été  appliquées 
à  d'autres  verbes,  par  exemple  à  rompre  qui  a  fait  rom- 
piet.  Tous  ces  prétérits  ont  été  ensuite  assimilés  à  ceux 
des  verbes  en  ir. 

X.  —  Imparfait  du  subjonctif. 

§  339.  —  L'imparfait  du  subjonctif  français  dérive  da 
plus-que-parfait  latin  ;  or  le  plus-que-parfait  du  subjonc- 
tif latin  se  formait  sur  le  prétérit  de  l'indicatif.  Il  doit 
donc  y  avoir  un  rapport  direct,  en  français,  entre  le  pré- 
térit de  l'indicatif  et  l'imparfait  du  subjonctif. 

§  340.  —  En  effet,  pour  avoir  l'imparfait  du  subjonctif, 
il  suffit  de  cbanger  : 

Pour  la  première  conjugaison  :  ai  du  prétérit  en  asse , 
pour  les  autres  conjugaisons  :  us  ou  is  du  prétérit  en  usse 
ou  en  isse. 

^  340  his.  —  Pour  les  verbes  qui,  dans  l'ancienne  lan- 
gue, avaient  à  la  deuxième  personne  du  prétérit  une  syl- 
labe de  plus  qu'à  la  première  (pris,  presis;  vi,  veïs,  etc.), 


152  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

rimparfait  du  subjonctif  se  rattache  à  la  deuxième  per- 
sonne du  prétérit,  et  s'est  modifié  comme  elle  :  pt'esisse, 
puis preisse,  puis/)r/sse,'  veïsse,  puis  visse,  etc. 

§  341.  —  Les  flexions  de  personnes,  pour  le  plus-que- 
parfait  du  subjonctif  latin  (imparfait  français),  étaient  les 
mêmes  à  toutes  les  conjugaisons.  Prenons  pour  exemple 
un  verbe  de  la  conjugaison  en  are: 

cantdssem      a  donné  chantasse 

cantdsses  —  chantasses 

cantdsset  —  chantast,  chantât 

cantassémus       —  chantassions 

cantassétis         —  chantassiez 

cantdssent  —  chantassent. 

Les  flexions  de  personnes  sont  donc  en  français  :  e,  es,  t, 
ions^  iez,  eut. 

Remplacez  Va  de  asse,  asses,  etc.,  par  un  u  ou  un  r,  sui- 
vant que  le  verbe  a  le  prétérit  en  us  ou  en  is,  et  vous  aurez 
les  différentes  conjugaisons  : 

Valoir,  prétérit  valus,  imparfait  du  subjonctif:  valusse, 
valusses,  valust  [puis  valût),  valussions,  valussiez,  valussent. 

Ouïr,  prétérit  ouïs,  imparfait  du  subjonctif  :  ouïsse, 
ouïsses,  ouïst,  ouissio7is,  ouissiez,  ouïssent. 

§342.  —  Aux  deux  premières  personnes  du  pluriel,  les  ter- 
minaisons «  ions,  iez  »  ne  dériventpas  du  latinémws,  étis,  mais 
ont  été  empruntées  au  présent  du  subjonctif.  Quant  à  Ve 
muet  des  deux  premières  personnes  du  singulier,  il  est  aussi 
le  produit  d'une  analogie  avec  le  subjonctif  présent,  à  moins 
qu'on  ne  l'explique  à  la  deuxième  personne  par  le  groupe 
des  trois  s,  et  à  la  première  par  l'analogie  de  la  seconde. 

XI.  —  Le  temps  archaïque  dérivé  du  plus-que- 
parfait  latin. 

§  343.  —  Nous  exprimons  l'idée  du  plus-que-parfait  par 


DU  VERBE.  1K3 

un  temps  composé  du  participe  passé  et  de  l'auxiliaire 
avoir  à  l'imparfait.  Les  latins  exprimaient  la  même  idée 
à  l'aide  d'un  temps  simple,  qui  a  passé  d'abord  dans  le 
français,  mai?  qui  en  a  bientôt  disparu.  Ce  temps  français 
avait  d'ailleurs  perdu  le  sens  du  plus-que-parfait  ;  il  paraît 
avoir  fait  double  emploi  avec  le  prétérit. 

§  344.  —  Pour  avoir  la  forme  du  plus-que-parfait  latin, 
il  suffit  de  prendre  la  première  personne  du  prétérit,  de 
substituer  er  à  i,  et  d'ajouter,  comme  flexions  de  personnes, 
les  terminaisons  de  l'imparfait  :  am,  as,  a^  pour  le  singulier; 
amus,  atis,  ant,  pour  le  pluriel.  Ainsi  aux  prétérits  en  àvi 
correspondent  des  plus-que-parfaits  en  clveram,  avéras,  etc., 
aux  parfaits  en  si,  des  plus-que-parfaits  en  seram,  etc. 

§  345.  —  Il  y  a  une  personne  du  prétérit  dont  la  flexion 
se  rapproche  de  la  flexion  correspondante  du  plus-que- 
parfait,  au  point  de  se  confondre  avec  elle  ;  c'est  la  troi- 
sième du  pluriel.  Ainsi  le  verbe  dicere  (dire)  faisait  à  cette 
personne  *  dixerunt  pour  le  prétérit,  et  dixcrant  pour  le 
plus-que-parfait. Or  l'aetl'Matones  de  «dixcrant, dixerunt» 
doivent  être  également  représentés  par  un  e  muet  français . 
On  aura  donc  en  français,  dans  les  deux  cas,  «  dirent  ». 

i;  346.  —  Ainsi  la  troisième  personne  du  pluriel  du 
temps  produit  par  le  plus-que-parfait  latin  se  termine  en 
renf,  correspondant  au  latin  7'ant,  et  de  cette  personne  on 
peut  facilement  déduire  les  autres.  Si  rent  correspond  à  rant, 

A  la  f"^  personne  du  singulier  re  correspondra  à  ram 

—  2"         —  —  res  —  ras 

—  3"         —  —  ret,  re  —  rat 

—  1"^^  personne  du  pluiiel  7'ons  —  r[amus] 

—  2"         —  —  rez  —  ratis. 

^  347.  —  En  résumé,  on  aura  la  troisième  personne  du 
pluriel  de  ce  temps  archaïque  en  prenant  la  même  per- 
sonne du  prétérit,  et  on  aura  les  autres  personnes  du  même 


134  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

temps  en  substituant  à  rent,  suivant  les  personnes,  re,  res, 
■>'et^  7'ons  ou  rez.  «  Jefire  »  est  le  plus-que-parfait  de  faire. 

LA  CONJUGAISON  DU  VERBE   «  ÊTRE  » 

Infinitif. 

§  348.  —  L'infinitif  du  verbe  «  être  »  était  en  latin  clas- 
sique ésse.  C'était  le  seul  infinitif  ne  se  terminant  pas  en  re. 
Mais  le  latin  populaire  avait  fait  disparaître  cette  anoma- 
lie, en  disant  :  éssere.  C'est  de  «  éssere  »  que  vient  le  fran- 
çais «  estre  »,  puis  «  être  ». 

Participe  présent  et  participe  passé. 

§  349.  —  Les  participes  de  notre  verbe  être  dérivent 
des  participes  du  verbe  latin  stare,  dont  le  sens  propre 
était  :  «  se  tenir  debout.  »  Slantem  a  donné  estant,  puis 
étant;  statum  :  esté,  puis  été.  Il  faut  remarquer  que  stare 
avait  produit  le  verbe  français  ester,  qui  s'est  conservé  jus- 
qu'à nos  jours  dans  la  langue  juridique,  et  que  les  parti- 
cipes «  estant,  esté  »  appartenaient  à  la  fois  à  ce  verbe  ester 
et  au  verbe  eslre.  Les  participes  de  ces  deux  verbes  sont 
distincts  aujourd'hui,  parce  que  Vs  s'est  maintenue,  sous 
une  influence  savante,  dans  l'orthographe  et  dans  la  pro- 
nonciation de  toutes  les  formes  du  verbe  ester  [estant,  esté), 
tandis  qu'elle  est  tombée  dans  les  formes  du  verbe  être 
[étant,  été). 

Indicatif  présent . 

§  350.  — L'indicatif  présent  du  verbe  ésse  était  en  latin  : 

SINGULIER.  PLURIKL. 

sum  (Je  .suis)  sûmus  (nous  sommes) 

es  (lu  es)  cdis  (vous  êtes) 

est  (il  est)  sunt  (ils  sont). 


DU   VERBE.  133 

§  351.  —  A  la  première  personne  du  singulier,  le  latin 
populaire  disait  aussi  «  sui  »,  par  analogie  avec  le  parfait 
«  fui  »  (Voyez  ci-dessous  §  360).  C'est  de  cette  forme  que 
vient  le  français  suis,  dabord  sut.  L's  finale  a  été  ajou- 
tée à  l'époque  oîi  on  l'a  donné  une  s  aux  premières  per- 
sonnes de  l'indicatif  présent,  par  analogie  avec  les  se- 
condes (§  265). 

Les  autres  personnes  sont,  en  vieux  français,  es,  est,  somes 
ou  sommes,  estes,  sont.  A  la  seconde  personne  du  singulier, 
on  trouve  quelquefois  ies  au  lieu  de  es. 

Subjonctif  présent. 

§  352.  —  En  latin  classique,  le  subjonctif  présent  du 
verbe  esse  offrait  les  formes  suivantes  :  sim  (que  je  sois), 
sis  (que  tu  sois),  sit,  simus,  sitis,  sint.  Mais,  en  latin  popu- 
laire, on  disait  «  *siam  »  au  lieu  de  «  sim  »,  par  analogie 
avec  les  nombreux  subjonctifs  en  am.  On  conjuguait 
donc  : 

SINGt!LIP:R. 

fo  personne  siam  qui  a  donné  seie,  soie 
2^        —         sîas  —  seies,  soies 

3®       —         siat  —  seiet,  seit,  soit 

PLURTFX. 

4"  personne  sidmjis  qui  a  donné  seiens,  soiens,  soijons 
2"^         —         sidtis  —  seiez,  soyez 

3"        —        siant  —  seient,  soient. 

L'e  muet  des  formes  du  singulier  a  disparu,  comme  dans 
les  flexions  de  l'imparfait  (§  286),  et  la  première  personne 
a  été  assimilée  à  la  seconde. 

Imparfait  de  l'indicatif .  i 

§  353.  —  L'imparfait  de  l'indicatif  était  en  latin  : 


lo6  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

SINGULIER. 

1''^  personne  éram  qui  a  donné  iére,ère 
2^        —         éras  —  ières,  ères 

r,^  .    ^  i  ièj'et,  ière,  iert 

\  prêt,  ère,  ert. 

PLURIEL. 

3^  personne  érant  qui  a  donné  iérent. 

La  première  et  la  seconde  personne  du  pluriel  étaient 
trdrnus,  erâtis,  et  ont  dû  donner  des  formes  françaises  telles 
que  erons,  erez,  ou  erions,  eriez,  avec  les  flexions  ordinaires 
de  l'imparfait;  mais  on  n'en  rencontre  pas  d'exemple. 

§  354.  —  En  même  temps  que  ]ière  ou  j'ère,  on  disait 
aussi  :  «  yesteie,  estot'e,  tu  esteies,  estoies,  etc.  »  Ce  sont 
les  formes  d'oii  dérive  notre  imparfait  actuel.  Elles  n'ont 
pas  été  empruntées  à  l'imparfait  du  verbe  ester,  comme 
on  l'a  cru  longtemps,  mais  elles  ont  été  créées  d'après  le 
radical  est  de  l'infinitif  estre,  auquel  on  a  ajouté  les 
flexions  ordinaires  de  l'imparfait. 

Futur  et  conditionnel, 
§  355.  —  Le  futur  était  en  latin  : 

SINGULIER. 

1"  personne  éro   qui  a  donné  ier 
2«         —        éris  —  iers 

3®        —        érit  —  iert,  ert 

PLURIEL. 

1"  personne  érimus  qui  a  donné  ermes 
2«        —        érit  i  s  —  ertes 

3^         —        érunt  —  iérent. 

On  aura  remarqué  (§  353)  que  la  troisième  personne  du 
singulier  de  l'imparfait  était  aussi  quelquefois  iert  ou  ert. 


DU  VERBE.  137 

D'autre  part,  on  trouve  aussi  ières,  comme  à  l'imparfait,  au 
Jieu  de  iers,  pour  la  seconde  personne  du  futur. 

§  356.  —  Le  futur  populaire,  composé  de  l'infinitif 
*essere  et  de  habeo,  esscrâbeo,  aurait  dû  donner  en  français 
estrai.  On  trouve  en  effet  cette  forme,  et  aussi  esterai. 
L'une  et  l'autre  peuvent  d'ailleurs  être  rattachées  au  futur 
d'ester. 

§  357.  —  Enfin  un  troisième  futur,  le  plus  usité,  est 
celui  qui  s'est  conservé  :  serai,  seras,  etc.  On  y  a  vu  une 
dérivation  irrégulière  de  esserdbeo,  avec  chute  exception- 
nelle de  la  première  syllabe.  Plusieurs  autres  explications 
ont  été  proposées  ;  aucune  ne  nous  paraît  satisfaisante. 

§  358.  —  Les  conditionnels,  qui  correspondent  aux  fu- 
turs estimai  et  serai,  sont  :  estreie,  estroie,  qui  serait  devenu 
étrais,  s'il  s'était  conservé,  et  sereie,  seroie,  devenu  serais. 

Impératif,  ' 

§  359.  —  L'impératif  «  sois,  soyons,  soyez  »  est  em- 
prunté au  subjonctif. 

Prétérit  de  l'indicatif  et  imparfait  du  subjonctif 

§  360.  —  Si  l'on  prend  les  flexions  des  prétérits  en  ui, 
et  si  on  les  fait  précéder  d'une  f,  on  obtient  le  parfait  du 
verbe  esse:  «  fui,  fuisti,  fuit,  fuimus,  fuistis,  fuerunt  ».  Les 
formes  françaises  correspondantes  sont  : 


SINGULIER. 

PLURIEL. 

je  fui 

nous  fumes 

tu  fus 

vous  fustcs 

i\fut 

ils  furent. 

§  361.  —  Le  plus-que-parfait  du  subjonctif  étnit  en 
latin  :  fiiisscm,  fuisses,  etc.,  formes  qui  ont  produit  l'im- 
parfait français  :  fusse,  fusses,  fust,  etc. 


158  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

CHAPITRE  X 

DES     MOTS    INVARIABLES 

§  362.  —  Dans  la  partie  de  la  grammaire  consacrée  aux 
flexions,  il  n'y  a  pas  lieu,  en  principe,  de  parler  des  mots 
invariables,  puisque  ces  mots  sont,  par  définition,  privés  de 
flexions.  Toutefois  un  certain  nombre  d'entre  eux  ont  une 
terminaison  commune  caractéinstique,  qui  équivaut  à  une 
flexion;  d'autres  sont  composés  de  mots  variables  et  ont 
participé,  dans  une  certaine  mesure,  à  la  variabilité  des 
mots  composants.  Telle  est  la  nature  des  faits  que  nous 
devons  signaler  ici  en  quelques  mots. 

L's  adverbiale. 

§  363.  —  Beaucoup  d'adverbes  français  se  terminent 
par  une  s  que  ne  justifie  pas  toujours  leur  étymologie; 
ainsi  onques,  qui  vient  de  miquam,  ores  qui  vient  de  ad- 
horam.  On  a  dit  que  cette  s  avait  été  empruntée  à  quelques 
adverbes  dérivés  d'adjectifs  latins  au  datif  pluriel  et  où, 
par  conséquent,  l's  était  étymologique,  comme  volotitiers 
de  voluntariis.  Quelle  que  soit  la  valeur  de  l'explication, 
il  faut  considérer  cette  s  comme  une  sorte  de  flexion  adver- 
biale, que  la  langue  populaire  a  souvent  ajoutée  aux 
adverbes  de  toute  origine. 

Modifications  intérieures  subies  par  les  adverbes  en  ment. 

§  364.  —  Nous  avons  dit  (§  10)  que  les  adverbes  en  mem 
se  composaient  d'adjectifs  au  féminin,  soudés  au  mot  7nent, 
qui  signifie  :  «  d'une  manière.  »  Or,  nous  avons  vu  que,  à 
l'origine,  beaucoup  d'adjectifs  ne  prenaient  pas  d'c  au  fémi- 
nin. 11  en  résultait  des  adverbes  tels  que  :  loyalmenl  ou 


DES   MOTS  INVARIABLES.  ili9 

loyaument,  gramment  (grand-ment),  etc.  Lorsque  ces 
adjectifs  ont  reçu,  par  analogie,  une  forme  féminine  avec 
e  muet,  on  a  introduit  ce  nouveau  féminin  dans  les  adverbes 
en  ment,  et  on  a  dit  :  «  loyalement,  grandement.  »  Toute- 
fois nous  disons  encore  :  plaisamment  (plaisant-  ment)  et  non 
plaisantement  ;  savamment  (savant-ment),  et  non  savan- 
tement,  etc. 

Formes  contractes  où  entre  l'adverbe  en. 

§  365.  —  L'adverbe  en  s'était  combiné  avec  certains 
mots,  et  avait  produit  ainsi  des  formes  contractes,  telles 
que  sin  pour  si  en  (ainsi  en),  quin  pour  qui  en. 

L'interjection  hélas! 

§  366.  —  «  Hélas!  »  se  compose  de  l'interjection  hcf  et 
de  l'adjectif  las.  Entendez  :  «  Hé  !  Las  (malheureux)  que  je 
suis!  »  On  ne  s'étonnera  donc  pas  de  trouver  la  forme 
féminine  hélasse,  mise  dans  la  bouche  d'une  femme. 
Aujourd'hui,  las,  dans  cet  emploi,  est  devenu  invariable. 
On  le  trouve  aussi  joint  à  d'autres  interjections  que  «  hé  »  '■ 
h  a  la  s! 


SYNTAXE 


§  367.  —  La  première  partie  de  la  grammaire  étudie 
les  flexions  de  la  langue  en  elles-mêmes.  La  syntaxe  (mot 
qui  signifie  arrangement)  examine  : 

d°  L'emploi  des  flexions  et  des  mots  invariables;  c'est  la 
syntaxe  particulière  ; 

2°  L'ordre  des  mots  dans  les  propositions  et  des  propo- 
sitions dans  le  discours  ;  c'est  la  syntaxe  générale. 

§  368.  —  On  doit  aussi  faire  entrer  dans  la  syntaxe  l'é- 
tude des  locutions  dites  idiotismes.  Ce  sont  celles  qui  ne  sau- 
raient être  traduites  littéralement  dans  une  langue  étran- 
gère, parce  que  les  mots  qui  les  composent  ont  pris,  lors- 
qu'ils sont  réunis,  une  valeur  particulière  qu'ils  n'ont  plus 
lorsqu'on  les  emploie  avec  d'autres  mots.  Ces  locutions 
changent  de  nom  suivant  les  langues  :  en  latin  ce  sont  des 
latinismes,  en  grec  des  héllénismes,  en  français  des  galli- 
cismes. Nous  parlerons  donc  en  troisième  lieu  des  vieux 
gallicismes. 


PREMIERE  PARTIE 

SYNTAXE    PARTICULIÈRE 


REMARQUES  COMMUNES  AUX  NOMS,  ADJECTIFS 
ET    PRONOMS  ;    EMPLOI    DES    CAS 

I.  —  Cas  sujet  et  cas  régime. 

§  369.  —  Se  mettent  au  cas  sujet  :  1°  le  sujet  et  l'attri- 
but; 2°  les  articles  ou  adjectifs  qui  se  rapportent  au  sujet 
ou  à  l'attribut. 

Se  mettent  au  cas  régime  :  1°  le  régime,  qu'il  dépende 
du  verbe  ou  d'un  autre  mot,  et  par  conséquent  après  toutes 
les  prépositions;  2"  les  articles  ou  adjectifs  qui  se  rap- 
portent au  régime. 

On  disait  :  «  mes  amis  est  arrivez,  mais  «j'ai  rencontré 
mon  ami  »,  ou  «j'ai  écrit  à  mon  ami  »;  «mi  ami  sont  arrivé», 
mais  :  «j'ai  rencontré  mes  amis  )),ou  «  j'ai  écrit  âmes  amis.  » 

§  370.  —  Voici  quelques  exemples  pour  chaque  cas  : 

Cas  sujet  singulier. 

Chanson  de  Roland:  «  Guenes  li  quens  s'en  vait  a  sun 
ostel.  »  Traduisez  :  «  Ganelon  le  comte  s'en  va  à  son 
hôtel.  » 

Cas  régime  singulier. 

Ibidem  :  «  Par  le  puign  tint  le  cunte  Guenelun.  »  En  fran- 
çais moderne  :  «  Par  le  poing  il  tenait  le  comte  Ganelon.  » 

Ibidem  :  «  Cil  out  fiance  del  cunle  Guenelun.  »  En  fran- 
çais moderne  :  «  Celui-ci  reçut  la  f<ji  du  comte  Ganelon.  » 


162    .  GRAMMAIRE    DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Cas  sujet  pluriel. 

Joinville  :  «  Tuit  H  baron  de  France  furent  si  troublci...  » 
Traduisez  :  «  Tous  les  barons  de  France  furent  si  trou- 
blés... » 

Cas  régime  pluriel. 

Chanson  de  Roland  :  «  Ses  barons  mandet,  »  c'est-à-dire  : 
«  Il  mande  ses  barons.  » 

Joinville  :  Dariere  li  ne  demoura  de  touz  chevaliers  ne  de 
toîiz  serjans,  que  Messires  Geffroysde  Sergines.  »  Traduisez  : 
«  Derrière  lui  il  ne  demeura  de  tous[les)  chevaliers  et  de  tous 
(les)  sergents  que  Monseigneur  Geoffroy  de  Sargines.  » 

Le  commencement  d'un  psaume  célèbre,  «  Le  Seigneur 
dit  à  mon  Seigneur,  »  doit  être  traduit,  en  vieux  français  : 
«  Ll  Sii^e  dist  à  mon  Seigneur.  » 

§  371.  —  Le  cas  sujet  s'employait  encore  là  où  les  latins 
auraient  mis  le  vocatif,  c'est-à-dire  pour  adresser  la  parole 
à  quelqu'un  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Ço  dist  li  reis  :  Gitenes,  venez 
ovant.  »  Traduisez  :  «  Le  roi  dit  :  Ganelon,  avancez.  » 

Joinville:  «  Chiers  sire,  je  vous  faiz  à  savoir...  »  Tra- 
duisez :  «  Cher  seigneur,  je  vous  fais  savoir...  » 

Chanson  d'Aliscans :  «  Dist  à  ses  homnes  :  Segneur,  or 
i  parra...  »  Traduisez:  «  Il  dit  à  ses  hommes:  Seigneurs, 
maintenant  on  verra...  » 

Le  cas  sujet-vocatif  «  sire  »,  qui  est  devenu  un  substantif 
indépendant,  est  resté  toutefois  jusqu'à  nos  jours  vocatif  de 
seigneur  quand  on  s'adresse  à  un  souverain.  Corneille  : 
«  \hl  sire,  écoutez-nous.  )> 

II  —  Ellipse  des  prépositions  de  et  à  devant  le  cas 

régime. 

S  372.  —  Devant  le  cas  régime,  l'ancienne  langue  sup- 


SYNTAXE  DU  NOM.  163 

prim  ait  souvent  le  de  possessif.  On  disait  :  «  Li  fils  Pierre, 
li  homme  le  roi,  »  pour  «  le  fils  de  Pierre,  les  hommes  du 
roi.  » 

Chanson  de  Roland  :  «  Gefreiz  d'Anjou,  le  m  gunfanu- 
niers.  »  Traduisez  :  «  Geoffroi  d'Anjou,  du  roi  gonfalonier, 
gonfalonier  du  roi.  » 

Joinville:  «  Après  la  bataille  le  conte  de  Flandres...  » 
Traduisez  :  «  Après  le  corps  de  bataille  du  comte  de 
Flandres...  » 

Nous  disons  encore  :  «  Hôtel-Dieu,  Fête-Dieu,  »  pour 
«  hôtel  de  Dieu,  fête  de  Dieu.  » 

§  373.  —  On  pouvait  aussi  supprimer  devant  le  cas  ré- 
gime la  préposition  à  marquant  le  régime  indirect  : 

Chanson  de  Roland:  «  Ne  placet  Deu,  ne  ses  seinz  ne  ses 
angles...  »  Traduisez  :  «  Ne  plaise  à  Dieu,  ni  à  ses  saints  ni 
à  ses  anges...  » 

Joinville  :  «  Pour  mes  chevaliers  donner  à  mangier.  » 
Traduisez  mot  à  mot  :  «  Pour  à  mes  chevaliers  donner  à 
manger;  »  c'est-à-dire  :  «  Pour  donner  à  manger  à  mes 
chevaliers.  » 

Nous  disons  encore  :  «  Dieu  merci,  »  c'est-à-dire  «  merci 
à  Dieu,  j'en  dis  merci  à  Dieu.  » 


CHAPITRE   PREMIER 

SYNTAXE    DU    NOM 

GENRE    FRANÇAIS    DES    NOMS  NEUTRES   EN   LATIN 

§  374.  —  C'est  le  masculin  qui  est  considéré,  en  français, 
comme  représentant  le  neutre  latin.  Aussi  les  mots  neutres 
latins  que  les  savants  et  lettrés  ont  jnlroduits  dans  la 
langue  française  sont-ils  tous  masculins  :  signe,  animal. 


164  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

cadavre,  etc.  Mais  nous  avons  vu  que,  parmi  les  mots  popu- 
laires àér'wés  des  neutres  latins,  quelques-uns  étaient  fémi- 
nins :  joie,  arme,  etc.  (§  60).  Le  mot  évangile  était  aussi 
féminin,  et  Boileau  l'emploie  encore  avec  ce  genre  : 

L'évangile  au  chrétien  ne  dit  en  aucun  lieu  : 
Sois  dévot;  elle  dit  :  sois  doux,  simple,  équitable. 

Mais  sous  une  influence  savante,  ce  mot,  qui  était  neutre 
en  grec  et  en  latin,  a  pris  le  genre  français  correspondant, 
le  masculin. 

NOMS    FÉMININS    DE    LA    DEUXIÈME    DÉCLINAISON 
LATINE 

§  375.  —  Les  noms  féminins  de  la  deuxième  déclinai- 
son latine,  qui  presque  tous  étaient  des  noms  d'arbres, 
sont  devenus  masculins  en  français  :  orme,  frêne,  pin, 
myrte,  etc. 

NOMS    LATINS    EN    «  OR,    OREM  » 

§  376.  —  Presque  tous  les  noms  latins  en  or,  orem,  sont 
masculins.  Ils  ont  produit  cependant  des  mots  français  qui 
sont  tous  féminins  à  l'origine.  Ces  mots  se  terminent  en 
eur,  sauf  amour  :  honneur,  humeur,  valeur,  ardeur,  etc. 
Au  xvi^  siècle,  on  leur  a  rendu  le  genre  qu'ils  avaient  en 
latin  ;  mais  le  féminin  a  définitivement  prévalu,  sauf  pour 
honneur,  labeur  et  amour.  Encore  «  amour  »  est-il  féminin 
au  pluriel. 

RÈGLE   GÉNÉRALE  DU  GENRE  PRIMITIF  DES   NOMS 
EN  FRANÇAIS  —  C.\USES  DE  VARIATION 

§  377.  —  Ces  réserves  faites,  on  peut  dire  que  les  noms 
français  ont  conserve  en  principe  le  genre  des  noms  latins 
correspondants.  Quant  aux  mots  de  formation  française. 


SYNTAXE  DU  NOM.  165 

ils  ont  pris  le  genre  des  mots  de  formation  latine  qui 
avaient,  le  même  suffixe. 

§  378.  —  Mais  un  bon  nombre  de  mots  français  qui,  à 
l'origine,  étaient  masculins,  sont  devenus  féminins,  ou 
vice  versa,  et  les  uns  ont  conservé  leur  nouveau  genre,  les 
autres  ont  vu  reparaître  l'ancien.  Souvent  on  trouve  le 
môme  nom  employé  tantôt  comme  masculin,  tantôt  comme 
féminin,  sans  qu'on  puisse  en  général  établir  une  diffé- 
rence de  sens  entre  les  deux  emplois  ;  quelques-uns  sont 
restés  dans  la  langue  actuelle  avec  les  deux  genres,  mais 
on  a  séparé  les  genres  par  des  nuances  de  signification 
(couple),  ou  bien  l'un  des  deux  est  réservé  au  pluriel, 
l'autre  au  singulier  (orgue,  délice). 

§  379.  —  Cette  variabilité  de  genre,  quelquefois  encore 
inexpliquée,  est  en  grande  partie  attribuable  aux  termi- 
naisons :  on  était  tenté  de  faire  masculins  les  noms  fémi- 
nins qui  ne  se  terminaient  pas  par  un  e  muet,  et  de  faire 
féminins  les  masculins  qui  avaient  une  terminaison  fémi- 
nine. Et  les  mots  qui  étaient  le  plus  exposés  à  changer  de 
genre  étaient  ceux  qui  commençaient  par  une  voyelle, 
parce  que  devant  ces  mots,  qu'ils  soient  masculins  ou 
féminins,  l'article  défini  ou  indéfini  et  l'adjectif  démons- 
tratif ou  possessif  ont  la  même  prononciation,  sinon  tou- 
jours la  même  forme.  Comparez  :  l'ouvrage  et  l'oreille,  un 
ouvrage  et  une  oreille  (un'  oreille),  cet  ouvrage  et  cette 
oreille  (cet'  oreille),  son  ouvrage  et  son  oreille.  Les  mots 
commençant  par  des  consoimcs  étaient  protégés  contre  le 
cliangement  de  genre  par  la  différence  des  articles  et  des 
adjectifs  démonstratifs  :  le  bois,  la  foi,  etc. 

§  380.  —  Enfin  certains  noms  féminins  ont  pu  devenir 
masculins  sous  l'influence  de  l'idée  neutre  ou  masculine 
•  lu'ils  exprimaient.  L'ancienne  langue  disait  «  la  men- 
songe » .  Mais  ce  mot  exprime  le  fait  de  mentir,  «  le  men- 


166  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

tir  »  comme  on  dirait,  si  mentir  pouvait  s'employer  sub- 
stantivement. De  là  le  changement  de  genre.  De  même 
personnes,  été  fait  masculin  quand  on  a  voulu  désigner  un 
homme,  aigle  est  devenu  masculin  quand  on  a  voulu  dési- 
gner l'animal  mâle  ou  l'animal  sans  distinction  de  sexe. 

LISTE   DE    NOMS    A    GENRE   VARIABLE 

§  381.  —  Nous  donnons  ci-après,  par  ordre  alphabé- 
tique, une  liste  de  noms  qui  se  trouvent  dans  les  textes  du 
moyen  âge  avec  un  genre  différent  du  genre  actuel  : 

—  Affaire.  Ce  mot,  qui  se  compose  de  la  préposition  à  et  de 
rinflnitif  faire,  a  été  d'abord  masculin  : 

Vilkhardouin  :  «  Vous  avez  empris  le  plus  grant  a  faire  et  le 
j>\\is  perilleus  que  onques  mais  gent  entrepreïssent.  « 

—  Amour  est  toujours  féminin  au  moyen  âge  (Voyez  ci- 
dessus  §  376)  : 

Chanson  de  Berthe:  «  De  mauvaise  maraslre  est  Vamour  moût 
petite,  » 

—  Art  est  quelquefois  féminin  (genre  latin)  : 

Roman  de  Roland  :  «  Barbarins  est  e  mult  de  maies  arz.  » 
Mot  à  mot  :  «  Il  est  de  Barbarie  et  beaucoup  de  mauvaises 
arts,  »  c'est-à-dire  «  de  très  mécbantes  mœurs.  » 

—  Comté.  Il  y  avait  au  moyen  âge  deux  formes  pour  ce  mol: 
conté  (suffixe  lalin  dtum)  .éiail  masculin,  et  conleé  (suffixe  latin 
itdtem)  était  féminin.  Le  genre  de  contcé  a  été  souvent  attribué 
à  conté.  C'est  ainsi  que  nous  disons  encore  :  «  la  Franche- 
Comté.  » 

—  Dent  est  quelquefois  masculin  (genre  latin): 
Chanson  des  Saxons  :  «  Les  danz  menus  et  blanz.  » 

—  Doute  (substantif  verbal  de  douter)  est  souvent  féminin  : 
Joinville:  «  Car  nulle  templacion  ne  nulle  douce  je  n'ai  dou 

sacrement  de  l'autel.  »  Traduisez:  «Car  je  n'ai  nulle  tentation 
ni  nul  doute  sur  le  sacrement  de  l'autel.  » 

—  Duché  est  souvent  féminin,  pour  la  même  raison  que 
comté. 

—  Espace  (neutre  en  latin)  est  souvent  féminin  : 
Froissart  :  «  Quand  on  l'eut  regardé  une  espace,  «  C'est- 


SYNTAXE  DU  NOM.  167 

à-dire   :   <■<■  Quand  on  l'eut  regardé  un   espace   de  temps.  » 

—  Exemple  (neutre  en  latin)  est  féminin  sous  la  forme  essam- 
ple  dans  la  Chanson  de  Roland  :  «  Malvaise  essample  n'en  sera 
ja  de  mei.  »  C'est-à-dire  :  «  Mauvais  exemple  ne  viendra  jamais 
de  moi.  » 

—  Fourmi  est  le  plus  souvent  masculin  : 

Brunetto  Lutino  :  «  For/)u's  est  pelite  chose  ;  mais  il  est  de 
grant  porveance.  »  Mot  à  mot  :  «  Le  fourmi  est  petite  chose, 
mais  il  est  de  grande  prévoyance.  » 

—  Guide  était  féminin  dans  l'ancienne  langue  (et  l'est  en- 
core dans  le  sens  de  lanière  de  cuir)  : 

Commynes  :  «  On  demanda  la  guide  à  ceux  qui  conduisoient 
les  enseignes...  et  chascun  respondit:  Je  n'en  ai  point.  » 

Le  mot  est  aussi  féminin  au  xvii«  siècle.  Voyez  Molière  (Sga- 
narelle)  : 

«  La  guide  des  pécheurs  est  encore  un  bon  livre.  » 

Dans  le  sens  de  «  homme  qui  guide  »,  l'ancienne  langue  em- 
ployait tantôt  le  féminin  guide,  tantôt  un  mot  masculin  qui 
était  guis  (cas  régime  :  guion). 

—  Honneur.  Comme  «  amour»,  honneur  est  du  féminin  au 
moyen  âge: 

Roman  de  Berthe  :  «  Quand  de  si  haute  honneur,  je  suis  cheiie 
en  la  boue.  » 

—  Image  (féminin  en  latin)  se  (rouve  quelquefois  masculin  : 
Oresme  :  a  Sachent  les  autres  faire  beaux  images.  » 

—  Labeur.  Comme  «  amour  »  et  «  honneur  »,  labeur  est  du 
féminin  au  moyen  âge  (Voyez  §  376), 

Chrétien  de  Troyes  :  «  la  n'iert  perie  ina  labours;  »  c'esl- 
à-dire  :  «  Mon  labeur  ne  sera  point  perdu.  » 

—  Malice  est  quelquefois  masculin  : 

FroissaiH:  «  Et  tant  fit  par  son  subtil  malice  et  engin  que...  » 

—  Mensonge  a  été  d'abord  féminin  : 

Cornmyncs  :  «  Une  plus  belle  mensonge.  »  Le  peuple  dit  en- 
core «  une  mensonge  ». 

—  Mérite  est  féminin  à  l'origine  : 

Jean  de  Meung:  «  Pechié  porte  sa  peine  et  bienfait  sa  mérite.  » 

—  Miracle  (neutre  en  latin)  est  souvent  féminin  : 
Joinville  :  «  Là  où  il  fait  moult  bêles  miracles.  » 

—  Mœurs  est  quelquefois  masculin  (coinme  en  lalin)  : 
Eustache  Deschamps  :  «  Les  meurs  mauvais  de  sa  condicion.  » 


168  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

—  Paroi  est  quelquefois  masculin  (genre  latin)  : 

Livre  des  Rois  :  «  Les  pareiz  furent  cuverz  de  tables  de  cè- 
dre. »  Mot  à  mot  :  «  Les  parois  furent  couverts...  » 

—  Poison  (féminin  en  latin)  a  été  longtemps  féminin,  et 
l'est  encore  dans  la  langue  populaire  : 

Roman  de  Renart  :  «  Car  je  vos  ai  la  poison  quise.  »  Mot  à 
mot  :  «  Car  je  vous  ai  la  poison  cherchée.  i>  Poison  a  ici  le  sens 
de  «  potion  ».  Ces  deux  mots  dérivent  d'ailleurs  du  même  mot 
latin  (potionem),  l'un  par  voie  populaire,  l'autre  par  voie  sa- 
vante. 

—  Rencontre  est  d'abord  masculin  : 
Froissart  :  «  En  ce  dur  rencontre.  « 

—  Reproche  est  souvent  féminin. 

Texte  cité  par  Du  Cange  :  «  EL  ycelles  reproces  et  oppositions 
veulent  poursuir.  » 

—  Rien  est  féminin  à  l'origine,  et  signifie  chose,  comme  res 
en  latin: 

Châtelain  de  Coud  :  «  La  douce  rien  qui  fausse  amie  a  nom;  » 
c'est-à-dire  :  «  La  douce  chose  qui  a  nom  fausse  amie.  » 

§  382.  —  Nous  avons  dû  faire  un  choix  de  mots,  pour 
ne  pas  grossir  cette  liste  outre  mesure.  On  pourrait  y 
ajouter  entre  autres  :  âge,  aise,  emplâtre, évêché,  lièvre,  na- 
vire, office,  ongle,  ordre,  ost  (masculin  dans  La  Fontaine, 
vieux  mot  qui  signifie  armée),  reste,  rets  (écrit  rois  au 
moyen  âge),  salut ,  serpent ,  sort,  vice,  que  l'on  trouve  fémi- 
nins plus  ou  moins  souvent  ;  dette,  étude,  foudre,  horloge, 
idole,  offrey  voile  (de  navire),  que  l'on  trouve  masculins. 


CHAPITRE  11 

SYNTAXE    DE    L'ADJECTIF 

EMPLOI   ANCIEN    DES   FORMES   FÉMININES 

ANALOGIQUES 

§  383.  —  Dans  les  plus  anciens  textes,  où  l'on  trouve 


SYNTAXE  DE  L'ADJECTIF.  169 

déjà  quelques  féminins  analogiques,  tels  que  «  grande  », 
il  semble  que  le  féminin  avec  e  muet  soit  surtout  em- 
ployé comme  attribut.  On  disait  :  «  La  joie  est  grande,  » 
mais  «  la  grand  joie.  » 

ADJECTIFS   INVARIABLES   PAR    POSITION 

§  384.  —  Plusieurs  adjectifs  sont  aujourd'hui  invaria- 
bles lorsqu'ils  précèdent  le  nom  dans  les  constructions 
telles  que  :  «  Sauf  la  considération  que  je  vous  dois,  nu- 
pieds,  etc.  »  L'ancienne  langue  disait  :  «  Sauve  la  considé- 
ration, nus  pieds,  etc.  » 

Froissart  :  «  Sauve  votre  grâce.  » 


CHAPITRE   III 

SYNTAXE   DES   NOMS   DE   NOMBRE 

ARTICLE  DEVANT  LES  NOMS  DE  NOMBRE 
CARDINAUX 

§  385.  —  L'ancienne  langue  employait  l'article  devant 
les  noms  de  nombre  cardinaux  exprimant  une  partie  d'un 
nombre  total  déterminé.  Ainsi  l'auteur  de  la  Chanson  de 
Roland,  parlant  des  tours  de  Saragosse,  dit  : 
«  Les  dis  sunt  granz,  les  cinquante  menues.  » 
Nous  dirions  :  «  Dix  sont  grandes  et  cinquante  petites.  » 
De  môme,  Roland,  sur  le  point  de  mourir,  frappe  sa 
poitrine  «  à  l'u7ie  main  ».  Nous  dirions  :  «  Avec  une  main, 
d'une  main.  »  Toutefois  «  un  »  peut  encore  êti-e  précédé 
de  l'article,  mais  alors  il  est  pronom  et  non  adjectif  : 
«  l'une  des  mains.  » 

Aujourd'hui,  les  noms  de  nombre  (autres  que  wn),  qui 
expriment   une  partie  d'un  nombre  total  déterminé,  ne 


170  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

sont  précédés  de  l'article  que  s'ils  sont  accompagnés  d'un 
adjectif  :  «  Les  dix  premières,  les  dix  autres,  les  dix  plus 
éloignées.  » 

CHAPITRE    IV 

SYNTAXE    DE    L'ARTICLE    ET    DES    ADJECTIFS 
ET    PRONOMS    DÉMONSTRATIFS 

L'ARTICLE 

I.  —  Emploi  des  noms  sans  article  et  sans  (<  de  » 
partitif. 

§  386.  —  L'article  indéfini  un  ^  et  le  de  partitif  sont 
anciens  dans  la  langue.  Mais,  à  l'origine,  leur  emploi  était 
beaucoup  plus  restreint  qu'aujourd'hui,  et  l'on  trouve 
souvent  sans  aucun  article,  et  sans  de  partitif,  des  noms 
que  nous  ferions  précéder  aujourd'hui  de  l'un  ou  l'autre 
de  ces  mots.  L'ancienne  langue  n'avait  pas  non  plus  Tha- 
bilude  de  personnifier,  comme  nous  faisons,  les  abstrac- 
tions, en  plaçant  l'article  défini  devant  les  noms  abstraits 
non  déterminés  :  la  force,  la  haine,  etc.  Nous  avons  con- 
servé dans  les  proverbes  et  dans  un  certain  nombre  de 
locutions  (notamment  après  les  prépositions)  le  vieil  em- 
ploi de  ces  mots  sans  article  :  «  par  force,  faire  merveille, 
patience  et  longueur  de  temps  font  plus  que  force  ni  que 
rage.  » 

Voici,  comme  exemples,  quelques  phrases  de  nos  vieux 
auteurs  dans  lesquelles  nous  mettrions  aujourd'hui  devant 
le  nom  l'un  des  articles,  avec  ou  sans  cfe  partitif,  ou  le  de 
partitif  seul  : 

1.  La  syntaxe  do  l'article  indéfini  doit  être  placée  dans  le  chapitre 
des  adjectifs  et  pronoms  indéfinis.  Nous  ne  signalons  ici  que  le  non- 
emploi  do  00  moi  dans  certains  cas  communs  aux  deux  articles. 


SYNTAXE   DE   L'ARTICLE.  171 

Chanson  de  Roland  ;«  'èvir  pâlies  blancs  siéent  cil  cheva- 
lier. ))  C'est-à-dire  :  «  Sur  des  tapis  blancs  sont  assis  ces 
chevaliers.  ^) 

Joinville  :  «  Tandis  que  li  roys  fermoit  Sayete,  vindrent 
marcheant  en  l'ost.  »  Traduisez  :  «  Tandis  que  le  roi  for- 
tiûait  Sayette,  des  marchands  vinrent  dans  le  camp.  » 

Ibidem  :  «  Dont  grans  joie  fut  et  doit  estre  à  tout  le 
le  royaume  de  France.  » 

Nous  dirions  :  «  Ce  fut  et  ce  doit  être  une  grande  joie 
pour  tout  le  royaume  de  France.  » 

Ibidem  :  «  Or  acorderent  entre  aus  que  il  n'averoicnt 
pooir  de  faire  chaucie.  »  C'est-à-dire  :  «  Ils  furent  dac- 
oord  qu'ils  n'auraient  pas  le  pouvoir  de  faire  de  chaussée, 
qu'ils  ne  pourraient  faire  de  chaussée.  » 

II.  —  Emploi  de  l'article  après  le  «  de  »  partitif. 

§  387.  — L'ancienne  langue  ne  connaissait  pas  non  plus 
les  règles  en  vertu  desquelles  tantôt  nous  mettons  et  tantôt 
nous  supprimons  l'article  après  le  de  partitif. 

Chanson  de  Roland  :  «  Trop  ad  perd  ut  del  sanc.  »  Mot  à 
mot  :  «  Il  a  trop  perdu  du  sang.  »  Nous  dirions  aujour- 
d'hui :  «  Il  a  trop  perdu  de  sang.  >> 

III.  —  Non-emploi  de  l'article  devant  les  noms  de 

pays. 

§  388.  —  Nous  mettons  généralement  l'arliclc  défini 
devant  les  noms  propres  de  pays  :  «  la  France,  /'lispagne.  » 
On  disait  autrefois  sans  article  :  France,  Fspagne,  etc. 

Chanson  de  Roland  :  «  Par  Guenclun  serat  destruite 
France.  » 

Ibidem  :  «  Que  nus  perdium  clere  Espaigne.  » 

§389.  —  Aujourd'Iuti,  dans  les  cas  où,  par  exception, 
les  noms   de  pays  doivent   èlre  employés  sans  article,  il 


172  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

suffit  que  le  nom  soit  accompagné  d'un  adjectif  pour  que 
l'article  reparaisse  :  «  Je  reviens  d'Italie  »  ;  mais  «  Je  re- 
viens de  V Italie  méridionale.  »  Même  avec  un  adjectif,  l'an- 
cienne langue  supprimaitTarticle. 

Chanson  de  Roland  :  «  Li  emperere  Caries  de  France 
dulce.  » 

Voyez  aussi  le  dernier  exemple  du  paragraphe  précé- 
dent. 

LES  ADJECTIFS  ET  PRONOMS  DÉMONSTRATIFS 
I.  —  Les  différents  cas  de  «  icist,  cist  « . 

§  390.  —  Notre  adjectif  démonstratif  ce,  cet  {ce  livre,  cet 
homme)  dérive  de  l'ancienne  forme  icest,  cest,  qui  ne  s'em- 
ployait que  pour  le  cas  régime  : 

Chanson  de  Roland  :  «  A  icest  mot  untFranceis  escriet.  » 
Traduisez  :  «  A  ce  mot  les  Français  ont  crié.  » 

§  391.  —  Quand  l'adjectif  démonstratif  se  rapportait  au 
sujet,  «  icest,  cest  »  prenait,  comme  nous  l'avons  vu,  la 
forme  icisf,  cist,  cis  : 

Joinville  :  «  Et  cis  consaus  li  fu  donez.  »  Traduisez  : 
Et  ce  conseil  lui  fut  donné.  » 

§  392.  —  Au  cas  régime  singulier,  on  pouvait  employer 
soit  icest,  cest,  soit  la  deuxième  forme,  dérivée  du  datif 
latin  :  icestui,  ceslui: 

Joinville  :  «  Et  ce  fist  il  pour  ce  que  li  emperieres  eust 
aliance  a  ccstni  grant  riche  home  contre  Vatace.  »  Tra- 
duisez :  «  Et  il  fit  cela  pour  que  l'empereur  eût  alhance 
avec  ce  grand  et  riche  homme  contre  Vatace. 

§  393.  —  Le  second  cas  régime  faisait  au  féminin  : 
<(  icestci,  cestei,  cesti.  »  Si,  dans  la  phrase  précédente,  on 
remplaçait  «  homme  »  par  «  femme  »,  il  faudrait  mettre  : 
«  à  cestei  grant  riche  femme,  »  ou  «  à  cesti  »  dans  d'autres 


SYNTAXE  DES  ADJECTIFS  ET  PRONOMS  DÉMONSTRATIFS.      173 

dialectes;  ou  bien,  en  employant  le  premier  cas  régime 
féminin  :  «  à  ceste  grant  riche  femme.  » 

§  394.  —  Nous  croyons  inutile  de  donner  des  exemples 
de  l'emploi  des  deux  cas  du  pluriel,  sauf  cependant  pour 
le  féminin.  Nous  savons  que,  au  féminin  pluriel,  avant 
de  dire  ces,  on  a  dit  cestes.  Voici  un  exemple  de  cette 
forme  : 

Bousier  des  Dames  :  «  Regardez  cestes  fillettes.  » 

II.  —  Emploi  de  «  icist,  cist  »  comme  pronom. 

§  395.  —  «  Icist,  cist»  n'était  pas  seulement  adjectif  dé- 
monstratif, valeur  que  «  cet  »  a  conservée,  il  servait  aussi 
de  pronom  démonstratif,  avec  le  sens  de  «  celui-ci  ». 

Chanson  de  Roland  :  «  Cist  sunt  bon  a  cunfundre.  »  Mot 
à  mot  :  «  Ceux-ci  sont  bons  à  confondre.  » 

Ibidem  :  «  Apres  iceste,  altre  avisiun  sunjat.  »  Mot  à 
mot  :  «  Après  celle-ci,  il  songea  une  autre  vision.  » 

Traduction  des  sermons  de  saint  Bernard  :  «  De  ccstei 
faisons  nos  ui  la  feste.  »  G'est-à-dire  :  «  Nous  faisons 
aujourd'hui  la  fête  de  celle-ci.  » 

§  396.  —  Avec  cestui  et  ceste  et  l'adverbe  ci,  on  avait 
formé  un  autre  pronom  démonstratif  :  «  Cestui-ci,  ceste- 
ci,  »  qui  a  été  en  usage,  conjointement  avec  celui-ci,  celle- 
ci,  jusqu'au  xvi*^  siècle. 

III.  —  L'adjectif  pronom  «  icil,  cil  ». 

§  397.  —  L'ancien  adjectif  pronom  «  icil,  cil  »  avait, 
comme  icist,  deux  cas  régimes  au  singulier  ;  nous  avons 
conservé  le  second  cas  régime  (celui)  pour  le  masculin,  et 
le  premier  (celle)  pour  le  féminin.  Les  différents  cas  A' icil 
s'employaient  comme  ceux  d'icist. 

§  398.  —  «  Icil,  cil  »  avait  une  triple  valeur;  il  signi- 
fiait :  «  cet,  celui-ci  (ou  celui-là),  celui.  » 

10. 


174  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Chanson  de  Roland  :  «  Et  cil  respunt.  »  C'est-à-dire  : 
«  Et,  celui-ci  répond.  » 

Ibidem  :  «  Sur  pâlies  blancs  siéent  cil  chevalier.  » 
G'cst-à-dire  :  «  Ces  chevaliers  sont  assis  sur  des  tapis 
blancs.  » 

Sermons  de  saint  Bernard  :  «  S'il  poc  sunt  espoenteit  de 
la  colpe  de  celui.  »  Traduisez  :  «  S'ils  sont  peu  épouvantés 
de  la  faute  de  celui-ci.  » 

Joinville  :  «  Et  tuit  cil  qui  avoient  afaire.  »  C'est-à-dire  : 
«  Et  tous  ceux  qui  avaient  une  affaire.  » 

IJridem  :  Li  roys  tint  celé  teste  es  haies  de  Saumur.  » 
Traduisez  :  «  Le  roi  tint  cette  fête  dans  les  halles  de  Sau- 
mur. » 

Roman  de  Berthe  :  «  Tout  droit  à  celui  temps  que  je  ci 
vous  devis.  »  C'est-à-dire  :  «  Tout  juste  en  ce  temps  dont  je 
parle  ici.  » 

Voltaire  emploie  encore  «  icelui  »,  par  plaisanterie, 
avec  le  sens  de  celui-ci  : 

«  Comment  Candide  fut  élevé  dans  un  beau  château  et 
comment  il  fut  chassé  d'icelui.  » 

IV.  —  «  Cist  »  et  «  cil  »  employés  au  lieu  de 
l'article. 

399.  —  Cist  et  cil  avaient  quelquefois  une  valeur  dé- 
monstrative très  affaiblie,  et  dans  ce  cas  nous  les  rempla- 
cerions aujourd'hui  par  l'article. 

Chanson  de  Roland  :  E  escremissent«7  bachelerlegier.  » 
C'est-à-dire  :  «  Et  les  bacheliers  légers  s'amusent  à  l'es- 
crime. » 

Joinville  :  Et  les  haies  sont  faites  à  îa  guise  des  cloistres 
de  ces  moinnes  blans.  »  Traduisez  :  «  Et  les  halles  sont 
faites  à  la  manière  des  cloîtres  des  moines  blancs.  » 


SYNTAXE  DES  ADJECTIFS  ET  PRONOMS  DÉMONSTRATIFS.      175 

V.  —  «  Cist  »  opposé  à  «  cil  ». 

§  400.  —  Cist  a  aussi,  relativement  à  cil,  la  même  va- 
leur que  celui-ci  relativement  à  celui-là. 

Sermons  de  saint  Bernard  :  Li  jors  venrat  k'il  (le  sacri- 
fice) el  temple  ne  serat  mies  offerz  ne  entre  les  braz  Symeon, 
mais  defors  la  citeit,  entre  les  braz  de  la  croix.  Cil  sacre- 
fices  serat  sacrefices  vesprins  ;  mais  cist  est  or  matutinals. 
Cist  est  or  voirement  plus  deleitavles  :  mais  cil  iert  plus 
planiers.  »  Traduisez  :  «  Le  jour  viendra  où  le  sacrifice  ne 
sera  point  offert  dans  le  temple  ni  entre  les  bras  de  Si- 
méon,  mais  hors  de  la  cité,  entre  les  bras  de  la  croix.  Ce 
sacrifîce-/à  sera  le  sacrifice  du  soir;  mah  celui-ci  est  le 
sacrifice  du  matin.  Celui-ci  est  vraiment  plus  délectable, 
mais  celui-là  sera  plus  entier.  » 

VI.  —  Le  pronom  neutre  «  ce  ». 

401.  —  Le  pronom  neutre  ce  s'employait  très  souvent 
là  où  nous  mettrions  cela  : 

Chanson  de  Roland  :  Ço  sencfiot  pais  e  humilitet.  » 
C'est-à-dire  :  «  Cela  signifie  paix  et  humilité.  » 

Ibidem  :  Avoec  iço  plus  de  cinquante  cares.  »  C'est-à-dire  ; 
«  Avec  cela  plus  de  cinquante  chars.  » 

Nous  disons  encore  :  «  sur  ce.  » 

402.  —  Devant  le  pronom  relatif  neutre,  sauf  dans 
([uelques  locutions  consacrées  (comme  :  qui  plus  est)  la  lan- 
gue actuelle  met  toujours  le  pronom  démonstratif  ce.  D 
n'en  était  point  ainsi  dans  l'ancienne  langue. 

Prose  de  sainte  Eulalie  :  «  El  li  enortet,  dont  Ici  nonque 
chielt...  »  C'est-à-dire  :  «  Il  l'exhorle,  ce  dont  il  ne  Jui 
chaut  pas...  »C'estainsique  Molière  dit  encore  :  «  Ah!  pol- 
tron, c?on^  j'enrage,  lâche,  vrai  cœur  de  poule!  » 

Chanson  de  Roland  :  «  Je  fereie  que  fols.  »  C'est-à-dire  : 


176  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

«  Je  ferais  ce  que  ferait  un  fou.  »  (Comp.  §  709.) 
Sermons  de  saint  Bernard  :  Lucifer  ki  ewals  volt  estre  a 
Deu,  A;' al  fil  apartient  propprement.  »  C'est-à-dire  :  «Luci- 
fer qui  voulut  être  égal  à  Dieu,  ce  qui  appartient  propre- 
ment au  fils.  » 

CHAPITRE  V 

SYNTAXE     DES     PRONOMS    PERSONNELS 

Pronom  personnel  non  exprimé. 

§  403.  —  Très  souvent  l'ancienne  langue  n'exprimait 
pas  le  pronom  personnel  sujet  : 

Joinville  :  Or  vous  vueil  faire  une  demande.  »  Tradui- 
sez :  «  Or  je  vous  veux  faire  une  demande.  » 

Sermons  de  saint  Bernard  :  «  Et  por  ceu  bien  fais  se  tu 
crois  que....  »  Traduisez  :  «  Et  pour  cela  tu  fais  bien  si  tu 
crois  que....  » 

Chanson  de  Roland  :  «  Tresqu'en  la  mer  cunquist  la 
tere  altaigne.  »  Traduisez  :  «  Jusqu'à  la  mer,  il  conquit  la 
liante  terre.  » 

Joinville  :  «  Et  devisiens  li  uns  à  l'autre.  »  Traduisez  : 
«  Et  nous  devisions  l'un  avec  l'autre.  » 

Sermons  de  saint  Bernard  :  «  Ui  aveiz  oït  en  l'ewan- 
gele.  »  Traduisez  :  «  Aujourd'hui  vous  avez  entendu  dans 
1  évangile...  » 

Chanson  de  Roland  :  «  Parmi  celé  ost  fmit  mil  graisles 
suner.  »  Traduisez  :  «  Dans  l'armée,  ils  font  sonner  mille 
clairons.  » 

On  pouvait  aussi  ne  pas  exprimer  le  pronom  imper- 
sonnel il. 

Sermons  de  saint  Bernard  :  «  De  lui  estoit  escrit  ke...  » 
Traduisez  :  «  De  lui  il  était  écrit  que...  » 


SYNTAXE  DES  PRONOMS  PERSONNELS.  177 

Pronom  pléonastique. 

§  404.  —  Nous  employons  le  pronom  personnel,  con- 
curremment avec  le  nom  qu'il  est  chargé  de  représenter, 
dans  les  phrases  telles  que  :  «  Son  père  arrive-t-i/?  — 
Aussi  son  cousin  esi-il  venu.  »  L'ancienne  langue  ne  con- 
naissait pas  l'usage  de  ce  pronom  pléonastique,  et  disait  : 
«  Son  père  arrive?  »  ou  «  Arrive  son  père  ?  » 

S''nnons  de  saint  Bernard  :  «  At  dons  mestier  de  la  me- 
dicine  ci/ ki  sainz  est?  »  Traduisez  :  «  A-t-i/ donc  besoin 
de  la  médecine,  celui  qui  est  sain?  » 

§  405.  —  En  revanche,  on  trouve  souvent  dans  les  an- 
ciens textes  des  pléonasmes  tels  que  :  «  Son  père  il  est 
venu.  »  Mais,  en  général,  le  sujet  est  séparé  du  pronom 
pléonastique  par  un  membre  de  phrase  : 

Sermons  de  saint  Bernard  :  «  Li  pèlerins,  s'il  saiges  est, 
et  s'il  ne  mat  mies  en  obli  sa  pérégrination,  il  trespesset.  » 
Mot  à  mot  :  «  Le  voyageur  s'il  est  sage,  et  s'il  ne  met  pas 
en  oubli  son  voyage,  il  va  au  delà.  » 

Je,  tu,  il  au  lieu  de  moi,  toi,  lui. 

§  406.  —  Nous  disons  :  «  Il  est  plus  grand  que  toi  et 
moi;  —  moi  et  ^oi  nous  irons  ;  —  toi  et  lui  vous  irez;  — 
lui-même  est  venu,  etc.  »  L'ancienne  langue  disait:  «  11  est 
plus  grand  que  je  et  tu  ;  —  je  et  tu  irons  ;  —  tu  ei  il  irez  ; 
—  il  meismes  est  venuz.  » 

Chanson  de  Roland  :  «  Et^o  et  vus  irum.  » 
Roman  de  Renart  :  «  Je  bois  plus  que  tu.  » 
Joinville  :  Il  meismes  l'amendoit  de  sa  bouche.  » 
Cependant,  dès  le  xu''  sirclc,  on  trouve  des  exemples 
du  cas  régime  substitué  au  cas  sujet  dans  ces  sortes  de 
phrases. 


178  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Moi,  toi,  soi,  lui,  au  lieu  de  me,  te,  se,  le. 

§  407.  —  «  Moi,  toi  »  ne  s'emploient  plus  comme  com- 
pléments indirects  sans  préposition  que  lorsqu'ils  suivent 
un  impératif:  Donne-?/zoî  ton  livre.  Dans  l'ancienne  langue, 
c'était  un  emploi  ordinaire  de  moi,  toi,  soi.  On  disait  :  «  Il 
moi  dit,  »  aussi  bien  que  «  il  me  dit.  » 

Chanson  de  Roland  :  «  Se  tei  plaist.  »  Mot  à  mot  :  «  S'il 
toi  plaît.  » 

Roman  de  Berthe  :  «  Moi  ne  chaut  qu'on  en  face.  » 
C'est-à-dire  :  «  Ce  qu'on  en  fera  ne  me  chaut  pas,  ne  m'im- 
porte pas.  » 

Roman  de  la  Rose  :  «  Traitor  et  envieus  Sunt  de  moi 
nuire  curieus.  »  C'est-à-dire  :  «  Les  traîtres  et  les  envieux 
sont  empressés  à  me  nuire.  » 

§  408.  —  «  Moi,  toi,  soi  »  s'employaient  aussi,  de  même 
que  les  formes  proclitiques  «  me,  te,  se  »,  comme  com- 
pléments directs  ^ 

Chanson  de  Roland  :  «  Ki  tei  (toi)  ad  mort  France  a  mis  en 
exill.  »  C'est-à-dire  :  «  Qui  ^'atué  amis  la  France  en  deuil.  » 

Ibidem  :  «  Qui  traist  hume,  sei  (soi)  ocit  e  altrui.  »  C'est- 
à-dire  :  «  Qui  a  trahi  un  homme  se  tue  et  lue  autrui.  » 

Au  XVII®  siècle,  La  Fontaine  écrit  encore  : 

Tant  ne  songeaient  au  service  divin 
Qu'à,  soi  montrer 

§  409.  —  Lui  a  conservé  plus  complètement  que  moi  et 
toi  son  ancien  emploi  comme  complément  indirect  sans 
préposition  :  «  il  lui  dit.  »  On  trouve  aussi  «  il  li  dit.  » 

De  même  que  «  moi,  toi,  soi  »,  lui  (ou  H)  s'employait 
comme  complément  direct  : 

1.  Ces  pronoms  servent  encore  comme  compléments  directs,  mais 
seulement  dans  des  constructions  spéciales:  «  11  n'a  reconnu  que  toi.  » 


SYNTAXE  DES  PRONOMS  PERSONNELS.        179 

Chanson  de  Roland  :  «  Se  lui  laissiez,  n'i  trametrez  plus 
saive.  »  C'est-à-dire  :  «  Si  vous  le  laissez,  vous  n'y  enverrez 
pas  un  plus  sage.  » 

Joinville  :  «  Li  amiral  avoient  eu  grant  vouloir....  de  H 
faire  soudanc  de  Babiloine.  »  C'est-à-dire  :  «  Les  émirs 
avaient  eu  grand  désir  de  le  faire  soudan  de  Babylone.  » 

Emploi  de  lei  et  li. 

§  410.  —  Lei  était  le  féminin  de  lui.  Mais  ces  deux  pro- 
noms ont  eu  une  forme  commune,  li,  qui  s'est  employée 
concurremment  avec  lui  pour  le  masculin,  et  qui  de  bonne 
heure  s'est  substituée  entièrement  à  lei  pour  le  féminin, 
sauf  dans  certains  dialectes.  Li  a  disparu  depuis,  et  son 
rôle  de  pronom  régime  féminin  a  été  partagé  entre  lui, 
qui  est  devenu  des  deux  genres  comme  régime  indirect 
sans  préposition  (quant  à  sa  mère,  il  lui  écrivit),  et  elle 
comme  régime  direct  non  proclitique  et  régime  des  pré- 
positions (il  ne  reconnaît  quelle,  il  l'a  fait  pour  elle). 

Là  où  nous  trouvons  les  féminins  lei  et  li,  on  mettrait 
donc  aujourd'hui  lui  ou  elle  : 

Roman  de  Rerthe  :  «  Que  Berte  nostre  fille  ne  nous 
vit,  ne  nous  li  ;  »  c'est-à-dire  :  «  ni  nous  elle.  » 

Joinville,  parlant  de  la  reine  :  «  II  se  conseillierent  et 
revindrent  a  li,  et  li  otroierent  que  il  demourroient  volen- 
tiers.  »  Traduisez  :  «  Ils  se  consultèrent  et  revinrent  à  elle, 
et  lui  octroyèrent  qu'ils  demeureraient  volontiers.  » 

Sermons  de  saint  Bernard  :  «  En  maintes  manières  nos 
csjoyons  en  lei.  »  C'est-à-dire  :  «  En  maintes  manières 
nous  nous  réjouissons  en  elle.  » 

Emploi  de  leur. 

§  411.  —  Leur  n'est  pas  seulement  employé  comme 
régime  indirect  sans  préposition  ;  il  sert  aussi  dans  l'an- 


180  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

cienne  langue  comme  régime  ordinaire  après  les  prépo- 
sitions : 

Joinville  :  «  En  tel  manière  que  la  generacions  dont  l'on 
devoit  faire  roy  esllroient  entre  lour  cinquante  dous  des 
plus  saiges  homes.  «  Traduisez  :  «  En  telle  manière  que 
ceux  de  la  tribu  d'où  l'on  devait  faire  un  roi  éliraient 
entre  eux  cinquante-deux  hommes  des  plus  sages.  » 

Yzopet  de  Lyon  :  «  A  roi  sor  lour  le  coronarent.  »  C'est- 
à-dire  :  «  Ils  le  couronnèrent  comme  roi  sur  eux.  » 

Lui,  eux,  au  lieu  de  se. 

§  412.  —  En  principe,  le  pronom  «  se,  soi  »  devrait  être 
employé  au  lieu  de  «  le,  lui,  les,  eux  »  quand  l'action  est 
réfléchie,  c'est-à-dire  toutes  les  fois  que  c'est  la  même 
personne  qui  agit  et  sur  laquelle  porte  l'action  :  «  il  sort 
ou  ils  sortent  pour  se  distraire;  il  le  fait  ou  ils  le  font  pour 
soi.  »  Mais  de  bonne  heure  on  a  pu  substituer  au  pronom 
réfléchi  le  pronom  non  réfléchi  de  la  troisième  personne 
(du  moins  les  formes  non  proclitiques  de  ce  pronom,  lui, 
eux),  et  on  a  dit  :  «  il  sort  pour  lui  distraire,  ils  sortent 
pour  eux  distraire,  il  le  fait  pour  lui  (pour  lui-même),  ils 
le  font  pour  eux.  »  Nous  ne  disons  plus  :  «  il  sort  pour  lui 
distraire,  »  parce  que  les  pronoms  non  proclitiques  ne 
sont  plus  employés  comme  régimes  directs  précédant  le 
verbe  (§  408).  Et  d'autre  part,  les  pronoms  proclitiques 
le,  les,  ne  se  sont  jamais  employés  au  lieu  de  se. 

Nous  continuons  d'ailleurs  à  nous  servir  de  «  lui,  eux  » 
au  lieu  de  «  soi  »,  quelquefois  obligatoirement  (il  attire 
tout  à  lui).  Il  nous  suffira  donc  de  donner  quelques  exem- 
ples de  «  lui,  eux  »  dans  l'ancienne  langue,  là  oii  nous 
mettrions  aujourd'hui  se  et  oii  l'ancienne  langue  pouvait 
mettre  soi. 

Chanson  de  Roland  :  «  As  tables  juent  pur  els  (eux)  esba- 


ï 


SYNTAXE  DES  ADJECTIFS  ET  PRONOMS  POSSESSIFS.      181 

neier.  »  Traduisez:  «  Ils  jouent  aux  tables  pour  se  divertir.  » 
Joinville  :  «  11  nous  avoit  appelez  pour  H  (lui)  confesser 
à  moy.  »  Traduisez  :  «  Il  nous  avait  appelés  pour  se  confes- 
ser à  moi.  » 

CHAPITRE   VI 

SYNTAXE    DES    ADJECTIFS     ET    PRONOMS     POSSESSIFS 

Cas  de  l'adjectif  possessif. 

§  413.  —  Pour  l'emploi  des  différents  cas  de  l'adjectif 
possessif,  nous  ne  donnerons  que  quelques  exemples,  cet 
emploi  étant  parfaitement  régulier,  et  n'offrant  aucune 
difficulté.  Voj'ez  au  surplus  les  remarques  générales  sur 
l'emploi  des  cas  (§  369). 

Chanson  de  Roland  :  «  Li  reis  Marsilies  est  mult  mis 
enemis.  »  Traduisez  :  «  Le  roi  Marsile  est  beaucoup  mon 
ennemi.  » 

Ibidem  :  «  Quand  l'Emperere  vait  querre  sun  nevuld.  » 
C'est-à-dire  :  «  Quand  l'Empereur  va  chercher  son  neveu.  » 

Joinville  :  «  Pour  ce,  fîst-il,  que  mes  chastiaus  est  en 
marche.  »  Traduisez  :  «  Parce  que,  fit-il,  )non  château  est 
sur  la  frontière.  » 

Ibidem  :  «  Il  fu  batus  en  l'estache  des  félons  Juis,  qui 
dévoient  estre  si  frère.  »  Traduisez  :  «  Il  fut  battu  au  po- 
teau des  félons  Juifs  qui  devaient  être  ses  frères.  » 

Nostre,  vostre  au  cas  sujet  masculin  pluriel  de  l'adjectif 
possessif,  au  lieu  de  nos,  vos. 

§  414.  —  Le  pluriel  de  nostre,  vostre,  était  d'abord 

«  nostres,  vostres  »  au  féminin  et  au  cas  régime  masculin, 

«  nostre,  vostre  n  au  cas  sujet  masculin.  Ces  formes  ne  se 

sont  conservées  que  dans  les  emplois  non  proclitiques  : 

Clédat,  1 1 


182  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

*  ils  sont  nôtres ,  ce  sont  les  nôtres.  «  De  très  bonne 
heure,  quand  ces  mots  sont  proclitiques,  on  les  trouve 
abrégés  en  nos.,  vos  (nos  hommes,  vos  paroles);  toutefois 
au  cas  sujet  masculin  pluriel  on  a  employé  longtemps 
yiostre,  vostre  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Nostre  Franceis  n'unt  talent  de 
fuir.  »  Traduisez  ;  «  Nos  Français  n'ont  pas  désir  de 
fuir.  » 

Joinville  :  «  Et  sont  nostre  enfant  cousin  germain.  » 
Traduisez  :  «  Et  sont  nos  enfants  cousins  germains.  » 

Nos,  vos,  no,  vo,  au  lieu  de  nostre,  vostre. 

§  415.  —  Nous  savons  aussi  qu'on  trouve  une  décli- 
naison spéciale  de  l'adjectif  possessif  des  deux  pre- 
mières personnes  du  pluriel,  déclinaison  dont  nous  avons 
expliqué  l'origine  §  147,  et  dont  nous  donnons  ici  le 
tableau  : 

Masculin.  Féminin. 

Cassuj.:  nos,  vos  /au  lieu  de  nostre,  vos-\\  /  au  lieu  de  \ 

Casrég.:  no,  \o     \     <;'e  invariables      J)^^'^^  \jiostre, vostre) 

PLURIEL. 

Masculin.  Féminin. 

Cassuj.:  no,  xo     (    au  lieu  de    \  j 

\7iostre,  vostre  J  f  /comme  dans  la\ 

Casrég.:  nos,  vos  (co'n"^e  dans  la\     "°''^"^  V  décl.  ordin.   ) 

\  decl.  ordin.    /  ; 

Voici  un  passage  de  la  Chanson  d'Aliscans,  où  l'on  voit 
mélangées  les  formes  de  cette  déclinaison  et  celles  de  la 
déclinaison  dérivée  directement  du  latin  : 

«  Niés  Vivien,  dist  Guillaumos  li  frans, 
Mar  fu  vos  cors  ke  tant  par  crt  vaillans, 
Voslre  proece  et  vostre  hardemeus, 
Et  vo  biauté  ko  si  crt  aveiians.  » 


SYNTAXE  DES  ADJECTIFS  ET  PRONOMS  POSSESSIFS.      183 

Traduisez  :  «  Neveu  Vivien,  dit  Guillaume  le  franc, 
malheureux  fut  (joua  de  malheur)  votre  corps  qui  était  si 
vaillant,  votre  prouesse  et  votre  hardiesse,  et  votre  beauté 
qui  était  si  avenante.  » 

Ma,  ta,  sa  devant  un  nom  commençant  par  une  voyelle, 

§  416.  —  Nous  remplaçons  aujourd'hui  l'adjectif  pos- 
sessif «  ma,  ta,  sa  »  parla  forme  masculine  «  mon,  ton, son  » 
devant  les  mots  féminins  commençant  par  une  voyelle  : 
«  mon  épée,  mon  amie,  mon  âme.  »  L'ancienne  langue 
disait  :  «  w'  espée,  m'  amie  (forme  que  nous  avons  con- 
servée, mais  que  nous  écrivons  ma  mie  par  confusion), 
m'  anme,  etc.  » 

Le  mien,  le  tien,  etc.,  employés  comme  adjectifs. 

§  417.  —  Mien,  tien,  sien,  notice,  votre,  leur,  précédés 
de  l'article,  sont  aujourd'hui  exclusivement  pronoms;  l'an- 
cienne langue  les  employait  aussi  comme  adjectifs,  et 
disait  «  le  mien  frère  »  aussi  bien  que  «  mon  frère  ».  Ces 
adjectifs  possessifs  pouvaient  être  précédés  non  seulement 
de  l'article  défini,  mais  de  l'article  un,  d'un  adjectif  indé- 
fini, ou  d'un  adjectif  démonstratif  :  ce  mien  fils,  un  leur 
ami.  Nous  disons  encore  «  un  mien  ami,  un  sien  ami  », 
mais  nous  ne  dirions  plus  «  un  nôtre  ami,  un  leur  ami.  » 

Chanson  de  Roland  :  «  Rollanz  cist  miens  fîllastre.  »  Mot 
à  mot  :  «  Roland  ce  mien  beau-fils.  » 

Ibidem  :  «  Si  recevrat  la  nostre  lei  plus  salve.  »  Mot  à 
mot  :  «  Il  recevra  la  nôtre  loi  plus  salutaire.  » 

§  418.  — Los  féminins  meie,  teie  (et  tue), scie  (et  si<e)que 
nous  avons  remplacés  par  mienne,  tienne,  sienne,  avaient 
les  mêmes  emplois  que  les  masculins  correspondants. 

Chanson  de  Roland  :  «  Cestc  meie  grant  ire.  »  C'est-à- 
dire  :  «  Celte  mienne  grande  colère.  »  ♦ 


184  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Emplois  exceptionnels  de  différentes  formes 
de  l'adjectif  possessif. 

§  419.  —  On  trouve  quelques  rares  exemples  de  meie 
(mienne)  employé  devant  le  nom,  au  lieu  de  ma,  sans  au- 
cun article  ni  déterminatif,  et  de  son  au  lieu  de  sien,  nos 
au  lieu  de  noslre,  après  un  déterminatif. 

Chanson  de  Roland  :  «  De  meie  part.  »  Mot  à  mot  :  «  De 
mienne  part  »,  c'est-à-dire  :  «  de  ma  part.  » 

Ibidem  :  «  Ci  vos  enveiet  un  sun  noble  baron.  »  Mot  à 
mot  :  «  Ici  il  vous  envoie  un  son  noble  baron  »,  c'est-à- 
dire  :  «  un  sien  noble  baron.  » 

Ibidem  :  «  Tu  n'ies  mie  des  noz.  »  Traduisez  :  «  Tu  n'es 
point  des  nôtres.  » 


CHAPITRE   YII 

SYNTAXE     DU    PRONOM     RELATIF    ET    INTERROGATIF 

Gui  ou  qui  au  lieu  de  que,  à,  qui. 

§  420.  —  Le  pronom  relatif  qui  s'emploie  aujourd'hui 
comme  sujet,  et  après  les  prépositions  :  «  l'ami  qui  vous 
parle,  l'ami  pour  qui  vous  venez,  »  Après  les  prépositions 
on  trouve  souvent  dans  les  anciens  textes  l'orthographe 
cui  (l'ami  pour  oui).  Gomme  régime  direct,  nous  em- 
ployons toujours  la  forme  proclitique  que  :  «  l'ami  que 
vous  recommandez.  »  L'ancienne  langue  aurait  pu  dire  : 
<(  l'ami  cui  (ou  qui)  vous  recommandez.  »  Le  même  qui 
s'employait  aussi  comme  régime  indirect  sans  préposition  : 
«  l'ami  qui  (ou  cui)  vous  parlez.  »  Voici  des  exemples  de 
CCS  deux  emplois  : 

1°  Cwi  régime  indirect  sans  préposition  : 


SYNTAXE  DU   PRONOM   RELATIF  ET  INTERROGATIF.      183 

Chanson  de  Gcujdon  :  «  Et  li  Danois,  cui  Dex  puist  mal 
donner!  »  Traduisez  :  «  Et  le  Danois,  à  qui  Dieu  puisse 
envoyer  malheur!  » 

2"  Cui  régime  direct  : 

Serments  de  Strasbourg  :  «  Neuls  cui  eo  returnar  int 
pois.  »  Traduisez  :  «  Nul  que  t^' en  puis  détourner.  » 

Sermons  de  saint  Bernard  :  «  La  veriteit  cvy  ju  ave- 
rai  deconue.  »  Traduisez  :  «  La  vérité  que  j'aurai  mé- 
connue. » 

Joinville  :  «  Les  autres  roys...  cuy  Dex  absoyle  !  »  Tra- 
duisez :  «  Les  autres  rois...  que  Dieu  absolve!  » 

De  supprimé  devant  le  pronom  relatif. 

§  421.  —  Devant  le  cas  régime  du  pronom  relatif, 
comme  devant  le  cas  régime  des  noms,  on  pouvait  suppri- 
mer le  de  possessif. 

Villehardouin  :  «  Et  li  marchis  de  Montferrat  en  la  cui 
garde  li  rois  l'avoit  mis.  »  Mot  à  mot  :  «  Et  le  marquis  de 
Montferrat  en  la  de  qui  garde  le  roi  l'avait  mis,  »  c'est-à- 
dire  :  «  en  la  garde  de  qui.  » 

Sermons  de  saint  Bernard  :  «  L'avcnt  cuy  nons  est 
asseiz  rcnomeiz.  »  Mot  à  mot  :  «  L'avent  de  qui  le  nom  est 
assez  renommé  »,  c'est-à-dire  :  «  dont  le  nom,  etc.  » 

Joinville  :  «  Je  ving  au  conte  de  Soissons,  cui  cousine 
germainnc  j'avoie  espousée.  »  C'est-à-dire  :  «  Je  vins 
au  comte  de  Soissons,  de  qui  j'avais  épousé  la  cousine 
germaine.  » 

Pronom  relatif  avec  un  nom  de  chose  pour 
antécédent. 

§  422.  —  L'avant-dornicr  exemple  cité  montre  que  cui 
régime  s'employait  môme  quand  on  parlait  d'une  chose. 


186  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Aujourd'hui  qui  sujet  seul  peut  se  rapporter  à  un  nom  de 
chose;  nous  dirions  :  «  lavent  qui  nous  occupe  »,  mais 
non  :  «  l'avent  de  qui  nous  nous  occupons.  »  Il  faudrait 
mettre  :  «  dont  »  ou  «  duquel.  »  C'est  en  effet  lequel  qui 
remplace  en  général  qui  régime  pour  les  noms  de 
choses.  Dans  l'ancienne  langue  on  employait  aussi  la 
forme  neutre  quel,  quoi,  avec  les  noms  de  choses  pour 
antécédents  : 

Joinville  :  «  Li  gaaingnour  vont  chascuns  labourer  en  sa 
terre  à  une  charue  sans  rouelles,  de  quoy  il  tornent  de- 
dens  la  terre  les  fourmens....  »  Mot  à  mot  :  «  Les  labou- 
reurs vont  chacun  labourer  en  sa  terre  avec  une  charrue 
sans  roues,  avec  quoi  ils  retournent  dans  la  terre  les 
froments.  » 

Ibidem  :  «  Trois  toyses  doit  (yson  sur  quoy  nostre  neiz 
estoit  fondée.  »  Mot  à  mot  :  «  Trois  toises  de  la  quille  sur 
quoi  notre  vaisseau  reposait.  » 

Que  pronom  neutre  sujet. 

§  423.  —  Nous  avons  vu  que  la  forme  étymologique  du 
pronom  relatif  neutre  au  cas  sujet  était  que.  Voici  des 
exemples  de  ce  pronom  sujet  : 

Sermons  de  saint  Bernard  :  «  Rendre  a  un  chascun  ceu 
ke  sien  est.  »  C'est-à-dire  :  «  Rendre  à  chacun  ce;  qui  est 
sien.  » 

Ibidem  :  «  Ceu  que  comandeit  nos  est.  »  C'est-à-dire  : 
«  Ce  qui  nous  est  commandé.  » 

Cui  ou  qui  interrogatif  au  lieu  de  à,  qui. 

§  424.  —  Le  pronom  interrogatif  «  qui  ?  »  avait  aussi 
la  forme  cui  ou  qui  comme  cas  régime  indirect  sans  pré- 
position : 

Chanson  de  Roland  :  «  De  ço  qui  calt  ?  »  Mot  à  mot  : 


SYNTAXE  DES  ADJECTIFS  ET  PRONOMS  INDÉFINIS.      187 

«  De  cela  à  qui  chaut-il?  »  C'est-à-dire:  «  à  qui  cela  im- 
porte-t-il  ?  » 

Que  neutre  inlerrogatif  entre  deux  verbes. 

§  425.  —  Nous  n'employons  plus  que  neutre  interroga- 
tif  entre  deux  verbes,  si  ce  n'est  devant  un  infinitif.  Nous 
le  remplaçons  ordinairement  par  le  pronom  démonstratif 
<:c  suivi  du  pronom  relatif.  On  ne  dit  pas  :  «  j'ignore  que 
vous  faites  »,  mais  :  «  j'ignore  ce  que  vous  faites.  »  La 
première  formule  se  rencontre  souvent  dans  l'ancienne 
langue  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Or  ne  sai  jo  que  face.  »  Mot  à 
mot:  «  Maintenant  je  ne  sais  que  je  fasse.  »  C'est-à-dire  : 
«  je  ne  sais  ce  que  je  dois  faire.  » 

Joinville  :  «  Et  li  diz  que  il  alast  veoir  que  c'estoit.  »  Mot 
à  mot  :  «  Et  je  lui  dis  qu'il  allât  voir  que  c'était.  »  C'est-à- 
dire:  «  ce  que  c'était.  » 

CHAPITRE   VllI 

SYNTAXE    DES    ADJECTIFS    ET    PRONOMS    INDÉFINIS 

§  426.  —  Nous  examinerons,  dans  l'ordre  alphabétique, 
les  princi[)aux  adjectifs  et  pronoms  indéfinis  : 

—  Aucun  a  originairement  le  sens  de  «  quelque,  quel- 
qu'un »,  qui  est  le  sens  étymologique  (latin  aliquis  itmts),  et 
qui  s'est  conservé  dans  la  locution  :  «  aucuns  ou  iVaucuns  di- 
sent. »  Au  moyen  âge  on  employait  aucun  avec  l'article  : 

Beauinanoir:  «  Li  aucun  des  homes  si  veulent  dire...  »  Tra- 
duisez: «  Quelques-uns  des  hommes  veulent  dire...  » 

—  Autre.  L'ancienne  langue  employait  autre  sans  aucun 
arlicle  là  où  nous  disons:  «  un  autre.  » 

Chanson  de  Roland:  «  Apres  icesle,  «Wrc  avisiun  sunjat.  » 
C'est-à-dire  :  «  Après  celle-ci,  il  eut  une  autre  vision.  » 


188  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

Autrui  est  à  l'origine  le  cas  régime  de  aut7'e.  Comme  devant 
tous  les  cas  régimes,  le  de  possessif  pouvait  être  supprimé  de- 
vant autrui,  et  ce  mot  pouvait  être  placé  avant  le  nom  dont  il 
était  le  complément:  «  l'autrui  bien,  »  c'est-à-dire:  «  le  d'un 
autre  bien,  le  bien  d'un  autre,  le  bien  d'autrui.  »  On  disait  aussi 
«  l'autrui  »,  c'est-à-dire  :  «  le  (neutre)  d'autrui  »,  ce  qui  est  à 
un  autre,  comme  on  dit  :  «  le  mien  »,  ce  qui  est  à  moi.  L'au- 
trui signifiait  donc  :  «  le  bien  d'autrui.  » 

Joiîiville:  «  Et  il  me  dist:  Se  je  demeur,  demourrez-vous  ? 
Et  je  li  dis  que  oyl,  se  je  puis  ne  dou  mien  ne  de  Vauti'uy.  » 
Mot  à  mot:  «  Et  il  me  dit  :  Si  je  demeure,  demeurerez-vous ? 
Et  je  lui  dis  que  oui,  si  je  puis  ou  du  mien  ou  de  l'autrui.  » 
C'est-à-dire  :  ^<■  ou  à  mes  frais  (du  mien)  ou  aux  frais  d'au- 
trui. » 

—  Chacun  (latin  quisque  unus)  était  à  la  fois  adjectif  et  pro- 
nom : 

Chanson  des  Saxons  :  ((  F'aites  chascun  baron  en  sa  terre  en- 
voyer. ))  Nous  dirions  :  «  Faites  envoyer  chaque  baron  dans  sa 
terre.  » 

JoinviUe:  «  C/irtSCM?i  jour  ».  C'est-à-dire:  «  Chaque  iour.  » 

—  El  (latin  aliud),  pronom  indéfini  neutre,  signifiant  «  autre 
chose  »,  a  disparu  de  la  langue. 

Chanson  de  Roland:  «  Pur  el  venut  n'i  estes.  »  C'est-à-dire: 
«  Vous  n'y  êtes  pas  venu  pour  autre  chose.  » 

—  Même  vient  d'un  superlatif  populaire  (wïf/2psî"wî<.s)  de  ?»e<<jjse, 
qui  avait  la  même  signification  en  latin  populaire.  Le  sens  pri- 
mitif de  ce  mot  est  celui  que  nous  lui  donnons  encore  quand 
nous  disons  :  «  l'homme  même  »  ou  «  l'homme  lui-même.  » 
L'autre  sens  du  mot  (dans  le  même  homme)  est  dérivé  de  celui- 
ci.  Aujourd'hui  même  a  l'une  de  ces  significations  lorsqu'il  pré- 
cède le  nom,  et  l'autre  lorsqu'il  le  suit.  Dans  l'ancienne  langue^ 
le  sens  du  mot  n'était  pas  déterminé  par  sa  place,  mais  seule- 
ment par  le  sens  général  de  la  phrase.  Ainsi  :  u  le  même 
homme  »  pouvait  avoir  le  sens  actuel  de  «  l'homme  même  », 
el  «  l'homme  même  »  pouvait  signifier  «  le  même  homme  ». 
Encore  au  -axii"  siècle  Corneille  écrit: 

«  Sais-tu  que  ce  vieillard  fut  la  même  vertu?  » 

Et  il  faut  entendre  u  la  vertu  même  ». 

Chanspn  de  Roland:  «  Nuncierent  vus  ccz  paroles  meîsmes.  » 


SYNTAXE  DES  ADJECTIFS  ET  PRONOMS  INDÉFINIS.      189 

D'après  les  vers  qui  précèdent,  il  est  clair  qu'il  faut  traduire  : 
«  Ils  vous  portèrent  ces  mêmes  paroles  »,  et  non  pas  :  «  ces  paro- 
les mêmes.  » 

—  Moult.  A  côté  de  moult  adverbe  (beaucoup),  l'ancienne 
langue  avait  aussi  l'adjectif  woî(/i  (beaucoup  de)  dont  le  féminin 
était  mollîtes. 

Psautier  d'Oxford:  «  Moult  félon  se  drecent  contre  moi.  » 

—  Nul,  aujourd'hui,  ne  peut  êlre  pronom  que  comme  sujet 
de  la  phrase,  et  au  masculin.  On  dit  :  (t  nul  ne  vient  »,  mais  on 
ne  dirait  pas,  comme  au  moyen  âge  :  «  il  ne  rencontre  nid  », 
ni  «  nulle  ne  vient.  » 

Joinville  :  «  Et  il  me  dist  que  il  n'estoit  a  nullui.  »  Mot  à  mot  r 
«  El  il  me  dit  qu'il  n'était  à  nul  (à  personne).  »  Nului  est  l'une 
des  formes  du  cas  régime  de  nuls  (Voyez  §  156). 

T^ul,  après  la  conjonction  si,  ou  dans  les  interrogations,  peut 
équivaloir  à  u  quelque,  quelqu'un.  » 

Roman  de  la  Rose  :  «  Et  se  nus  ne  nule  demande  Comment  je 
voil  que  cil  rommanz  Soit  appelez...  Ce  est  li  rommanz  de  la 
Rose.  »  Traduisez  :  «  Et  si  quelqu'un  ou  quelqu'une  demande 
comment  je  veux  que  ce  roman  soit  appelé...  » 

—  On.  Lorsque  on  doit  suivre  le  verbe,  on  ne  peut  aujour- 
d'hui l'employer  avec  l'article .  L'ancienne  langue  disait  au 
contraire:  «  le  croira  Ton?  Aussi  le  croit  l'on.  »  D'ailleurs  on 
pouvait  dire  aussi  :  «  le  croira  on?  »  Et  dans  ce  cas  on  n'inter- 
calait pas,  comme  nous  le  faisons  aujourd'hui,  uni  euphonique 
entre  le  verbe, et  on. 

—  Plusieurs  signifie  à  l'origine  «  un  plus  grand  nombre 
de  ».  Ce  mot,  toujours  pluriel,  n'avait  pas  d's,  suivant  la 
règle  générale,  au  cas  sujet.  Lorsqu'il  était  précédé  de  l'ar- 
ticle il  prenait  le  sens  de  :  «  le  plus  grand  nombre  de,  la  plu- 
part. » 

Chanson  de  Roland:  «  Encuntre  terre  se  pasment  li  plusur.  » 
Mot  à  mot  :  <c  Contre  terre  se  pâment  les  j^lusieurs  »,  c'est-à- 
dire  :  «  la  plupart.  » 

—  Quant.  A  côté  de  l'adverbe  quant,  il  y  avait,  dans  l'ancienne 
langue,  l'adjectif  indéhni  quant,  qui  prenait  une  s,  comme  tous 
les  adjectifs,  au  cas  sujet  singulier  et  au  cas  régime  pluriel,  et 
dont  le  féminin  était  qualité.  Cet  adjectif  avait  le  sens  de 
«  combien  de  ». 

Commyncs:  «  Et  luy  demanday  quunlcs  batailles  il  avoit  gai- 

11. 


190  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

gnées.  »  Traduisez  :  «  Et  je  lui  demandai  combien  de  batailles  il 
avait  gagnées.  » 

—  Quel  que,  quelque  que.  En  dehors  des  exclamations, 
quel  ne  peut  plus  être  séparé  de  que  par  un  substantif.  Nous 
ne  disons  pas  comme  dans  l'ancienne  langue  :  «  quel  parti  que 
vous  preniez  »,  mais  «  quelque  parti  que  vous  preniez»,  en  re- 
doublant que.  Le  premier  que  est  considéré  comme  ne  formant 
qu'un  seul  mot  avec  quel;  mais  «  quelque  »  a  ici  exactement 
le  sens  de  quel,  et  non  pas  celui  de  «  quelque  )>  dans  :  «  il  faut 
prendre  quelque  parti.  »  On  voit  cependant  que  les  deux  sens 
sont  voisins  et  se  rattachent  à  la  même  origine. 

Voici,  entre  beaucoup  d'autres,  un  exemple  de  quel  séparé 
de  que  par  un  substantif: 

Chanson  de  Roland  :  «  Quel  part  qu'il  ait,  ne  poet  mie  caïr.  » 
Mot  à  mot  :  «  Quelle  part  qu  il  aille,  il  ne  peut  point  tomber.  » 

On  a  dit  à  l'origine  :  «  Quel  ami  que  vous  choisissiez  »,  et  en 
même  temps:  «  quelque  soit  l'ami  que  vous  choisissiez.  »  Puis 
ces  deux  expressions,  identiques  de  sens,  ont  été  confondues 
l'une  avec  l'autre,  et  «  quel  que...  que  »  a  été  transporté  de  la 
seconde  à  la  première,  de  telle  sorte  que  «  quelqu'ami  que 
vous  choisissiez  »  peut  être  considéré  comme  une  forme  abré- 
gée de  «  quelque  (soit  1')  ami  que  vous  choisissiez.»  On  en  trouve 
des  exemples  dès  le  xiu''  siècle. 

Quelque,  au  sens  de  «  un  certain,  un  certain  nombre  de,  » 
peut  être  rattaché  aussi  à  «  quel  que  soit.  »  Aujourd'hui  encore 
il  n'y  a  pas  une  très  grande  diûerence  de  sens  entre  :  «  Avez- 
vous  quelque  ami?  »  et  «  Avez-vous  un  ami  quel  qu'il  soit?  » 
On  ne  s'étonnera  donc  pas  que,  dans  le  mot  «  quelque  »,  que 
ait  été  d'abord  invariable,  tandis  que  quel  prenait  les  flexions 
de  nombre,  de  cas  et  de  genre: 

Ronum  de  la  Rose  :  «  Ou  par  quiexque  malaventures.  )>  Mot  à 
mot  :  «  Ou  par  quelsque  malheurs.  » 

Quel,  dans  l'ancienne  langue,  et  quelque  dans  la  langue 
actuelle,  peuvent  être  suivis  de  qui.  On  dit  :  ((  Quelque  ennui 
que  vous  aj'ez  »,  mais  : 

«  Rritannicus  est  seul;  quelqii'cnnm  qui  le  presse...  » 

C'est  que  le  pronom  relatif  est  régime  du  verbe  dans  la  pre- 
mière phrase,  et  sujet  dans  la  seconde. 

—  Quelconque,  que  nous  employons  aujourd'hui  comme  le 
latin  quuliscuiHque  (ijuel  qu'il  soit),  se  décompose  parfois  dans 


SYNTAXE   DES  ADJECTIFS  ET   PRONOMS  INDÉFINIS.      191 

rancieiine  langue  en  «  quel  qu'onques  »  c'est-à-dire  en  «  quel 
que  »  et  le  vieil  adverbe  onques  (latin  unquam)  qui  a  le  sens  de 
notre  «  jamais  «  non  négatif.  Aussi  trouve-t-on  «  quel  qu'on- 
ques »  employé  à  peu  près  comme  synonyme  de  «  quel  que.  ><• 
Onques  peut  se  placer  entre  quel  et  que  : 

Roman  de  la  Violette  :  «  En  quel  onques  liu  que  ie  soie.  »  Mot 
à  mot  :  «  En  quel  lieu  que  (en  quelque  lieu  que)  je  sois  ja- 
m<iis.  » 

On  trouve  aussi  quelconque  que  dans  le  sens  de  «  quelque 
que  »: 

YiUehardouin  :  k  En  quelconque  lieu  qu'il  orroieat  dire  qu'il 
tourneroit.  »  C'est-à-dire  :  «  En  quelque  lieu  qu'ils  entendraient 
dire  qu'il  se  dirigerait.  » 

—  Qui  que,  lequel  que,  quoi  que.  —  Quel  est  un  adjectif 
interrogatif.  Le  pronom  interrogatif  est  lequel  ou  qui.  A  priori 
on  conçoit  que  ce  pronom  puisse  s'employer  de  la  même 
manière  que  l'adjectif  correspondant,  et  qu'on  doive  trouver 
lequel  que  ou  qui  que,  aussi  bien  que  quel  que.  Lequel  que 
n'est  plus  en  usage,  mais  se  trouve  encore  dans  Bossuet  :  «  Le- 
quel des  trois  que  l'on  ôte...  »  Nous  tournons  aujourd'hui  par: 
«  quel  que  soit  celui  que.  ■>■> 

Qui  que  et  le  neutre  quoi  que  sont  encore  en  usage  ;  «  ijui 
que  vous  soyez,  quoi  que  ic  fasse.  »  Mais,  par  raison  d'eupho- 
nie, on  ne  dit  plus  «  qui  qui  vous  le  dise.  »  On  emploie  l'équi- 
valent :  <(  quel  que  soit  celui  qui.  »  A.  côté  de  «  quoi  que  »  l'an- 
cienne langue  disait  aussi  «  que  que  »,  substituant  à  qiioila. 
forme  proclili(iue  du  même  pronom. 

Chanson  de  Roland:  «  Que  que  Rollanz  Guenelon  forsfesist.  « 
C'est-à-dire  :  «  Quoi  que  Roland  ait  fait  à  Ganelon.  )> 

—  Quiconque  (aujourd'hui  sans  pluriel)  se  décompose  par- 
fois dans  les  anciens  textes  en  «  qui  qu'onques  »,  ou  «  qui  qui 
onques»  au  cas  sujet  (singulier  ou  pluriel),  et  s'emploie  au  sens 
de:  «qui  que...,  quelque  soit  celui  (|ui...,  quels  que  soient 
ceux  qui...  )> 

Livres  des  liois  :  «  Ki  ki  unches  volsissent  estre  pruveires...  » 
Mot  à  mot:  «  Qui  qui  jamais  voulussent  être  prêtres...  »  Nous 
dii'ions  :  «  Quels  que  fussent  ceux  qui  voulaient  être  prêtres  »,  ou 
avec  le  singulier  :  «  Quiconque  voulait  être  prêtre.  » 

Quiconque  est  aussi  employé  abusivement  comme  adjectif,  au 
lieu  de  quelconque  :  u  un  homme  quiconque.  » 


192  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

—  Tant,  de  môme  que  quant,  était  tour  à  tour  adverbe  et 
adjectif  indéfini  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Tanz  bons  vassals  veez  gésir  par 
terre.  »  Nous  dirions  aujourd'hui  avec  l'adverbe  tant  sui^â  de 
de  :  «  Vous  voyez  couchés  par  terre  tant  de  bons  vassaux,  w 

—  Tout  a  le  sens  du  latin  totus,  d'où  il  dérive,  dans  :  «  tout 
l'animal  est  bon  à  manger  »,  c'est-à-dire  a  l'animal  tout  en- 
tier »  ;  mais  il  a  le  sens  du  latin  omnis  dans  :  «  tout  animal 
peut  être  bon  à  quelque  chose  »,  c'est-à-dire  «  un  animal  n'im- 
porte lequel.  »  Au  pluriel,  tout  a  exclusivement  le  second  sens,^ 
et  ne  signifie  jamais  ((  tout  entier  ».  Au  singulier,  c'est  l'article 
qui  précise  la  valeur  de  l'adjectif:  tout  le  a  le  sens  de  totus,  et 
tout  sans  article  a  généralement  le  sens  de  omnis. 

Dans  l'ancienne  langue,  tout  sans  article  pouvait  avoir  les 
deux  sens  : 

Chanson  de  Boland  :  «  Li  angles  est  tute  noit  a  sun  cbief.  » 
Mot  à  mol  :  (c  L'ange  est  toute  nuit  à  sa  tête.  »  Mais  il  faut  en- 
tendre «  toute  la  nuit.  » 

Au  pluriel,  tout  est  presque  toujours  accompagné  de  l'article 
(ou  d'un  adjectif  démonstratif  ou  possessif).  Nous  disons  : 
«  tous  les  hommes  sont  mortels.  »  L'ancienne  langue  pouvait 
dire  :  «  tous  hommes  sont  mortels.  »  Notre  adverbe  toujours 
(tous  jours),  et  le  nom  de  la  fête  de  la  Toussaiiit  (fête  de  tous 
<iaints),  s'expliquent  par  cet  ancien  usage. 

Chanson  des  Saxons  :  «  Desor  toz  autres  rois  auriez  le  dan- 
gier.  »  Mot  à  mot  :  «  Sur  tous  autres  rois  vous  auriez  la  puis- 
sance. »  Nous  dirions:  «  sur  tous  les  autres...  » 

Toul,  pris  adverbialement,  a  le  sens  de  «  entièrement  »,  et  il 
est  alors  invariable,  sauf  devant  un  mot  féminin  commençant 
par  une  consonne.  Dans  l'ancienne  langue  l'adverbe  tout  pre- 
nait souvent  les  mêmes  flexions  que  l'adjectif: 

Chanson  de  Holand  :  «  Set  ans  tuz  pleins.  »  Mot  à  mot  :  ((  Sept 
ans  tous  pleins.  »  Nous  dirions:  u  tout  pleins.  » 

—  Un.  On  trouve  le  pluriel  de  un,  une,  avec  des  substantifs 
qui  s'employaient  habituellement  au  pluriel  :  unes  lettres,  unes 
cornes,  etc.  C'est  comme  si  nous  disions  aujourd'hui  :  «  unes 
funérailles.  » 

Joinville  :  «  Et  le  pendirent  par  les  bras  h' unes  fourches.  » 
Un  sans  article  ne  peut  être  pronom  c£ue  s'il  est  suivi  d'un 
complément  :  u  un  d'eux.  »  L'ancienne  langue  employait  plus- 


SYNTAXE  DU  VERBE.  193 

li])rement  ce  pronom,  tantôt  au  lieu  de  «  l'un  »,  tantôt  au  lieu 
de  K  un  homme.  » 

Commynes  :  a  Lequel  avoit  pour  premier  chambellan  ung  qui 
depuis  s'est  appelé  monseigneur  de  Chimay.  » 


CHAPITRE    IX 

SYNTAXE     DU     VERBE 

EMPLOI    DES    DIFFÉRENTES    ESPÈCES    DE    VERBES 

I.  —  Verbes  auxiliaires  «  Être  »  et  «  Aller  » 
suivis  du  gérondif-participe. 

§  427.  —  Les  auxiliaires  avoii^  et  être  s'employaient, 
comme  de  nos  jours,  pour  former  plusieurs  temps  du 
verbe  :  le  passé  indéfini,  le  plus-que-parfait,  etc. 

s;  428.  —  L'auxiliaire  être,  à  ses  divers  temps,  suivi  du 
[jarticipe  présent  des  verbes,  servait  également  à  rempla- 
cer les  temps  correspondants  de  ces  verbes  ;  on  disait  : 
«  je  suis  arrivant  »,  dans  le  sens  de  «  j'arrive  ». 

Chanson  de  Gaydon  :  «  Sainte  Marie,  car  me  soiez  ai- 
dons !  »  C'est-à-dire  :  «  Sainte  Marie,  aidefi-moi  !  » 

>;  429.  —  Avoir  et  être  ne  sont  pas  les  seuls  verbes 
auxiliaires  de  la  langue  française.  Les  verbes  aller,  devoir 
(au  présent  ou  à  l'imparfait),  suivis  do  l'infinitif  d'un 
autre  verbe,  perdent  souvent  leur  valeur  propre,  pour 
ne  \)\u^  exprimer  qu'une  nuance  du  futur  :  «  je  vais  vous 
le  dire,  j'allais  me  tromper,  il  doit  ou  il  devait  partir 
demain.  » 

ij  430.  —  Dans  l'ancienne  langue  l'auxiliaire  aller  s'em- 
ployait encore  avec  le  gérondif,  de  la  même  façon  que 
être  avec  le  participe  présent.  On  disait  :  «  il  allait  par- 
lant »  pour  «  il  parlait  ». 


494  GRAMMAIRE   DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

Chanson  d'Aliscans  :  «  Li  gentix  quens  s'areste  mainte- 
nant, A  Damedieu  va  son  gage  rendant.  » 

Traduisez  :  «  Le  noble  comte  s'arrête  maintenant,  au 
seigneur  Dieu  il  rend  son  gage.  » 

Quand  nous  employons  aujourd'hui  cette  tournure,  nous 
laissons  à  aller  quelque  chose  de  sa  valeur  propre.  La 
locution»  il  va  disant  que...  »  contient  à  la  fois  l'idée  d'aller 
et  celle  de  di7'e,  et  n'est  pas  synonyme  de  :  «  il  dit  que...  » 

II.  —  Verbe  suppléant  «  faire  ». 

§  431.  —  J'appelle  verbe  suppléant  le  verbe  faire, 
quand  il  sert  à  éviter  la  répétition  d'un  autre  verbe,  par 
exemple  qnand  on  dit  :  «  Il  court  mieux  que  vous  ne  faites  », 
c'est-à-dire  «  que  vous  ne  courez.  »  Ce  verbe  s'employait 
plus  fréquemment  ainsi  dans  l'ancienne  langue,  et  même 
pour  suppléer  un  verbe  exprimant  un  état  et  non  une  action. 

Chanson  de  Roland  :  (^  Mielz  en  valt  l'or  que  ne  funt 
cinq  cenz  livres.  »  Mut  à  mot  :  «  Mieux  en  vaut  l'or  que  ne 
font  (valent)  cinq  cents  livres.  » 

Yzopet  de  Lyon  :  «  Li  enfes  miez  ainme  une  pome  Qu'il 
ne  fait  avoir  ne  richesse.  » 

Traduisez:  «  L'enfant  aime  mieux  une  pomme  qu'il  ne 
fait  (qu'il  n'aime)  biens  ni  richesse.  » 

III.  —  Verbes  transitifs,  intransitifs  et  réfléchis. 

Variations  générales  dans  les  acceptions  des  verbes. 

'^  432.  — Certains  verbes,  (jui  à  l'origine  étaient  intran- 
sitifs, ont  pris  une  ou  plusieurs  XQ\c,\xr?>  transitives,  et  d'au- 
tres, qui  étaient  d'abord  transitifs,  sont  devenus  intransi- 
tifs; et  ces  diverses  acceptions  d'un  même  verbe  ont  vécu 
côte  à  côte,  ou  se  sont  sul)slituées  l'une  à  l'autre.  Ainsi 
«  descendre  »  est   d'abord  iutransitif  (descendre  d'une 


SYNTAXE  DU   VERBE.  195 

montagne)  ;  puis  on  a  dit  et  on  dit  encore  transitivement 
«  descendre  un  escalier  »,  et  «  descendre  (faire  descen- 
dre) un  tonneau  dans  une  cave  ».  En  outre,  des  verbes  qui 
ont  toujours  été  ou  sont  devenus  intransitifs  ont  encore  ou 
ont  eu  une  forme  réfléchie  :  se  mourir,  se  partir.  Tantôt 
c€tte  forme  réfléchie  se  rattache  à  une  ancienne  valeur 
transitive  :  le  sens  primitif  de /Jariir  étant  «  séparer  »,  «  se 
partir  de  quelqu'un  »  équivalait  à  «  se  séparer  de  quelqu'un.»  ■ 
Tantôt  le  se  est  explétif,  comme  dans  :  se  mourir. 

§  433.  —  L'étude  détaillée  des  acceptions  des  verbes 
rentre  dans  le  vocabulaire  et  non  dans  la  syntaxe.  Nous 
nous  contenterons  de  signaler  ici  un  certain  nombre  de 
verbes  que  l'on  trouve  employés  avec  des  acceptions  dif- 
férentes de  la  valeur  actuelle  : 

—  Accorder.  On  a  dit  :  «  s'accorder  que  )>  dans  le  sens  de 
«  être  d'avis  que.  » 

Jolnvilte  :  «  Je  m'acort  que  nous  nous  lassons  louz  tuer.  » 
Mol  à  mot  :  »  Je  m'accorde  que  nous  nous  laissions  tous  tuer.  » 

Ou  trouve  aussi  «  accorder  ù  )>  dans  le  sens  de  «  concorder 
avec,  s'accorder  avec.  » 

Charles  cVOrlcans  :  «  Adonc  congneuquc  ma  pensée  Accordoit 
à  ma  destinée.  » 

Tiadnisez  :  «  Alors  je  connus  que  ma  pensée  s'accordait  avec 
ma  doslinée.  » 

—  Accoucher  et  s'accoucher  avaient  d'abord  le  sens  géné- 
ral de  «  so  conclicr.  » 

Joinville  :  «  Et  pour  lesdiles  maladies  acouchai  ou  lit  mala- 
des »  Mot  <à  mot:  «  Et  pour  Icsditcs  maladies  j'accouchai  au  q 
lit  malade,  n  C'est-à-dire  :  «je  me  couchai.  » 

—  Allaiter  a  souvent  le  sens  de  «  téter  »  : 
Beaumanoir  :  «  Un  cnfes  qui  alaiteroit  sa  mère.  »  Traduisez  : 

«  Un  enfant  qui  téterait  sa  mère.  » 

—  Apparaître.  On  trouve  «  apparaître  »  et  «  s'apparaître  » 
avec  la  même  signification  : 

Beaumanoir  :  a  Que  nus  ne  se  fust  apanis  contre  eus.  »  Tra- 
duisez :  «  Que  nul  n'eîd  apparu  conlre  eux.  » 


196  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

—  Arrêter.  On  trouve  arrêter  intransilif  avec  le  sens  de 
«  s'arrrter  »  : 

Communes  :  «  Le  cardinal  Balue  qui  peu  y  aresta.  »  Tradui- 
sez :  «  Qui  s'y  arrêta  peu.  « 

Nous  employons  encore  «  arrêter  »  intransilif  dans  certaines 
locutions,  et  notamment  à  l'impératif:  «  Arrêtez!  » 

—  Arriver  est  transitif  dans  les  sens  de  «  aborder  (un  pays)  » 
et  de  «  faire  aborder  »  : 

Joinville  :  u  Cil  qui  nous  conduisoient,..  nous  ariverent  devant 
une  herberge.  >>  C'est-à-dire  :  «  Ceux  qui  nous  conduisaient 
nous  firent  aborder  devant  un  campement.  » 

Froissart  :  «  L'Angleterre  est  un  pays  moult  dangereux  à  ar- 
river. )> 

—  Avaler  a  d'abord  le  sens  de  «  descendre  »  et  de  «  faire 
descendre.  >■>  On  disait  «  avaler  (descendre)  un  escalier  >)  et 
«  avaler  (abaisser)  un  pont  levis.  «  Il  y  avait  aussi  la  forme  ré- 
fléchie «  s'avaler  »,  dans  le  sens  de  «  descendre.  » 

Froissart  :  «  Environ  deux  cents  lances  s'avalèrent  devers 
Maing.  » 

Aujourd'hui,  «  avaler  »  ne  signifie  plus  que  «  faire  descendre 
par  le  gosier  »,  comme  dans  ce  passage  de  Joinville  : 

«  Pour  ce  que  il  peussent  la  viande  maschier  et  avaler  aval.  » 

—  Combattre.  On  trouve  «  se  combattre  à  »  dans  le  sens 
de  «  se  balLre  avec  ». 

Joinville  :  «  Se  combatent  li  anemi  à  nous  touz  les  jours.  » 

—  Conseiller  a  quelquefois  le  sens  de  «  consulter.  » 
Yzopet  de  Lyon:  «  Li  rois...  ses  barons  consoi7/e.  »  C'est-à- 
dire  :  «  Le  roi.. .  consulte  ses  barons.  » 

«  Se  conseiller  »,  et  «  conseiller  »  intransitif,  ont  aussi  les  sens 
de  «  prendre  conseil  »  et  de  «  décider  ». 

Joinville  :  «  Et  lour  requist  que  il  li  aidassent  à  conseillier 
comment  Ton  dcpartiroit  ce  que  l'on  avoit  gaaingnié  en  la  ville.  » 
C'est-à-dire  :  «  Et  il  leur  demanda  qu'ils  l'aidassent  à  décider 
comment  on  partagerait  ce  qu'on  avait  gagné  dans  la  ville.  » 

—  Croître  a  eu  au  moyen  âge,  et  jusqu'au  xvii'^  siècle,  l'ac- 
ception transitive  de  «  faire  croître,  augmenter.  »  Corneille  dit 
encore  : 

«  M'ordonner  du  repos,  c'est  croître  mes  malheurs.  » 

—  Crouler  a  d'abord  le  sens  transitif  de  «  rcznucr  ». 


SYNTAXE  DU  VERBE.  197 

Chanson  de  Roland:  «  De  sun  algier  ad  la  hanste  crollée.  n 
Mot  à  mot  :  «  Il  a  croulé  le  bois  de  son  javelot.  »  La  Fontaine 
dit  encore  : 

(<  Jupin  croulant  la  terre....  » 

—  Délibérer.  On  trouve  «  se  délibérer  de  «  dans  le  sens  de 
«  se  décider  à.  »  > 

Commynes  :  <c  II  se  délibéra  aussi  de  marcher  au  devant  de 
luy.  ). 

—  Dérober  signifie  d'abord  «  dépouiller  »  : 

Joinville  :  «  Et  li  conta  que  il  aloient  par  les  rues  forainnes 
pour  desrober  la  gent.  »  Traduisez  :  «  Et  il  lui  conta  qu'ils  al- 
laient par  les  rues  écartées  pour  dépouiller  les  gens.  » 

Molière  dit  encore  :  «  Pour  aller  ainsi  vêtu,  il  faut  que  vous 
me  dérobiez.  » 

—  Descendre.  La  vieille  langue  avait  la  forme  réfléchie  «  se 
descendre  >i. 

Joinville  :  «  Et  loerent  au  roy  que  il  se  descendist  de  la  nef.  » 
C'est-à-dire  :  «  Et  ils  conseillèrent  au  roy  qu'il  descendit  de  la 
nef.  » 

—  Dormir.  On  trouve  «  se  dormir  »  : 
Chanson  de  Roland  :  «  Caries  se  dort.  »  ' 

—  Echapper.  On  trouve  «  échapper  quelqu'un  »  au  heu  de 
«  échapper  à  quelqu'un.  »  Bossuet  écrit  encore  : 

«  Nul  ne  peut  échapper  les  mains  de  Dieu.  » 

—  Ecrier  se  disait  aussi  bien  que  «  s'écrier  »,  et  dans  le 
môme  sens,  ou  dans  le  sens  de  a  crier  ».  On  disait  aussi  transi- 
tivement «  écrier  quelqu'un  »,  c'est-à-dire  :  «  crier  contre  quel- 
qu'un ». 

Joinville:  «  Quant  il  les  vit,  il  les  escria  et  lour  dist  que  il  y 
mourroient.  »  Traduisez  :  «  Quand  il  les  vit,  il  cria  après  eux  et 
\(',uv  dit  qu'ils  y  mourraient.  » 

—  Emparer.  Nous  avons  perdu  le  verbe  transitif  «  emparer  », 
qui  .signifiait  «  fortifier.  » 

Alain  Chartier:  a  Celuy  an  emparèrent  les  Anglois  la  viUe  de 
Saincl  Jame  do  Beuron.  »  C'est-à-dire  :  «  les  Anglois  fortifièrent 
la  ville.  » 

S'emparer  de  a  donc  signifié  d'abord  :  se  fortifier  de. 

—  Marcher.  On  trouve  :  «  inarclicr  quelque  chose  )>. 


498  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Rutebeuf:  «  A  vos  piez  la  marchiez.  «  Mot  à  mot  :  «  Marchez 
la  à  vos  pieds.  » 

—  Partir.  Le  vieux  sens  transitif  de  partir  est  conservé  dans 
les  composés  «  répartir,  départir  »,  et  dans  la  locution  «  avoir 
maille  à  partir  »,  c'est-à-dire  :  «  avoir  sou  à  partager,  avoir 
sujet  de  querelle.  » 

—  Survivre  est  employé  comme  verbe  transitif: 
Chanson  de  Roland  :  «  Tut  survesquiet  e  Virgilie  e  Orner.  » 

Mot  à  mot  :  «  Il  survécut  et  Virgile  et  Homère.  »  C'est-à-dire  : 
<c  et  à  Virgile  et  à  Homère.  » 

—  Tomber.  On  trouve  souvent  tomber  avec  un  régime  direct, 
dans  le  sens  de  «  faire  tomber.  »  Le  peuple  dit  encore  aujour- 
d'hui :  «  tomber  quelqu'un.  » 

Alain  Chartier  :  «  Et  pour  ce  abbattoient  et  tumboient  tout  ce 
qu'ils  trouvoient  à  eulx  contraire.  » 

—  User  s'emploj'ait  avec  le  même  sens  comme  verbe  tran- 
sitif et  comme  verbe  intraiisitif,  tandis  qu'aujourd'hui  user  tran- 
sitif a  une  signification  toute  spéciale  (celle  d'épuiser,  achever). 
On  disait  indifféremment  «  user  d'une  coutume  »  et  «  user 
une  coutume.  » 

Auxiliaires  qui  servent  à  conjuguer  les  verbes  transitifs, 
intransitifs  et  rcflcchis. 

§  434.  —  Tous  nos  verbes  transitifs  se  conjuguent  avec 
l'auxiliaire  avoir.  Mais  on  peut  imaginer  des  verbes  tran- 
sitifs prenant  l'auxiliaire  cire,  comme  les  déponents  latins. 
L'ancienne  langue  en  fournit  quelques  exemples  ; 

Commynes  :  «  Le  roi  cstoit  passé  la  montagne.  » 

Ibidem  :  «  Les  entrepreneurs  dessus  dits  se  trouvèrent 
mal  suivis,  et,  estant  montez  les  degrez  dudit  palais...  » 

§435.  La  plupart  des  verbes  intransitifs  qui  remontent 
à  l'origine  de  notre  langue  se  conjuguent  avec  l'auxiliaire 
être.  Mais  un  mouvement  insensible  de  la  langue  conduit 
tous  les  verbes  ialransitifs  de  l'auxiliaire  être  à  l'auxiliaire 
avoir.  Plusieurs  d'entre  eux  sont  arrivés  à  se  conjuguer 
des  deux  façons,  et  des  distinclions  de  sens  plus  ou  moins 


SYNTAXE  DU  VERBE.  199 

exactes  ont  été  établies  par  les  grammairiens  entre  les 
deux  modes  de  conjugaison,  par  exemple  pour  sortir. 

§  436.  — Les  verbes  réfléchis  prennent  l'auxiliaire  être. 
Mais  on  trouve  quelques  exemples  de  l'emploi  de  l'auxi- 
liaire avoir. 

Roman  de  Brut  :  «  Mais  Conan  s'a  bien  défendu.  » 

EMPLOI    DES    DIFFÉRENTES    FLEXIONS    DU    VERBE 
I.  —  Nombres  et  personnes. 

§  437.  —  Avec  certains  mots  collectifs  comme  sujet,  le 
verbe  se  met  encore  au  pluriel  :  «  la  plupart  sont  venus.  » 
Cette  règle  s'appliquait  dans  l'ancienne  langue  à  d'autres 
noms,  par  exemple  à  gcnt  (race,  nation,  troupe),  à  géné- 
ration (au  sens  de  tribu),  etc. 

Joinville:  «  Jusques  à  sa  gent  qui  estaient  sur  la  rive  de 
la  mer.  » 

Ibidem  :  «  La  generacions  dont  l'on  devoit  faire  roy  es- 
llroient  entre  lour...  »  Mot  à  mot  :  «  La  tribu  d'où  l'on 
devait  faire  un  roi  éliraient  entre  eux.  » 

§  438.  —  Quand  nous  disons  :  «  c'est  moi  »,  ce  est  traité 
comme  le  sujet  du  verbe,  et  moi  comme  l'attribut.  Logi- 
quement c'est  le  pronom  personnel  qui  devrait  être  sujet, 
et  par  conséquent  le  verbe  devrait  êtro  à  la  première  per- 
sonne :  «  ce  suis-je.  »  On  disait  ainsi  dans  l'ancienne  lan- 
gue, et  de  môme  :  c''cs  tu,  c'est-il,  ce  sommes-nous,  c'estes- 
vous,  ce  sont-ils  (puis  ce  sont  eux,  qui  est  reste). 

Roman  de  Bcrthe:  «  Se  c  estes  vous.  »  Nous  dirions  :  «  si 
c'est  vous.  » 


200  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

II.  —  Modes   et  temps. 

Infinitif  et  gérondif. 
1 .  Particularité  commune  à  l'emploi  du  gérondif  et  de  l'infinitif. 

§  439.  —  Sauf  quelques  exceptions  indiquées  par 
l'usage  on  ne  peut  employer  aujourd'hui  un  infinitif  ou  un 
gérondif  après  une  préposition,  que  si  le  sujet  (non  ex- 
primé) de  cet  infinitif  ou  de  ce  gérondif  est  le  même  que 
celui  du  verbe  principal.  «  Je  lui  ai  donné  un  jouet  avant 
de  partir  »  signifie  :  «  je  lui  ai  donné  avant  qj.ie  je  parte  » 
et  non  «  avant  qu'zï  parte.  »  On  ne  dirait  pas  :  «  Je  l'ai 
interrogé  avant  de  s'amuser  »,  bien  que,  dans  cette  phrase, 
il  n'y  ait  pas  d'équivoque  possible.  L'ancienne  langue  ne 
connaissait  pas  cette  règle  : 

Commynes  :  «  Geulx  de  dedans  tuèrent  ung  herault  en 
les  allant  sommer.  »  C'est-à-dire  :  «  Ceux  de  la  ville  tuè- 
rent un  héraut  alors  qixil  allait  les  sommer.  » 

Ibidem:  «  Une  querelle  qui  est  digne  d'estre  racomptée, 
pour  veoir  les  œuvres  et  la  puissance  de  Dieu.  »  C'est-à- 
dire  :  «  Une  querelle  qui  est  digne  d'être  racontée  pour 
qu'on  voie  la  puissance  de  Dieu.  » 

2.  Infinitif  pour  l'impératif. 

§440.  —  Au  lieu  de  l'impératif,  quand  il  devait  être  ac- 
compagné d'une  négation,  l'ancienne  langue  employait 
souvent  l'infinitif,  quelquefois  avec  un  sujet  au  cas  ré- 
gime. L'infinitif  a  encore  une  valeur  semblable. 

Yzopet  de  Lyon  :  «  Es  biens  dou  monde  ne  le  croire.  » 
C'est-à-dire  :  «  Ne  crois  pas  en  les  biens  du  monde,  il  ne 
faut  pas  que  lu  croies  aux  biens  du  monde.  » 

3.  Infinitifs  pris  substantivement. 
§441. — On  ne  peut  (■iiip](!yor  aujourd'hui  substanti- 


SYNTAXE  DU  VERBE.  201 

vement  que  certains  infinitifs  (le  manger,  le  boire),  et,  si 
on  admet  quelquefois  un  complément  indirect  après  ces 
infinitifs  (au  sortir  de  table),  on  n'admettrait  pas  un  com- 
plément direct.  L'ancienne  langue  en  usait  plus  libre- 
ment. 

Joinville  :  «  Et  aupenre  congié  que  il  fesoit  à  aus.  »  Mot 
à  mot  :  «  Et  au  prendre  congé  qu'il  leur  faisait.  »  C'est-à- 
dire  :  «  en  prenant  congé  d'eux.  « 

4.  Infinitif  après  la  préposition  «  en  ». 

§  442.  —  Après  la  préposition  en,  l'ancienne  langue, 
comme  la  langue  actuelle,  remplaçait  l'infinitif  par  le  gé- 
rondif. On  trouve  cependant  quelques  exemples  de  l'infini- 
tif; mais  alors  en  n'a  pas  la  valeur  qui  lui  est  habituelle 
devant  le  gérondif: 

Joinville  :  «  En  ces  choses  a^^éer  mist-il  jusques  à  midi.  » 
Mot  à  mot  :  «  Fn  arranger  ces  choses,  il  mit  jusqu'à  midi.  » 
Nous  dirions  aujourd'hui  :  «  pour  arranger.  » 

5.  Temps  de  1  infinitif. 

§  443.  —  Lorsque  le  verbe  auquel  est  joint  l'infinitif  est 
à  un  temps  du  passé,  et  que  le  temps  de  l'action  exprimée 
par  l'infinitif  est  tel  que  nous  le  marquerions  par  un  im- 
parfait si  nous  pouvions  employer  l'indicatif  ou  le  sub- 
jonctif, nous  nous  servons  de  l'infinitif  présent  et  non  de 
l'infinitif  passé  :  «  je  l'ai  vu  arriver  (j'ai  vu  qu'il  arrivait), 
et  non  «je  l'ai  vu  être  arrivé)^.  Mais  on  trouve  parfois  dans 
les  anciens  textes  l'infinitif  passé  : 

Joinville:  «  Li  legas...  me  dist  que  je  ne  le  deùsse  pas 
avoir  refusei.  »  Mot  à  mot  :  «  Le  légat  me  dit  que  je  n'aurais 
pas  dû  Vavoir  refusé.  »  Nous  dirions:  «  le  refuser  ».  Mais 
avec  un  autre  mode  on  emploierait  l'imparfait  :  «  il  aurait 
fallu  que  je  le  refusasse  ». 


202  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

§444.  —  Dans  quelques  cas  très  rares,  nous  employons 
encore  l'infinitif  passé  avec  des  phrases  analogues  ;  mais 
alors  nous  mettons  le  verbe  principal  au  présent  :  «  Puisse- 
t-il  être  arrivé  à  temps  !  »  Logiquement  il  faudrait  dire  : 
«  Qu'il  ait  pu  arriver  à  temps  !  »  On  expliquera  de  même 
ce  passage  de  Gommynes  :  «  Nostre  seigneur  le  veuille 
avoir  receu  en  son  royaulme  de  paradis.  »  C'est-à-dire  : 
«  Que  notre  Seigneur  ait  voulu  le  recevoir  !  » 

6.  Gérondif. 

§  445.  —  Le  gérondif  ne  s'emploie  plus  qu'après  la  pré- 
position en,  ou,  dans  quelques  locutions  consacrées,  sans 
préposition  (chemin /aisan?).  On  le  trouve  aussi  transformé 
en  substantif  dans  quelques  expressions  comme  :  «  en  ou 
de  son  vivant.  »  Ces  différents  emplois  étaient  beaucoup 
plus  étendus  dans  l'ancienne  langue.  On  disait,  par  exem- 
ple :  «  en  son  voyant  »,  comme  nous  disons  encore  :  «  en 
son  vivant.  » 

Chanson  de  Roland  :  «  Desfîles  en.  Sire,  vosire  veiant.  » 
Mot  à  mot:  «  Je  les  en  défie.  Sire,  en  votre  voyant.  »  C'est- 
à-dire:  «  sous  vos  yeux.  » 

§  446.  —  On  trouve  quelquefois  le  gérondif  après 
d'autres  prépositions  que  en. 

Joinville  :  «  Li  roys  ot,  par  la  paiz  fesant,  grant  coup 
de  la  terre  le  conte.  »  C'est-à-dire  :  «  Le  roi  eut,  en  faisant 
la  paix,  beaucoup  de  la  terre  du  comte.  » 

§  447.  —  Enfin,  dans  certaines  locutions  telles  que  «  il  fit 
entendant  »,  au  lieu  de  «  il  fit  entendre  »,  le  gérondif  est 
employé  comme  une  sorte  de  cas  régime  direct  : 

Joinville:  «  Li  frère  Joseph...  découpèrent  sa  cote.. .  et 
la  portèrent  lour  père,  et  li  firent  entendant  que  très  pes- 
mes  bcstcs  l'avoient  devourci.  »  C'est-à-dire  :  «  Les  frères 
de  Joseph  découpèrent  sa  robe  et  la  portèrent  à  leur  père, 


SYNTAXE  DU  VERBE.  203 

et  lui  firent  entendre  que  de  très  mauvaises  bêtes  l'avaient 
dévoré.  » 

Participe  présent. 

§  448.  —  Dans  l'ancienne  langue,  le  participe  présent 
était  variable  comme  un  ajectif  ordinaire. 

Commynes  :  «  ...  ou  à  faire  quelque  libéralité  ou  autre 
chose  de  grâce,  qui  toutes  sont  choses  appartenantes  à 
leurs  offices.  » 

Participe  passé. 

1.  Accord  du  participe  employé  avec  l'auxiliaire  avoir. 

§  449.  —  Dans  les  formes  passives,  le  participe  s'est 
toujours  accordé  avec  le  sujet,  comme  un  adjectif  attri- 
but :  «  Elle  est  poursuivie.  »  Mais  dans  les  temps  compo- 
sés de  la  voie  active  l'accord  du  participe  est  plus  difû- 
ciJe  à  régler. 

§450.  —  Le  participe  joint  à  l'auxiliaire  avoir  doit  lo- 
giquement s'accorder  avec  le  régime  direct.  Car  «  j'jii  lu 
ces  livres  »  équivaut  à  «  j'ai  ces  livres  comme  lus  ».  Le 
participe  est  là  un  adjectif  qui  qualifie  le  régime  direct. 
Aussi  voit-on  souvent,  dans  les  anciens  textes,  que  le  par- 
ticipe s'accorde  avec  lecomplément  à\Yecï,  quelle  que  soit  la 
place  de  ce  complément,  qiCil  soit  avant  ou  après  le  verbe. 

Chanson  de  Roland  :  «  Cruisiécs  ad  ses  blanches  mains.  » 
Mot  à  mot  :  «  Croisées  il  a  ses  blanches  mains.  » 

Joinville  :  «  Avons  ci-arière  escriptes  partie  de  bones 
paroles  et  de  bons  enseigncmens  noslre  saint  roy  Looys.  » 
Mot  à  mot  :  «  Nous  avons  ci-devant  écrites  une  partie  des 
bonnes  paroles  et  des  bons  enseignements  de  noire  saint 
roi  Louis.  »  Le  partipc  écrit  est  ici  au  pluriel  parce  que 
«  partie  »  est  un  nom  collectif. 

§451.  —  Toutefois  on  trouve,  môme  dans  l'ancienne 
langue,  de  nombreux  exemples  de  parliciDCs  invariables 


204  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

(même  quand  le  complément  précède  le  verbe)  ;  c'est  qu'a- 
lors le  participe  est  considéré  comme  faisant  avec  l'auxi- 
liaire une  locution  indivisible,  dont  la  seule  partie  variable 
doit  être  celle  qui  inarque  les  personnes,  c'est-à-dire  l'auxi- 
liaire, tandis  que  le  participe  passé  devient  invariable 
con^me  le  radical  dans  les  temps  non  composés. 

Joinville  :  «  Leur  aumosnes  que  ti  devancier  leur  auront 
donné.  »  Nous  dirions  :  «  Les  aumônes  que  tes  devanciers 
leur  auront  données.  » 

2.  Participe  avec  «  être  »  dans  la  conjugaison  des  verbes  neutres 
et  des  verbes  réfléchis. 

§  452.  —  Dans  les  verbes  neutres  ou  intransitifs  qui  se 
conjuguent  avec  l'auxiliaire  êti^e,  le  participe  s'est  toujours 
accordé  avec  le  sujet  :  «  elle  est  venue.  » 

§  453.  —  Quant  aux  formes  réfléchies,  il  y  a  deux  ma- 
nières'de  les  considérer.  Prenons  comme  exemple  :  «  ils  se 
sont  amusés.  »  Au  point  de  vue  du  sens,  amusé  doit  èlre 
assimilé  à  un  participe  accompagné  de  l'auxiliaire  avoir 
dans  la  conjugaison  transitive  :  «  après  avoir  amusé  les 
autres,  ils  se  sont  amusés  eux-mêmes.  »  Dans  cette  phrase, 
les  deux  participes  ont  évidemment  le  même  sens.  Mais  au 
point  de  vue  de  la  forme,  il  y  a  un  rapport  non  moins  évi- 
dent entre  «  ils  se  sont  amusés  »  et  «  ils  sont  venus  ».  Sui- 
vant que  l'on  donnera  la  préférence  à  l'une  ou  l'autre  de 
ces  assimilations,  le  participe  devra  s'accorder  avec  le  ré- 
gime direct  ou  avec  le  sujet.  Dans  les  verbes  réfléchis  pro- 
prement dits,  le  sujet  est  toujours  du  môme  genre  et  du 
même  nombre  que  le  régime  direct,  puisque,  d'après  la  dé- 
finition de  ces  verbes,  c'est  la  môme  personne  qui  est 
représentée  par  le  sujet  et  par  le  régime  direct.  On  ne 
pouvait  donc  hésiter  que  pour  le  cas  du  participe.  Avec  la 
première  assimilation  on  devait  employer  le  cas  régime,  et 


SYNTAXE  DU  VERBE.  203 

avec  la  seconde  le  cas  sujet.  C'est  la  seconde  qui  a  générale- 
ment prévalu.  On  disait  donc  :  «  Vostre  amis  s'est  amusés  » 
et  «  vostre  ami  se  sont  amusé  ».  Aujourd'hui  la  question 
n'a  plus  d'importance  que  pour  les  formes  réfléchies  où 
le  pronom  régime  est  complément  indirect  :  «  ils  se  sont 
fait  des  concessions  »,  c'est-à-dire  :  «  ils  ont  fait  à  eux  ». 
Avec  ces  verbes,  le  sujet  peut  être  masculin  et  le  complé- 
ment direct  féminin,  ou  inversement,  et  si  le  genre  est  le 
môme,  l'un  peut  être  pluriel  et  l'autre  singulier.  Il  importe 
donc  de  savoir  si  le  participe  doit  s'accorder  avec  le  sujet 
ou  avec  le  complément  direct.  Comme  nous  venons  de  le 
voir  à  propos  des  verbes  réfléchis  proprement  dits,  l'an- 
cienne langue  préférait  l'accord  avec  le  sujet.  Nous  n'nd- 
mettons  plus  que  l'accord  avec  le  régime.  On  dit  aujourd'hui: 
«  les  blessures  que  les  combattants  se  sont  faites.  »  L'an- 
cienne langue  aurait  dit  :  «  les  blessures  que  H  combattant 
se  sont  fait.  » 

Indicatif. 

1.   Imparfait. 

§  454.  —  Nous  employons  quelquefois  l'imparfait  de 
l'indicatif  au  lieu  du  conditionnel  passé,  comme  dans  ce 
vers  de  Voltaire  : 

«  Si  j'avais  dit  un  mot,  on  vous  donnait  la  mort.  » 

On  trouve  des  exemples  fréquents  de  cet  emploi  dans 
l'ancienne  langue,  particulièrement  dans  Comm^'nes  :  «  Si 
ledit  duc  eust  eu  la  guerre  avec  les  deux  royaulmes  à  une 
foys,  il  estait  détruit.  » 

2.  Passé  défini  et  passé  indéfini. 

§  455.  —  L'emploi  de  ces  deux  passés  n'était  pas  réglé 
aussi  rigoureusement  qu'aujourd'hui,   et  nous  romplacc- 
Clédat.  1 2 


206  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

rions  souvent,  dans  les  anciens  textes,  l'un  par  l'autre- 
Ainsi  dans  ces  vers  de  la  Chanson  de  Roland  : 

Caries  li  reis,  nostre  emperere  magnes, 
Set  anz  tuz  pleins  ad  estet  en  Espaigne  : 
Tresqu'en  la  mer  cunquist  la  tare  altaigne. 
N'i  ad  castel  ki  devant  lui  remaignet. 

Mot  à  mot  :  «  Charles  le  roi,  notre  grand  empereur,  sept 
ans  tout  pleins  a  été  en  Espagne  ;  jusqu'à  la  mer  il  conquit 
la  haute  terre.  Il  n'y  a  pas  de  château  qui  devant  lui  ré- 
siste. »  Nous  dirions  aujourd'hui  :  «  il  a  conquis.  » 

§  456.  —  Le  passé  défini  était  mis  souvent  à  la  place  de 
l'imparfait,  surtout  avec  les  verbes  avoir,  être,  et  quelques 
autres  verbes  exprimant  un  état  plutôt  qu'une  action,  aimer 
par  exemple  : 

Vie  de  saint  Léger  :  «  Al  rei  lo  duistrent  soi  parent...  Gio 
fud  Lothiers.  »  Mot  à  mot  :  «  Ses  parents  le  conduisirent 
au  roi;  ce  fut  Lothaire.  »  Nous  dirions  :  «  G  était  Lothaire.  » 

Joinville  :  «  Quant  ele  sot  qu'il  fu  croisiez.  »  Mot  à  mot  : 
«  Quant  elle  sut  qu'il  fut  croisé.  »  Nous  dirions  :  «  qu'il 
était  croisé.  » 

3.  Passé  antérieur. 

§  457.  —  Le  passé  antérieur  est  quelquefois  employé 
avec  la  simple  valeur  d'un  passé  indéfini  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Li  emperere  out  sa  raison  fenie  ; 
Li  quens  Rollanz...  En  picz  se  drecet.  »  Mot  à  mot  :  «  L'em- 
pereur eut  fini  son  discours,  le  comte  Roland  se  lève.  » 
Nous  dirions  :  «  l'empQreur  a  fini  son  discours.  » 

§  458.  —  Le  passé  antérieur  est  formé  avec  le  passé  dé- 
fini de  l'auxiliaire  avoir  ou  êli^e,  et  le  plus-que-parfait  avec 
l'imparfait  du  même  auxiliaire.  Or  nous  avons  vu  que  le 
passé  défini  d'avoir  et  d'être  s'employait  souvent  dans  l'an- 
cienne langue  au  lieu  de  l'imparfait.  On  ne  s'étonneradonc 
pas  de  {ronvQYlepassé  antérieur  aulicu  du  plus-que-parfait. 


SYNTAXE  DU  YERBE.  207 

Joinville  :  «  Nous  trouvâmes  que  uns  forz  venz  ot  rom- 
pues les  cordes.  »  Mot  à  mot  :  «  Nous  trouvcâmes  qu'un  fort 
vent  eut  rompules,  cordes.  »  On  dirait  aujourd'hui  :  «  avait 
rompu.  » 

Subjonctif. 

1.   Imparfait. 

§  459.  —  L'imparfait  du  subjonctif  a  souvent,  dans  l'an- 
cienne langue,  la  valeur  d'un  conditionnel  présent  ou  celle 
d'un  conditionnel  passé.  «  Il  chantast  »  peut  signifier  :  «  Il 
chanterait  »,  ou  «   il  aurait  chanté.  » 

Chanson  de  saint  Alexis:  «  E  Deus  !  dist-il...  ici  ne  volsisse 
estre.  »  Mot  à  mot  :  «  Eh  Dieu!  dit-il,  je  ne  voulusse  pas 
être  ici.  »  C'est-à-dire  :  «  je  ne  voudrais  pas  être  ici.  » 

Joinville  :  «  Et  quant  li  roys  vint  à  Poytiers,  il  vousist  bien 
estre  arieres  à  Paris.  »  Mot  à  mot  :  «  Et  quand  le  roi  vint  à 
Poitiers,  il  voulût  bien  êlre  de  retour  à  Paris.  »  C'est-à- 
dire  :  «  il  aurait  bien  voulu.  » 

§  460.  —  Le  conditionnel  présent,  ou  l'imparfait  de  l'in- 
dicatif qui  le  supplée  après  si  (s'il  e7a«7  ici),  sont  encore  aujour- 
d'iiui  remplacés  par  l'imparfait  du  subjonctif:  1°  quand  on 
sous-entend  la  conjonction  conditionnelle,  dans  les  tour- 
nures telles  que  :«  Fût-'û  ici,  j'irais;  » 2°  après ç'i^c  suppléant 
si  :  «  s'il  venait  et  que  nous  fussio7is  ici...  »  3°  dans  tous 
les  cas  011  l'indicatif  doit  être  remplacé  par  le  subjonctif  : 
«  Je  ne  crois  pas  qu'il  vînt,  même  si  vous  lui  écriviez.  » 

Mais  aujourd'hui  l'imparfait  du  subjonctif  ne  peut  avoir 
la  valeur  d'un  conditionnel  passé. 

§  461.  —  L'imparfait  du  subjonctif  est  quelquefois  em- 
ployé, dans  l'ancienne  langue,  avec  le  sens  du  parfait  du 
subjonctif  : 

Joinville  :  «  Nous  sommes  ou  plus  grant  péril  que  nous 
fussiens  onques  mais.  »  Mot  à  mot  :  «  Nous  sommes  dans 


208  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

le  plus  grand  péril   que  nous /"ussiows  jamais.  »  On  dirait 
aujourd'hui  :  «  oii  nous  a?/ons  jamais  été.  » 

2.  Emploi  du  mode  subjonctif, 

§  462.  — L'ancienne  langue  employait  le  subjonctif  dans 
beaucoup  de  cas  où  nous  mettrions  aujourd'hui  l'indicatif. 
Ainsi  après  cuider  (penser),  penser,  croire  et  autres  verbes 
analogues  : 

Joinville  .•«  Je  cuidoie  vraiement  que  il  fiist  courrouciez  à 
moy.  »  Mot  à  mot:  «je  pensais  vraiment  qu'il  fût  cour- 
roucé contre  moi.  »  Nous  dirions  :  «  Je  pensais  qu'il  était.  » 

§  463.  — Après  «  ilsemble  »,  on  trouve  tantôt  le  subjonc- 
tif et  tantôt  l'indicatif.  Voici  des  exemples  du  subjonctif  : 

Joinville  :  «  Il  li  sembloit  que  toute  sa  cliambre  fust 
pleinne  de  Sarrazins.  » 

Comrnynes  :  «  Il  sembloit  bien  à  son  visaige  qu'il  en  fust 
estonné.  » 

§  464.  —  Quand  le  verbe  de  la  proposition  principale 
était  au  subjonctif,  celui  de  la  proposition  incidente  se 
mettait  souvent  au  même  mode  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Trestut  seit  fel  ki  n'i  fierget  ad 
espleit.  »  C'est-à-dire  :  «  Félon  soit  qui  n'y  combatte  de 
tout  cœur.  »  Nous  emploierions  aujourd'hui  l'indicatif: 
«  qui  n'y  combattra.  » 

Ibidem:  «  Mais  tut  seit  fel,  chier  ne  se  vende  primes.  » 
C'est-à-dire  :  «  Félon  soit  qui  ne  se  vende  cher  d'abord.  » 
Nous  (lirions  :  «  qui  ne  se  vendra.  » 

55  465.  — Après  la  conjonction  si,  on  trouve  souvent  un 
imparfait  ou  un  plus-que-parfait  du  subjonctif  (aujour- 
d'hui encore  le  plus-que-parfait)  avec  la  valeur  d'un  con- 
ditionnel :  <(  s'<7  vonlust  ou  s'il  eust  voulu,  nous  l'aurions 
aidé;  s^il  voulust,  nous  l'aiderions.  »  Dans  les  phrases  sem- 
blables le  subjonctif  ne  doit  pas  être  attribué  à  l'influence 


SYNTAXE  DU  VERBE.  209 

de  la  conjonction;  il  s'explique  par  l'équivalence  absolue 
(même  sans  conjonction)  de  ces  temps  du  subjonctif  et  du 
conditionnel.  Voyez  plus  haut  §  459. 

§  466.  —  Mais,  en  dehors  de  ce  cas,  on  a  souvent 
dans  les  anciens  textes  le  subjonctif  après  si  (particulière- 
ment après  si  accompagné  dune  négation)  : 

Chanson  de  Roland:  «  Li  quens  Rollanz  unkes  n'amat 
cuard...  Ne  chevalier,  s'il  ne  ftist  bons  vassals.  «Mot  à  mot  : 
«  Le  comte  Roland  n'aima  jamais  un  couard,  ni  un  cheva- 
lier, s'il  ne  fût  bon  vassal.  »  Nous  dirions:  «  s'il  n'était.  » 

Ibidem  :  «  iS'en  ma  mercit  ne  se  culzt  a  mes  piez...  Jo  h 
toldrai  la  curune  del  chief.  »  Mot  à  mot  :  «  S'il  ne  s'étende 
(se  couche)  à  mes  pieds,  à  ma  merci...  »  Nous  dirions  : 
«  S'ïi  ne  s  étend.  »  Avec  le  verbe  couche)'  il  n'y  a  plus  au- 
jourd'hui de  différence,  au  singulier,  entre  le  présent  du 
subjonctif  et  celui  de  l'indicatif;  mais  dans  l'ancienne 
langue  l'indicatif  aurait  été  culchet,  et  non  culzt. 

t;  467.  —  Inversement,  dans  beaucoup  de  cas  où.  aujour- 
d'Iiui  on  emploie  obligatoirement  le  subjonctif,  l'ancienne 
langue  pouvait  mettre  l'indicatif  ; 

Après  les  superlatifs  : 

Commynes  :  «  Et  l'ay  veu  le  plus  pouvre  roy,  habandonné 
de  ses  serviteurs,  que]Q  ueis  jamais.  »  Mot  à  mot:  «  ...  que 
je  vis  jamais.  »  Nous  dirions  :  «  que  j'a/e  jamais  vu.  » 

Après  sans  que  : 

Joinville  :  «  Li  roys,  sanz  ce  que  nulz  ne  l'en  prioit,  nous 
dist...  »  En  français  actuel  :  «Le  roi,  sans  que  personne 
Y  en  priât,  nous  dit...  » 

Accord  des  temps. 
1.  Accord  de  coordination,  et  de  subordination  non  complétive 
§468.  —  L'ancienne  langue  mélangeait  très  facilement 

12. 


210  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

le  présent  historique  et  le  passé,  et  les  différents  temps  qui 
s'accordent  avec  l'un  ou  l'autre. 

Vie  de  saint  Léger  :  «  Li  perfides  tam  fud  cruels  Lis  ois 
del  cap  li  fai  crever.  »  C'est-à-dire  :  «  Le  perfide  fut  si 
cruel  qu'il  lui  fait  crever  les  yeux  de  la  tête.  »  Nous  di- 
rions :  «  Le  perfide  fut  (ou  était)  si  cruel  qu'il  lui  fit...  »  ou 
bien  :  «  Le  perfide  est  si  cruel  qu'il  lui  fait...  » 

2.  Accord  de  subordination  complétive. 

§  469.  —  L'accord  de  subordination  dans  l'ancienne 
langue  repose  sur  les  mêmes  principes  que  dans  la  langue 
actuelle.  Ce  n'est  pas  le  lieu  de  dégager  ici  ces  principes 
des  applications  plus  ou  moins  illogiques  qui  en  ont  été 
faites,  particulièrement  de  nos  jours  *.  Mais  si  l'on  tient 
compte  de  l'emploi  fréquent  du  subjonctif  pour  le  condi- 
tionnel, emploi  qui  était  alors  parfaitement  régulier,  et  du 
mélange  plus  libre  qu'aujourd'hui  du  présent  historique 
et  du  passé  ;  si  d'autre  part  on  recherche  pour  chaque 
exemple  les  conditions  logiques  de  l'accord,  on  verra  que 
sur  ce  point,  comme  sur  les  autres,  ce  n'était  point  l'arbi- 
traire qui  régnait  dans  les  usages  de  la  vieille  langue- 


CHAPITRE    X 

SYNTAXE    DE    LA    PRÉPOSITION 

Nous   examinerons  les   principales  prépositions   dans 
t'ordre  alphabétique. 

'•  Je  renverrai  pour  cette  question  h  l'article  que  j'ai  publié  dans 
i'vsVuaire  de  la  faculté  des  lettres  de  Lyon  (!'«  année,  fasc.  II, 


Mv 


SYNTAXE  DE  LA   PRÉPOSITION.  211 


I.  —  Principales  valeurs  de  la  préposition  «  à  ». 

§  470.  — La  préposition  «à»,  qui  se  raltaclie  aux  pré- 
positions latines  ad,  apud,  ah,  a  trois  valeurs  principales. 
Elle  indique  :  1°  mouvement  vers,  ou,  dans  l'ordre  moral, 
tendance;  2°  séjour  ou  élat;  3°  mouvement  hors  de  ou  orirjine. 

Exemples  :  «  Tu  vas  à  Rome;  je  suis  à  Paris;  il  a  pris 
au  tas.  » 

Ces  trois  valeurs  principales  se  subdivisent  en  un  grand 
nombre  de  sens  particuliers,  fort  éloignés  quelquefois  du 
sens  primitif.  Nous  allons  passer  en  revue  celles  de  ces 
signiiications  dont  l'usage  a  varié. 

II.  —  Divers  sens  de  «  à  »  se  rattachant  à  l'idée 
de  «mouvement  vers,  tendance». 

Sens  général. 

§  471.  —  «  A  »  n'est  pas  notre  seule  préposition  mar- 
quant «  mouvement  vers  ».  Nous  avons  encore  en,  dans, 
vers,  et  quelques  autres,  que  nous  employons  «souvent,  an 
lieu  de  «  à  »,  suivant  des  distinctions  qui  ne  peuvent  être 
étudiées  ici.  Ainsi  nous  disons  <(  entrer  dans  le  pays  »  et 
non  «  entrer  au  pays  ».  Nous  disons  :  «  aller  à  Paris  »,  mais 
«  chevaucher  vers  Paris  ».  Comme  ces  distinctions  sont 
(luelqucfois  très  légères,  on  ne  s'étonnera  pas  de  voir 
l'ancienne  langue  em[)loyer  «  à  »,  pour  marquer  mouve- 
ment vers,  là  où  nous  mettrions  une  autre  préposition  : 

Villehardouin  :  «  L'empereres...  chevaucha  à  une  autre 
cité  ». 

Froissart  :  «  Quand  ils  veulent  entrer  au  royaume 
d'Angleterre.  » 


212  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

A  devant  le  complément  indirect. 

§  472.  —  Quand  le  complément  indirect  est  uni  au 
verbe  non  seulement  par  l'idée  précise  de  «  mouvement 
vers  »,  mais  par  toute  autre  idée  voisine,  il  est  générale- 
ment précédé  de  la  préposition  à  :  «  Il  a  donné  son  livre  à 
son  frère,  cette  route  sert  à  tout  le  monde  ».  Dans  l'an- 
cienne langue,  le  verbe/u^cr  prenait  ainsi,  comme  complé- 
ment indirect  précédé  de  à,  le  nom  delà  peine  prononcée  : 
juger  à  mort,  comme  on  dit  :  condamner  à.mort.  Yoltaire 
écrit  encore  :  «  Il  fut  jugé  à  mort  unanimement  ». 

§  473.  —  Les  locutions  verbales  «  avoir  amour,  avoir 
haine  »  avaient  aussi  un  complément  précédé  de  à  : 

Commynes  :  «  Pour  quelque  haine  particulière  que  j'au- 
rois  à  eux.  » 

Ibidem  :  «  Les  autres  ont  trop  d'amour  à  leurs  biens.  >• 

Nous  disons  aujourd'hui  :  «  avoir  de  l'amour  joour  quel- 
qu'un »,  mais  nous  employons  encore  avec  la  préposition 
«  à  »  la  locution  verbale  «  avoir  droit  ». 

A  marquant  le  rapport  de  possession. 

§  474.  — T  Après  le  verbe,  à  marque  régulièrement  le 
rapport  de  possession  :  «  ce  livre  est  à  Pierre.  »  Mais  entre 
deux  noms,  ce  rapport  est  généralement  marqué  par  la 
préposition  «  de  ».  Cependant  nous  disons  :  «  un  ami  à 
moi  ».  Cet  emploi  de  à  était  fréquent  dans  l'ancienne  lan- 
gue, et  l'est  encore  dans  la  langue  populaire  : 

Chanson  de  Roland:  «  En  curt  a  rei  »,  c'est-à-dire  «  en 
cour  de  roi  ». 

Roman  de  Berthe  :  «  Que  jamais  ne  dirai  que  soie  fille 
à  roi  ». 

Froissart  :  «  Edouard  11,  qui  l'ut  père  au  gentil  roi 
Edouard  », 


SYNTAXE  DE  LA  PRÉPOSITION.  213 

A  au  lieu  de  pour  devant  un  infinitif, 

§  475.  —  Après  les  substantifs,  et  dans  certaines  locu- 
tions consacrées,  nous  employons  à  au  lieu  dejooitr  devant 
un  infinitif  :  «  verre  à  boire;  il  a  de  la  peine  à  se  lever.  ». 
Ces  locutions  se  rattachent  à  un  usage  ancien  plus  étendu  : 

Beawnanoir  :  «Les  dismes  furent  establies...  à  sainte 
Eglise  soustenir.  »  Nous  dirions  :  «  pour  soutenir  l'Église.  » 

Alain  Charlier  :  «  Ainsi  que  s'ils  estoient  nés  seulement 
à  boire  et  à  manger.  » 

§  476.  —  Dans  verre  à  boire,  l'infinitif  conserve  le  sens 
actif;  mais  souvent  la  préposition  à,  après  un  nom  ou  un 
adjectif,  donne  à  l'infinitif  qui  suit  la  valeur  d'un  infinitif 
passif:  «  eau  à  boire  »,  c'est-à-diro  :  «eau  pour  être  bue  »; 
«  bon  à  cacher  »,  c'est-à-dire  :  «  bon  pour  être  caché  »; 
«  homme  à  éviter  »,  c'est-à-dire  :  «  homme  pour  être 
éviti-,  digne  d'être  évité  ».  L'infinitif,  ainsi  précédé  de  à, 
équivaut  au  participe  futur  passif  des  Latins.  Cette  valeur 
spéciale  de  à  se  retrouve  dans  les  vieilles  locutions  lelles 
que  :  «  désireux  de  son  père  à  venger  »,  sur  lesquelles  nous 
reviendrons  dans  le  chapitre  des  gallicismes. 

A  et  non  de  devant  un  infinitif. 

§477.  —  Quand  un  infinitif  dépend  d'un  autre  verbe, 
nous  le  faisons  souvent  précéder  de  l'une  des  prépositions 
«  de  »  ou  «  à»,  et  quelquefois  nous  hésitons  entre  les  deux  : 
«  obliger  à  faire  ou  de  faire  ».  Dans  l'ancienne  langue  on 
trouve  fréquemment**  à  »là  où  nous  mettrions  f/e,  quelque- 
fois même  là  où  nous  ne  mettrions  aucune  préposition 

Après  «  craindre  »  ; 

ViUi'hardouin  :  «  conie  cil  qui  crentoient  à  perdre  toute 
la  terre.  »  Mot  à  mot  :  «  comme  ceux  qui  craignaient  à 
perdre  toute  la  terre.  » 


214  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Commynes  :  «  Il  ne  craignoit  point  fort  à  mettre  en  péril 
ung  sien  serviteur  ». 

Après  «  oublier  »  : 

Châtelain  de  Coucy  :  «  Pour  ce,  n'ai  je  mie  oublié  à 
aimer  bien  et  loiaument  ». 

Joinville  :  «  Je  vous  avoie  oublié  à  dire  ».  C'est-à-dire  : 
<(  J'avais  oublié  de  vous  dire.  » 

On  disait  aussi  «  laisser  à  »,  dans  le  sens  de  «  cesser 
de  ». 

Roman  de  la  Rose  :  «  Que  me  laissiez  à  chastier.  » 

On  trouve  encore  : 

Il  convient  à,    au  lieu  de    il  convient  de  ; 

Jurer  à  —  jurer  de  ; 

Désirer  à  —  désirer  de,  ou  désirer  saiis  prépos. 

A  au  lieu  de  pour  dans  le  sens  de  :  pour  une  durée  de. 

§  478.  —  Villehardouin  écrit  :  «  Il  n'avoient  viandes 
à  plus  de  trois  semaines.  »  C'est-à-dire  :  «  Ils  n'avaient  pas 
de  vivres  ^90i<r  plus  de  trois  semaines.  » 

Cette  valeur  de  à  est  conservée  dans  les  termes  juridi- 
ques :  «  travaux  forcés  à  temps,  à  perpétuité  »,  c'est-à- 
dire  :  «  pour  un  temps,  pour  toujours.  » 

A  au  sens  de  à.  titre  de,  comme. 

§  479.  —  Nous  disons  encore  :  «  tenir  à  honneur,  pren- 
dre à  témoin,  être  à  charge  ».  Ces  locutions  étaient  beau- 
coup plus  nombreuses  dans  l'ancienne  langue  : 

Chanson  de  Roland:  «  E  cil  de  France  le  claiment  à 
guarant.  »  C'est-à-dire  :  «  Et  ceux  de  France  l'appellent 
comme  garant,  comme  protecteur.  » 

Joinville:  «  Au  roy  apportèrent  divers  joiaus  à  présent.» 
C'est-à-dire  :  «Ils  apportèrent  au  roi  divers  joyaux  e«  pré- 
sent, comme  présent.  » 


SYNTAXE  DE  LA  PREPOSITION.  215 

Froissart  :  «  Il  leur  avoit  donné  à  capitaine  un  moult 
gentil  prince  ».  Traduisez  :  «  Il  leur  avait  donné  comme 
capitaine  un  très  noble  prince.  » 

Commynes  :  «  Il  avoit  eu  à  espouse  et  à  femme  la  sœur 
du  dit  roi  Ferrand.  »  C'est-à-dire  :  «  Il  avait  eu  comme 
femme  la  sœur  duditroi  Ferrand.  » 

A  dans  le  sens  disirihuiif. 

§  480.  —  Nous  disons  encore  :  «  à  la  douzaine  ».  Mais 
nous  ne  dirions  plus,  comme  dans  l'ancienne  langue  :  «  à 
douzaine  «  ou  «  à  douze  ». 

Chanson  de  Roland  :  «  Moerent  païen  à  milliers  et  à 
cenz.  »  Traduisez  :  «  Les  païens  meurent  par^  milliers  et 
par  centaines.  » 

1, 

III.  —  Divers  sens  de  «  à  »  se  rattachant  à  l'idée  \ 
de  «  séjour,  situation,  état  ». 

Sens  général. 

%  481.  —  Nous  disons  :  «  Il  est  au  théâtre,  il  se  repose 
«M  jardin,  il  est  au  pays,  mal  à  l'état  aigu,  il  esta  portée.» 
Mais  nous  mettons  souvent  «  dans  »  ou  «  en  »,  au  lieu  de 
«  à  »,  quelquefois  obligatoirement.  Ainsi  nous  devrions 
remplacer  à  par  une  autre  préposition  dans  les  exemples 
suivants  : 

Commynes  :  «  II  avoit  esté  dit  que  l'on  se  reposeroit  deux 
fois  au  chemin  ». 

Chanson  des  Saxons  :  «  Touz  les  princes  qu'il  pot  à  sa 
terre  Irover.  »  C'est-à-dire  :  «  Tous  les  princes  qu'il  put 
dans  sa  terre  trouver  ». 

Roman  de  Brut:  «  Qui  por  lui  ert  a  grant  paor  ».  C'est- 
à-dire  :  «  Qui  pour  lui  était  en  grande  peur  ». 


216  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

A  devant  un  infinitif  ou  un  gérondif  au  lieu  de  en  suivi 
du  gérondif. 

§482.  —  «  A  -{-infinitif  «au  lieu  de  «  en  -{-  gérondif»  est 
une  locution  encore  vivante  :  «  A  vaincre  sans  péril,  on 
triomphe  sans  gloire.  A  le  bien  prendre...  »  L'ancienne 
langue  en  offre  de  nombreux  exemples. 

On  trouve  aussi  :  à  disant,  à  chevauchant,  etc.,  au  lieu 
de  :  en  disant,  en  chevauchant,  etc. 

A,  sans  idée  de  mouvement,  se  rapportant  à  la  durée. 

§  483.  —  Quand  nous  indiquons  à  quel  moment  de  la 
durée  un  fait  s'est  produit,  nous  mettons  souvent  la  prépo- 
sition à  devant  le  nom  ou  la  locution  qui  exprime  ce  mo- 
ment; mais  souvent  aussi  nous  supprimons  toute  préposi- 
tion :  «  Il  est  parti  à  deux  heures  ;  il  s'est  marié  à  trente 
ans,  il  s'est  levé  au  jour.  Il  est  parti  deux  heures  après;  il 
a  commencé  le  jour  où  vous  êtes  arrivé;  il  est  venu  ce 
soir.  »  Nous  ne  pouvons  expliquer  ici  les  raisons  variées 
de  cette  différence.  Nous  avons  seulement  à  faire  remar- 
quer que  l'ancienne  langue  employait  plus  souvent  que 
nous  la  préposition  dans  les  phrases  semblables.  En  voici 
des  exemples  : 

Livres  des  Rois  :  «  David  parla  à  Nostre  Seignenr  a/ jur 
qu'il  Tout  delivrcd  ».  Mot  à  mol  :  «  David  parla  à  Notre 
Seigneur  au  jour  qu'il  l'eut  délivré.  »  Nous  dirions  :  «  le 
jour  où  il  le  délivra.  » 

Froissart  :  «  A  quarante  ans  après,  il  ne  seroit  pas 
recouvré.  »  Nous  dirions  :  «  quarante  ans  après  »,  sans 
préposition. 

Châtelain  de  Couci  :  «  Car  vostre  sui  et  serai  à  tous  dis.» 
Mot  à  mot  :  «  car  je  suis  et  serai  vôtre  à  tous  jours,  à 
toujours  ». 


SYNTAXE  DE  LA  PRÉPOSITION.  217 

§484.  —  Devant  le  mot  «  temps»,  précédé  de  l'adjectif 
démonstratif,  ou  suivi  d'un  adjectif  et  non  précédé  de  l'ar- 
ticle, nous  mettons  «  en  »  au  lieu  de  «  à  »  :  «  en  ce  temps, 
en  temps  utile.  »  L'ancienne  langue  disait  aussi  :  «  à  ce 
temps.  » 

Froissart  :  «  Et  à  ce  temps  là  les  Escots  aimoient  et  pri- 
soient  assez  peu  les  Anglois  ». 

Nous  avons  conservé  l'expression  «  à  temps  »,  dans  le 
sens  de  :  «  en  tem.ps  utile'.  »  (Gompar.  §  478.) 

§  485.  —  «  A  »  pouvait  encore  avoir  le  sens  de  «  pendant.  » 

Chanson  de  Roland  :  «  Ki  durerat  à  trestut  tun  eage.  » 
Mot  à  mot  :  «  Qui  durera  à  toute  ta  vie.  »  C'est-à-dire  : 
«  pendant  toute  ta  vie.  » 

Ibidem  :  «  Ja  mar  crendrez  nul  hume  à  mun  vivant.  » 
C'est-à-dire  :  «  C'est  à  tort  que  vous  craindrez  qui  que 
ce  soit  pendant  ma  vie.  » 

A  au  sens  de  avec 

§  486.  —  A,  comme  avec,  peut  marquer  l'instrument, 
la  manière.  On  dit:  «  ouvrage  fait  à  la  main  ;  duel  àl'épée  ; 
parler  à  voix  basse;  à  haute  voix;  à  peine;  à  tort  ;  à  rai- 
son. »  Dans  l'ancienne  l'ancienne  langue,  c'était  là  un  des 
sens  usuels  de  «à». 

Clianson  de  Roland  :  «  L'olifant  sunet  a  dulur  et  a 
peine.  »  Traduisez  :  «  Il  sonne  l'olifant  avec  douleur  et 
peine  ^.  » 

Marie  de  France  :  «  Le  col  li  rumpt  à  ses  deux  meins.  » 

§  487.  —  On  trouve  aussi  à  comme  équivalent  de  «  avec  », 
dans  le  sens  de  «  en  compagnie  de  ». 

Villehardouin  :  «  Adonc  issi  li  empereres  Alexis  par  une 
autre  porte  à  toute  sa  force.  »  Traduisez  :  «  Alors  l'empe- 

1.  Dans  cet  exemple,  «  h.  »  peut  aussi  cire  considéré  comme  mar- 
quant l'état  (voyez  §  481).  C'est  d'ailleurs  uu  des  sens  de  «  avec  ». 

Clédat.  1 3 


218  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

reur  Alexis  sortit  par  une  autre  porte  avec  toutes  ses  forces.  » 

§  488.  —  Le  même  sens  de  «  avec  »  était  attribué  à  une 
locution  composée  de  à  et  de  tout  invariable  :  «  à  tout.  » 

Joinville  :  «  Li  cuens  Tybaus  de  Champaigne...  vint 
servir  le  roi  à  tout  trois  cens  chevaliers.  »  Traduisez  :  «  Le 
comte  Thibaut  de  Champagne  vint  servir  le  roi  avec  trois 
cents  chevaliers.  » 

Commynes  :  «  L'arrière  ban  du  Dauphiné  à  tout  quarante 
ou  cinquante  gentilz  hommes  de  Savoye.  »  Traduisez  : 
«  L'arrière  ban  du  Dauphiné  avec  quarante  ou  cinquante 
gentilshommes  de  Savoie.  » 

C'est  là  d'ailleurs  l'origine  de  notre  substantif  «  atout  », 
terme  de  jeu. 

§  489.  —  Cette  valeur  de  à  explique  l'emploi  ancien  de 
cette  préposition  après  «  se  battre,  se  combattre,  avoir 
guerre.  »  Nous  disons  aujourd'hui  :  «  Se  battre  avec  quel- 
qu'un, avoir  une  guerre  avec  son  voisin.  »  L'ancienne  lan- 
gue disait:  «  Se  battre  ou  se  combattre  à  quelqu'un,  avoir 
guerre  à  son  voisin.  » 

A  suivi  d'un  adjectif. 

§  490.  —  Nous  disons  :  «  à  découvert,  à  froid,  à 
nu,  etc.  »  L'ancienne  langue  disait  aussi  :  «  à  fort,  à 
long,  à  dur,  etc.  »  Les  adjectifs  ainsi  employés  caractéri- 
sent tantôt  Yétat  et  tantôt  la  manière,  et  ces  locutions  se 
rattachent  directement  à  deux  des  sens  de  à  énumérés  ci- 
dessus  (j;§  481  et  486). 

IV.  —  Divers  sens  de  «  à  »  se  rattachant  à  l'idée 
de  «  mouvement  hors  de,  origine.  » 

A  au  lieu  de  par  après  un  verbe  passif  ou  pris  dans  un 
sens  passif. 

§  491 .  —  Nous  employons  encore  «  à  »  au  lieu  de  (^par  » 


SYNTAXE   DE  LA   PRÉPOSITION.  219 

après  les  infinitifs  actifs  pris  dans  un  sens  passif  :  «  Il  a  fait 
quitter  la  place  à  son  frère.  »  L'ancienne  langue  employait 
plus  souvent  à  dans  cette  acception,  soit  avec  un  infini- 
tif, soit  avec  un  participe  passé. 

Chanson  de  Roland  :  <.(.  A  mil  Franceis  fait  bien  cher- 
chier  la  ville.  »  Mot  à  mot  :  «  à  mille  Français  il  fait  bien 
parcourir  la  ville.  » 

Roman  de  Rerthe  :  «  A  tous  se  fit  aimer  Berthe.  »  Nous 
dirions  :  «  Berthe  se  fit  aimer  par  tous,  ou  de  tous.  » 

Ibidem  :  «  Me  gardez  que  ne  soie  prise  à  beste  cuiverte.  » 
C'est-à-dire  :  «  Empêchez  que  je  ne  sois  prise  par  une 
bète  malfaisante.  » 

A  au  sens  de  selon,  d'après. 

§  492.  —  Nous  disons  encore  :  «  à  ce  qu'il  pense,  à  sa 
façon,  à  son  idée.  »  Mais  nous  ne  disons  plus  :  «  à  son 
pouvoir  »,  comme  au  moj'en  âge. 

Châtelain  de  Couci  :  «  ou  cil  qui  aime  du  cuer  à  son  po- 
olr.  »  Mot  à  mot  :  «  Ou  celui  qui  aime  du  cœur  à  son  pou- 
voir. »  C'est-à-dire  :  «  selon  son  pouvoir,  tant  qu'il  peut.  » 

Commynes  :  «  Cherchant  rompre  le  dit  voyage  à  leur 
pouvoir.  »  C'est-à-dire  :  «  selon  leur  pouvoir,  autant  qu'ils 
pouvaient.  » 

C'est  aussi  le  sens  de  à  dans  l'exemple  suivant  : 

Châtelain  de  Couci  :  «  Vous  pouvez  bien  savoir  par  ma 
chanson  et  à  mes  diz...  »  Traduisez  :  «  Vous  pouvez  bien 
savoir  par  ma  chanson  et  d'après  mes  paroles...  » 

AINÇOIS,   ANGEIS,   ENCEIS 

§493.  —  «  Ainçois,  anceis,  enceis  »,  qui  a  le  sens  de 
«avant»,  estemployétantùtcomme  adverbe, tantôtcomme 
préposition.  Voici  un  exemple  de  l'emploi  prépositionnel  : 

Chanson  de  Roland  :  c  Ne  fut  si  forz  (bataille)  enceis  ne 


220  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

pois  cel  tens.  »  C'est-à-dire  :  «  il  n'y  eut  si  forte  bataille  avant 
ni  depuis  ce  temps.  » 

AINS 

§  494.  —  Ains  (sens  de  avant),  surtout  adverbe,  est 
quelquefois  préposition  : 

Chanson  de  Gui  de  Bourgogne  :  «  Ains  demain  à  ceste 
eure  la  cité  vos  randron.  »  C'est-à-dire  :  «  Avant  demain  à 
celte  heure,  nous  vous  rendrons  la  cité.  » 

APROF 

§  495.  — Aprof,  adverbe  et  préposition,  signifie  «  après  ». 

Roman  de  Rou  :  «  Un  sarcuel  fîst  appareillier...  A  mètre 
apreuf  sa  mort  son  cors.  »  C'est-à-dire  :  «  Il  fit  préparer 
un  cercueil  pour  mettre  son  corps  après  sa  mort.  » 

AS,    ES 

§496.  —  «  As,  es  »  signifie  voici,  et  s'emploie  souvent  avec 
deux  régimes,  dont  l'un  est  le  nom  de  la  personne  à  qui 
l'on  montre  (toujours  un  pronom),  et  l'autre  le  nom  de 
l'objet  montré. 

Chanson  de  Roland  :  «  As  II  un  angle  ki  od  lui  soelt  par- 
ler. »  Mot  à  mot  :  «  Voici  lui  un  ange  qui  avec  lui  a  cou- 
tume de  parler.  » 

Ibidem  :  «  As  les  vus  aqueisiez.  »  Mot  à  mot:  «  Voici  les 
vous  cois.  »  Nous  disons  encore  familièrement  :  «  Vous  les 
voilà  domptés.  » 

Gui  de  Bourgogne  :  «  Es  les  barons.  »  Traduisez  :  «  Voi- 
ci les  barons.  » 

A  TOUT 

Voyez  à  (§488). 

AA^ERS 

§  497.  —  Avers  signifie  en  comparaison  de  : 


SYNTAXE  DE  LA  PREPOSITION.  221 

Chrétien  de  Troies  :  «  Un  seul  nen  coniii  que  prisasse 
avers  cestui.  »  Mot  à  mot  :  «  Je  ne  connaissais  pas  un  seul 
chevalier  que  je  prisasse  à  côté  de  celui-ci.  « 

Roman  de  la  Rose:  «  El  fu  clere  comme  la  lune  Est  avers 
les  autres  estoiles.  »  C'est-à-dire  :  «  Elle  était  claire  comme 
la  lune  près  des  autres  étoiles.  » 

CONTRE 

§  498.  —  La  préposition  «  contre  »  avait  au  moyen  âge 
plusieurs  sens  qu'elle  n'a  pas  conservés. 

Elle  signifie  :  en  face  de,  du  côté  de,  vers. 

Chanson  de  Roland  :  «  Cuntre  le  ciel  ambesdous  ses 
mains  juintes.  »  C'est-à-dire  :  «  ses  deux  mains  jointes 
vers  le  ciel.  » 

Joinville  :  «  Et  estoient  couchié  contre  orient.  »  C'est-à- 
dire  :  «  et  ils  étaient  couchés  vers  l'orient.  ». 

§  499.  —  Elle  signifie  encore  :  au  moment  de,  vers. 

Chanson  de  Roland  :  «  Cuntre  midi  ténèbres  i  ad  granz  », 
c'est-à-dire  :  «  Vers  midi  il  y  a  de  grandes  ténèbres  ». 

Froissart  :  «  Li  roi  d'Engloterre,  contre  le  mois  de  mai, 
retourna  en  lamarce  de  Londres.  »  C'est-à-dire  :  «  Le  roi 
d'Angleterre,  vers  le  mois  de  mai,  etc.  » 

DE 
Principales  valeurs  de  la  préposition   «  de  ». 

§  500.  —  La  préposition  «  de  »  marque  principalement 
le  point  de  départ,  dans  l'espace,  dans  la  durée,  ou  au 
figuré  :  «  Il  vient  6?e  Paris,  il  est  arrivé  d'hier,  il  tient  de 
vous.  »  A  cette  signification  principale  se  rattaclient  des 
sens  dérivés  assez  nombreux,  dont  quelques-uns  ofiVent 
des  particularités  à  noter. 


222  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

De  marquant  le  rapport  de  possession. 

§  501.  —  Le  rapport  de  possession  est  généralement 
indiqué  :  entre  deux  noms  par  de,  après  le  verbe  êtj^e  par 
à.  Nous  avons  vu  que,  par  exception,  à  pouvait  être  em- 
ployé entre  deux  noms.  De  même,  par  une  exception  in- 
verse, de  pouvait  être  employé  avec  le  verbe  être, 

Se7'mo)}s  de  saint  Bernard  :  «  Layez  venir  ami  les  petiz, 
car  de  teil  gent  est  li  règnes  de  ciel.  »  C'est-à-dire  :  «  Lais- 
sez venir  à  moi  les  petits,  car  le  royaume  du  ciel  est  à  tel- 
les gens,  est  à  eux.  » 

De  et  non  à  devant  un  infinitif. 

§  502.  —  Quand  un  infinitif  dépend  d'un  autre  verbe, 
nous  avons  vu  que  l'ancienne  langue  le  faisait  souvent  pré- 
céder de  la  préposition  à  au  lieu  de  «  de  ».  Inversement, 
on  trouve  de  au  lieu  de  à  : 

Après  s'attendre  : 

Commynes  :  «  Car  de  nostre  costé  on  s'attendoit  de  les 
chasser  à  force  d'artillerie.  » 

De  s'est  d'ailleurs  employé,  après  «  s'attendre  »,  jusqu'au 
xvu''  siècle  : 

La  Fontaine  :  On  ne  s'attendait  guère  De  voir  Ulysse  en 
cette  affaire.  » 

§  503.  —  Après  penser  : 

Roman  du  Chevalier  au  bjon  :  «  Pansez  de  tost  venir 
arrièie.  » 

§  504.  —  Après  «  il  y  a,  il  est  »  : 

Chûlrlain  de  Couci  :  «  Or  n'i  a  que  dou  bien  couvrir  », 
c'est-à-dire  :  «  or  il  n'y  a  qu'^i-  bien  couvrir.  » 

Pièce  d'archives  citée  par  Godefroy  :  «  Demandèrent  les 
ungs  aux  autres  qu'il  estoit  de  faire.  »  G'csl-à-dire  :  «  lis 
demandèrenl  les  uns  aux  autres  ce  (pi'il  y  avait  à  faire.  » 


SYNTAXE  DE  LA  PREPOSITION.  223 

On  disait  de  même  :  «  Il  n'y  a  mais  que  de»  dans  le  sens 
de  :  «  11  n'y  a  plus  qu'à  ».  «  Il  n'y  a  fors  de  »  pour  «  il  n'y 
a  qu'à». 

De  relativement  à  la  durée. 
1.    «  De  »    au   sens   de  «  depuis  ». 

§  505. — Nous  disons  bien  encore  :  «  il  est  arrivé  c?'hier.  » 
Mais  on  dit  aussi  :  «  il  est  arrivé  depuis  hier.  »  Et  «  depuis» 
s'emploie  dans  beaucoup  de  cas  où  l'ancienne  langue  pou- 
vait mettre  «  de  »  : 

Roman  des  Sept  Sages  :  «  Il  vueut  savoir  que  il  set,  de 
tans  de  tens  comme  vos  l'avez  tenu  a  escole.  »  C'est-à- 
dire  :  «  Il  veut  savoir  ce  qu'il  sait  depuis  tant  de  temps 
que  vous  l'avez  tenu  à  l'école.  » 

Joinville  :  «  Oef  dur  cuit  de  quatre  jours  ou  de  cinc.  » 
C'est-à-dire  :  «  œufs  durs  cuits  depuis  quatre  ou  cinq 
jours.  » 

2.    »  De  »  au  sens  de  «  pendant  ». 

§  506.  —  De  peut  équivaloir  à  «  pendant  »,  Nous  avons 
vu  que  «  à  »  avait  aussi  quelquefois  celte  valeur.  Comparez 
notamment  la  vieille  locution  «  à  tout  son  vivant  »  et  l'ex- 
pression «  de  tout  son  temps  »  employée  par  Joinville  dans 
la  phrase  suivante:  «  Onques  hom  lays  de  nostre  temps  ne 
vescpii  si  saintement  de  tout  son  temps.  »  C'est-à-dire  : 
«  Jamais  laïque  de  notre  temps  ne  vécut  si  saintement 
pendant  toute  sa  vie.  » 

Nous  disons  encore  :  «  de  tout  temps.  »  Mais  de  a  sur- 
tout conservé  cet  emploi  dans  les  phrases  négatives  : 
«  il  ne  viendra  pas  de  quatre  jours,  de  longtemps.  » 

3.   «  De  »  marquant  le  moment  de  l'action. 
§  507.  —  Enlin  de,  comme  à,  [leut  niar(pior  le  moment  de 


224  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

l'action.  Nous  disons  :  «  Il  est  arrivé  de  bonne  heure  »,  et 
aussi,  dans  le  langage  populaire  :  «  Il  est  arrivé  à  bonne 
heure.  »  On  dit  également  :  «  Il  est  parti  de  jour  »  et  «  au 
jour.  »  Mais  ces  deux  expressions  ont  pris  des  valeurs 
différentes. 

Nous  disons  :  «  à  présent.  »  On  trouve  dans  les  anciens 
textes,  avec  le  même  sens  :  «  de  présent.  » 

De  signifiant  de  la  part  de,  au  nom  de  : 

§  508.  —  Chanson  de  Roland  :  «  E  l'arcevesques  de 
Dieu  les  beneist  »,  c'est-à-dire  :  «  Et  l'archevêque  les  bé- 
nit au  nom  de  Dieu.  » 

De  au  lieu  de  par  après  un  participe  passé. 

§  509.  —  Nous  disons  encore  :  «  Il  est  aimé  de  tous.  » 
Cet  emploi  de  «  de  »  était  moins  rare  dans  l'ancienne 
langue  : 

Chanson  de  Roland  :  «  NeplacetDeu...  Que  co  seit  ditr/e 
nul  hume  vivant...  »  C'est-à-dire  :  «  A  Dieu  ne  plaise  que 
cela  soit  dit  par  nul  homme  vivant.  » 

Nous  avons  vu  que  à  s'employait  aussi  quelquefois  avec 
cette  valeur  (§  491). 

§  510.  —  Dans  la  vieille  expression  :  «être  bien  de 
quelqu'un  »,  de  a  le  sens  qui  lui  est  propre  après  les  parti- 
cipes passés.  «  Etre  bien  »  signifiait  en  effet  :  «  être  bien 
vu,  bien  traité.  » 

Roman  du  Chevalier  au  lyon  :  «  La  demoisele  estoit  si 
bien  de  sa  dame  que. . .  » 

De  marquant  l'instrument,  la  manière. 

§  511 .  —  Comme  «  à  »,  maispar  une  autre  voie,  «  de  » 
est  arrivé  à  mar(|uer  l'instrument,  la  manière.  Entre  ces 
deux  prépositions,  prises  dans  ce  même  sens,  il  y  a  une 


SYNTAXE  DE   LA   PREPOSITION.  22o 

nuance  de  signification  qui  sera  rendue  sensible  par  les 
exemples  suivants  : 

Ouvrage  fait  à  la  main  Ouvrage  fait  de  sa  main 

Ils  combattent  à  Tépée  Ils  frappent  de  l'épée 

Il  parle  à  voix  basse  II  parle  d'une  voix  douce 

C'est  A  raison  qu'il  le  dit  II  se  fâche  plus  que  de  raison 

11  parle  à  cœur  ouvert  II  l'encourage  de  tout  cœur 

Il  travaille  à  tète  reposée  II  calcule  de  tête. 

§  512.  —  Il  faut  remarquer  que  cet  emploi  de  «  à  »  et 
«  de»  se  restreint  souvent  à  des  expressions  consacrées,  et 
n'est  vivant  encore  dans  la  langue  que  lorsque  le  nom 
qui  suit  est  précédé  d'un  article  ou  d'un  démonstratif. 
On  dit  :  «  parler  à  voix  haute,  à  voix  basse  »,  mais  on 
ne  dirait  pas  :  «  parler  à  voix  élevée,  à  voix  forte.  »  On 
peut  dire  au  contraire  :  «  Il  parle  d'une  voix  élevée,  rf'une 
voix  émue,  etc.,  etc.  » 

§513.  —  Parmi  les  expressions  consacrées  de  Tan- 
cienne  langue  où  «  de  »  marquait  la  manière,  quelques- 
unes  sont  tombées  en  désuétude,  par  exemple  :  de  bon 
courage  (avec  bonne  intention,  de  bon  cœur),  de  mau- 
vais courage  (avec  mauvaise  intention,  à  regret),  de  cou- 
rage (courageusement). 

Orcsmc  :  «  11  vient  de  bon  courage  ». 

§514.  —  C'est  à  cette  valeur  de  la  préposition  «  de  » 
qu'il  faut  rattacher  les  locutions  adverbiales  qu'elle  peut 
former  avec  les  adjectifs.  Nous  disons  encore  :  «  c?e  nouveau, 
de  même.  »  L'ancienne  langue  disait  aussi  «  de  fi  (d'une  ma- 
nière digne  de  foi),  rfc  certain  (d'une  manière  certaine),  etc.» 

§  515.  —  De  s'est  joint  aussi  à  certains  adverbes,  d'a- 
bord sans  enmodifîer  le  sens  :  «  de  hors,  f?e  dans,  r/r  main- 
tenant, de  jadis  »,  au  lieu  de  :  «  hors,  dans,  maintenant, 
jadis  ».  Celles  de  ces  locutions  qui  ont  persisté  dans  la 

13. 


226  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

langue  à  côté  de  l'adverbe  simple  s'en  distinguent  aujour- 
d'hui par  une  nuance  de  sens. 

De  marquant  restriction  de  l'idée  exprimée  par  le  verbe 
ou  l'adjectif. 

§  516.  —  Ce  cas  est  souvent  confondu,  mais  à  tort,  avec 
le  précédent.  Dans  «  faible  rf'esprit  »  on  dit  que  de  mar- 
que la  manière,  comme  dans  :  <  calculer  de  tète.  »  11  ré- 
pond en  effet  à  la  même  question  :  «  Faible  de  quelle  ma- 
nière ?  Calculer  de  quelle  manière  ?  »  Mais  la  question 
n'est  la  même  qu'en  apparence.  La  réponse  qu'elle  appelle 
restreint  dans  le  premier  cas  l'idée  exprimée,  elle  la  com- 
plète dans  le  second.  Si  dans  «  Pierre  est  faible  d'es- 
prit »  on  supprime  «  d'esprit  »,  on  dénature  la  pensée,  par- 
ce qu'on  enlève  la  restriction  qui  la  rendait  juste.  Au 
contraire,  si  dans  «.  Paul  calcule  de  tête  »  on  supprime  «  de 
tête  »,  la  pensée  reste  la  môme,  on  ne  supprime  qu'un  dé- 
tail complémentaire.  Dans  le  premier  cas,  les  équivalents 
de  «  de  »  seraient  joowr,  quant  à  (faible  pour  l'esprit,  quant 
à  l'esprit),  jamais  avec.  Dans  le  second  cas,  l'équivalent  le 
plus  exact  serait  avec  (il  calcule  avec  la  tête  seule,  sans 
écrire),  jamais ^jor«'  ni  quanta. 

De  est  restrictif  dans  :  «  Il  est  bien  de  figure,  tu  lui  res- 
sembles de  visage,  etc.  »  11  s'explique  de  même  dans  ces 
vieux  exemples  : 

Robert  de  Blois  :  De  fiertei  resemblc  un  lion.  »  C'est-à- 
dire  :  «  Pour  la  fierté  il  ressemble  à  un  lion.  » 

Sermons  de  saint  Bernard  :  «  Il  se  coysievet  de  boche, 
mais  il  nos  ensaignevet  par  oyvre.  »  Mot  à  mot  :  «  Il 
se  taisait  de  bouche,  mais  il  nous  enseignait  par  les 
œuvres.  » 

Histoire  do  fiuillaume  le  maréchal:  «  De  la  faiture  Re- 
semblout  il  ascz  haut  homePor  eslre  emperere  de  Home.  » 


SYNTAXE  DE  LA  PREPOSITION.  227 

§  517.  —  Le  de  restrictif  s'employait  même  devant  un 
infinitif  : 

Roman  de  Brut  :  «  Teil  chevalier  n'ot  en  la  terre  /)' ar- 
mes porter,  de  faire  guerre.  »  C'est-à-dire  :  «  Il  n'y  avait 
pas  sur  terre  un  chevalier  tel  que  lui  pour  porter  les  ar- 
mes et  faire  la  guerre.  » 

De  marquant  le  moyen. 

§  518.  —  Nous  disons  :  «  Il  l'a  payé  de  sa  bourse,  il  1  a 
acheté  de  son  argent.  »  C'est  aussi  l'un  des  sens  de  la  pré- 
position avec.  Car  on  dit  :  «  il  l'a  acheté  avec  son  argent  ». 
L'ancienne  langue  employait  plus  souvent  de  pour  mar- 
quer le  moyen  : 

Joinville  :  «  Ilala  au  roy  et  li  dist  que  grant  honte  avoie 
fait  à  li  et  aus  autres  barons,  de  ces  robes  que  je  li  avoie 
envoie,  quant  il  ne  s'en  estoient  avisié  avant.  »  C'est-à- 
dire  :  «  Il  alla  au  roi  et  lui  dit  que  j'avais  fait  grand  honte 
à  lui  et  aux  autres  barons  avec  ces  robes  que  je  lui  avais 
envoyées  (à  l'impératrice)  quand  ils  n'y  avaient  pas  songé 
eux-mêmes.  » 

De  marquani  la  cause. 

i^  519.  —  De  marque  la  cause  dans  :  «  Il  est  mort  de  sa 
blessure,  il  est  rouge  de  colère,  il  est  furieux  des  obstacles 
qu'il  rencontre,  etc.  »  De  a  la  même  valeur  dans  les  exem- 
ples suivants  : 

Chanson  de  Roland:  «  Des  morz  qu'il  troevct  cumencet 
à  plurer.  »  Mot  à  mot  :  «  Des  morts  qu'il  trouve  il  com- 
mence à  pleurer.  »  C'est-à-dire  :  «  Il  cumnicnce  à  pleurer 
à  cause  des  morts  qu'il  trouve.  » 

Joinville  :  «  Et  il,  qui  me  vit  megre  et  descharnei  de  la 
maladie.  »  C'e-t-à-dire  :  «  Et  lui,  <{ni  me  vit  maigre  et  dé- 
charné par  la  maladie.  » 


228  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

De  signifiant  au  sujet  de. 

§  520.  De  a  particulièrement  ce  sens  dans  les  titres  d'ou- 
vrages ou  de  chapitres  [De  la  peine  de  mort),  ou  après  cer- 
tains verbes  ou  certaines  locutions  verbales  (parler  de  la 
pluie  et  du  beau  temps  ;  il  s'est  mis  en  peine  de  vous  re- 
joindre). On  le  trouve  avec  le  même  sens  dans  les  exemples 
suivants,  où  nous  le  remplacerions  généralement  par 
«  pour  ». 

Récit  de  la  l"""  Croisade  :  «  Et  del  chastel  avoir  tut  son 
poeir  feroit.  »  C'est-à-dire  :  «  Et  il  ferait  tout  son  possible 
pow  avoir  le  château.  » 

Livres  des  Rois  : 

«  Samuel  out  cumandé  a  Saul  qu'il  l'atendist  del  sacre- 
lîse  que  faire  devreit.  »  Traduisez  :  «  Samuel  commanda  à 
Saûl  qu'il  l'attendît  ^jowr  le  sacrifice  qu'il  devrait  faire.  » 

Serrtions  de  saint  Rernard  :  <.<.  Nuls  de  ceos  ne  se  tant  det 
douz  nom  del  Salvaor.  »  Mot  à  mot  :  «  Aucun  d'eux  ne  se 
tut  du  doux  nom  du  Sauveur  ».  «  Se  taire  de  »  est  aussi 
rationnel  que  «  parler  de  ». 

C'est  ainsi  qu'on  disait  encore  :  «  penser  de  quelque 
chose  »,  au  lieu  de  «  penser  à  ». 

Lancelot  :  «  Pense  de  lui  et  de  son  cheval.  » 

§  521.  —  On  disait  aussi  :  «  savoir  de  la  mer  »,  pour 
«  connaître  la  mer  »,  «  conseiller  cfune  terre  »,  pour  «  indi- 
quer une  terre  »,  «  faire  dommage  de  quelque  chose  », 
coTime  nous  disons  :  «  faire  tort  de  ». 

v^  522.  — De  s'employait,  comme  quant  à  ou  pour  de 
nos  jours,  pour  mettre  en  relief,  en  l'isolant,  un  nom  qui 
était  ensuite  représenté  par  un  pronom  à  sa  place  normale. 

Chanson  de  Roland  :  «  Del  rei  paien,  sire,  par  veir 
créez  Ja  ne  verrez  ccst  premier  mois  passet  0u'/7  vous  si- 
vrat  en  France  le  regnet.  »  C'est-à-dire  :   Quant  au  roi 


SYNTAXE  DE  LA  PREPOSITION.  229 

païen,  sire,  croyez  vraiment  qu  il  vous  suivra  avant  un 
mois.  » 

Encore  dans  une  lettre  de  Henri  IV  :  «  De  vos  voisins, 
j'ai  vu  parleurs  responces  que....  » 

De  précédant  l'infinitif  ou  le  nom  sujet  logique  d'une 
proponlion 

§  523.  —  Nous  disons  :  «  Il  est  bon  de  le  lui  dire,  ce 
n'était  rien  de  le  lui  cacher,  ou  que  de  le  lui  cacher.  »  Mais 
si  le  sujet  logique  est  un  nom,  au  lieu  d'être  un  infinitif,  il 
n'est  précédé  aujourd'hui  que  de  la  conjonction  que  :  «  Ce 
n'était  rien  que  les  anciennes  modes  auprès  de  celles  d'au- 
jourd'hui ».  L'ancienne  langue  disait  :  «  ce  n'était  rien 
des  anciennes  modes.  »  Voici  un  exemple  du  xvi^  siècle  : 

Henri  Estienne  :  «  Ce  n'estoit  quasi  rien  des  fraises  qu'on 
vouloit  faire  autrefois,  au  prix  de  celles  qu'ont  inven- 
tées les  lingères.  » 

De  au  lieu  de  que  après  un  comparatif . 

§  524.  —  Chanson  de  Roland  :  «  Plus  fel  de  lui  n'out  en 
sa  compagnie.  »  C'est-à-dire  :  «  Il  n'y  eut  plus  félon  que 
lui  en  sa  compagnie.  » 

Ibidem  :  «  N'avez  barun  qui  mielz  de  lui  la  facet.  »  C'est- 
à-dire  :  «Vous  n'avez  baron  qui  mieux  que  lui  la  fasse.  » 

Établissements  de  saint  Louis  :  «  Vos  n'i  avez  riens  plus 
de  moi.  »  Nous  disons  encore  «  plus  de,  moins  de  »  dans 
certaines  locutions. 

De  séparant  un  adjectif  ou  un  substantif  qualificatif  du 
nom  qualifié. 

^  525.  —  Les  locutions  telles  que  «  son  bonhomme  de 
père  »  étaient  fréquentes  dans  l'ancienne  langue.  En  voici 
deux  exemples  : 

Gautier  de  Coinci  :  «  ma  lasse  rf'anic.  » 


230  GRAMMAIRE   DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Froissart  :  «  Son  signeur  de  père.  » 

DE   COSTE 

§  526.  —  Decoste,  vieille  préposition,  a  le  sens  de  «  à 
côté  de  ». 

Joinville  :  «  Et  se  vindrent  arangier  de  cosle  nous.  » 
C'est-à-dire  :  «  Et  ils  vinrent  se  ranger  à  côté  de  nous.  » 

DEDANS   (latin   DE   DE  INTUS) 

§  527.  —  Dedans  est  souvent  préposition  : 

Châtelain  de  Coucl  :  «  Dont  je  l'ai  tant  dedens  mon  cuer 
amée.  » 

Villehardouin  :  «  Dedens  ces  huit  jors  furent  venu  tuit  li 
vaissiel  et  li  baron.  » 

Au  xvii^  siècle  dedans  est  encore  employé  fréquemment 
comme  préposition  : 

La  Fontaine  :  «  Et  dedans  son  domaine  Chacun  dormoit 
aussi.  » 

DEFORS   (dehors) 

§  528.  —  Defors,  ordinairement  adverbe,  est  quelque- 
fois préposition  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Defors  sun  cors  veit  gesirlabucle.  » 

Poème  de  Floire  et  Blancheflor  :  «  Defors  les  murs,  loiug 

du  portai,  Ot  une  place  principal.  »  Mot  à  mot  :  «  Dehors 

les  murs,  loin  du  portail,  il  y  avait  une  [dace  principale.  » 

DEJUSTE,    DEJOSTE 

§529.  —  Même  sens  que  juste,  joste  (Voy.  plus  loin). 

DELEZ  (près  de) 
§  530,,  —  Ce  mot  est  formé  avec  «  de  »  et  «  lez  »  (latin 


SYNTAXE  DE  LA   PREPOSITION.  231 

latus),  préposition  encore  employée  dans  quelques  noms 
de  lieux. 

Chanson  de  Roland  :  «  Delez  un  églantier.  » 

DÈS  (latin   DE-EX) 

§  531.  —  ^ès  signifie  aujourd'hui  :  an  moment  même  de, 
à  Vrpoque  même  de.  Dans  l'ancienne  langue,  la  significa- 
tion de  cette  préposition  était  plus  étendue  ;  elle  ne  s'ap- 
pliquait pas  seulement  au  temps,  mais  aussi  à  l'espace,  et 
elle  avait  toute  la  valeur  de  «  depuis  ». 

Chanson  des  Saxons  :  «  Dès  le  mont  Saint-Michiel  jus- 
qu'à Ghastel-Landon.  » 

Joinville  :  «  Dès  Ausone_  jusques  à  Lyon.  » 

Chanson  de  Roncevaux  :  «  Dès  le  matin  jusqu'à  soleil 
couchant.  » 

DESSOUS,    DEDESSOUS  (latin    DE-SUBTUS) 

§  532.  —  Dessous  s'employait  dans  l'ancienne  langue 
aussi  bien  comme  préposition  que  comme  adverbe. 

Chanson  de  Roland  :  «  Desuz  un  pin....  un  faldestoel 
i  out.  »  Mot  à  mot  :  «  Dessous  un  pin  il  y  avait  un  fau- 
teuil. » 

Au  xvu'  siècle,  dessous  avait  encore  cette  valeur.  La 
Fontaine  écrit  : 

»  Le  lièvre  était  gîte  dessous  un  maître  cliou.  » 

Aujourd'hui  dessous  n'est  plus  préposition  (pie  dans  les 
locutions  :  «  pat^  dessous,  de  dessous.  » 

§  533.  —  Dedessous  se  trouve  avec  le  sens  de  «  dessous, 
sous  »  dans  la  Chanson  de  Roland  :  «  Lur  chevals  laissent 
dedesuz  une  olive.  »  G'est-ù-dire  :  «  nous  un  olivier  », 


232  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

DESUR,   DESSUS  (latin  DE-SUPER,    DE-SUSUM) 

§  534.  —  Ces  deux  mots,  dont  l'un  a  disparu,  et  dont 
l'autre  est  devenu  adverbe  (sauf  dans  les  locutions  prépo- 
sitives joarc^essus,  de  dessus),  s'employaient  à  la  fois  comme 
prépositions  et  comme  adverbes  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Oliviers  muntet  desur  un  pui  hal- 
lur.  »  Nous  dirions:  «Olivier  monte  sur  une  colline  élevée.  » 

Dessus  est  resté  préposition  jusqu'au  xvii^  siècle. 

MoUcre  :  «  Dessus  quel  fondement  venez-vous  donc,  mon 
frère?...  » 

DEVANT,    DEDEVANT 

§  535.  —  On  trouve  dedevant  avec  le  sens  de  devant, 
•comme  dedessous  avec  le  sens  de  «  dessous,  sous.  » 

Chanson  de  Roland  :  «  Dedevant  lui  ad  une  pierre 
brune.  »  C'est-à-dire  :  «  devant  lui.  » 

EMPRÈS 

§  536.  —  Nous  avons  perdu  cette  préposition,  qui  signi- 
fiait :  «  auprès  de  »  et  «  après  ». 

Joinville  :  «  A  la  table  le  roy  manjoit,  emprès  li,  li  cuens 
de  Poitiers.  »  C'est-à-dire  :  «  A  la  table  du  roi  mangeait, 
auprès  de  lui,  le  comte  de  Poitiers.  » 

Roman  de  Rou  :  «  Cil  fu  quens  d'Où  enpres  son  père.  » 
C'est-à-dire  :  «  Il  fut  comte  d'Eu  après  son  père.  » 

EN  (latix  IN) 

§  537.  —  L'un  des  sens  de  la  préposition  latine  in,  le 
eens  de  sur,  ne  s'est  conservé  que  dans  quelques  locutions  : 
«  portrait  en  pied  ;  mettre  en  croix.  »  L'ancienne  langue 
employait  plus  librement  «  en  pied  »  et  «  en  croix  » 

Chanson  de  Roland  :  «  Li  quens  Rollanz.  ..  en  piez  se 


SYNTAXE  DE  LA  PRÉPOSITION.  233 

drecet.  »  Mot  à  mot  :  «  Le  comte  Roland  se  dresse  en 
pieds.  »  Nous  dirions  :  «  sur  ses  pieds.  » 

Ibidem  :  «  La  lance  dont  Nostre  Sire  fut  en  la  cruiz  naf- 
frez.  »  Mot  à  mot  :  «  La  lance  dont  Notre-Seigneur  fut 
percé  en  la  croix.  »  Nous  dirions  :  «  sur  la  croix.  » 

§  538.  — Beaucoup  de  locutions  adverbiales  ont  été  for- 
mées avec  la  préposition  en  et  des  substantifs  ou  des  adjec- 
tifs :  «  en  rond,  en  cachette,  etc.  »  L'ancienne  langue  en 
possédait  un  bon  nombre  qui  sont  devenues  hors  d'usage  : 
en  foi  (fidèlement),  en  apert  (ouvertement),  etc. 

ENCEIZ 
Voyez  Ainçois. 

ENCONTRE 

§  539.  — Encontre ,  adverbe  et  préposition,  a  la  plupart 
des  sens  de  contre. 

C  hanson  de  Roland  :  <.<.  Encunlr  exnei  reveleruntliSaisne.  » 
C  est-à-dire  :  «  Les  Saxons  se  révolteront  contre  moi.  » 

Chanson  de  Roland  .•«  Li  destriers  est  e  curant  e  aates... 
Reste  nen  est  ki  encuntre  lui  alget.  »  C'est-à-dire  :  «  Le 
cheval  est  agile  et  rapide....  Il  n'y  a  pas  de  bête  qui  aille 
en  comparaison  de  lui.  » 

Cet  adverbe-préposition  est  employé  aujourd'hui  subs- 
tantivement dans  la  locution  :  à  Vencontre  de. 

ENCOSTE 

§  540.  —  Encoste,  ancienne  préposition,  composée  de 
en  et  du  substantif  coste  (côte)  a  le  sens  de  :  à  côté  de. 

Joinville  :  «  Et  encore mangoit  encoste  celé  table  la 

royne  Blanche.  »  C'est-à-dire  :  «  lit  encore  mangeait  à 
côté  de  cette  table  la  reino  Blanche.  » 


234  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

ENDREIT,  ENDROIT 

§  541.  —  «  Endreit,  endroit  »  est  composé  avec  droit, 
comme  encoste  avec  coste.  Cet  adverbe-préposition  n'est 
plus  employé  que  substantivement.  On  lui  donne  souvent 
dans  l'ancienne  langue  le  sens  de  la  locution  actuelle  : 
«  à  l'endroit  de...  »,  c'est-à-dire  :  «  en  ce  qui  con- 
cerne.... » 

Chanson  de  Roland  :  «  Ore  ad  li  quens  endreit  sei  sez  que 
faire.  »  Mot  à  mot  :  «  Maintenant  le  comte  a  assez  à  faire 
endroit  soi.  »  C'est-à-dire  :  «  à  son  endroit,  en  ce  qui  le 
concerne.  » 
Endroit  signifiait  encore  :  «  en  face  de,  vers.  » 
§542.  — Endroit  de  avait  les  mêmes  sens  : 
Joinville  :  «  Et  dist  que  endroit  de  li  il  avoit  tuei  six  de 
nos  gens.  »  C'est-à-dire  :  «  Et  il  dit  que,  en  ce  qui  le  concer 
nait,  il  avait  tué  six  de  nos  gens.  » 

ENMI 

§  543.  —  Enmi  (latin  in  medio),  composé  de  en  et  de 
mi{mi-Q.diTèxne,miY\Q\x,  minmi,  mià\),  comme  parmi  de  par 
et  du  même  adjectif,  aie  sens  de  :  «  au  milieu  de.  » 

Chanson  de  Roland  :  «  Se  trois  Rolland....  enmi  ma  veie.  » 
C'est-à-dire  :  «  Si  je  trouve  Roland  au  milieu  de  ma  route.  » 

ENSEMBLE 

^  544.  —  Ensemble  (latin  in  simul)  est  quelquefois  em- 
ployé comme  préposition,  dans  le  sens  de  avec.  On  trouve 
aussi,  dans  le  même  sens,  ensemble  od  (Voy.  plus  loin 
la  préposition  od). 

Sermons  de  Saint  Rernard  :  «  Ou  poreit  estre  nuls  mais 
ensemble  luy?  »  C'est-à-dire  :  «  Où  pourrait-il  y  avoir 
quelque  mal,  quand  on  est  avec  lui?  » 


SYNTAXE  DE  LA  PRÉPOSITION.  233 

Chanson  de  Roland:  «  Ensemble  od  els  li  quens  Rollanz 
i  vint.  »  C'est-à-dire  :  «  Avec  eux  y  vint  le  comte  Roland.  » 

ENS   EN 

§  545.  —  «  Ens  en  »,  locution  prépositive,  composée  de 
la  préposition  en  et  de  l'adverbe  ens  ou  enz,  a  le  même 
sens  que  «  en,  dans  »  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Enz  en  lur  mains  portent  bran- 
ches d'olive.  »  C'est-à-dire  :  «  Dans  leurs  mains  ils  portent 
des  branches  d'olivier.  » 

ENTOUR 

§  546.  —  Enlour,  ancien  adverbe-préposition,  encore 
employé  substantivement  dans  «  à  l'entour  »,  avait, 
comme  préposition,  le  sens  de  «  autour  de,  auprès  de, 
vers.  » 

Jo'mmlle  :  «  Nous  feismes  la  première  procession  entour 
les  doLis  maz  de  la  nef.  »  C'est-à-dire  :  «  Nous  fîmes  la  pre- 
mière procession  autour  des  deux  mâts  du  vaisseau.  » 

Ibidem  :  «  Entour  l'eure  de  vespres.  »  C'est-à-dire  : 
«  Vers  l'heure  de  vêpres.  » 

ENTRE 

§  547.  —  Les  acceptions  anciennes  de  cette  préposition 
diffèrent  peu  des  acceptions  actuelles.  Une  d'elles  doit  ce- 
pendant nous  arrêter  un  instant,  parce  qu'elle  ne  s'est  con- 
servée que  dans  quelques  locutions  :  «  Nous  dînons  entre 
nous  ;  ils  s'amusent  entre  eux.  »  C'est-à-dire  :  «  Nous  dînons 
ensemble  et  à  nous  seuls,  etc.  »  L'ancienne  langue  disait 
de  môme,  et  nous  ne  pouvons  plus  dire  :  entre  moi  et  mon 
père  (nous)  demeurons  dans  cette  maison;  (ils)  se  couchèrent 
entre  le  duc  et  le  comte,  ce  qui  signifiait  «  le  duc  et  le 
comte  se  couchèrent  ensemble  »  ;  il  partit  entre  lui  et  son 


^36  GRAMMAIRE  DU   VIEUX   FRANÇAIS. 

fils,  c'est-à-dire  :  «  ils  partirent  tous  deux,  lui  et  son  fils.  » 
Roman  de  Renard  :  «  Quex  mautalant  t'a  fat  devenir  pè- 
lerin entre  toi  et  mestre  Belin.  »  C'est-à-dire  :  «  Quelle  idée 
vous  a  fait  devenir  pèlerins,  toi  et  maître  Belin!  » 

Quand  on  traduit  ces  phrases  de  l'ancienne  langue,  on 
peut  presque  négliger  «  entre  ».  L'idée  accessoire  qu'ex- 
primait cette  préposition  ne  peut  guère  être  rendue  que 
par  l'adverbe  «  ensemble  ». 

ENTRESQUE  A 

§  548.  —  Entresque  à  signifie  ./ws^'M'à. 
Chanson  de  Roland  :  «  L'osberc  li  rumpt  entresque  à  la 
carn.  »  C'est-à-dire  :  «  Il  lui  rompt  le  hdiXxhQTi  jusqu'à  la 
€hair.  » 

ENVERS 

§  549.  —  Envers  s'employait  comme  synonyme  de 
vzrs  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Envers  le  ciel  en  volent  les  es- 
clices.  »  C'est-à-dire  :  «   Ve7's  le  ciel  en  volent  les  éclats.  » 

§  550.  —  Envers  avait  aussi  le  sens  de  «  en  comparai- 
son de  ». 

Roman  de  la  Rose  :  «  Clere  comme  la  lune  Envers  qui  les 
autres  estoiles  Resemblent  petites  chandoiles.  » 

ENVIRON 

§  551.  —  Environ,  comme  préposition,  a  le  sens  de 
«  autour  de  ». 

Chanson  de  Roland  :  «  Envirun  lui  plus  de  vint  mille 
humes.  »  C'est-à-dire  :  «  Autour  de  lui  plus  de  vingt  mille 
hommes.  » 

ES 

Voyez  as.  ' 


SYNTAXE  DE  LA  PRÉPOSITION.  23T 

FORS 

§  552.  —  Fors  a  tous  les  sens  de  hors;  ce  sont  d'ailleurs 
deux  formes  d'un  même  mot  :  latin  foris. 

JUSTE,    JOSTE 

§  553.  —  injuste,  juste»,  ISiVmjuxta,  signifie  -.près  de.  C'est 
avec  cette  préposition  qu'ont  été  formés  les  deux  verbes 
«joster,  jouster,  jouter  »  et  «  ajoster,  ajouster,  ajouter», 
qui  signifient  proprement  «  mettre  près  de  ».  Le  premier 
de  ces  verbes  a  eu  successivement  les  sens  de  :  «  se 
mettre  près  de,  s'approcher  de  (pour  combattre),  com- 
battre ». 

LEZ,    LES 

§554.  —  Lez,  les  (latin  latus,  côté).  Cette  vieille  pré- 
position, qui  signifie  «  à  côté  de  »,  s'est  conservée  dans 
quelques  noms  de  lieux  :  «  Plessis- lez-Tours.  » 

Joinville  :  Et  feri  le  Juif  les  l'oye.  »  C'est-à-dire  :  «  Et 
il  frappa  le  Juif  à  côté  de  l'oreille  ». 

LON(J 

§  555.  —  Long  {lune,  lonc),  adjectif  employé  comme 
préposition,  a  les  sens  de  «  près  de,  selon  ». 

Chanson  de  Roland  :  «  Lune  un  alter  bêlement  l'enter- 
rèrent. »  C'est-à-dire  :  «  Près  d'un  autel,  ils  l'enter- 
rèrent bellement.  » 

NE    MAIS   QUE,    NE   MAIS 

§  556.  —  A'e  mais  que  se  compose  de  la  négation  ne^ 
de  l'ancien  adverbe  mais  (qui  a  le  sens  de  plus)  et  de 
la  conjonction  que.  «  Ne  mais  que  »  signifie  donc  litté- 
ralement  :    «    non   plus   que    ».    On  remployait  tantôt 


238  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

comme  notre  conjonction  sinon,  tantôt  comme  une  véri- 
table locution  prépositive,  avec  le  sens  de  «  excepté  ». 

Chanson  de  Roland  :  «  Franceis  se  taisent,  ne  mais  que 
Guenelun.  »  C'est-à-dire  :  «  Les  Français  se  taisent,  excepté 
Ganplon.  » 

§  557.  —  On  trouve  aussi  «  ne  mais  »  avec  le  même 
sens  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Jo  ne  sai  veirs  nul  hume  Ne  mais 
Rolland....  »  C'est-à-dire  :  «  Je  ne  sais  vraiment  personne 
(qui  soit  ainsi)  excepté  Roland.  »  Dans  cet  exemple  «  ne 
mais  »  pourrait  aussi  se  traduire  par  «  sinon  ». 

0 

§  558.  —  0  (d'abord  od)  est  une  vieille  préposition  qui 
a  le^ens  de  «  avec.  » 

Chanson  de  Roland  :  «  Jol  sivrai  od  mil  de  mes  fedeilz.  » 
C'est-à-dire  :  «  Je  le  suivrai  avec  mille  de  mes  fidèles.  » 

OUTRE 

§  559.  —  Cette  préposition  a  d'abord  signifié  «  au- 
delà  »,  sens  qui  ne  s'est  conservé  que  dans  quelques  locu- 
tions :  «  outre  mer,  outre  mesure  ». 

Chanson  de  Roland:  «  Ultre  cest  jur  ne  sérum  plus  vi- 
vant. »  C'est-à-dire  :  «  Au  delà  de  ce  jour  nous  ne  serons 
plus  vivants.  » 

PAR 

§  560.  —  Cette  préposition  s'employait  plus  libre- 
ment qu'aujourd'hui  dans  son  sens  primitif  de  «  à 
travers  ». 

Chanson  de  Roland:  «  Par  le  camp  (champ)  vait  Turpins 
liarcevesques.  »  Nous  dirions  plutôt  :  «  L'archevêque  Tur- 
pin  va  à  travers  le  champ  de  bataille.  » 


SYNTAXE  DE  LA  PRÉPOSITION.  239 

§  561.  —  Par  signifiait  aussi  'pendant,  comme  joer  en 
lalin  : 

Villeharàouin  :  «  Ensi  dura  li  assaus  par  cinc  jors.  » 
C'est-à-dire  :  «  Ainsi  l'assaut  dura  pendant  cinq  jours  ». 

§  562.  —  Par  a  encore  aujourd'hui  un  sens  voisin  de 
après,  dans  certaines  locutions  :  «  un  par  un,  jour  par 
jour.  »  L'ancienne  langue  disait  aussi  :  «  l'un  par  l'au- 
tre »,  au  lieu  de  «  l'un  après  l'autre  ». 

Joinville  :  «  Se  je  vous  ai  de  riens  mesfait,  je  le  vous 
desferai,  l'un  par  l'autre.  »  Traduisez  :  «  Si  je  vous  ai  fait 
tort  en  quoi  que  ce  soit,  je  vous  dédommagerai  l'un 
après  l'autre  ». 

563.  —  Cette  préposition  a  servi  à  former  un  certain 
nombre  de  locutions,  dont  quelques-unes  sont  devenues 
hors  d'usage  : 

Par  veir  (par  vrai)  au  sens  de  «  vraiment,  sûrement  ». 

Chanson  de  Roland  :  «  S'il  voelt  ostages,  il  en  avrat  par 
veir.  »  C'est-à-dire  :  «  S'il  veut  des  otages,  il  en  aura  sû- 
rement ». 

Par  lui,  par  eux,  au  sens  de  «  lui  seul,  eux  seuls  ». 

Chanson  de  Roland  :  «  Cil  sunt  par  els  en  un  val.  »  Mot 
à  mot  :  «  Ils  sont  par  eux  dans  un  vallon.  »  C'est-à- 
dire  :  «  Ils  sont  seuls.  » 

Roman  de  Derthe  :  «  Bcrte  fut  en  la  forest  par  li.  » 
Mot  à  mot  :  «  Berthe  fut  en  la  forêt  par  elle.  »  C'est-à- 
dire  :  «  fut  seule  dans  la  forêt.  » 

§  564.  —  Ajoutez  les  locutions  prépositives  suivantes  : 

Par  nom  de,  au  sens  de  «  au  risque  de  ». 

Chanson  de  Roland  :  «  Par  num  rf'ocire  enveierai  le 
mien...  »  C'est-à-dire  :  «  Au  risque  de  le  tuer,  au  risque 
de  le  faire  tuer,  j'y  enverrai  le  mien,  mon  (ils.  » 

Par  sum  (latin  per  summum),  au  sens  de  «  à  l'extré- 
mité de...  au  sommet  de...  » 


240  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Chanson  de  Roland  :  «  Par  sum  les  puis  en  un  broill  i  re- 
mestrent.  »  C'est-à-dire:  «Au  haut  c?es  montagnes,  ils  s'ar- 
rêtèrent dans  un  bois.  » 

§  565.  —  Pa7'  se  joint  encore  à  certaines  prépositions, 
particulièrement  à  celles  qui  commencent  parrfe  ;  «  par  de- 
vers, etc.  »  L'ancienne  langue  disait  aussi:  «  pardecoste  », 
avec  le  même  sens  que  «  decoste  »  (Voyez  ci-dessus) 

PARMI 

§  566.  —  Parmi  est  formé  comme  la  locution  prépo- 
sitive «  par  sum  »,  que  nous  venons  de  voir,  c'est-à-dire 
avec  un  adjectif  [mi  de  médium)  précédé  de  par  (Voyez 
aussi  enmi  plus  haut). 

Parmi  a  signifié  :  «  par  le  milieu  de  ». 

Joinville  :  «  Mes  chevaus  s'agenoilla...  et  je  en  alai  outre 
parmi  les  oreilles  dou  cheval.  »  C'est-à-dire  :  «  Mon  che- 
val s'agenouilla...,  et  je  fus  jeté  en  avant  par  le  milieu  des 
oreilles  du  cheval,  entre  les  oreilles  du  cheval  ». 

§  567.  —  Parmi  avait  aussi,  comme  aujourd'hui,  le 
sens  de  «  au  milieu  de  »;  mais  il  s'employait  librement 
devant  un  nom  singulier,  tandis  que  nous  ne  nous  en  ser- 
vons guère  qu'avec  le  pluriel  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Parmi  un  val  herbus  ». 

§  568.  —  Enfin  parmi  avait  encore  le  sens  de  «  par  le 
moyen  de,  moyennant  ». 

Joinville  :  «  Li  cuens  de  Ghampaigne  vendi  au  roi^  parmi 
les  quarante  mille  livres,  les  fiez  ci-après  nommés.  »  C'est- 
à-dire  :  «  Le  comte  de  Champagne  vendit  au  roi,  moyen- 
nant les  quarante  mille  livres,  les  fiefs  ci-après  nommés.  » 

PUIS 

§  569.  —  Puis  (latin  posi)  n'est  plus  qu'adverbe.  Il  a  été 
préposition,  avec  le  sens  de  «  après,  depuis  ». 


SYNTAXE  DE  LA  PRÉPOSITION.  241' 

Chanson  de  Roland  :  «  Pois  icel  jur  en  fut  cent  anz 
déserte.  »  Traduisez  :  «  Depuis  ce  jour,  elle  en  fut 
cent  ans  déserte.  » 

QUE  EN,    QUE  A 

§  570.  —  Que  en,  que  à,  se  trouvent  après  «  d'ici ^ 
entre  ci  »,  avec  le  sens  de  :  jusqu'en,  jusqu'à. 

Chanson  de  Roland  :  «  Vien  me  servir  d'ici  qu'en 
Oriente.  »  C'est-à-dire  :  «  Sers  moi  d'ici  jusqu'en  Orient.  » 

Chanson  des  Saxons  :  «  Entre  ci  que  as  portes.  »  Mot  à 
mot:  «  Entre  ici  jusqu'aux  portes. 

SELON 

§  571.  — ^Selon  équivaut  étymologiquement  à  «  sous 
long  ».  (Voy.  plus  haut  la  préposition  long.)  Outre  sa 
valeur  actuelle,  selon  a,  dans  les  anciens  textes,  le  sens  de  : 
«  le  long  de,  près  de  ». 

Froissart  :  «  Vous  chevaucherez  selon  cette  rivière.  » 

SUR 

§  572.  —  Sur  a  souvent  le  sens  de  «  plus  que  ». 

Chanson  de  Roland  :  «  Sur  tute  gent  est  la  tue  har- 
die... »  Mot  à  mot  ;  «  /Swr  toute  nation  est  la  tienne  har- 
die. »  C'est-à-dire  :  «  par  dessus  toute  nation  ». 

TRES  QUE  A,  TRES  QUE  EN,  TRES 

§  573.  —  1res  que  à,  1res  que  en,  vieilles  prépositions^ 
ont  le  sens  de  «  jusqu'à,  jusqu'en  »  (Voy.  plus  haut  ^n- 
tresque  à). 

Chanson  de  Roland  :  «  Dès  l'ure  que  nez  fui  tresqu'à  cest 
jur.  »  C'est-à-dire  :  «  Depuis  l'heure  ou  je  suis  né  jus- 
qu'à  ce  jour.  » 

Clédat.  14 


242  GRAMMAIRE  DU  VIEUXFRANÇÂIS. 

§  574.  —  Quelquefois  très  est  séparé  de  que  et  prend 
une  valeur  propre  (celle  de  depuis),  de  telle  sorte  que  le 
sens  de  jusqu'à  doit  être  attribué  à  «  que  à  »  seul  (Voy. 
d'ailleurs  ci-dessus  :  que  à,  que  en). 

Chanson  de  Roland  :  «  Le  corps  li  trenchet  tt^es  l'un 
costet  qu'à  l'altre.  »  C'est-à-dire  :  «  Il  lui  tranche  le  corps 
d'un  côté  à  l'autre.  » 

VERS 

§  575.  —  Outre  sa  valeur  actuelle,  vers  avait,  dans 
l'ancienne  langue,  les  sens  de  :  «  envers,  contre  ». 

Livres  des  Rois  :  «  Si  hom  pèche  vers  altre.  »  C'est-à-dire  : 
<(  Si  un  homme  pèche  coiitre  un  autre.  » 

Roman  de  la  Rose  :  «  Li  tens  vers  qui  noient  ne  dure.  » 
C'est-à-dire  :  «  Le  temps  contre  qui  rien  ne  dure.  » 


CHAPITRE    XI 

SYNTAXE    DE    L'ADVERBE 

ADVERBES    QUI    SONT    AUSSI    PRÉPOSITIONS 

§  576.  —  Un  bon  nombre  de  prépositions  peuvent  s'em- 
ployer adverbialement  (quelques-unes  sont  d'ailleurs  des 
adverbes  à  l'origine).  Nous  ne  signalerons  ici  que  celles 
qui  ont  eu,  comme  adverbes,  des  acceptions  qui  s'écartent 
des  sens  prépositionnels  ou  des  sens  actuels,  ou  celles  qui 
ne  peuvent  plus  s'employer  adverbialement. 

§  577.  —  Ainçois  et  ains,  qui  signifient  d'ordinaire 
«  avant,  auparavant  »,  ont  quelquefois  le  sens  de  «  plus 
tôt  »  ou  celui  de  «  plutôt  ». 

Sermons  de  saint  Bernard  :  «  Je  encherche  per  quel 
raison  li  filz  prisist  anceos  char  que  li  peires.  »  C'est-à- 


SYNTAXE  DE  L'ADVERBE.  243 

dire  :  «  Je  recherche  pour  quelle  raison  le  fils  s'incarna 
plutôt  que  le  père.  » 

§  578.  —  C'est  aussi  le  sens  de  ains  dans  les  deux  locu- 
tions «  com  ains  pot  »  et  «  qui  ains  ains  ». 

Com  ains  pot  signifie  proprement  :  «  comme  plus  tôt 
il  put.  »  Nous  disons  aujourd'hui  :  «  le  plus  tôt  qu'il 
put  ». 

Chanson  de  Roland  :  «  Cum  il  einz  pout,  del  pui  est 
avalez.  »  C'est-à-dire  :  «  Le  plus  tôt  qu'il  put,  il  descendit 
de  la  colline.  » 

Qui  ains  ains,  qui  est  ordinairement  accolé  à  «  qui 
mieux  mieux  »,  signifie  proprement  :  «  qui  plus  tôt,  plus 
tôt  »,  c'est-à-dire  :  «  chacun  le  plus  tôt  qu'il  peut  ». 

Villehardouin  :  «  Vont  à  la  terre  qui  ainz  ainz,  qui  mielz 
mielz.  »  C'est-à-dire  :  «  Ils  vont  à  la  terre  chacun  \q  jdIis 
vite  et  le  mieux  qu'il  peut.  » 

^  579.  —  Avant,  devant,  s'emploient  comme  adver- 
bes plus  librement  que  de  nos  jours.  On  trouve  la  locution 
adverbiale  «  par  avant  »,  qui,  précédée  de  l'article  au 
datif,  a  produit  l'adverbe  actuel  :  auparavant. 

§  580.  —  Emprès,  comme  adverbe,  a  ordinairement  le 
sens  de  «  après,  ensuite  ». 

Chanson  de  Roland  :  «  ^n/)rès  li  ient.  »  Traduisez: 
«  Ensuite  ils  lui  disent.  » 

§  581.  —  Endroit,  comme  adverbe,  s'ajoute  à  «  ici, 
là,  or  ».  Ici  endroit  équivaut  à  peu  près  à  «  ici  même  ». 
Or  endroit  équivaut  à  «  maintenant  »  (voy.  or  aux  adver- 
bes de  temiis). 

§  582.  —  Entour  a  souvent,  dans  les  chartes,  le  sens 
de  «  environ  ».  Ou  là  entour  signifie  :  «  ou  environ,  ou  à 
peu  près.  » 

§  583.  —  Parmi,  employé  quelquefois  comme  adverbe, 
a  le  sens  de  «  par  le  milieu  ». 


244  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Chanson  de  Roland  :  «  Tute  la  teste  li  aùparmi  sevrée.  » 
C'est-à-dire  :  «  Il  lui  a  tranché  toute  la  tête  par  le  mi- 
lieu. » 

Au  xvii^  siècle  on  trouve  encore  «  parmi  »  employé  ad- 
verbialement, mais  avec  le  sens  de  «  au  milieu  ».  La  Fon- 
taine a  dit  :  «  Mais  je  voudrais  parmi  Quelque  doux  et  dis- 
cret ami.  » 

§  584.  —  Puis,  outre  sa  valeur  actuelle,  avait  le  sens 
de  depuis  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Une  einz  ne /?o/s  ne  fut  si  forz 
6  fière.  »  Mot  à  mot  :  «  Jamais  avant  ni  puis  il  n'y  eut  si 
forte  et  fière  bataille.  »  C'est-à-dire  :  «  Jamais  avant  ni 
depuis...  » 

ADVERBES  PROPREMENT  DITS 

Pour  étudier  les  autres  adverbes,  nous  adopterons  la 
division  ordinaire  en  adverbes  de  lieu,  de  temps,  de 
quantité,  de  manière,  d'affirmation  ou  négation. 

I.  —  Adverbes  de  lieu. 

§  585.  —  Plusieurs  adverbes  de  lieu  sont  de  véritables 
pronoms  de  lieux,  de  même  que  les  pronoms  proprement 
dits  sont  des  pronoms  de  personnes  ou  de  choses.  Et 
comme  les  pronoms  proprement  dits,  les  pronoms  de  lieux 
sont  les  uns  démonstratifs,  les  autres  relatifs,  d'autres 
enfin  simplement  nominatifs.  Ces  derniers,  qui  correspon- 
dent aux  pronoms  dits  personnels,  pourraient  être  appelés 
pronoms  locaux.  «  Ici,  là  »  sont  démonstratifs,  «  où,  dont  » 
sont  relatifs,  «  y,  en  «sont  purement  nominatifs.  Nous  ver- 
rons que  les  deux  pronoms  de  lieux  nominatifs  (y ,  en)  sont 
devenus  par  extension  des  pronoms  personnels,  et  que  les 
pronoms  relatifs  de  lieux  (dont,  oii)  sont  aussi  devenus  des 
pronoms  relatifs  de  personnes  et  de  choses. 


SYNTAXE  DE  L'ADVERBE.  245 

§  586.  —  Ici  marque  le  lieu  où  l'on  est,  et  là.  un  lieu 
différent.  A  côté  de  là,  l'ancienne  langue  avait  aussi  illuec 
[illec,  illueques),  qui  s'employait  avec  le  même  sens  : 

Chanson  de  Roland:  «  Mais  li  quens  Guenes  iloec  ne 
volsist  estre.  »  Traduisez  :  «  Mais  le  comte  Ganelon  vou- 
drait ne  pas  être  là.  » 

Joinville  :  «  Il  n'avoit  nul  illec  qui  n'eust  de  ses  pro 
cbains  amis  en  la  prison.  «  Traduisez  :  «  Il  n'y  avait  là 
personne  qui  n'eût  de  ses  proches  amis  dans  la  prison.  » 

§  587.  —  L'adverbe  ci,  forme  abrégée  de  «  ici  » ,  ne 
s'emploie  plus  que  dans  certaines  locutions,  oîi  il  se  joint 
intimement  à  un  autre  mot  :  cî-devant,  celm-ci,  etc.  L'an- 
cienne langue  s'en  servait  dans  beaucoup  de  cas  où  nous 
mettrions  «  ici  ». 

Joinville  :  «  Sire,  quant  vous  partirés  de  ci.  » 

Commynes  :  «  Ne  cy  ne  ailleurs.  » 

§  588.  —  Entre  la  préposition  de  et  la  conjonction  que 
prise  dans  le  sens  de  «  jusque  »,  ci  pouvait  s'appliquer  au 
temps  comme  au  lieu.  «  De  ci  que  »  signifiait  non  seule- 
ment «  d'^c^  jusque  (à  un  autre  lieu)  »,  mais  encore  :  «  de 
maiîif enant  iuscpe  (à  un  autre  moment)  ». 

Roman  de  Berthe  :  «  Ne  mais  ne  sera  aise  de  ci  qu'  aura. 
seû  Se  c'est  Bertc  sa  fdle.  »  C'est-à-dire  :  «  Et  elle  ne  sera 
plus  joyeuse  depim  maintenant  jusqiî'à  ce  gît'elle  aura  su 
si  c'est  Berthe  sa  fille.  » 

Aujourd'hui  encore  «  ici,  là  »  peuvent  s'appliquer  au 
temps  :  «  l\\?-x\uici  il  n'a  pas  écrit;  jusquc-/àil  n'avait  pas 
écrit;  il  viendra  d'ici  à  demain  ». 

§  589.  —  L'adverbe  de  lieu  cà  est  le  même  mot  que 
ici,  ci,  mais  à  un  autre  cas;  il  vient  de  «  eccehac  »  (comme 
ici  de  «  eccehic  »),  et  signifie  proprement  «  par  ici  ».  L'an- 
cienne langue  l'employait  souvent,  au  lieu  de  ici,  avec  les 
verbes  marquant  mouvement  : 

14 


246  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Roman  de  la  Rose  :  «  Qui  de  la  terre  as  Sarradins  Fist  ça 
ces  arbres  aporter.  «  Nous  dirions  :  «  Qui  de  la  terre  sar- 
razine  fît  apporter  ici  ces  arbres.  » 

On  peut  encore  employer  çà  avec  le  verbe  venir  :  «  venez 
çà  ». 

§590. —  Çà,  comme  ci,  se  joignait  à  d'autres  adverbe?  : 
cà  devant,  cà  avant,  cà  jus,  cà  en  arrière. 

§  591.  —  Enfin  çà,  de  même  que  c/,  est  arrivé  à  désigner 
le  temps.  Au  xvn^  siècle  on  se  servait  encore  de  «  en  çà  », 
dans  le  sens  de  «  jusqu'à  maintenant  ».  Pascal  écrit  : 
«  Depuis  cinquante  ans  en  çà  on  a  vu  publier  plusieurs 
bulles  semblables.  » 

§  592.  —  Dont  (latin  de  iinde)  est  à  l'origine  un  adverbe 
(pronom  relatif  et  interrogatif  de  lieu),  qui  signifie  «  d'où  ». 

Joinville  :  «  Li  soudans  de  Babiloine  avoit  mainte  ibis 
essaie  dont  li  fluns  venoit.  »  C'est-à-dire  :  «  Le  soudan  de 
Babylone  avait  maintes  fois  essayé  de  savoir  d'où  le  fleuve 
venait.  » 

D'ailleurs,  dès  les  textes  les  plus  anciens,  on  trouve  aussi 
dotit  employé,  par  extension,  comme  pronom  relatif  de 
personne  ou  de  chose.  Il  n'a  pas  d'autre  sens  dans  la 
langue  actuelle. 

§  593.  —  Où  n'est  plus  aujourd'hui  qu'un  adverbe  de  lieu  ; 
mais  il  a  étéaussi,  parcxtension,  unpronom  relatif  de  chose. 

Froissart  :  «  Respondircnt  qu'ils  se  tenoient  bien  pour 
absous  et  pour  quittes  de  tout  ce  où  obligés  estôient.  » 

Molière  dit  encore  :  «  Laissons  là  la  médecine  où  vous  ne 
croyez  point.  » 

§  594.  —  Y  et  en  sont  adverbes  de  lieux  dans  «  j'y  vais, 
j'en  viens  »,  et  pronoms  personnels  dans  «  j'y  pense,  j'en 
parle  ».  L'emploi  de  ces  adverbes  comme  pronoms  per- 
sonnels est  ancien  dans  la  langue,  et  n'oifre  d'ailli.urs 
aucune  difficulté. 


SYNTAXE  DE  L'ADVERBE.  247 

§  595.  —  No.us  venons  de  passer  en  revue  les  adverbes 
pronominaux.  Les  autres  adverbes  de  lieu  indiquent  qu'on 
est  dans  le  lieu  dont  on  parle,  ou  qu'on  est  au-dessus  ou 
au-dessous,  ou  encore  derrière  ou  devant,  etc. 

§  596.  —  Pour  indiquer  qu'on  est  dans  le  lieu  dont  on 
parle,  nous  avons  l'adverbe  dedans,  qui  se  compose  de  la 
préposition  «  de  »  répétée  et  de  l'ancien  adverbe  enz  (la- 
tin intus),  qui  avait  le  même  sens. 

Chanson  de  Roland  :  «  A  icest  mot  Franceis  se  fièrent 
enz.  >•>  C'est-à-dire  :  «  A  ces  paroles,  les  Français  se  jettent 
dedans  »  (dans  la  mêlée). 

§  597.  —  Enz,  combiné  avec  les  adverbes  démonstratifs 
çà  et  /à,  a  formé  céans  et  léans,  qui  signifient  «ci-dedans, 
et  là-dedans  ».  Léans  est  tombé  en  désuétude,  et  nous  y 
suppléons,  suivant  les  cas,  par  là  ou  dedans^  qui  repré- 
sentent chacun  la  moitié  de  l'ancien  mot,  ou  encore  par  y, 
qui  équivaut  à  là  avec  la  valeur  démonstrative  en  moins. 

§598.  — Pour  indiquer  qu'on  c%\.  au-dessus  ou  au-dessous 
du  lieu  dont  on  parle,  nous  avons,  outre  les  mots  mêmes 
dont  nous  venons  de  nous  servir  [dessus,  dessous)  :  sus  et 
jus,  amont  et  aval,  contreniont  et  contreval. 

§  599.  —  Nous  n'employ(jns  plus  guèro  sus  que  dans 
l'expression  «  courir  sus  ».  L'ancienne  langue  disait  aussi 
monter  sus  (Joinvillc),  mettre  sus,  etc. 

i:^  600.  —  Jus  signifiait  :  en  bas,  à  terre. 

Chanson  de  Roland  :  «  Par  les  degrés  _;'ms  del  palais  des- 
cent  »,  c'est-à-dire  :  «  Il  descend  par  les  degrés  en  bas  du 
palais  ».  Dans  cet  exemple,  jws,  suivi  de  de,  forme  une  lo- 
cution prépositive. 

§  601.  —  Il  est  superflu  d'expliquer  amont  et  avaL 
Dans  l'ancienne  langue,  ces  mots  s'employaient  plus  libre- 
ment qu'aujourd'hui,  avec  le  sens  général  de  «  en  haut,  en 
bas  ». 


248  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Roman  de  Berthe  :  «  Le  routel  a  saisi,  si  l'a  amont 
levé  »,  c'est-à-dire  :  «  Elle  a  saisi  le  couteau  et  l'a  levé  en 
haut.  » 

Contremont  et  contreval  s'employaient  avec  le  même 
«ens  que  «  amont  »  et  «  aval  ». 

Chanson  de  Huon  de  Bordeaux  :  «  Il  prist  î'anel,  contre- 
mont  le  leva.  » 

§  602.  —  Arrière,  dans  l'ancienne  langue,  avait  toute  la 
valeur  que  nous  donnons  aujourd'hui  à  «  en  arrière  ».  On 
disait  aussi  :  «  s'en  aller  arrière,  revenir  arrière  »,  dans  le 
sens  de  «  retourner,  s'en  retourner  ». 

En  derrière,  aujourd'hui  hors  d'usage,  s'était  formé 
sur  «  derrière  »,  comme  «  en  arrière  »  sur  «  arrière  ». 

II.  —  Adverbes  de  temps. 

§  603.  —  Nous  parlerons  d'abord  de  deux  catégories 
d'adverbes  de  temps  qui  se  sont  souvent  mêlées  l'une  à 
l'autre  :  ceux  qui  expriment  le  temps  présent  {maintenant, 
or  dans  l'ancienne  langue,  aujourd'hui,  etc.),  et  ceux 
qui  expriment  une  simultanéité  plus  ou  moins  précise  avec 
un  moment  passé  ou  futur  [alors,  donc  dans  l'ancienne 
langue,  etc.). 

g  604.  — Maintenant  marque  le  moment  présent,  et 
alors  un  moment  non  présent  ^,  de  même  que  «  ici  » 
marque  le  lieu  où  l'on  est,  et  «  là  »  un  lieu  différent.  Ou, 
pour  être  plus  exact,  maintenant  et  alors  marquent  d'une 
façon  générale  le  moment  dont  on  parle  (présent,  passé  ou 
futur),  et  le  premier  de  ces  adverbes  est  arrivé  à  s'employer 
spécialement  quand  on  parle  du  temps  présent,  le  second 
quand  on  parle  du  passé  ou  du  futur.  Il  n'en  a  pas  toujours 
été  ainsi;  car  alors  se  décompose  en  «d  Vorsi^,  et  ors  ou  or 

1.  Sauf  quand  alors  est  pris  dans  le  sens  de  «  ainsi  donc  »  :  «  Alors 
vous  croyez  qu'il  Taut  y  aller.  » 


I 


SYNTAXE  DE  L'ADVERBE.  249 

(voyez  ci-dessous  §  605)  s'appliquait  particulièrement  au 
présent,  tandis  que,  à  l'inverse,  maintenant,  dont  le  sens 
primitif  est  très  large  (équivalant  à  :  à  Vinstant),  s'est  dit 
en  parlant  du  passé  ou  du  futur,  par  exemple  dans  Henri 
de  Valenciennes  :  «  Il  n'i  ot  si  coart  qui  maintenant  ne  fust 
garnis  de  hardement.  »  C'est-à-dire  :  «  Il  n'y  eut  si  couard 
qui  alors  ne  fût  plein  de  hardiesse.  »  Il  faudra  donc  quel- 
quefois, dans  les  anciens  textes,  traduire  maintenant  par 
alors,  ou  vice  versa. 

§  605.  —  Or,  devenu  exclusivement  conjonction,  a  été 
d'abord  un  adverbe  de  temps  (sous  les  formes  or,  ore,  07^s) 
qui  avait  le  sens  de  «  maintenant,  à  présent,  tout'  à 
l'heure  ». 

Joinville  :  «  Le  père  au  duc  qui  ore  est.  »  C'est-à-dire  : 
«  Le  père  du  duc  qui  est  maintenant.  » 

§  606.  —  Donc  (ou  donques),  qui  n'est  plus  aujourd'hui 
que  conjonction,  comme  or,  a  été  aussi  un  adverbe  de 
tem]is,  qui  avait  le  sens  de  «  alors  ».  Les  composés  idonc 
et  adonc  [adonqnes,  adons)  avaient  le  même  sens  : 

Chanson  de  Roland:  «  Idunc  plurerent  cent  milie  che- 
valier. »  C'est-à-dire  :  «  Alors  pleurèrent  cent  mille  cheva- 
liers. » 

Chanson  des  Saxons  :  «  Quant  l'aurez  salué,  don  lui 
dites...  »  C'est-à-dire  :  «  Alo7's  dites-lui...  » 

§  607.  —  Les  adverbes  de  quantité  tant  et  itant,  pré- 
cédés de  la  préposition  à,  formaient  des  adverbes  de  temps 
qui  avaient  le  sens  de  «  tout  à  l'heure,  maintenant,  alors  ». 

Chanson  de  Roland  :  «  Fin  prendrum  à  itant...  »  Mot  à 
mot  :  «  Nous  prendrons  fin  (nous  mourrons)  tout  à  V heure.  » 

Joinville  :  «  Atant  es  vous  un  chevalier...  »  C'est-à-dire  : 
«  A/ors  voilà  un  chevalier...  » 

§  608.  —  Le  vieil  advorbe  adès  signifie  proprement 
«  à  l'instant,  tout  de  suite  »,  et  par  extension  «  toujours  ». 


2oO  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

§  609.  —  Aparmesmes  est  pour  ainsi  dire  le  super- 
latif de  adès,  et  a  le  sens  de  «  à  l'instant  même  ». 

§  610.  —  Aparmain  se  rapproche  par  la  forme  et  par 
le  sens  de  l'adverbe  précédent,  bien  qu'il  en  diffère  par 
l'origine. 

Il  signifie  aussi  «  à  l'instant  même»,  et  en  outre  «  bien- 
tôt ».  Voyez  §617. 

§  611.  —  Errant,  participe  présent  ^  pris  adverbiale- 
ment, et  erranment,  marquent  aussi  l'instant  même  dont 
on  vient  de  parler,  et  peuvent  se  traduire  par  «  tout  de 
suite  »  ou  «  aussitôt  ». 

§  612.  —  Endementières,  endementiers  (et  demen- 
tiers),  endementres  (et  demcntres),  signifient  :«  pendant 
ce  temps,  alors  ». 

§  613.  —  Parmi  ces  adverbes  ou  locutions  adverbiales, 
exprimant  le  présent  ou  la  simultanéité  avec  un  moment 
non  présent,  il  en  est  qui  limitent  le  moment  exprimé  à  un 
espace  de  temps  déterminé  :  «  aujourd'hui  »,  la  locution 
adverbiale  «  cette  nuit  ». 

§  614.  —  Aujourd'hui  est  formé  avec  l'ancien  adverbe 
hui,  qui  signifie  «  ce  jour  »  (latin  ko  die  :  hoc  die).  Aujour- 
d'hui c(|uivaut  donc  à  «  au  jour  de  ce  jour  ».  A  côté  de  hui 
on  trouve  dans  l'ancienne  langue  enqui,  qui  a  le  môme 
sens  : 

Chanson  de  Roland:  «  Encoi  perdrai  France  dulce  sun 
los.  »  C'est-à-dire  :  «  Aujourd'hui  la  douce  France  perdra 
sa  gloire.  » 

§  615.  —  11  y  avait  aussi  un  adverbe  qui  équivalait  à 
notre  locution  actuelle  «  celle  luiit».  C'était  anuit  [enuit), 
à  côté  duquel  on  trouve  enquenuit,  comme  enqui  à  côté 
de  hui. 

1,  Uc  celui  des  deux  verbes  errer  rjui  signifiait  »  aller  ». 


SYNTAXE  DE   L'ADVERBE.  231 

Chanson  de  Roland  :  «  Anoit  m'avint  une  avisiun 
d'angle.  »  C'est-à-dire  :  «  Cette  nuit,  il  me  vint  une  vision 
d'ange.  » 

Anuit  et  enquenuit  ont  quelquefois  le  sens  général  de 
«   aujourd'hui  ». 

§  616.  —  Un  autre  adverbe  signifiait  «  cette  année  » 
et  par  extension  «  maintenant  ».  C'était  :  «  oan.  ouan  ». 

5  617.  —  Parmi  les  adverbes  désignant  les  divers  mo- 
ments du  jour,  nous  avons  perdu  main,  qui  dérive  du 
latin  mane,  et  qui  signifiait  le  matin.  On  disait  :  «  hidmain 
(aujourd'hui  au  matin),  au  main  et  par  main  (le  matin,  ou 
Iclendemain)  «.Nous  avons  conservé  le  composé  demain, 
qui  avait  à  l'origine  le  sens  de  «  au  matin  (prochain)  ». 

^  618.  —  Nous  arrivons  ainsi  aux  adverbes  ou  locutions 
adverbiales  qui  marquent  une  antériorité  ou  une  postério- 
rité soit  au  moment  présent  (demain,  hier,  etc.),  soit  au 
moment  passé  ou  futur  dont  on  vient  de  parler  (le  lende- 
main, la  veille,  etc.). 

§  619.  —  Hier  est  pour  le  pnssé  ce  que  demain  est  pour 
l'avenir.  L'ancienne  langue  avait  aussi  l'adverbe  l'altrier, 
l'autrier  (mot  à  mot  l'autre  hier),  qui  avait  le  sens  de 
«l'autre  jour»,  et  qui  marquait  ainsi  une  antériorité  indé- 
finie, mais  récente. 

§  620.  —  Une  antériorité  plus  lointaine  était  exprimée 
parla  locution  adverbiale  pièce  a,  qui  équivalait  à:  «  il 
y  a  une  'pièce  de  temps,  un  certain  temps  ». 

^  621.  —  L'antériorité  indéterminée  est  marquée  par 
ains,  ainçois,  devant  et  avant,  dont  nous  avons  parlé 
à  propos  des  adverbes  qui  sont  en  même  temps  préposi- 
tions (§  577-580). 

§  622.  — Déjà  (anciennement  rff'A- /a)  exprime  une  idée 
du  même  ordre.  L'ancienne  langue  employait  aussi  «  ja  » 
avec  la  môme  valeur. 


252  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Jà  avait  encore  le  sens  de  dé&ormah,  eijà...7ie  équivalait 
à  jamais...  ne. 

Joinville  :  «  Ainçois  dist  que  son  peuple  ne  lairoit  ûja.  » 
C'est-à-dire  :  «  Mais  il  dit  qu'il  ne  laisserait  jamais  son 
peuple.  » 

Dans  beaucoup  de  cas,  jà  était  purement  exjDlétif. 

§  623.  —  Dans  une  énumération  d'actions  qui  se  suc- 
cèdent, le  temps  de  la  première  est  aujourd'hui  exprimé 
par  «  d'abord  »  ou  «  premièrement  ».  On  trouve  souvent 
dans  les  anciens  textes  primes  et  premier  (ou  premiers), 
avec  le  même  sens. 

§  624.  —  Enfin  l'adverbe  de  temps  indéterminé  par 
excellence  était,  dans  l'ancienne  langue,  onques  (latin 
unquam)^  qui  n'a  d'autre  équivalent  dans  la  langue  actuelle 
q\xe  jamais  pris  affirmativement  {û  jamais  il  y  arrive).  On 
trouve  avec  le  même  sens  :  onques  mais. 

Onques  ne  équivalait  à  «  jamais  ne  ». 

Chanson  de  Roland  :  «  Ne  traïsun  unkes  amer  ne  volt.  » 
C'est-à-dire  :  «  Et  il  ne  \ou\ut  jamais  aimer  la  trahison.  » 

Onc,  aine,  ainques,  sont  synonymes  de  onques. 

III.  —  Adverbes  de  quantité. 

§  625.  —  Les  principaux  adverbes  de  quantité  sont 
aujourd'hui  :  pour  la  quantité  absolue  beaucoup,  très, 
guère,  peu,  un  peu,  assez,  trop  ;  et  pour  la  quantité  relative 
tant  et  autant,  plus,  moins. 

§  626.  —  A  côté  de  beaucoup  l'ancienne  langue  disait, 
avec  le  même  sens,  grand  coup. 

Joinville  :  «  Li  roys  ot...  grant  coup  de  la  terre  le 
conte.  »  C'est-à-dire  :  «  Le  roi  eut  beaucoup  de  la  terre  du 
comte.  » 

§  627.  —  L'emploi  de  moult  (latin  multum)  est  trop 
connu  pour  (^u'il  soit  utile  d'en  donner  des  exemples. 


SYNTAXE  DE  L'ADVERBE.  2o3 

Par  (beaucoup,  très,  tout  à  fait)  est  moins  connu.  Cet 
afl verbe,  comme  la  préposition  par,  dérive  de  la  préposi- 
tion latine  per,  qui  avait  aussi  le  sens  de  «  très,  tout  à  fait» 
dans  certains  verbes  composés  {perficere,  parfaire)  et  de- 
vant certains  adjectifs  {permagnus,  très  grand).  Notre  ad- 
verbe par  se  joignait  particulièrement  aux  adjectifs  attri- 
buts ou  aux  adjectifs  s'accordant  avec  le  complément  di- 
rect du  verbe  avoir,  et  il  se  plaçait  devant  le  verbe  :  «Par 
fut  proz  »  veut  dire  «  il  fut  très  preux  ». 

D'ordinaire  joar  était  accompagné  d'un  autre  adverbe  de 
quantité,  moult  ou  tant  :  «  moult  par  ou  tant  par  ».  Dans 
ces  locutions,  par  ne  fait  que  renforcer  l'autre  adverbe,  et 
peut  être  négligé  quand  on  traduit  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Tant  par  fut  bels.  »  Traduisez  : 
«  11  était  si  beau.  »  Mot  à  mot  :  «  tant  beaucoup  ou  si  beau- 
coup. »  Nous  disons  encore  :  «  par  trop.  » 

Ibidem  :  «  Mult  par  est  grant  la  feste.  »  C'est-à-dire  : 
«  La  fête  est  très  grande.  » 

Par,  joint  à  un  verbe  quelconque,  avait  aussi  le  sens  de 
«  tout  à  fait,  jusqu'au  bout  ». 

Joinville  :  «  Il  par  chanta  sa  messe  tout  entièrement, 
ne  onques  puis  ne  chanta.  »  C'est-à-dire  :  «  Il  acheva  de 
f  hanter  la  messe  entièrement,  et  jamais  depuis  il  ne 
chanta.  » 

|5  628.  —  Très  était  en  latin  une  préposition  [trans) 
(\uï  signifiait  «  au  delà  »,  sens  qu'elle  a  encore  en  compo- 
sition, sous  sa  forme  savante  ou  sous  sa  forme  populaire: 
«  transpercer,  trépasser  (proprement  passer  aî<  delà)  ». 

Très  se  joignait  à  tout,  adjectif  ou  adverbe,  pour  le  ren- 
forcer. Trestout,  pris  adverbialement,  équivaut  donc  à 
entièrement. 

Chanson  de  Roland  :  «  Trestut  seit  liz.  »  C'est-à-dire  : 
«  Qu'il  en  soit  entièrement  sûr.  » 

Clédat.  l 5 


2o4  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

§  629.  —  Guères  avait  à  rorigine  le  sens  de  «  beau- 
coup», mais  s'employait  surtout  avec  la  négation,  et  c'est 
de  là  que  lui  vient  le  sens  négatif  actuel. 

Chroniques  de  Saint-Denis  :  «  S'il  eust  ^werres  vescu,  il 
eust  conquis  toute  l'Italie,  w 

§  630.  —  Le  vieil  adverbe  auques  vient  d'un  adjectif 
indéfini  neutre,  aliquid,  qui  signiliait  «  quelque  chose  ». 
Auques  équivaut  à  «  en  quelque  chose  »,  et  a,  par  suite,  le 
sens  de  «  un  peu  ». 

§  631.  —  Assez  se  compose  de  à  et  de  l'ancien  adverbe 
sez  (latin  salis),  qui  a  la  même  valeur.  Dans  les  anciens 
textes,  assez  a  souvent  le  sens  de  beaucoup. 

Chanson  de  Roland  :  «  Asez  est  mielz  qu'il  i  perdent  les 
chiefs.  »  C'est-à-dire  :  «  Il  est  beaucoup  mieux  qu'ils  y 
perdent  la  tète.  » 

§  632.  —  Tant  s'employait  devant  les  adjectifs  et  les 
adverbes,  aussi  bien  que  devant  les  verbes  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Noz  cumpaignuns  que  oiimes  tant 
chiers.  »  Nous  dirions  :  «  Nos  compagnons  qui  nous  étaient 
si  chers.  » 

§  633.  —  A  cùté  de  autant  [aliud  tantum)  on  avait, 
avec  le  même  sens,  autretant  [alterum  tantum),  de 
même  que  autresi,  adverbe  de  manière,  à  cùté  de  aussi. 

§  634.  —  Mais  (latin  magis)  n'a  conservé  le  sens  adver- 
bial que  dans  quelques  locutions  telles  que  «  n'en  pouvoir 
mais  ».  L'ancienne  langue  employait  mais  avec  le  sens 
étymologique  de  «  plus,  davantage  »,  partie uhèrement 
après  une  négation. 

Chanson  de  Roland  :  «  Nen  parlez  mais,  se  jo  nel  vus 
cumant.  »  C'est-à-dire  :  «  Ne  parlez  plus  si  je  ne  vous  le 
commande.  » 

§  635.  —  Les  adverbes  de  quantité  relative  supposent 
une  comparaison,  et  se  joignent  au  premier  terme  de  la 


SYNTAXE  DE  L'ADVERBE.  23o 

comparaison.  La  liaison  avec  le  second  terme  est  aujour- 
d'hui exprimée  uniformément  par  la  conjonction  que  :  «  Il 
est  heureux  autant,  plus,  ou  moins  que  nous.  » 

Dans  l'ancienne  langue,  avec  les  adverbes  marquant  une 
égalité  [autant,  tant),  c'était  comme  (ou  com),  et  non  que^ 
qui  unissait  les  deux  termes  de  la  comparaison. 

Commynes  :  «  Le  parlement,  qui  vault  autant  comme  les 
trois  estatz.  » 

Encore  au  xvîi^  siècle,  Bossuet  écrit  :  «  Autant  malins 
comme  ils  étaient  bons.  » 

De  même  avec  tant  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Teres  e  fîeus  tant  cum  vus  en 
vuldrez.  »  G'est-a-dire  :  «  Terres  et  fiefs  tant  que  vous  en 
voudrez.  » 

Mais  lorsque  tant,  au  lieu  d'équivaloir  à  autant,  avait  le 
sens  de«  tellement, à  ce  point  »,  il  était, même  dans  les  an- 
ciens textes,  suivi  de  que  et  non  de  comme  :  «  Il  a  tant  marché 
qu'il  est  las.  »  Il  n'y  a  pas  là  une  comparaison,  mais  seu- 
lement deux  faits  dont  l'un  est  la  conséquence  de  l'autre. 

IV.  —  Adverbes  de  manière. 

§  636.  —  Les  adverbes  de  manière  sont  quelquefois  aussi 
des  adverbes  de  comparaison  :  ainsi,  autrement.  Ceux  qui 
marquaient  une  égalité  {ainsi,  etc.)  étaient  traités  comme 
les  adverbes  de  quantité  analogues,  c'est-à-dire  qu'ils 
étaient  suivis  de  comme  et  non  de  que. 

Il  faut  citer  en  premier  lieu  l'adverbe  si  (latin  sic),  pour 
lequel  nous  ferons  la  même  distinction  que  pour  tajit.  On 
disait  :  «  Il  n'est  pas  si  bon  comme  vous  le  dites  »,  mais  : 
«  il  est  si  bon  qu'il  ne  vous  en  veut  pas  ^  ». 

1.  Il  faut  remar(|uor  d'ailleurs  que,  dans  ces  deux  acceptions,  si  est 
aujourd'hui  un  vùntablo  adverbe  do  quanlitù.  Il  faut  eu  dire  autaut  de 
ausd,  dans  plusieurs  de  ses  acceptions. 


256  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Les  composés  de  si,  ainsi  (ensi),  alsi  (devenu  aussi),  et 
les  synonymes  d'alsi,  altresi,  alsiment  (formé  de  alsi  et 
du  suffixe  adverbial  ment),  ensement  (qui  signifie  «  de  la 
même  façon  »),  tous  ces  adverbes  étaient  également  suivis 
de  comme. 

Chanson  de  Roland  :  «  Laissiez  les  morz  tut  issi  cum  il 
sunt.  »  Mot  à  mot  :  «  Laissez  les  morts  tout  ainsi  comme 
ils  sont.  »  Nous  dirions  «  ainsi  quih  sont  »,  ou,  en  sous- 
entendant  l'adverbe  de  comparaison,  «  comme  ils  sont  ». 
Car  il  est  à  remarquer  que  comme  a  conservé  son  ancienne 
valeur  quand  on  sous-entend  l'adverbe  antécédent  (voyez 
plus  loin  §  639). 

§  637.  —  Outre  ses  significations  actuelles,  si  avait 
dans  l'ancienne  langue  le  sens  de  ainsi  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Et  il  si  firent.  »  C'est-à-dire  : 
«  Et  ils  firent  ainsi.  » 

On  trouve  si  que  dans  le  sens  que  nous  donnons  aujour- 
d'hui à  «  si  bien  que  ». 

Joinville  :  «  La  barbacane  n'estoit  pas  haute,  si  que  \\ 
Turc  leur  traioient  de  visée  à  cheval.  »  C'est-à-dire  :  «  La 
barbacane  n'était  pas  haute,  si  bien  que  les  Turcs  leur 
tiraient  en  face,  de  leurs  chevaux.  » 

Devant  un  adjectif,  si  a  encore  aujourd'hui  le  sens  de 

«  tellement  »  :«  Il  est  «grand  que »,  c'est-à-dire  :  «  il 

est  lellement  grand.  »  De  cette  signification  dérivait,  par 
extension,  le  sens  de  «  beaucoup,  très  »,  qui  ne  s'est  con- 
servé que  dans  certains  patois.  On  trouve  «  il  est  si  grand  », 
au  lieu  de  «  il  est  t7^ès  grand  ». 

§  638.  —  Mais  dans  beaucoup  de  cas,  le  si  de  l'ancienne 
langue  est  une  particule  purement  explétive,  qu'on  pour- 
rait comparer  au  ai  grec,  et  qu'on  ne  peut  traduire. 

Joinville:  «  La  première  partie  si  devise  comment  il  se 
gouverna...  La  seconde  partie  dou  livre  si  parle  de  ses 


SYNTAXE  DE  L^ADVERBE.  257 

granz  chevaleries...  »  On  ne  peut  que  supprimer  les  deux 
si  en  traduisant  :  «  La  première  partie  raconte  comment 
il  se  gouverna...  La  seconde  partie  du  livre  parle  de  ses 
grandes  prouesses.  »  Toutefois,  dans  cet  exemple,  «  si... 
si  ))  équivaut  à  peu  près  à  :  «  d'une  part...  d'autre  part...  » 

Le  plus  souvent  si  explétif  n'est  pas  redoublé.  Il  unit 
quelquefois  deux  membres  de  phrases  entre  lesquels  nous 
mettrions  la  conjonction  et,  et  d'autres  fois  il  s'ajoute  à 
cette  conjonction  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Il  est  mis  fîlz  et  si  tiendrat  mes 
marches.  »  C'est-à-dire  :  u  II  est  mon  fils  et  aura  mes  fiefs.  » 

§  639.  —  Comme  (ou  com)  est  un  adverbe  de  manière 
conjonctif,  qui  s'employait  jadis,  nous  l'avons  vu,  avec  les 
adverbes  tant,  si,  ainsi,  etc.  Sans  antécédent  il  équivaut 
à  peu  près  à  «  de  la  façon  que...  »  ou  :  «  de  quelle  façon  ». 
Exemple  :  «  11  fait  comme  il  peut  ;  vous  voyez  comme  il 
fait.  »  Dans  la  seconde  de  ces  acceptions,  qu'il  partageait 
autrefois  avec  comment,  il  est  aujourd'hui  presque  hors 
d'usage.  Nous  le  remplacerions  ^ov  comment,  dans  ce  vers 
de  la  Chanson  de  Roland  : 

«.  Oliviers  frère,  cw7ï  le  purrum  nus  faire?  » 

§  640.  —  A  côté  de  comment,  l'ancienne  langue  avait 
la  locution  adverbiale  com  faitement,  qui  signifiait  aussi  : 
«  de  quelle  façon  ». 

Chanson  de  Roland:  «  Ciim  faitement  purrai  Rollant 
ocire  ?  » 

V.  —  Adverbes  d'affirmation,  négation  ou  doute. 

§  641.  —  Parmi  les  adverbes  d'affirmation,  certes  est 
employé  dans  l'ancienne  langue  comme  de  nos  jours.  On 
trouve  aussi  à  certes.  Mais  cet  adverbe  a  surtout  des  ac- 
ceptions dérivées,  telles  que  .'«sérieusement,  instamment». 


258  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Joinville  :  «  Madame  la  royne...  me  pria  si  à  certes 
comme  elle  pot.  »  G'est-à  dire  :  «  Madame  la  reine  me  prie 
aussi  instamment  qu'elle  put.  » 

§  642.  —  Nous  avons  conservé  le  vieil  adverbe  voire 
avec  le  sens  de  «  même  ».  Voire  (ou  voir,  voi7's)  a  eu  d'a- 
bord le  sens  étymologique  de  vraiment. 

Chanson  de  Roland  :  «  Guenes  respunt  :  Ja  ne  sai  veirs 
nul  hume..,  ».  C'est-à-dire  :  «  Ganelon  répond  :  Je  ne  con- 
nais vraiment  personne.  » 

D'ailleurs  on  a  des  exemples  anciens  de  voire  avec  le 
sens  de  «  même  ». 

§  643. — J/ême  avait  un  autre  synonj'me,  qui  était  neis, 
nis.  On  l'employait  surtout  dans  les  phrases  négatives, 
car  le  sens  primitif  de  cet  adverbe  est  «  pas  même  ». 

Joinville:  «  Ja...  de  la  foi  crestienne  tu  ne  me  osteras, 
nés  se  tu  me  feisses  touz  les  membres  tranchier.  »  C'est-à- 
dire  :  «  Tu  ne  m'ùteras  jamais  de  la  foi  chrétienne,  même 
en  me  faisant  trancher  tous  les  membres.  » 

§  644.  — Même  a  servi  à  former  l'adverbe  mêmement, 
qui  signifie  aujourd'hui  «  de  même  »,  mais  qui.  dans  l'an- 
cienne langue,  avait  plutôt  le  sens  de  «  surtout  ».  On  peut 
d'ailleurs,  dans  ce  sens,  le  rattacher  au  latin  «  maxima 
mente  ». 

i;  645.  —  I/indicalif  espoir  (d'esperi?r,  1"  pers.  smg.) 
était  employé  adverbialement  avec  le  sens  de«  peut-être  ». 

Joinville  :  «  Espoir  c'estoit  uns  Assacis.  »  Ti'aduisez  : 
«  C élali  peut-être  un  Assassin.  » 

§  646.  —  L'ancienne  forme  de  la  négation  ne  est 
«nen  ». 

«  Ne  (ou  nen)...  mie  »  avait  le  même  sens  que  «  ne... 
pas  »  ou  «  ne...  point  ». 

Chanson  de  Roland  :  «  Il  ne  s'esveille  mie.  » 

D'autre  part,  dans  l'ancienne  langue,  ne  (ou  nen)  s'em- 


SYNTAXE  DE  LA  CONJONCTION.  2S9 

ploj'aît  plus  librement  qu'aujourd'hui  sans  être  accom- 
pagné de  pas,  point,  ou  mie. 

Chanson  de  Roland  :  «  Jo  nen  ai  ost  ki  bataille  li  dun- 
get.  ')  Nous  dirions  :  «  Je  n'ai  pas  d'armée  qui  lui  livre 
bataille.  » 

§  647.  —  Le  vieux  mot  nient,  noient,  a  tantôt  le  sens 
de  notre  substantif  ?iea??f,  tantôt  celui  de  7Hen.  Il  s'emploie 
aussi  adverbialement  avec  la  valeur  de  «  nullement  ». 

Chanson  de  Roland:  «  Et  dit  al  cunte  :  Jo  ne  vus  aim 
nient.  »  C'est-à-dire  :  «  Et  il  dit  au  comte  :  Je  ne  vous  aime 
nullement,  en  aucune  façon.  » 


CHAPITRE    XII 

SYNTAXE   DE   LA    CONJONCTION 
ET    ET    NI 

§  648.  —  De  toutes  les  conjonctions,  la  plus  employée 
est  certainement  et,  qui  marque  une  simple  liaison  de 
coexistence  entre  deux  mots  ou  deux  propositions  qui 
se  succèdent.  Dans  les  phrases  négatives,  on  remplace  et 
par  ni  [ne  ou  ni  dans  l'ancienne  langue),  et  généralement  ni 
est  répété  devant  chacun  des  termes  unis  :  «  son  père  et 
son  hère  sont  venus;  —  ni  son  père  ni  son  frère  ne  sont 
venus  ». 

§  649.  —  T/ancienne  langue  employait  quelquefois  ni 
dans  les  plirases  simplement  dubitatives. 

Froissart  :  «  Adonc  fut  la  dame  moult  esbahie,  et  requit 
tout  eu  pleurant  conseil  à  monseigneur  Robert  d'Artois 
quelle  chose  elle  en  pourroit  faire,  ne  où  se  traire  à  garant 
ne  h  conseil.  »  Nous  dirions  :  «  et  où  elle  pourrait  trouver 
un  protecteur  et  un  conseiller.  » 


260  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Villon  :  «  Dites-moi  où  n'en  quel  pays...  » 

QUE 

§  650.  —  Après  et  et  ni,  la  conjonction  la  plus  employée 
est  que,  qui  marque  subordination  d'une  proposition  à 
une  autre.  Que  était  quelquefois  sous-enlendu  dans  l'an- 
cienne langue. 

Chanson  de  Roland  :  «  Ço  sent  Rollanz  la  veûe  ad 
perdue.  »  C'est-à-dire  :  «  Roland  sent  qu^ïl  a  perdu  la 
vue.  » 

On  sous-entendait  aussi  que  dans  les  locutions  conjonc- 
tives, après  tant,  après  encor,  etc. 

§  651.  —  Que  a  souvent  le  sens  de  «  de  sorte  que  »,  ou 
de  «  car  ». 

Chanson  de  Roland  :  «  El  camp  estez  que  ne  seium 
vencut.  »  G'est-à-dii^e  :  «  Tenez  le  champ  de  bataille  de 
sorte  que  nous  ne  soyons  pas  vaincus.  » 

Villehardouin  :  «  La  quarte  bataille...  moult  ert  grans 
et  redoutée,  que  moult  i  avoit  de  bone  gent  et  bons  cheva- 
liers. »  C'est-à-dire  :  «  Le  quatrième  corps  de  bataille  était 
très  fort  et  redouté,  car  il  y  avait  beaucoup  de  bons  sol- 
dats et  de  bons  chevaliers.  » 

CONJONCTIONS    FORMÉES   AVEC    «  QUE  » 

§  652.  —  Que,  précédé  d'un  adverbe,  ou  de  ce  précédé 
lui-même  d'une  préposition,  forme  un  grand  nombre  de 
locutions  conjonctives. 

Avant  de  dire  «  pour  que  »,  on  a  dit  «  pour  ce  que  »  ;  et 
pour  ce  que  avait  souvent  le  sens  que  nous  réservons  au- 
jourd'hui à  parce  que. 

Joinville  :  «  Pour  ce  que  nous  estiens  cousin.  » 

§  653.  —  On  disait  aussi  dès  ce  que,  selon  ce  que,  etc., 
au  lieu  de  «  dès  que,  selon  que  ». 


SYNTAXE  DE  LA  CONJONCTION.  261 

§  654.  —  Nous  avons  perdu  la  locution  à  ce  que,  qui 
signifiait  «  de  façon  que  ». 

Joinville:  «  Tu  ne  me  tempteras  jà  à  ce  que  je  ne  croie 
fermement  touz  les  articles  de  la  foy.  »  C'est-à-dire  :  «  Tu 
ne  me  tenteras  jamais  au  point  que]e,  ne  croie  fermement 
tous  les  articles  de  la  foi.  » 

§  655.  —  Nous  avons  perdu  aussi  les  locutions  combien 
que,  comment  que,  encore  que,  jà  soit  ce  que,  qui  avaient 
généralement  le  sens  de  «  quoique  »,  dementre  que,  qui 
signifiait  «  pendant  que  »,  et  quelques  locutions  semblables, 
dont  la  signification  se  déduira  facilement  du  sens  des 
adverbes  composants. 

§  656.  —  Outre  sa  signification  actuelle,  puisque  avait 
le  sens  plus  ancien  de  «  après  que  ». 

Joinville  :  «  Salehadin,  qui  dit  que  l'on  ne  devoit  nul 
home  occire  puis  que  on  li  avoit  donnei  à  mangier  de 
son  pain  et  de  son  sel.  »  Traduisez  :  «  Saladin,  qui  dit  qu'on 
ne  devait  tuer  nul  homme  après  qu'on  lui  avait  donné  à 
manger  de  son  pain  et  de  son  sel.  » 

AINS,   AINÇOIS,  CAR,    JUSQUE,  SINON 

§  657.  —  En  dehors  des  conjonctions  où  entre  que,  il 
en  est  peu  dont  l'usage  ancien  diff'ère  de  l'usage  actuel. 

Les  adverbes  ains  et  ainçois  avaient  pris,  comme  con- 
jonctions, le  sens  de  «  mais  »,  qu'ils  ont  conservé  jusqu'au 
XYi**  siècle.  Ils  formaient  aussi  les  locutions  conjonctives 
ains  que  ei  ainçois  que,  qui  signifiaient  :  «  avant  que  ». 

§  658.  —  La  conjonction  car  dérive  d'un  mot  latin 
[quare]  qui  signifie  «  pour  laquelle  chose,  donc  ».  Elle  a 
d'abord  eu  en  français  la  même  valeur. 

Chanson  de  Roland:  «  Cumpainz  Rollanz,  l'olifant /car 
gunez.  »  C'est-à-dire  :  «  Compagnon  Roland,  sonnez  donc 
l'olifant.  » 

15. 


262  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Après  «  la  raison  est  »  ou  «  la  cause  est  »,  car  remplace 
souvent  que. 

Oresme  :  «  La  première  reson  porquoi  il  ont  erré  en 
ceste  chose  est  car  il  n'ont  pas  regardé...  » 

§  659.  — Jusque  se  trouve  souvent  avec  le  sens  df  "  jus- 
qu'à ce  que  ». 

Chanson  de  Roland  :  «  Jusque  il  viengent  el  camp.  » 
C'est-à-dire  :  «  Jusqu'à  ce  qu'ilè  viennent  sur  le  champ 
de  bataille.  » 

§  660.  —  Les  deux  parties  de  la  conjonction  sinon  {si 
ou  se  et  non)  n'étaient  pas  inséparables  comme  aujour- 
d'hui : 

Villehardouin  :  «  Ne  jà...  ne  sera  recouvrée  se  par  ceste 
gent  non.  »  C'est-à-dire  :  «  Et  elle  ne  sera  jamais  recouvrée 
sinon  par  ces  gens.  » 


DEUXIEME  PARTIE 

SYNTAXE      GÉNÉRALE 


CHAPITRE    PREMIER 

ORDRE    DES    MOTS 

ORDRE  DES  MOTS  RELATIVEMENT  AU  VERBE 

§  661.  —  Nous  étudierons:  1»  la  place  des  deux  élé- 
ments constitutifs  du  verbe  (participe  et  auxiliaire)  dans 
Jrs  temps  dits  composés;  2°  la  place  du  sujet  et  du  com- 
plément direct  ;  3°  celle  du  complément  indirect  et  de 
l'attribut  ;  4°  celle  des  sujets  et  compléments  d'un  verbe  à 
l'intinitit'  et  du  verbe  qui  le  régit. 

Comme  les  pronoms  personnels  sont  soumis  à  des  règles 
particulières,  nous  étudierons  aussi:  5°  la  place  du  pronom 
personnel  sujet;  6°  colle  des  pronoms  régimes;  7°  spécia- 
lement celle  des  pronoms  sujets  ou  régimes  d'un  infinitif. 

Enfin  8°  nous  traiterons  de  la  place  des  adverbes. 

I.  —  Place  du  participe  et  de  l'auxiliaire 

§  662.  —  Dans  les  temps  composés,  le  participe  passé 
se  plaçait  souvent  avant  l'auxiliaire. 

Sermons  de  saint  Bernard  :  «  L'ystore  ke  nos  encom~ 
menciet  avons.  »  Mot  à  mot  :  «  L'histoire  que  nous  com- 
mencée avons.  » 

lloman  de  Renard  :  «  Lessié  avait  le  guerroier.  »  C'est- 
à-dire  :  «  Il  avait  laissé  le  guerroyer,  il  avait  cessé  de 
guerroyer.  » 


264  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Chanson  d^Aliscans  :  «  Receû  ai  hui  damage  si  grant.  » 
Nous  dirions  :  «  J'ai  reçu  aujourd'hui  dommage  si  grand.  » 

Froissart  :  «  Si  cum  ordonné  estait.  »  C'est-à-dire  : 
«  Comme  t'était  ordonné.  » 

II.  —  Place  du  sujet  et  du  complément  direct. 

§  663.  —  La  nécessité  d'être  clair  nous  oblige  aujour- 
d'hui le  plus  souvent  à  placer  le  sujet  et  le  complément 
direct  dans  un  ordre  invariable  relativement  au  verbe, 
puisque  c'est  la  place  de  chacun  d'eux  qui  indiquera  quel 
est  le  sujet  et  quel  est  le  régime.  L'ancienne  langue,  mar- 
quant le  sujet  et  le  régime  par  des  flexions  spéciales,  pouvait 
modifier  à  son  gré  l'ordre  des  mots,  sans  nuire  à  la  clarté. 

§  664.  —  On  pouvait  mettre  le  sujet  après  le  verbe  et 
le  complément  avant  : 

Chanson  de  Roland  :  «  L'altre  meitiet  avrat  Rollanz  11 
ber.  »  Mot  à  mot  :  «  L'autre  moitié  aura  Roland  le  baron.  » 
Les  flexions  indiquent  nettement  que  c'est  Roland  qui  est 
le  sujet. 

Sermons  de  saint  Rernard  :  «  La  miséricorde  perdit 
assi  li  hom.  »  Mot  à  mot  :  «  La  miséricorde  perdit  aussi 
l'homme.  »  C'est  miséricorde  qui  est  régime  et  homme 
qui  est  sujet.  Nous  dirions  aujourd'hui  nécessairement  : 
«  L'homme  perdit  aussi  la  miséricorde.  » 

Joinville  :  «  Car  cest  abit  me  lessa  mes  pères  et  ma 
mère.  »  Mot  à  mot  :  «  Car  cet  habit  me  laissa  mon  père  et 
ma  mère.  »  C'est  habit  qui  est  au  cas  régime. 

Ailleurs  dans  Joinville:  «  Moût  de  chevaliers  et  d'autres 
gens  tenoient  li  Sarrazin.  »  Mot  à  mot  :  «  Beaucoup  de 
chevaliers  et  d'autres  gens  tenaient  les  Sarrazins.  »  Li 
Sarrazin  étant  au  cas  sujet,  il  est  évident  que  ce  sont  les 
Sarrazins  qui  tiennent,  et  les  chevaliers  et  autres  gens  qui 
sont  tenus. 


ORDRE  DES  MOTS.  265 

§  665.  —  On  peut  aussi  trouver  le  sujet  et  le  régime 
réunis  avant  ou  après  le  verbe. 

Livres  des  Rois  :  «  Li  Sires  le  humble  eslieve.  »  Mot  à 
mot  :  «  Le  Seigneur  l'humble  élève.  »  C'est-à-dire  :  «  Le 
Seigneur  élève  l'homme  humble.  » 

Sermons  de  saint  Bernard  :  «  Tôt  a  primiers  enscoin- 
brent  lo  cuer  sei  propre  vice.  »  Mot  à  mot  :  «  Tout  d'abord 
encombrent  le  cœur  ses  propres  vices.  » 

Joinville  :  «  Envoia  li  roys  frère  Raoul...  à  un  ami- 
ral. »  C'est-à-dire  :  «  Le  roi  envoya  frère  Raoul  à  un 
amiral.  » 

§  666.  —  Même  dans  les  phrases  où  il  n'y  aurait  pas  de 
confusion  possible,  la  langue  française  répugne  aujour- 
d'hui à  l'inversion.  Aussi  changerions-nous  l'ordre  des  mots 
dans  les  exemples  suivants,  pris  entre  beaucoup  d'au- 
tres : 

Joinville  :  «  Et  lors  demanda  li  roys  à  ses  frères.  »  Nous 
dirions  :  «  Le  roi  demanda  à  sesfrères.  » 

Ibidem:  «  En  ces  choses  aréer  mist-il  jusques  a  midi.  » 
Mot  à  mot  :  «  En  ces  choses  arranger  mit-il  jusqu'à 
midi.  »  Nous  placerions  ces  choses  après  arranger,  et  // 
avant  mit  :  «  Pour  arranger  ces  choses  il  mit  jusqu'à 
midi.  » 

C'est  seulement  dans  certaines  locotions  ou  tournures 
consacrées  que  nous  pouvons  mettre  aujourd'hui  le  régime 
direct  avant  le  verbe  (chemin  faisant),  ou  le  pronom  sujet 
après  le  verbe  (aussi  mit-il,  etc.). 

î^  667.  —  Le  sujet  ou  le  complément  direct  pouvait  être 
placé  entre  le  participe  passé  et  l'auxiliaire  : 

Sermons  de  saint  Bernard  :  «  Tel  nurisce  avoit  Deus 
doneit  a  sa  petite  créature.  »  C  est-à-dire  :  «  Dieu  avait 
donné  telle  nourrice  à  sa  petite  créature.  » 

Chanson  d'Aliscans  :    «  Lors  point  avant,  s'a  la  tarc/e 


266  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

saisie.  »  C'esl-à-dire  :  «  Alors  il  pique  en  avant,  il  a  sain 
la  large.  » 

Aujourd'hui  nous  pouvons  encore  placer  le  sujet  entre 
l'auxiliaire  et  le  verbe,  mais  seulement  lorsque  c'est  un 
pronom  et  dans  les  phrases  où  par  exception  le  sujet  doit 
suivre  le  verbe  :  «  Aussi  est-il  parti.  » 

§  668.  —  Le  complément  d'un  infinitif  ou  d'un  gérondif 
peut  être  placé  entre  une  préposition  et  cet  infinitif  ou  ce 
gérondif. 

Nous  en  avons  vu  un  exemple,  dans  la  phrase  de  Join- 
ville  ci-dessus,  §  666  :  «  En  ces  choses  aréer...  » 

Autre  exemple  du  même:  «  Par  la  paix  fesant.  »  C'est- 
à-dire  :  «  En  faisant  la  paix.  » 

§  669.  —  Quand  un  verbe  avait  deux  compléments  di- 
rects coordonnés,  on  pouvait  mettre  l'un  devant  le  verbe 
et  l'autre  après. 

Joinville:  «  Et  mon  couvertour  lessai  à  Berthelemin  l'en- 
fant, et  quatre  aunes  de  camelin  qu'on  m'avoit  données.  » 

Mot  à  mot:  «  Et  ma  couverture  je  laissai  à  Barthélémy 
l'enfant,  et  quatre  aunes  de  camelin  qu'on  m'avait  données. 

v^  670.  —  Dans  les  quelques  cas  où  nous  sommes  tenus 
aujourd'hui  de  mettre  le  sujet  après  le  verbe,  l'ancienne 
langue  pouvait  le  mettre  avant. 

Exemple  cité  par  Diez  :  «  Je  nel  puis  faire,  li  rois  res- 
pont.  »  Nous  dirions  :  «  Je  ne  le  puis  faire,  répond  le  l'oi.  » 

III.  —  Place  du  complément  indirect  et  de  l'at- 
tribut. 

§  671.  —  Les  cas  où  le  com[ilément  indirect  ou  l'attri- 
but peuvent  précéder  le  verbe  sont  rares  aujourd'hui. 
Dans  les  anciens  textes  celte  inversion  est  fréquente. 


ORDRE  DES  MOTS.  267 

Attribut  (adjectir  ou  substanlil). 

§  672.  —  Villehardouin  :  «  Li  dux  de  Venise,  qui  vialz 
hom  ère.  »  Mot  à  mot  :  «  Le  doge  de  Venise,  qui  vieil 
homme  était.  » 

Sermons  de  saint  Bernard  :  «  Halz  est  voirement  nostre 
Sires;.  »  Mot  à  mot  :  «  Haut  est  vraiment  Noire  Seigneur.  » 

§  673.  —  Quand  deux  attributs  sont  coordonnés,  l'un 
peut  précéder  et  l'autre  suivre  le  verbe  : 

Roman  de  la  Rose  :  «  Lède  estoit  et  sale  et  foulée.  »  Mot 
à  mot  :  «  Laide  elle  était,  et  sale  et  foulée.  » 

!^  674.  —  Le  sujet  et  l'attribut  peuvent  être  réunis  après 
le  vorbc  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Si  est  la  citet  sue.  »  C'est-à-dire  : 
«  [m  cité  est  sienne.  » 

Ibidem  :  «  Si  est  sue  la  terre.  »  C'est-à-dire  :  «  La  terre 
esl  sienne.  » 

Co  mp  lénien  l  in  direct . 

>!  675.  —  Livres  des  Rois:  «  Li  poples  dcl  service  Deu  se 
rotraist.  »  Mot  à  mot  :  «  Le  peuple  du  service  de  Dieu  se 
relira.  » 

Joinville  :  «  Quant  il  de  celle  périllouse  terre  eschapoit.  » 
C'est-à-dire  :  «  Quand  il  échappait  de  cette  périlleuse  terre.  » 

Le  complément  indirect  peut  être  placé  aussi  entre 
l'ouxiliaire  et  le  participe  passé. 

IV.  —  Sujets  et  compléments  d'un  verbe  à  l'infi- 
nitif et  du  verbe  qui  le  régit. 

§  676.  —  L'infinitif  peut  précéder  le  verbe  qui  le  répit  : 
«  Pendre  les  fisl.  »  C'est-à-dire  :  «  Il  les  lit  pendre.  » 

i;  677.  —  Le  sujet  d'un  verbe  à  l'infinitif  se  met  généra- 
lement aujourd'hui  ai)rès  l'infinitif:  «  Il  laisse  partir  son 


268  GRAMMAIRE   DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

ami.  »  Dans  rancienne  langue,  ce  sujet  est  souvent  placé 
avant  le  verbe,  quelque  long  qu'il  soit. 

Joinville  :  «  Je  li  ferai  la  teste  clou  patriarche  voler  en 
son  geron.  »  C'est-à-dire  :  «  Je  lui  ferai  voler  la  tête  du  pa- 
triarche dans  son  giron.  » 

§  678.  —  Le  sujet  du  verbe  principal  et  le  régime  de 
l'infinitif  se  trouvent  souvent  réunis  après  les  deux  verbes: 

Joinville  :  «  Lors  envoia  querre  li  roys  le  légat.  »  Mot  à 
mot  :  «  Lors  envoya  quérir  le  roi  le  légat.  »  Le  sujet  d'en- 
voya  (le  roi)  et  le  régime  de  quérir  (le  légat)  sont  réunis 
après  les  deux  verbes. 

§  679.  —  Le  régime  de  l'infinitif  peut  être  placé  entre 
les  deux  verbes  : 

Joinville  :  «  Quant  il  vouloit  aucune  chose  affermer.  » 
Mot  à  mot  :  «  Quand  il  voulait  quelque  chose  affirmer.  » 
C'est-à-dire  :  «  affirmer  quelque  chose.  » 

§  680.  —  Lorsque  le  verbe  à  l'infinitif  est  uni  au  verbe 
dont  il  dépend  par  une  préposition,  le  régime  de  l'infinitif 
se  met  quelquefois  avant  la  préposition  : 

Villehardouin  :  «  Et  comencent  la  rive  à  aprochier.  » 
C'est-à-dire  :  «  Et  ils  commencent  à  approcher  (de)  la 
rive.  » 

Joinville:  «  Li  clers  qui  aidoit  la  messe  à  chanter.  »  Mot 
à  mol  :  «  Le  clerc  qui  aidait  la  messe  à  chanter.  »  C'est-à- 
dire  :  «  à  chanter  la  messe.  » 

V.  —  Le  pronom  personnel  sujet. 

§  681.  — Aujourd'hui  le  pronom  personnel  et  le  pronom 
indéfini  «  on  »  ne  peuvent  être  séparés  du  verbe  dont  ils 
sont  sujets  que  par  la  négation  «  ne  »  ou  par  d'autres  pro- 
noms :  «  je  le  lui  ait  dit.  »  Dans  l'ancienne  langue  le  pro- 
nom sujet  pouvait  être  séparé  du  verbe  par  n'importe 
quels  mots  : 


ORDRE  DES  MOTS.  269 

Sermons  de  saint  Bernard  :  «  Quand  il  les  choses  sin- 
guleres  enseut.  »  Nous  dirions  :  «  Quand  il  suit  les  choses 
singulières.  » 

Joinville:  «  Quant  il  de  celle  perillouse  terre  escha- 
poit.  » 

Ibidem  :  «  Liquex  estoit  uns  des  plus  hardis  homes  que 
je  onques  veisse.  »  C'est-à-dire  :  «  Lequel  était  un  des 
hommes  les  plus  hardis  que  j'eusse  jamais  vus.  » 

VI.  —  Les  pronoms  régimes. 

§  682.  —  Les  pronoms  régimes  (non  précédés  de  pré- 
positions) se  placent  aujourd'hui  devant  le  verbe  ;  il  en  est 
de  même  des  pronoms  adverbiaux  en  et  y.  L'ancienne 
langue  pouvait  aussi  les  placer  après  le  verbe  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Faites-le  vus  de  gret  ?  »  Mot  à 
mot  :  «  Faites-le yous  exprès?  » 

Ibidem  :  «  Il  lancent  lur  e  lances  e  espiez.  »  C'est-à-dire: 
«  Ils  leur  lancent...  » 

Ibidem  :  «  Met  sei  en  piez.  » 

Livres  des  Rois  :  «  Pur  destruire  la.  »  Nous  dirions  : 
«  Pour  la  détruire.  » 

Poème  de  Tristan  :  c  Pur  o'ir  i  le  grant  servise.  »  C'est- 
à-dire  :  «  Pour  y  ouir  le  grand  service.  » 

§  683.  —  Dans  quelques  cas  (avec  un  impératif  non  ac- 
compagné d'une  négation),  le  français  moderne  met  par 
exception  le  pronom  régime  après  le  verbe  :  «  Tais-/oi, 
viens-?/  ».  L'ancienne  langue  pouvait  dire  :  «  Te  lien  (tiens- 
toi),  i  venez  (vencz-j/).  » 

§  684.  — Aujourd'hui,  lorsque  le  verbe  doit  être  précédé 
de  deux  pronoms  régimes,  c'est  le  pronom  de  la  troisième 
personne  qu'on  met  le  dernier  :  «  Je  vous  le  ou  les  donne, 
je  te  le  conseille,  je  me  le  dis.  »  Quand  les  deux  pronoms 
sont  de  Ja  troisième  personne,  le,  la,  les  se  mettent  avant 


270  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

lui  et  leur:  «  Je  le  lui  ou  le  leur  répète.  »  Quand  les  deux 
pronoms  suivent  le  verbe  (après  les  impératifs),  on  met 
toujours  le,  la,  les  avant  lui  et  leur  ;  mais  si  le  pronom 
de  la  troisième  personne  est  avec  un  pronom  d'une  autre 
personne,  on  peut  suivre  l'ordre  qui  est  obligatoire  devant 
le  verbe,  ou  l'ordre  inverse  :  «  Donnez-nous-le  »  ou  «  don- 
nez-le-nous ». 

Dans  l'ancienne  langue,  cet  ordre  inverse  était  possible 
même  devant  le  verbe. 

Chanson  de  Roland  :  «  Jo  l'vus  parduins.  »  Mot  à  mot  : 
«  Je  le  vous  pardonne.  » 

Serinons  de  saint  Bernard  :  «  Ensi  ne/  (pour  ne  le)  te 
mat  om  mies  davant.  »  Mot  à  mot  :  «  Ainsi  ne  le  te  met-on 
point  devant.  »  Nous  dirions  :  «  On  ne  te  le  met  point...  » 

Joinville  :  «  Car  je  le  vous  doing,  et  si  le  vous  garanti- 
rai. »  Mot  à  mut  :  «  Car  je  le  vous  donne  et  le  vous  garan- 
tirai. » 

v5  685.  —  Nous  plaçons  y  devant  en  :  «  Il  y  en  a.  »  On  lit 
dans  Joinville  :  «  Il  e)i  y  ot  de  noies.  »  Mot  à  mot  :  «  Il  en 
y  eut  de  noyés.  » 

Ibidem  :  «  Et  en  y  avoit  bien  six  ou  sept.  »  C'est-à- 
dire  :  «  Il  y  en  avait  bien  six  ou  sept.  » 

VII.  —  Pronoms  sujets  et  régimes  d'un  infinitif. 

v^  686.  —  Quand  un  pronom  est  sujet  ou  régime  d'un 
verbe  à  l'infinilif,  il  se  place  généralement  aujourd'hui 
avant  l'infinitif  et  après  le  verbe  qui  régit  cet  infinitif  :  «  Je 
veux  7H'en  aller  ;  il  voulut  le  poursuivre.  »  On  pourrait  dire 
cependant  :  «  il  le  voulut  poursuivre  »,  et  cette  construction 
est  obligatoire  avec  certains  verbes  :  «  Je  /'entends  accu- 
ser; je  le  vois  poursuivre;  il  le  fit  tuer.  »  Le  pronom  sujet 
de  l'infinitif  se  place  de  même  avec  ces  verbes  :  «  Je  /'en- 
tends |)arler,  jo  Ir  vois  courir.  » 


ORDRE  DES  MOTS.  271 

Dans  l'ancienne  langue,  le  pronom  pouvait  toujours  être 
placé  avant  ou  après  les  deux  verbes. 

§  687.  —  D'autre  part,  nous  avons  vu  que  l'infinitif  se 
mettait  souvent  avant  le  verbe  qui  le  régissait  (§  676).  Dans 
ce  cas,  le  pronom  sujet  ou  régime  de  l'infinitif  se  plaçait 
entre  les  deux  verbes  : 

Chanson  de  Roland  :  «  N'est  hum  qui  1'  veit  et  conoistre 
le  set...  »  Mot  à  mot  :  «  N'est  homme  qui  le  voit  et  connaî- 
tre le  sait.  »  C'est-à-dire  :  «  Tout  homme  qui  le  voit  et  sait 
le  connaître.  « 

Ibidem  :  «  Aler  vus  en  estoet.  »  Mot  à  mot  :  «  Aller  vous 
en  il  faut.  »  C'est-à-dire  :  «  Il  faut  vous  en  aller.  » 

§  688.  —  Lorsque  l'infinitif  est  uni  au  verbe  qui  le  ré- 
git par  une  préposition,  nous  plaçons  toujours  le  pronom 
régime  de  cet  infinitif  entre  la  préposition  et  l'infinitif  : 
«  Ils  commencèrent  à  le  battre.  »  L'ancienne  langue  pou- 
vait mettre  le  pronom  régime  avant  le  verbe  principal. 

Joinville  :  Sa  gent  me  commencierent  a  escrier.  »  Mot  à 
mot  :  «  Ses  gens  me  commencèrent  à  appeler.  »  C'est-à-dire  : 
«  commencèrent  à  m^appeler.  » 

Ibidem  :  «  Li  menus  peuples  de  la  ville  ne  s'averoit  pooir 
de  defjfendre  sanz  gouvernours.  »  Mot  a  mot  :  «  Le  peuple 
de  la  ville  ne  s'aurait  pouvoir  de  défendre  sans  gouver- 
neurs. »  C'pst-à-diro  :  «  n'aurait  pouvoir  de  se  défendre.  » 

s;  689. —  Quelquefois,  dans  la  langue  actuelle,  le  pronom 
sujet  du  verbe  principal  et  le  pronom  régime  de  l'infinitif 
se  trouvent  réunis  entre  les  deux  verbes  :  «  Veux  tu  me 
suivre?  »  L'ancienne  langue  pouvait  intervertir  l'ordre  des 
deux  pronoms,  ou  mettre  le  pronom  régime  de  l'infinitif 
avant  le  verbe  principal  : 

Sei'mons  de  saint  Bernard  :  «  Vuels  me  tu  faire  pastor 
de  berbiz?»  Mot  à  mot:  «  Youx  me  tu  faire  pasteur  de 
brebis?» 


272  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS 

Chanson  d'Amis  et  Amiles  :  «  Amis  biax  frere,  sez  noz  tu 
conseillier.  »  C'est-à-dire  :  «  Ami  beau  frère,  sais-f?/  nous 
conseiller.  » 

Froissart  :  «  A  poinnes  ne  s'osoit  il  tenir  en  Flandres.  » 
Nous  dirions  :  «  A  peine  osait-^7  se  tenir  en  Flandres.  » 

VIII.  —  Place  des  adverbes. 

§  690.  —  Aujourd'hui,  les  adverbes  se  placent  ordinai- 
rement après  le  verbe;  et,  quand  ils  le  précèdent,  on  n'a 
pas  en  général  la  faculté  de  les  mettre  après.  Là  comme 
partout  ailleurs,  l'ancienne  langue  était  beaucoup  plus 
libre  : 

Joinville  :  «  Sa  nef  qui  bien  estait  une  lieue  devant  la 
la  nostre.  »  Nous  dirions  :  «  Sa  nef  qui  était  bien  une  lieue 
devant  la  nôtre.  » 

§  691.  —  «  Pas,  plus  »  se  mettaient  quelquefois  avant  ne. 

On  lit  dans  un  fableau  :  «  Cest  avoir  pas  ne  li  rendron.  » 
C'est-à-dire  :  «  Nous  ne  lui  rendrons  pas  cet  avoir.  » 

ORDRE  DES  MOTS  QUI  NE  SONT  PAS  EN  RAPPORT 
IMMÉDIAT  AVEC  LE  VERBE 

§  692.  —  Nous  étudierons  l°la  place  des  compléments 
relativement  aux  noms,  adjectifs,  pronoms  ou  adverbes  qui 
les  régissent,  2°  la  place  de  l'adjectif  épithète,  3°  celle  de 
l'adverbe  se  rapportant  à  un  adjectif  ou  à  un  autre  adverbe, 
4°  celle  des  adjectifs  déterminatifs. 

I.  —  Compléments  des  mots  autres  que  le  verbe. 

§  693.  —  Le  complément  suit  aujourd'hui  le  mot  dont 
il  dé|jond,  sauf  dans  les  inversions  poétiques,  par  exemple 
dans  ce  vers  de  Corneille  : 

«  Ainsi  du  genre  humain  l'ennemi  vous  abuse.  » 


ORDRE  DES  MOTS.  273 

Dans  l'ancienne  langue,  le  complément  était  plus  sou- 
vent placé  le  premier  : 

Livres  des  Bois  :  «  Deus  est  de  science  Sires.  »  C'est-à- 
dire  :  «  Dieu  est  Seigneur  de  science.  » 

Chanson  de  Roland  :  «  De  tuzles  mielz  preisiez.  »  Mot  à 
mot  :  «  De  tous  les  mieux  prisés.  »  C'est-à-dire  :  «  les  mieux 
prisés  de  tous,  les  plus  estimés.  » 

Ibidem  :  «  Naimes  li  dux  e  des  altres  asez.  »  Ce  qui  veut 
dire  :  Le  duc  Naime  et  un  grand  nombre  (assez)  des  autres. 

§  694.  —  Cette  inversion  était  possible,  même  après  une 
préposition  ou  un  article,  c'est-à-dire  que  le  complément 
pouvait  être  placé  entre  la  préposition  ou  l'article  et  le  nom  : 

Serments  de  Strasbourg  :  «  Pro  Deo  amur.  »  Mot  à 
mot  :  «  Pour  de  Dieu  l'amour.  » 

Vie  de  saint  Thomas  de  Cantorbéry  :  «  Li  Deu  amis.  » 
Mot  à  mot  :  «  Le  de  Dieu  ami.  » 

Joinville  :  «  Messires  Gobers  d'Apremont  ses  frères,  en 
cid  compaingnie...  passâmes  la  mer.  »  Mot  à  mot  :  «  Mon- 
seigneur Gobert  d'Apremont,  son  frère,  en  de  qui  compagnie 
nous  passâmes  la  mer.  »  C'est-à-dire  :  «  en  compagnie  de 
qui.  ') 

§  695.  —  Le  complément  pouvait  être  séparé  du  mot 
dont  il  dépendait  par  plusieurs  autres  : 

C hanson  de  Roland  :  «  Mais  des  meilleurs  voeil  jo  retenir 
treis.  n  C'est-à-dire  :  «  Je  veux  retenir  trois  des  meilleurs.  >> 

Ibidem  :  «  Des  altres  i  out  bien.  »  Mot  à  mot  :  «  Des  au- 
tres il  y  eut  bien.  » 

II.  —  Place  de  l'adjectif  épithète. 

^696.  —  Aujourd'hui,  nous  plaroiis  l'adjeclif  épithète 
tantôt  avant  le  nom,  tantôt  après.  Dans  l'ancienne  langue, 
l'adjectif  se  mettait  plus  souvent  n  vaut  le  nom,  et  la  valeur 
propre  de  cet  adjectif  n'était  pas  modifiée  par  sa  place, 


274  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

comme  il  arrive  pour  le  fiançais  actuel,  où  «  grand  »  n'a 

pas  le  même  sens  dans  «  grand  homme  »  et  dans  «  homme 

grand  ». 
Nous  mettrions  l'adjectif  après  le  nom  dans  l'exemple 

suivant  : 

Chanson  de  Roland:  «  Farla.  franceise  gent.  » 

Nous  mettrions  au  contraire  l'adjectif  avant  le  nom  dans 

ce  vers  de  la  chanson  de  Roland  : 

«  Li  empereres  Caries  de  France  dulce.  » 

§  697.  — On  disait  aussi  «  France  la  dulce  »,  avecl'arli- 
cle  entre  le  nom  et  l'adjectif.  Aujourd'hui,  on  ne  fait  suivre 
un  nom  d'un  adjectif  précédé  de  l'article,  que  lorsqu'on 
veut  déterminer  et  non  pas  seulement  qualifier  ce  nom. 
Mais  cette  distinction  n'existait  pas  dans  l'ancienne  langue  : 
«  France  la  dulce  »  était  l'équivalent  de  «  France  dulce  » 
ou  de  «  dulce  France  ». 

On  plaçait  de  même  après  le  nom  le  substantif  épithèle 
précédé  de  l'article. 

Chanson  de  Roland  :  «  Charles  li  reis  »  (Charles  le  roi)  ; 
«  Guenes  li  quens  »  (Ganelon  le  comte). 

Dans  ces  exemples,  il  ne  s'agit  pas  de  distinguer  Charles 
le  roi  d'un  autre  Charles,  ni  Ganelon  le  comte  d'un  autre 
Ganelon.  Nous  dirions  donc  aujourd'hui  :  «  Le  roi  Char- 
les »  et  «  le  comte  Ganelon  ». 

§  698.  —  Quand  un  nom  était  accompagné  de  deux 
adjectifs,  il  se  plaçait  quelquefois  entre  les  deux,  et  alors 
le  second  ajectif  était  précédé  de  l'article  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Clere  Espaigne  la  bêle.  »  G'est- 
dire  :  «  La  claire  et  belle  Espagne.  »  L'ancienne  construc- 
tion mettait  en  relief  le  second  adjectif. 

§  699.  —  L'adjectif  pouvait  être  séparé  du  nom  par 
d'autres  mots. 


ORDRE  DES  MOTS.  273 

Nous  avons  vu  que  le  substantif,  remplissant  les  fonc- 
tions de  sujet,  d'attribut  ou  de  régime,  pouvait  se 
mettre  avant  ou  après'  le  verbe.  Quand  il  était  accom- 
pagné d'un  adjectif,  il  en  était  souvent  séparé  par  le 
verbe  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Escuz  unt  genz.  »  C'est-à-dire  : 
«  Ils  ont  de  beaux  éciis.  » 

Ibidem  :  Cors  ad  mult  gent.  »  C'est-à-dire  :  «  Il  a  le  corps 
très  beau.  » 

Roman  de  Brut  :  «  Sor  un  ceya/ monta  mult  bel.  »  C'est- 
à-dire  :  «  Il  monta  sar  un  cheval  très  beau.  » 

III.  —  Adverbe  se  rapportant  à  un  adjectif  ou  à 
un  autre  adverbe. 

§  700.  —  L'adverbe  peut  être  séparé  de  l'adjectif  ou 
de  l'autre  adverbe  par  un  ou  plusieurs  mots,  notamment 
par  un  verbe. 

Châtelain  de  Couci  :  «  Touz  jours  m'est  plus  s'amours 
fresche  et  nouvelle.  »  C'est-à-dire  :  «  Tous  les  jours  son 
amour  est  pour  moi  plus  frais  et  nouveau.  » 

Chanson  de  Roland  :  «  Tere  majur  mult  est  loinz.  » 
C'est-à-dire  :  «  Le  grand  pays  est  très  loin.  » 

Ibidem  :  Mult  par  est  pruz  sis  cumpainz  Oliviers.  » 
C'est-à-dire  :  «  Son  compagnon  Olivier  est  très  pileux.  » 

Ibidem  :  «  Trop  avez  tendre  coer.  »  C'est-à-dire  :  «  Vous 
avez  le  cœur  trop  tendre.  » 

Ibidem  :  «  N'est  gueres  granz,  ne  trop  nen  est  petiz.  » 
C'est-à-dire  :  «  11  n'est  pas  trop  grand  et  n'est  pas  t7'op 
petit.  » 

Ibidem  :  «  Plus  est  isîiels  qu'esperviers  ne  aronde.  » 
C'est-à-dire  :  «  Il  est  plus  rapide  qu'épervier  ou  hiron- 
delle. » 

Encore  aujourd'hui  on  peut  séparer  plus  ou  moins  de 


276  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

l'adjectif  auquel  ils  se  rapportent,  mais  seulement  lors- 
qu'on les  met  en  tête  de  deux  propositions  opposées  : 
a  Plus  on  est  sévère,  plus  on  est  aimé.  » 

IV.  —  Place  des  adjectifs  déterminatifs. 

§  701.  —  Les  adjectifs  déterminatifs  occupent  en  géné- 
ral la  même  place  que  dans  le  français  moderne.  Toutefois 
autre  se  mettait  souvent  avant  tel  ou  avant  les  noms  de 
nombre.  Encore  au  xvi^  siècle,  on  trouve  dans  H.  Es- 
tienne  :  «  Autres  telles  choses,  »  au  lieu  de  «  telles  autres 
choses.  »  Joinville  écrit  :  «  Pour  querre  autres  quarante 
livres.  »  Nous  dirions  :  «  quarante  autres  livres.  » 


CHAPITRE    II 

ORDRE    DES    PROPOSITIONS 

§  702.  ■ —  Les  propositions  sont  unies  entre  elles  par  les 
conjonctions  et  le  pronom  relatif.  La  conjonction,  dans 
l'ancienne  langue  comme  dans  la  langue  moderne,  se  place 
ordinairement  en  tête  de  la  proposition.  Quant  au  pronom 
relatif,  aujourd'hui  il  suit  immédiatement  son  antécé- 
dent, ou  s'en  éloigne  le  moins  possible  ;  quand  cet  antécé- 
dent est  le  pronom  celui,  il  ne  peut  en  être  séparé.  Il  ré- 
sulte de  ces  règles  que,  si  l'antécédent  du  pronom  relatif 
est  le  sujet  de  la  proposition  principale,  l'incidente  se  pla- 
cera généralement  au  milieu  de  la  proposition  principale, 
séparant  le  sujet  du  verbe  : 

«  L'homme  qui  vous  parle  est  mon  ami.  » 

§  703.  —  Dans  l'ancienne  langue  on  pouvait  toujours 
rejeter  l'incidente  après  la  proposition  principale,  en 
usant  de  l'un  des  deux  procédés  suivants  : 


ORDRE  DES  PROPOSITIONi,  277 

1"  En  plaçant  le  sujet  de  la  proposition  principale  après 
le  verbe  : 

Villehardouin  :  «  Mult  esgarderent  Gonstantinople  cil 
qui  onques  mais  ne  l'avoient  veue.  »  Mot  à  mot  :  «  Re- 
gardèrent beaucoup  Gonstantinople  ceux  qui  jamais  ne 
l'avaient  vue.  » 

2°  En  séparant  le  relatif  de  son  antécédent,  ce  qui  est 
encore  possible  quelquefois  : 

Villehardouin:  «  Nule  genz  n'ont  si  grant  pooir,  qui  sor 
mer  soient.  »  Mot  à  mot  :  «  Aucun  peuple  n'a  si  grand 
pouvoir,  qui  sur  mer  soit.  «  C'est-à-dire  :  «  Aucun  des  peu- 
ples qui  habitent  sur  les  bords  de  la  mer  n'a  une  si  grande 
puissance.  » 

Chanson  de  Roland  :  Cil  sunt  montet  ki  le  message 
firent.  «  Mot  à  mot  :  «  Ceux  sont  montés  qui  le  ^message 
firent.  »  C'est-à-dire  :  «  Ceux  qui  firent  le  message  sont 
montés.  « 

§  704.  —  Aujourd'hui  dans  les  phrases  semblables,  si, 
pour  mettre  en  relief  la  proposition  principale,  nous  vou- 
lons rejeter  l'incidente  à  la  fin,  nous  sommes  obligés  d& 
reculer  aussi  l'antécédent,  qui  ne  peut  être  séparé  du  rela- 
tif, et  comme,  d'autre  part,  le  sujet  doit  précéder  le  verbe, 
nous  remplaçons  cet  antécédent,  devant  le  verbe  de  la  propo- 
sition principale,  par  un  pronom  pléonastique  :  «  /^est  parti 
celui  que  ton  cœur  aimait  tant  »,  dit  un  refrain  populaire. 

§  705.  —  La  conjonction  que  est  à  l'origine  un  pronom 
relatif  neutre.  On  l'emploie  encore  quelquefois  avec  un 
antécédent,  qui  est  toujours  l'un  des  pronoms  neutres  il  on 
ce  :  «  Ce  n'est  pas  sans  raison  que...  Il  fut  décidé  que...  Il 
j)artit  parce  que...  »  Dans  «  parce  que  »  la  conjonction  suit 
immédiatement  son  antécédent,  tandis  qu'elle  en  est  séparée 
dans  les  deux  premiers  exemples.  L'ancienne  langue  pou- 
vait employer  librement  les  deux  constructions  : 

Clédat.  1 6 


278  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Sermons  de  saint  Bernard  :  «  CeukeYiFWz  venist  ne  fut 
mies  atorneit  senz  lo  consoil  delà  sainte  Triniteit.  »  Mot  à 
mot  :  «  Ce,  que  le  Fils  viendrait,  ne  fut  pas  décidé  sans  le 
conseil  de  la  sainte  Trinité.  »  Nous  dirions  :  «  //  ne  fut  pas 
décidé...  que  le  Fils  viendrait.  » 

Cette  construction  se  trouve  encore  dans  Bossuet  :  «  Ce 
que  Dieu  est  bon,  c'est  du  sien  et  de  son  propre  fonds.  » 
C'est-à-dire  :  «  C'est  de  son  propre  fonds  que  Dieu  est 
bon.  »  On  remarquera  seulement  dans  Bossuet  la  répéti- 
tion de  ce  devant  le  verbe. 

Joinville  :  «  Et  maintenant  les  eussent  attains  et  dévorez, 
se  ne  fust  ce  que  il  lassoient  cheoir  aucune  piesce  de  drap 
mauvais.  »  Mot  à  mot  :  «  Et  à  l'instant  ils  (les  lions)  les  eus- 
sent atteints  et  dévorés,  si  n'eût  été  ce  que  ils  laissaient 
tomber  quelque  pièce  de  drap  mauvais.  »  C'est-à-dire  :  «  si 
€6  n'eût  été  que.  » 

§  706.  —  Si  nous  séparons  ce  neutre  de  la  conjonction 
que,  nous  ne  pouvons  le  séparer  du  pronom  relatif  propre- 
ment dit,  et  nous  disons  :  «  Donnez-moi  ce  que  vous  avez 
de  monnaie  »,  plaçant  l'incidente  entre  ce  et  son  complé- 
ment «  de  monnaie  ».  L'ancienne  langue  aurait  pu  dire  : 
«  ce  de  monnaie  que  vous  avez.  » 

Joinville  :  «  Je  jetai  hors  ce  d'argent  que  j'y  trouvai.   » 


TROISIEME  PARTIE 

VIEUX     GALLICISMES 


Nous  ne  pouvons  songer,  dans  un  livre  élémentaire,  à 
donner  une  étude  détaillée  de  nos  anciens  gallicismes. 
Nous  nous  contenterons  de  signaler  les  plus  importants. 

Il  y  a,  il  n'y  a  pas. 

§  707.  —  Ce  gallicisme  a  été  de  tout  temps  en  usage 
daus  la  langue  française.  Les  auteurs  anciens  l'emploient 
le  plus  souvent  sous  les  formes  «  il  a,  y  a,  a  ».  Il  était  gé 
néralement  suivi  du  cas  régime;  mais  il  semble  qu'on  ait 
le  cas  sujet  dans  cette  phrase  des  Livres  des  Rois  :  «  Il  i 
out  uns  oriloges  »,  c'est-à-dire  :  «  Il  y  avait  une  horloge.  » 

Exemples  de  «  il  a  »  : 

Sermons  de  saint  Bernard  :  Tell  dessevrancc  cum  il  at 
entre  saint  Pierre  et  saint  Abraham.  »  Mot  à  mot  : 
«  Telle  différence  qu'  il  y  a  entre  saint  Pierre  et  saint 
Abraham.  » 

Joinville  :  «  Là  où  il  avoit  huit  de  mes  chevaus.  »  Nous 
dirions  :  «  là  ou  il  y  avait  hiûl  de  mes  chevaux.  » 

Exemples  de  «  y  a  <>  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Nï  ad  païen  ki  un  sul  mot  res- 
pundel.  »  Mot  à  mot  :  »  N'y  a  païen  qui  un  seul  mot  ré- 
ponde. » 

Sermons  de  saint  Hcrnard  :  «  Totevoies  i  avoit  ancor 
une  chose.  »  C'esl-à-dire  :  «  Toutefois  //  y  avait  encore  une 
chose.  » 


280  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Exemples  de  v.  an  : 

Joinville:  «  En  ces  neis  de  Marseille  a  dous  gouvernaus.  » 
C'est-à-dire  :  «  Dans  ces  vaisseaux  de  Marseille  il  y  a  deux 
gouvernails.  » 

Ibidem  :  «  Darieres  son  amiral  avoit  un  bachelier  bien 
atournei.  »  C'est-à-dire  :  «  Derrière  son  émir,  il  y  avait  un 
bachelier  bien  équipé.  » 

Notre  adverbe  wag'Mères  s'écrivait  jadis  «  n'a  guères  », 
et  équivalait  à  :  «  il  n'y  a  guères  »,  sous-entendu  : 
«  de  temps». 

Faire  à,  suivi  d'un  infinitif. 

§  708.  —  «  Faire  à  louer  »  équivalait  à  «  faire  chose  à 
louer  »  et  par  suite  «  être  à  louer,  être  digne  d'éloge.  » 

Chanson  de  Roland  :  «  Cil  ki  là  sunt  ne  funt  mie  à  blas- 
mer.  »  Mot  à  mot  :  «  Ceux  qui  là  sont  ne  font  point  à  blâ- 
mer. »  C'est-à-dire  :  «  ne  sonf  point  à  blâmer.  » 

Sermons  de  saint  Bernard  :  «  Font  a  repenre  cil  ki 
presumptious  sunt.  »  C'est-à-dire  :  «  Ceux  qui  sont  pré- 
somptueux sont  à  reprendre,  doivent  être  repris,  répri- 
mandés. » 

Faire  que  suivi  d'un  adjectif  ou  d'un  substantif. 

§  709.  —  «  Faire  que  fou  »  signifiait  :  «  faire  une 
chose  que  ferait  un  fou  »,  par  conséquent  :  «  agir  en 
fou.  » 

Chanson  de  Roland  :  «  Naimes  li  dux  d'iço  ad  fait  que 
pruz.  »  C'est-à-dire  :  «  Le  duc  Naimes  en  cela  a  agi  en 
preux.  » 

Joinville  :  «  11  firent  moût  que  saige.  »  C'est-à-dire  ; 
«  Ils  agirent  beaucoup  en  sages,  ils  agirent  très  sage- 
ment. » 


VIEUX  GALLICISMES.  281 

Pour  peu,  pour  peu  que,  a  bien  petit  que, 
par  un  peu  que. 

§  710.  —  On  trouve  «  pour  peu,  pour  peu  que,  a  bien 
petit  que,  par  un  peu  que  »  avec  le  sens  de  :  «  Il  s'en  faut 
peu  que...  » 

Chanson  de  Roland  :  «  Piirpoi  d'ire  ne  fent.  »  Mot  à  mot  : 
«  Pour  peu  de  colère  ne  se  brise.  »  C'est-à-dire  :  «  Peu  s'en 
faut  qu\l  ne  se  brise  de  colère.  » 

Ibidem  :  «  Pur  poi  qii'û  n'est  desvez.  »  Mot  à  mot:  «  Pour 
peu  qu'il  n'est  rendu  fou.  »  G'est-à-dire  :  «  Peu  s'en  faut 
qii'û  ne  devienne  fou.  » 

Ibidem  :  «  A  bien  petit  que  il  ne  pert  le  sens.  »  C'est-à- 
dire  :  «  Peu  s'en  faut  qu'il  ne  perde  le  sens.  » 

Villehardouin  :  «  Li  Vénitien  se  ferirent  as  vaissiaus,  qui 
ains  ains,  qui  mius  mius,  si  que  par  un  poi  que  li  uns 
n'ocioit  l'autre.  »  G'est-à-dire  :  «  Les  Vénitiens  se  jetèrent 
sur  les  vaisseaux  à  qui  mieux  mieux,  si  bien  que  peu  s'en 
fallait  qu'ils  ne  se  tuassent  les  uns  les  autres.  » 

Celui  ou  celui  qui  dans  une  proposition  négative. 

§  711.  —  Dans  les  propositions  négatives  on  trouve  sou- 
vent «  celui  »  ou  «  celui  qui  »,  que  nous  remplacerions  au- 
jourd'hui par  «  personne  qui  ». 

Chanson  de  Roland  :  «  N'i  ad  celui  ne  plurt  et  se  dé- 
ment. »  Mot  à  mot  :  «  Il  n'y  a  celui  ne  pleure  et  se  lamente.  » 
C'est-à-dire  :  «  Il  n'y  a  personne  qui  ne  pleure  et  ne  se 
lamente.  » 

Ibidem  :  «  N'i  ad  celui  là  mot  sunt  ne  mot  tint.  »  Mot  à 
mot  :  «  Il  n'y  a  celui  qui  mot  sonne  ni  mot  tinte.  »  G'est-à- 
dire  :  «  Il  n'y  a  personne  qui  fasse  sonner  ni  tinter  un 
mot.  » 


16. 


282  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

Est  qui  dans  le  sens  de  quelqu'un  [quelqu'un  est  qui). 

§  712.  —  Chanson  de  Roland  :  «  S'esf  ki  l'clemandet...  » 
Mot  à  mot  :  «  Si  est  qui  le  demande.  «  Nous  dirions  :  «  Si 
quelqu'un  le  demande.  » 

Ibidem  :  «  Seit  ki  l'ociet  !  »  Mot  à  mot  :  «  Soit  qui  le  tue  1  » 
C'est-à-dire  :  «  Que  quelqu'un  le  tue.  » 

D'une  chose  à  faire,  pour  une  chose  à  faire,  etc., 
au  lieu  de  de  faire  une  chose,  pour  faire  une 
chose,  etc. 

§  713.  —  Roman  de  Brut  :  «  Se  porpensa  de  sun  frère  a 
engeignier.  »  Mot  à  mot  :  «  Il  s'occupa  de  son  frère  à  trom- 
per. »  C'est-à-dire  :  «  de  tromper  son  frère.  » 

Sermons  de  saint  Bernard  :  «  Se  penat  de  lui  a  aniantir.  » 
Mot  à  mot  :  «  Il  se  peina  de  lui  à  anéantir.  »  C'est-à-dire  : 
«  11  s'efTorça  de  l'anéantir.  » 

Ibidem  :  «  Por  lui  a  vengier.  »  C'est-à-dire  :  «  pour  le 
venger.  » 

§  714.  —  On  construisait  aussi  en  rejetant  le  régime  de 
la  préposition  après  le  verbe  : 

Chronique  de  Ph.  Mousket  :  «  Pour  a  rescoure  Troie.  » 
C'est-à-dire  :  «  pour  Troie  à  regagner,  pour  regagner 
Troie,  i) 

§  715.  —  On  a  Uni  par  ne  plus  se  rendre  compte  de  l'o- 
rigine de  ces  locutions,  et  par  considérer  «  pour  à  » 
comme  une  sorte  de  préposition  composée  qui  a  pris  le 
sens  de  :<  au  risque  de  ». 

Froissart  :  «  Li  chevaliers,  joour  a  morir,  ne  s'i  fust  ja- 
m  lis  accordé.  »  C'est-à-dire  :  «  Le  chevalier,  au  risque  de 
mourir,  n'y  eut  jamais  consenti.  » 

On  disait  aussi  «  sur  à  »,  à  peu  près  avec  le  même  sens. 


PHONÉTIQUE* 


DEFINITIONS 

§  716.  —  La  phonétique  (du  grec  tpoivvi,  voix,  son)  est 
l'étude  des  transformations  des  sons;  elle  nous  apprend 
quels  sons  de  notre  langue  correspondent  aux  difîérents 
sons  (voyelles  et  consonnes)  de  la  langue  latine,  et  par 
quelles  transitions  chacun  d'eux  a  passé. 

^5  717.  —  On  appelle  orthographe  ou  plutôt  graphie  ^  la 
manière  de  représenter  les  sons  dans  l'écriture,  à  l'aide  des 
lettres.  Malheureusement  la  même  lettre  ne  représente  pas 
toujours  le  même  son.  Antérieurement  au  xvi*^  siècle  nous 
n'avons  que  peu  de  renseignements  sur  la  véritable  pro- 
nonciation des  mots,  et  nous  sommes  souvent  réduits  à 
noter  les  graphies  successives  d'un  même  mot,  sans  pou- 
voir indiquer  avec  précision  quels  sons  expriment  ces 
graphies. 

§  718.  —  Les  sons  dune  langue  se  divisent  en  voyelles, 
consonnes  et  diphtongues.  Entre  une  diphtongue  et  une 
syllabe  composée  d'une  voyelle  et  d'une  consonne,  par 
exemple  entre  ié  et  té,  il  n'y  a  qu'une  seule  dilTérence  : 
c'est  que,  dans  la  diphtongue,  le  rôle  de  consonne  est  donné 
à  une  voyelle  {i  dans  ié),  prononcée  plus  rapidement  qu'une 
voyelle  ordinaire,  et  à  la  manière  des  consonnes. 

L'orthographe  actuelle  contient  plusieurs  diphtongues 

1.  Logiquement^  la  phonétique  devrait  être  placée  avant  l'étude  des 
flexions.  Nous  l'avons  rojetéo  ici  parce  qu'il  nous  a  semblé  que  ceux 
qui  n'ont  aucune  connaissance  préalable  du  latin  auraient  intérêt  à 
commencer  par  la  grammaire  proprement  dite. 

2.  Orthographe  s\sinl\(i  proprement»  bonne  graphie  ». 


284  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

apparentes,  purement  graphiques,  qui  sont  en  réalité, 
dans  la  prononciation,  des  voyelles  simples  :  ainsi  au,  eu, 
ai.  De  même,  dans  le  latin  populaire  qui  a  précédé  la  for- 
mation des  langues  romanes,  «  se,  œ  »  étaient  depuis  long- 
temps des  diphtongues  purement  graphiques,  et  se  pronon- 
çaient e. 

Nous  avons  exposé  ailleurs  (§  12  et  suivants)  les  lois 
générales  de  la  phonétique.  Ici  nous  prendrons  les  uns 
après  les  autres  les  différents  sons  du  latin,  et  nous  mon- 
trerons ce  qu'ils  sont  devenus  en  français. 


PREMIERE  PARTIE 

TRANSFORMATION    DES     VOYELLES 
ET    DIPHTONGUES 


GÉNÉRALITÉS 
I.  —  Quantité  des  voyelles  en  latin. 

§  719.  —  Chaque  voyelle  latine  avait  deux  pronon- 
ciations différentes,  la  prononciation  brève  et  la  pronon- 
ciation longue. 

Or  un  e  bref,  par  exemple,  différait  d'un  e  long  non 
seulement  par  la  quantité  ou  la  durée  du  son,  mais  aussi 
par  le  timbre  :  l'e  bref  avait  le  timbre  de  notre  è  ouvert  de 
lèvre,  et  l'e  long,  celui  de  notre  é  fermé  de  bonté.  L'a  est  la 
seule  voj'elle  latine  dont  le  timbre  ait  été  le  même  quelle 
que  fût  la  quantité. 

On  comprend  donc  que  les  voyelles  latines  (sauf  l'a)  aient 
produit  dans  les  langues  romanes  des  sons  différents  sui- 
vant qu'elles  étaient  brèves  ou  longues. 

II.   —   Quantité  naturelle    des   voyelles    suivies 
de  plusieurs  consonnes 

§  720.  —  La  versification  latine  reposait  sur  la  quantité. 
Un  vers  latin  se  composait  d'un  certain  nombre  de  syllabes 
brùves  et  de  syllabes  longues  groupées  dans  un  ordre  dé- 
terminé. Dans  ce  système,  une  voyelle  suivie  do  deux  ou 
plusieurs  consonnes  était  assimilée  à  une  voyelle  longue, 
assimilation  qui  a  fait  croire  pendant  longtemps  qu'une 
voyelle  suivie  de  idusieurs  consonnes  avait  toujours  la 
prononciation  longue.  11  nan  est  rien  cependant.  Ainsi  Vc 


286  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

de  lectuin  (toit)  et  celui  de  lectmn  (lit)  comptaient  de  même 
dans  les  vers,  mais  l'un  était  naturellement  long  et  l'autre 
naturellement  bref;  ils  ne  se  prononçaient  pas  de  même 
et  n'ont  pas  donné  le  même  résultat  en  français. 

III.  —  Influences  diverses  qui   agissent  sur 
la  transformation  des  voyelles. 

§721.  —  Les  modifications  subies  par  une  voyelle  la- 
tine dans  son  passage  du  latin  au  français  dépendent  non 
seulement  de  sa  qualité  de  brève  ou  de  longue,  mais  en- 
core de  sa  place  dans  le  mot,  et,  dans  beaucoup  de  cas, 
des  consonnes  qui  la  précèdent  ou  de  celles  qui  la  sui- 
vent. Ainsi  Ve  long  dans  la  syllabe  tonique  se  change  ordi- 
nairement en  ei  puis  oi  (le'gem,  lei,  loi),  tandis  qu'il  de- 
vient le  plus  souvent  e  muet  dans  la  première  syllabe  du 
mot  (debére,  devoir)  ;  le  même  e  long,  dans  la  syllabe  to- 
nique, devient  et  reste  ei  lorqu'il  est  suivi  d'un  n  (plénum, 
plein).  Nous  allons  passer  en  revue  quelques-unes  de  ces 
causes  de  variations. 

Action  des  gutturales. 

§  722.  —  Les  consonnes  qui  agissent  le  plus  souvent 
sur  la  transformation  des  voyelles  latines  sont  les  gut- 
turales (c,  g).  L'efTet  habituel  de  la  gutturale  est  de  pro- 
duire un  i  semi-voyelle  qui  s'ajoute  à  la  voyelle  suivante 
ou  à  la  voyelle  précédente,  quelquefois  aux  deux.  Ainsi  le 
c  du  latin  c^ra,  tout  en  se  maintenant  comme  consonne 
sous  forme  d'un  c  doux,  a  produit  un  i  semi-voj^elle  qui 
s'est  placé  devant  la  diphtongue  ei  dérivée  de  Ve  long  to- 
ni(iue;  céra  est  donc  devenu  cieire,  puis,  la  triphtongue^e^ 
s'étant  contractée  en  i,  cire.  Le  c  du  latin  décem,  tout  en  se 
maintenant  comme  consonne  sous  fornie  d'une  s,  a  pro- 
duit aussi  un  i  semi-voyelle  qui  s'est  placé  après  la  diph- 


TRANSFORMATION  DES  VOYELLES  ET  DIPHTONGUES.      287 

longue  ié  dérivée  de  Ve  bref  tonique  ;  il  en  résulte  que 
décem  a  donné  d'abord  dieis,  puis,  la  triphtongue  iei  s'élant 
contractée  en  t,  dis  (écrit  aujourd'hui  dix).  Dans  tractâre 
le  c  est  tombé,  mais  en  disparaissant  il  a  produit  un  i 
semi-voyelle  qui  s'est  en  quelque  sorte  dédoublé,  agissant 
à  la  fois  sur  le  premier  a  qu'il  a  changé  en  ai,  et  sur  le  se- 
cond qu'il  a  changé  en  ié.  C'est  ainsi  que  tractare  a  donné 
traitier.  Plus  tard  la  diphtongue  ié  s'est  réduite  à  é,  comme 
dans  tous  les  infinitifs  semblables,  et  la  trace  de  l'influence 
du  c  latin  sur  Va  tonique  a  disparu. 

Action  de  j,  de  e  oui  consonni/iable,  de  i  /înal. 

§  723.  — La  consonne  j,  et  les  voyelles  e,  i,  quand  elles 
sont  suivies  d'une  autre  voyelle,  produisent  des  effets  ana- 
logues à  ceux  des  gutturales.  Ve  ou  Yi,  suivi  d'une  autre 
voyelle,  offre  en  effet  cette  particularité  de  se  changer  en  i 
semi-voyelle.  Quelquefois  cet  i  semi-voyelle  est  devenu  une 
consonne  chuintante  :  c'est  ainsi  que  le  g  de  linge  vient  de 
l'e  du  latin /ineum.  VeeiYi  latins  placés  dans  ces  conditions 
peuvent  donc  devenir  consonnes,  sont  consonni fiables,  si 
on  nous  permet  ce  néologisme  :  c'jest  le  nom  que  nous  leur 
donnerons  désormais,  pour  les  distinguer  de  Ve  et  de  Vi 
suivis  d'une  consonne.  L'^  consonnifiable  de  medietdtem  se 
retrouve  dans  les  deux  i  du  mot  français  moilié,  comme  le 
c  de  tractare  dans  les  deux  i  du  vieux  mot  traitier. 

§  724.  —  Un  i  terminant  le  mot  latin  produit  quelque- 
fois des  effets  analogues  ;  dans  la  flexion  dvi  du  prétérit 
des  verbes  en  are,  Va  tonique  est  devenu  ai  sous  l'influence 
de  Vi  final  :  je  chantai  (voy.  §  311).  Le  nominatif  pluriel 
delà  seconde  déclinaison  se  terminait  toujours  en  i  ;  mais 
cet  i  n'a  modifié  le  changement  de  la  tonique  qu'au  carf 
sujet  pluriel  des  pronoms  icil,  icist,  il,  et  de  l'adjectif  indé- 
fini toz  (voy.  §§  126  et  157). 


288  GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 

Action  d'un  u  atone 

§  725.  —  Dans  quelques  cas  assez  rares  les  voyelles 
latines  ont  subi  l'influence  d'un  u  atone  qui  les  suivait  im- 
médiatement ou  dont  elles  n'étaient  séparées  en  latin  que 
par  une  consonne  qui  est  tombée.  C'est  Vu  atone  de  *  habnnt, 
de  \adunt  et  de  *  facunt,  qui,  en  se  combinant  avec  l'a 
tonique,  a  produit  Yo  des  mots  ont,  vont,  font.  Nous  avons 
vu  aussi,  dans  la  grammaire  proprement  dite,  comment 
Im  post-tonique  a  modifié  la  transformation  de  la  voyelle 
tonique  dans  le  prétérit  des  verbes  avoi7%  plaire,  devoir,  etc. 
(§§  315  et  316). 

C'est  encore  à  l'influence  de  Vu  qu'on  doit  la  transfor- 
mation du  substantif  clavxxm  en  c/ou,  tandis  que  clavem 
donnait  clef.  Expliquez  de  même  trou,  de*  trdugmn,  fou 
(vieux  mot  signifiant  hêtre),  de  fâgum,  et  les  formes  an- 
ciennes fou.  (feu)  de  fôcum,  cous  (queux)  de  càquus,  etc. 
Vu  de  Deum  se  retrouve  aussi  dans  le  français  Dieu. 

I.a  rareté  de  cette  action  de  Vu  nous  dispensera  de  la 
comprendre  dans  les  tableaux  ci-dessous. 

Action  de  plusieurs  consonnes  suivant  immédiatement  la 
voyelle. 

§  726.  —  Lorsqu'une  voyelle  est  suivie  de  plusieurs 
consonnes,  elle  ne  subit  pas  en  général  la  même  transfor- 
mation que  lorsqu'elle  est  suivie  d'une  seule  consonne. 
Ainsi  Va  tonique  se  change  ordinairement  en  é  (sanitâtem  : 
santé);  mais  le  même  a  tonique  suivi  de  plusieurs  con- 
sonnes reste  a  (partit  :  part).  L'a  de  âsinum  (asne,  âne)  est 
traité  comme  un  a  suivi  de  deux  consonnes,  parce  que  Vi 
atone  qui  séparait  Vs  de  Vn  était  tombé  avant  la  transfor- 
mation du  latin  en  français;  nous  indiquerons  ce  fait» 


RTANSFORMATION  DES  VOYELLES  ET  DIPHTONGUES.      289 

quand  il  y  aura  lieu,  en  plaçant  la  voyelle  tombée  entre 
parenthèses  :  as[i)num. 

Pour  les  mots  tels  que  «  as(i)num  »,  c'est-à-dire  où  les 
deux  consonnes  étaient  séparées  en  latin,  le  français  a 
quelquefois  hésité,  et  il  peut  arriver  qu'on  trouve  deux, 
formes  contradictoires  pour  un  même  mot. 

§  727.  —  Quand  une  voyelle  n'est  suivie  que  de  deux 
consonnes,  et  que  la  seconde  de  ces  consonnes  est  une  li- 
quide {l  ou  r),il  arrive  souvent  que  la  voyelle  est  assimilée 
à  celles  qui  sont  suivies  d'une  seule  consonne  ;  ainsi  l'a  to- 
nique dejodfrem  a  donné  «e»  français,  comme  celuide^(i/eîw: 
père,  tel.  C'est  que  le  t  de  pati'em  s'appuie  sur  Vr  et  non 
sur  Va  précédent  :  on  prononce  «  pa-trem  »  et  non  «  pat- 
rem  ».  Une  prononciation  telle  que  «  pa-trem  »  n'est  pos- 
sible que  lorsque  la  seconde  consonne  est  une  liquide  ; 
dans  partit,  par  exemple,  la  première  consonne  s'appuie 
nécessairement  sur  la  voyelle  précédente  :  pay^-tit. 

La  langue  a  quelquefois  hésité  entre  deux  traitements 
pour  les  voyelles  suivies  de  deux  consonnes  dont  la  se- 
conde est  une  liquide.  D'ailleurs  certaines  consonnes  ne 
peuvent  se  lier  avec  les  liquides,  et,  dans  ce  cas,  la  voyelle 
qui  précède  ne  saurait  être  traitée  comme  si  elle  n'était 
suivie  que  d'une  seule  consonne.  C'est  ainsi  que  l'a  tonique 
de  cdm{e)ra  (chambre)  a  été  traité  non  comme  celui  de 
pâlrem,  mais  comme  celui  de  dii{i)num. 

TABLEAUX  DE  PHONÉTIQUE  VOCALIQUE 

EXPLICATION    DES     TABLEAUX. 

§  728.  —  Les  éclaircissements  préalables  que  nous  ve- 
nons de  donner  nous  permettront  de  présenter  la  phoné- 
tique des  voyelles  sous  forme  d(î  tableaux.  Les  exemples 
que  nous  proposerons  pour  chaque  voyelle  seront  répar- 
Clédat.  1 7 


290  GRAMMAIRE   DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

tis  SOUS  douze  numéros,  représentant  les  principales  con- 
ditions phonétiques  qui  peuvent  modifier  la  transforma- 
tion des  voyelles. 

Les  huit  premiers  numéros  nous  montreront  la  voyelle  à 
étudier  séparée  delavoyellesuivanteparune  seule  consonne, 
ouen  hiatus  avec  cette  voyelle.  Les  quatre  dernières  divisions 
seront  consacrées  aux  différents  cas  où  la  voyelle  est  sépa- 
rée de  la  voyelle  suivante  par  deux  ou  plusieurs  consonnes. 

Sous  les  numéros  1  à  3  et  9  à  11  la  voyelle  se  trouvera 
soustraite  à  toute  influence  de  gutturale,  d'e  ou  i  conson- 
nifiable,  ou  d'i  final. 

Voici  au  surplus  l'indication  précise  des  conditions  re- 
présentées par  chaque  numéro  : 

1°  Voyelle  suivie  de  toute  autre  consonne  que  /,  m  ou  n, 
ou  qu'une  gutturale. 

2°  Voyelle  suivie  de  /. 

3°  Voyelle  suivie  de  m  ou  n. 

4°  Voyehe  en  hiatus  avec  e  ou  i,  ou  séparée  de  e  ou  i 
consonnifiable  par  toute  autre  consonne  qu'un  c  ou  un  t, 
ou  soumise  à  l'influence  d'un  i  final. 

0°  Voyelle  séparée  de  e  ou  i  consonnifiable  par  un  c  ou  un  t. 

6°  Voyelle  suivie  d'un  g,  ou  d'un  c  suivi  lui-même  de 
toute  autre  voyelle  qu'un  e  ou  i  consonnifiable. 

7°  Voyelle  précédée  médiatement  ou  immédiatement 
d'une  gutturale,  d'un/,  ou  d'un  e  oui  consonnifiable. 

8°  Voyelle  se  trouvant  en  même  temps  dans  les  condi- 
tions du  numéro  7  et  de  l'un  des  numéros  4,  5,  6,  ou  12. 

9°  Voyelle  suivie  des  deux  consonnes  ns. 

10°  Voyelle  suivie  de  deux  consonnes  dont  la  seconde 
est  une  liquide. 

11°  Voyelle  suivie  de  deux  ou  plusieurs  consonnes,  et 
soustraite  à  l'influence  de  toute  gutturale  et  de  tout  e  ou  i 
consonnifiable. 


TRANSFORMATION   DES  VOYELLES  ET  DIPHTONGUES.      291 

12°  Voyelle  suivie  de  plusieurs  consonnes  et  soumise 
à  l'influence  d'une  gutturale  ou  d'un  e  ou  i  consonni- 
fiable  1. 

§  729.  —  Il  va  sans  dire  que  chaque  voyelle  n'est  pas 
susceptible  de  douze  modifications  difl'érentes.  Pour  une 
voyelle  déterminée  des  conditions  diverses  amènent  sou- 
vent des  modifications  semblables,  et  plusieurs  numéros 
auraient  pu  être  réduits  à  un  seul  si  les  divisions  que  nous 
avons  adoptées  ne  devaient  pas  simplifier  plus  tard  la 
phonétique  des  consonnes.  En  outre,  une  voyelle  détermi- 
née peut  être  insensible  à  des  influences  qui  agissent  sur 
d'autres  ;  mais  il  est  utile  de  comparer  les  efïets  divers 
d'une  même  cause,  et  nos  tableaux  permettront  de  faire 
aisément  cette  comparaison  pour  le  traitement  des 
voyelles. 

On  pourrait  plutôt  nous  reprocher  de  n'avoir  pas  fait 
assez  de  divisions.  Ainsi  le  n°  4  devrait  être  subdivisé,  car 
il  représente  des  conditions  qui  aboutissent  quelquefois  à 
des  traitements  divers  d'une  même  voyelle.  Mais  nous 
avons  craint  de  compliquer  outre  mesure  un  résumé  qui 
doit  rester  élémentaire. 

Enfin  il  nous  arrivera  souvent  de  laisser  des  numéros 
sans  exemples,  quand  les  conditions  représentées  par  ces 
numéros  se  rencontrent  dans  un  trop  petit  nombre  de  mots 
ou  lorsque  les  exemples  qu'on  pourrait  citer  exigeraient 
une  discussion. 

i<  730.  —  Nous  ne  formulerons,  pour  la  phonétique  des 
voyelles,  ni  les  règles  ni  les  exceptions  ;  mais  il  sera  fa- 
cile de  déduire  les  unes  et  les  autres  des  exemples  que  nous 
avons  réunis.  Certaines  exceptions  sont,  à  proprement 
parler,  des  appUcalions  de  lois  diflerentes.  D'autres  s'ex- 

1.  Le  c  n'agit  pas  sur  la  voycllo  qui  précède,  lorsqu'il  est  redoublé 
et  suivi  (le  a,  o  ou  u.  Voyez  l'exemple  do  vaccam,  §  733,  11». 


292  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

pliquent  pai'  une  modification  de  la  quantité  dans  le  latin 
populaire  ou  par  des  influences  analogiques,  euphoniques 
ou  savantes. 

§  731.  —  Dans  les  exemples  latins  ci-dessous  tous  les 
noms  ou  adjectifs  seront  mis  à  l'accusatif,  parce  que  c'est 
la  forme  dérivée  de  l'accusatif  latin  qui  s'est  maintenue  en 
français  (Voy.  §  80). 

§  732.  —  Pour  chaque  exemple  français,  la  forme  an- 
cienne, quand  elle  diftere  de  la  forme  actuelle,  ne  sera 
donnée  qu'à  la  partie  du  mot  pour  laquelle  l'exemple  est 
proposé  *. 


733.  —  A  tonique. 


1» 


2° 


3° 


cantare : 

chanter 

poi'tatum  : 
sanitatem  : 

porté  ^ 
santé 

*  comitatum-. 

comté 

clavem  : 

clef 

pa.rem  : 

per  [pair) 

malum: 

mal 

malos  : 

mais,  maux 

legalem  : 
hospitalcm: 

loyal 
hôtel 

capitakm  : 
sdam  : 

cheptel 
ele  (aile). 

granum  : 

grain 

manum  : 

main 

*  demane  . 

demam 

amas: 

aimes. 

1.  Je  dois  avertir  aussi  que  les  c  ou  è  l'rançais  seront  accentués  con- 
formément il  la  prononciation  actuelle.  Nous  ne  pouvions  aborder  ici. 
la  question  délicate  de  la  prononciation  au  moyen  âge. 

1.  Dans  une  partie  de  l'Est,  le  produit  do  Va  latin  (1°)  est  souvent  ei 
au  lieu  de  é.  Joinville  écrivait  ijorlei  au  lieu  de  porté. 


TRANSFORMATION   DES  VOYELLES  ET  DIPHTONGUES.      293 


5° 


70 


9" 


aere^n  : 

aiv 

ha.beam: 

aie 

sapio, 

sai  (indicat.  prés,  de  savoh^) 

*  sapiwm  : 

i  saive  (autre  forme  de  sage) 
\        sage 

sapiam  : 

sache 

aream  : 

aire 

paria  : 

paire 

*  quadrariam  : 

carrière 

januarhim  : 

janvier 

cantsivi  : 

chantai 

castaneam  : 

châtaigne 

*  montaneam  : 

montaigne,  montagne 

cxtraneum  : 

étrange 

psileam  : 

paille 

vaileat  : 

vaille. 

/"acio  : 

faz  (indicat.  prés,  de  faire) 

/aciam  : 

face  (fasse) 

pZateam  : 

place 

paZatium  : 

palais. 

CflfmeracMm: 

Cambrai 

pacat  : 

paye 

fAcit  : 

fait 

p/acei  : 

plais  1,  pla^t 

pacem  : 

pais,  paia? 

medi&tsdem 

moitié 

ca.7iem  : 

chien 

catmt  : 

cftief,  cheî 

Iractarc  '. 

traitier,  traiter 

lax.are  : 

laissier,  laisser. 

jacet  : 

fl'ist,  gît 

ccraseam  : 

cerise. 

Irans  : 

très 

rematisum  : 

renies  (part,   passé   du   vieux 

verbe  remanoir). 

294 


GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 


10» 


p&trem  : 

père 

labra  : 

lèvre 

ca»i(e)mm: 

chambre 

mutAb{i)lem  : 

{0 

cabsillum  : 

muable. 

cheval 

vsiccam  : 

vache 

as{i)num  : 

flsne,  âne 

male-sap[i)diun  : 

maussade 

altenim  : 

altre,  autre 

aiDiiim  : 

an 

corad{i)cum  : 

9o 

courage. 

grammsd{i)cam  : 

grammaire 

factum  : 

fait 

planctiim: 

plaint 

gubernsic[u)lum.  : 

gouvernail 

plac{e)re  : 

plaire 

acrem  : 

aigre 

macrum  : 

maig-re. 

§  734.  —  A  de  la  syllabe  iiiitiale 

10.30 

hsibére  : 

avoir 

*  abante  : 

avant 

ad  (proclitique)  : 

à  (préposition) 

maritum  : 

mari 

valére  : 

valoir 

pandrium  : 

panier. 

m{e)am  (proclitique)  : 

ma 

natdlcm  : 

noel 

*  pratùllum: 

prael,  prèau 

*  habûtum  : 

où,  eu,  eu. 

40.60 

habedtis  : 

ayez 

sapidtis  : 

sachiez 

*  valediitem  : 

vaillant 

facicntvm  : 

faisant 

TRANSFORMATION  DES  VOYELLES  ET  DIPHTONGUES.      295 


rsitiônem  : 

raison 

pacdre  : 

payer 

lilacébat  : 

~0 

plaisait. 

1 

cabdllum  : 

chewaX 

*  catriinum  : 

chemin 

*  c8L7mtu7n  : 

chanu,  chenu 

calôrem  : 

chaleur. 

8» 

'  jacéntem  : 

gisant 

csiryôphyllon 

giroÙe. 

90-11° 

transvérsus  : 

travers 

Isitrônem: 

larron 

'psirtire  : 

partir 

castéllum  : 

chasteau,  château 

cantdre  : 

chanter. 

12" 

SLdjutdntem  : 

aidant 

tra.ctdre  : 

traiter 

la-s.dre  : 

laisser. 

§735. 

l" 
(tcbére  : 

—  E  long  tonique. 

deveî'r,  devoir 

débet  : 

deit,  doit 

.-iénim  : 

seir,  soir 

crédit  : 

creit,  croit 

hnbébat: 

aveit,  avoil,  avait 

ciétam: 

creie,  croie,  craie 

2° 

catidMam  : 

(  chandeile,  chandoile 

(  chandelle 

vêla  : 

veile,  voile. 

3" 

avénam  : 

aveine,  avoine 

vénam  : 

veine 

plénum  : 

plein. 

40 


débeo  '. 


dci,  doi 


296 


GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 


débeam  : 

deie,  doie,  {doive) 

sépiam  : 

sèche 

fériavi  : 

îeire,  foire 

féci: 

f(S. 

5° 


*  tapétiuin 

thécam  : 
régem  : 
légem  : 


tapzs. 

teie,  toie,  taie 
rei,  roi 
lei,  loi. 


9° 


10° 


11» 


12» 


ceram  : 

mercédem  : 

placére  : 
> 

ménsem  : 
ténsam  : 
pénsuin  : 

fléb{i)lem  : 

déb{i}tam  : 

véndere  : 
> 

diréctum  : 
téctum  : 
créscîï  : 


c?re 

merci 

plaisir. 

meis,  mois 
teise,  toise 
peis,  pois  (poi(fs). 

(  feible,  foible,  îaihla 
[  feble. 

l  deite,  doite 
f  dette 
vendre. 

dreit,  droit 

ieit,  toit 

creist,  croisl,  croî 


§736.  —  E  long  de  la  syllabe  initiale. 
10.30 

de  (proclitique)  :  de  (préposition) 

debére  :  devoir 

desiderat  :  désire 

zelôsum  :  jaloux 

rredébat:  creoit,  croyait. 
40- G" 

debedtis:  deiez,  doyez  [deviez.) 


TRANSFORMATION  DES  VOYELLES  ET  DIPHTONGUES.      297 
legdlem:  leia],  loyal 

secûrum:  seiir,  sûr. 

\  peser 
\  penser. 


penfiâre  : 


12° 


tectûram 


tolliue. 


§737. 

—  E  ère/"  tonique. 

10.30 

brévem  : 

brief,  bref 

sédet  : 

siet  (du  verbe  seoir) 

férum  : 

ficr 

pédcm  : 

pied 

mél  : 

miel 

fél: 

fie\ 

vénit  : 

vient 

ténet  : 

lient 

gémit  : 

gtent  [geint] 

trémit  : 

crient  (cramf). 

mè{u)m  : 

mien 

méam 

Ao 

me/e,  moie. 

ministérium  : 

métier 

fjirjérium  : 

gésier 

fériat 

fierg^e  (de  férir) 

médium: 

mi 

*  sédium  : 

siège 

ténid  : 

tinc  (fins) 

*perdédi: 

pordi  (!'■«  pers.  de  l'ancien  pré- 
térit) 

vénio  : 

vienc  (viens) 

véniut  : 

\ienge  [vienne) 

mélius  : 

miels,  mieux 

mélior  : 

nuc'ldre,  mieudre  (cas  sujet  de 
meilleur). 

5° 

spéciem  : 

épice 

2M'étiMm  : 

pris,  pria; 

Venétiam: 

Venise. 

17. 


298 


GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 


60 


8° 


10° 


11' 


12» 


précat : 
déccm  : 
légit  : 

0 

gélu 

gémit 

ingénium: 
evivîgélia  : 

fébrem  : 
lép{o)rem  : 
gén{i)rum  : 

tréin{u]lat: 
> 

I 

séptem  : 
inférnum  : 
perd  ère  : 
téstam  : 
novéllam  : 
novéllos  : 
agnéllos  : 

méd{i)cum: 

tértium  : 
quutérnio  : 
*néptiam  ' 

a 

pèctns  : 
dispéctum  : 
léctum  : 
*véc[it)lum  : 


prie 
dis,  dix 
lit 

gie\  (mot  qui  a  servi  à  former 

dégel) 
gient  (geint). 

engin 
évangile. 

îiéwe 
lièvre 
gendre 
tremble. 

sepL 

enfer 

pe;'dre 

teste,  tête 

nouvelle 

nouvels,  nouveaux 

agnels,  agneaux 

I   mege, 

■   miege 

f  mire  (sous  l'influence  du  c). 

tiers 

cahier 

nièce 

pis 
dépit 
liL 
vieil 


§  738.  —  E  bref  de  la  syllabe  initiale. 


l°-3» 
sedére 


seoir 


TRANSFORMATION  DES  VOYELLES  ET  DIPHTONGUES.      299 


ferire  : 

férir 

levdre: 

lever 

veitire: 

venir 

leonem  : 

lion 

sedébat  : 

seoit,  seyoït,  soyaif. 

40.60 

medietdtem  : 

meitié,  moitié 

meliôrem  : 

meilleur 

prendre  : 

premer,  proisier  {priser) 

precdre  : 

preier,  proier  (prier) 

recéntem  : 

reisant,  rowant  (vieux  mot  qiû 

To 

a  le  sens  de  récent). 

geldre  : 

geler 

cerdseam  : 

cerise. 

100-110 

trem{u)ldre  : 

trembler 

februdrium  : 

février 

perdébat  : 

perdait 

mercdtum  : 

marcbi'' 

2)er  (préfixe  et 

prèpo- 

silion)  : 

por 

'bellitdtem  : 

belté,  beauté. 

d2o 

i  eissue,  Oîssue 

*exîttom  : 

1                        ' 

if  issue 

eccc-hic  : 

ici 

ex  (préfixe)  : 

es,  é. 

1°-^" 


ripam  : 
auditum  : 
venirc  : 
occisum  : 
filum  : 
vilem  : 
*inem.  : 
livinum  : 


§  739.  —  I  lonff  tonique. 


nve 

ouï 

venir 

occis 

fil 

vil 

fin 

devin 


300 


GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 


40 


6° 


70 


dû" 


siispiriu7n  : 
tibiam  : 

soupir 
lige 

cet'visiam  : 

cevveise,  cervoise 

artemisium  : 

armeise,  armoise 

viyieam  : 

vigne 

lineam  : 

ligne 

lineum  : 

linge 

lilium  : 

lis 

filicm  : 

lille. 

salsiciam  : 

saucisse. 

sic  : 

dicat  : 

si  (adverbe) 
die  {dise) 

amicum  : 

ami 

dicit  : 

dit 

imperatricem 

empereris  (vieux   mot 
gnifle  impératrice). 

ginghHtm  : 

gencive 

vicinum  : 

voisin. 

libram  : 

livre 

lih{e)rat  : 
desid{e)rat  : 

livre  (de  livrer) 
désire. 

11° 


12« 


villam  ; 

) 

dijcit  : 

2)eric{u)liim  : 
clavic{u]lam  : 

*somnic{u)lum 


qui    si- 


ville 

dist 

péril 

cheville 

sommeil. 


§740. 

10.30 
ridéntem  : 
fiddre  : 
hïhérnum  : 


I  long  de  la  syllabe  initiale. 


riant 

fier 

hiver 


TRANSFORMATION  DES  VOYELLES  ET  DIPHTONGUES.      301 


vivéntem  : 

vivant 

divinum  : 

divisât  : 
fildre  : 

devin 
devise 
filer 

*limônem  : 

dimidium  i 
finir  e  : 

limon 

demi 

fenir  (finir). 

40.C0 
*Hnedticum  : 
filidstrum  : 
dicébat  : 

lig-nage 

fillastre  (beau-fils) 

disait 

vicinum  : 

veisin,  voisin. 

lOo-ll» 

lib{e)rdre  : 
"villdnum  : 

livrer 
vilain . 

12° 

di^isti  : 

disis,  dc5is  (dis,  2®  personne  da 
prétérit). 

1° 


20 


3° 


viam  : 
bibit  : 
i;itZef  : 
pim  : 

pilum  : 

minus  : 
sinum  : 


BREF  (comparez  avec  Te  long). 
§  741.  —  I  bref  tonique. 

veie,  voie 
beit,  boit 
veit,  voit 
peire,  poire. 

peil,  poil. 

.meins,  moins 
sein. 


niveam: 

invidiam  : 
tineam  : 
mirabilia  : 
consilium  : 


(  neige,  noige 

j  neûfe 

envie 

teigne 

merveille 

conseil. 


302 


GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 


6° 


10° 


11° 


12,^ 


pigritiam  : 

parece,  paresse 

t7'istitia7n  : 

tristece,  tristesse 

servitium  : 

servise,  service 

justitiam  : 

juslise,  justice 

*  superpellicium: 

surplis 

vitium  : 

vice. 

plicat  : 

1   pleie,  ploie 
,   plie 

picem  : 

peis,  pois,  poia". 

cilium  : 

cil 

exilium  : 

exil. 

pip{e)rem  Z 

peevre,  poivre 

vitrum  : 

y  veirre,  voirre 
(  verre 

tonitru  : 

\  toneirre,  tonoirre 
}  tonnerre 

cin{e]rem  : 

cendre. 

mittere  : 

mettre 

vir{i)dem  : 

vert 

capillos  : 

chevels,  cheveux 

iZ/os  : 

els,  eux 

missam  : 

messe. 

strictum  : 

estreit,  étroit 

ea;pZic(î)<u/n  : 

espleit,  exploit 

pingere  : 

peindre 

fingere  : 

feindre 

aM/'ic;M)/am  : 

oiedle 

rer»iic(u)Zu//i  : 

vermeil 

i//i: 

il  {ils) 

conduxisti  : 

conduisis. 

§  742.  —  I  à^'ef  de  la  syllabe  iniiialc. 
10-3° 

vidcre'.  veoir  [voir] 


TRANSFORMATION  DES  VOYELLES  ET  DIPHTONGUES.      303 
miséllum  : 


pildre  : 

bildnciam  : 

*  mindre  : 
vidébat  : 
bibéntcm  : 
*  fimdrium 
40.60 

titioncm  : 

plicdre  : 

ligâmen  : 

licére  : 
lOo-ll» 

it{c)rdre  : 
virtùtem  : 

silvdticum  : 
•12° 

Yiisciônem  : 
cinctùram  : 
pitigébat  : 
fingéntem  : 
vis{i}ldrc  : 


mesel  (vieux  mot   qui   signifie 

misérable,  lépreux) 
peler 

balance 
mener 

veoit,  voyait 

bevant,  buvant 

femier,  fumier. 

twon 

\  plaer,  ployer 

(  plier 

^  leien,  loien 

(  lien 

leJsir,  loîsir. 

errer  (au  sens  A'aller) 
vertu 

salvage,  sauvage. 

peîsson,  poisson 

ceinture 

peiginait 

feiV/nant 

veiller. 


§  743.  —  O  long  tonique. 


1« 


florem  : 
horam  : 
plorat  : 
•iororem 

amorem  : 
votum  : 
*  pietosum  : 
gloriosum  : 

zclosum  : 


flor  ',  fleur 

hore,  heure 

plore,  pleure 

seror(cas  régime  de  sœur) 

amor,  amour 
vot,  veu  (vœu) 
pitos,  piteux 
glorios,  glorieux 

Jalos,  jaloux. 


1.  Dans  les  textes  anglo-normaïKls,  c'est  un  u  qui  correspond  ;\  l*o 
long  tonique  latiu  :  flur,  etc. 


304 


2° 


solwn 


3° 


40 


GRAMMAIRE   DU  VIEUX   FRANÇAIS. 


sol,  seul. 


9° 


10» 


11' 


donum  : 
Romam  : 
leonem  : 

don 
Rome 

lion 

pavonem  : 

0 

paon. 

dormitorium  : 
gloriam  : 
cydonium  : 
testimoninm  : 

a 

dortoir 
gloire 

cooing  (coing) 
témoin. 

vocem  : 

5 

\ois,  voix. 

*coperit  : 

cuexre  (couvre). 

cogitât  : 
3 

cuide  (de  cuider  :  penser). 

tonsiun  : 

tos,  teus  (vieux  mot  qui  signifi 

sponsum  : 

jeune  garçon) 
époux. 

rob{u)r  : 
cop[n)lum  : 
■pon[e)re  : 

rovre,  rouvre 
copie,  couple 
pondre. 

nom.[i)nat  : 
o?"(u)Za?n  : 
formam  : 

nomme 

orle,  ourle  (d'où  ourlet) 

forme,  fourme  (forme) 

or?iat  : 

orne,  ourne  (or7ie) 

cortem  : 

coït,  cour. 

12° 


*boscum 


bois. 


§  744.  —  O  long  de  la  syllabe  initiale. 
10.20 

plordre  :  plorer,  plourer  (pleurer) 

noddre  :  noer,  nouer 

jiro  (préposition)  :  por,  powr. 


TRANSFORMATION  DES  VOYELLES  ET  DIPHTONGUES.      305 


donàre : 
Romdnurn  : 
40.60 

potionem  : 
otiosum  : 

vocdlem  : 

70 

copé7'titm  : 

cohire  : 
8^ 

cogitdre  : 
9° 

sponsdre  : 

cop{ii)ldre  : 
*  corténsem  : 
orndre : 
nom{i)ndre  : 


donner 
Romain. 

poison 
oiseux 
voyel  {voyelle). 

covert,  coMver 
coler,  couler. 

cuiAev. 

esposer,  épouser. 

copier,  coupler 
cortois,  courtois 
orner,  ourner  {orner) 
nommer. 


745.  —  O  bn>f  tonique. 


1» 


2° 


3» 


novem  et  novum  : 

nuef,  neuf  ^ 

movet  : 

muet,  meut 

"potet  : 

puel,  peut 

soror : 

suer,  seur  {sœur] 

*volit  : 

vuelt,  veut 

scholam  : 

école. 

bonum  : 

bon 

/jojno  : 

hom,  on. 

morio  : 

Ç  muerc  (meurs) 
(  muà" 

1.  La  fliplitonguc  issue  de  Vo  bref  touique  est  souvent  écrite  oc  au 
lieu  de  lie. 


306 


GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 


moriant  : 

(  muerg-ent  {meurent 
1  mwirent 

memoriam  : 

mémoire 

hodie  : 

hui 

podium  : 

pwî  (vieux  mot  :  montagne) 

*voliam  : 

wueiWe,  veuille 

folia  : 

fueJle,  feuille 

oleam  : 

huile. 

8° 

noceam  : 

nuise. 

6" 

locat  : 

leue  (loue) 

focum  : 

feu' 

locum  : 

-  leu,  lieu 

nocet  : 

nuist,  nuit. 

70 

cor  : 

cuer,  cœur 

cowies  : 

cuens  (cas  sujet  de  comte). 

8» 

coquit  : 

cuit 

corium  : 

cuir. 

10°  11° 

pop{u)lum: 

pueple,  peuple 

coin[i)tem  : 

comte 

sol{i)dum  : 

sol,  sou 

foUem  : 

fol,  fou 

portian  : 

port 

portât,  portam  : 

porte 

fortem  : 

fort. 

12" 

*pocsum  : 

nuis  (depoufoiy). 

noctem  : 

nuit 

octo  : 

huit 

ostream  : 

hu/slre,  huitre 

oc{u)lum  : 

weil,  œil 

*aboc{u)lum  : 

aveuQ'le. 

1.  L'eu  de  feu  est  le  produit  de  la  corabinaisou  de  ïo  tonique  de 
focum  avec  Vu  atone,  après  la  chute  du  c.  La  forme  antérieure  à  feu 
est  ^ou. 


TRANSFORMATION   DES  VOYELLES  ET  DIPHTONGUES.      307 


§  746.  —  O  bref  de  la  syllabe  initiale. 


1°  bovarium: 

bovier,  boMvier. 

movére  : 

moveir  *,  mouvoir 

potére  : 

poeir,  poMoir,  pouvoir 

*morire  : 

morir,  mourir 

sorôrem  : 

soror,  seror  (cas  régime  de  sœur) 

2»  colorem  : 

coleur,  couleur. 

voléntem  : 

volant,  voulant 

dolôrem  ■• 

dolor,  douleur 

voldre 
3° 

*  vomire  : 

voler. 

vomir 

sondre  : 

/l-O 

sonner. 

'■t 

*  [ad\podidre  : 
6» 

locdre  : 

[ap]poj/er  {appuyer) 

loer,  louer 

focdrium  : 

foyer 

nocébat  : 

"70 

nuisait. 

corona  : 

coronne,  couronne 

*coraticum  : 

corage,  courage 

coiûbram  : 
8° 

cochledre  : 

coluevre,  couleuvre. 

CMïller 

IQO-Ho 

com{i)tatu'in  : 

comté 

0'(){e)rare  : 

ovrer,  ouvrer 

rot[ii)lare  : 

roUer,  rouler 

sol{i)ddre  : 

solder,  souder 

portdre  : 

porter 

iJorccUum  : 

porcel,  pourceau. 

§  747. 

U  long  tonique. 

10.30 

nudum  : 

nu 

1.  Dans  les  textes  anglo-normands,  c'est  un  u  qui  correspond  à  lo 
bref  de  la  syllabe  initiale. 


308 


GRAMMAIRE  DU  VIEUX  FRANÇAIS. 


4° 


50 


6» 


11» 


12< 


murum  : 
plus  : 
mulam: 

mur 
plus 
mule 

unum  : 
lanam  : 
plumam: 

un 

lune 

plume. 

"pertusium: 
junium  : 

pertuî 
juin. 

minutiat  : 
luceat  : 

me  nuise 
luise. 

lactucam  : 
conducit  : 

laitue 

conduit 

luiit. 

cupawi: 

cuve. 

acutiaf  : 

aiguise. 

*adlum{i)nat  : 
consuetud{i)nem  : 
nullum  : 
fustem  : 

allume 
coutume 
nid 
fusl,  fût. 

fructiim  : 
destructum  : 
tructarn  : 
ducie)re  : 

fruit 
détruit 
truite 
duire. 

§  748.  —  U  lo7ig  de  la  syllabe  initiale. 
l«>-3° 


dur  are  : 

durer 

*mulittum  : 

mulet 

fumdtam  : 

fumée 

40.60 

Vu/ii«um: 

juillet 

f'usiônem  : 

foison 

IvLCéntem  : 

luisant 

TRANSFORMATION  DES  VOYELLES  ET  DIPHTONGUES.      309 


70 


HO 


ducébat  : 
mucére  : 

junîperum  : 

[ad\lum{i)7idre  : 
*niiUûi  : 


12° 


du-KÎsti  : 


dwisait  (du  vieux  verbe  duire) 
moisir. 

genièvre. 

[aljhtmer 

nitlui  (datif  de  md). 

dm'sis. 


U  BREF  (comparez  avec  l'o  long) 
§  749.  —  U  bref  tonique. 


10-2° 

duas  : 

does,  dewes  (féminin  de  deux) 

tuam  : 

toe,  lewe  (ancien  fén^iniu  de  tien] 

gularn  : 

gole,  gueule 

lapum: 

lew,  lo?(p. 

30 

snmus  : 

sommes. 

40.60 

*ebureiim  : 

ivoire 

cuneum  : 

coin 

puteum  : 

pm'ts 

nucem  : 

nois,  noix 

crncem  : 

70 

colnbram  : 

crois,  croix. 

coulMcvre, couleuvre 

récupérât  : 

recMcvre  [recouvre) 

juvenem  : 

jitene,  jeune. 

80 

*  cnpreum  : 

cuivre. 

Qo 

lup{a)ram  : 

lovre,  loMvre 

num{e)7'um: 
colxxmnam  : 

nombre. 

colonne 

dub{i)tat  : 

dote,  doMle 

turrcm  : 

tor,  tour 

310 


GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 


furnum  : 

diurniim  : 

gustum  : 

ulmum  : 

multum: 

luscom  : 
190 

for,  foMr 

jor,  jour 

gost,  gousl 

orme,  owrme  (orme) 

molt,  moull 

losche,  lousche. 

luscum  : 
a7tgustiam  : 
mîictum  : 
veruc{u)lum  : 
*  genuc{ujlum  : 

lois  (vieux  masculin  de  louch 

angoisse 

joint 

verouil,  verrou 

genouîl,  genoM. 

§  750.  - 

subînde  : 

*guldtam: 
3» 

t(u)nm  (mot  pr 
50-6° 

crucidtam  : 

nuco/e/w  : 
70 

-  U  bref 

de  la  syllabe  initiale. 

sovent,  soitvent 
golée,  goulée. 

oclUique) 

:  ton. 

croisée 
noal,  noyau. 

s 

cubdre  : 
1» 
dub{i)tdre  : 
curréntem  : 
suc/fws  (préposi 
su6î;(^nt7  : 

su6»idne/  : 

cover,  couver. 

lion)  : 

doter,  douter 
corant,  courant 
SOS,  sous 
sovieut,  souvient 

somont,  scmont 

succi<r5t/m 

secours,  secours. 

§  751.  —  L'y  est  traité  tantôt  comme  un  i,  tantôt  comme 
un  u.  Ainsi  presbyterum  donne  preveire,  provoire,  prou- 
V3iire,  comme  si  la  voyelle  tonique  était  i  bref  ;  et  byrsa 
donne  /orse,  bourse,  comme  si  on  avait  un  m  bref  to- 
nique. 


TRANSFORMATION  DES  VOYELLES  ET  DIPHTONGUES.      311 

Diphtongues, 

1.  JE,  œ. 

§  752.  —  Ces  deux  diphtongues  étaient  devenues  e  dans 
le  latin  populaire,  tantôt  e  bref  et  tantôt  e  long  :  prsedam, 
devenu  'prédam,  a  donné  pi^eie,  proie;  Isetutn,  devenu 
lédun,  a  donné  lié  (joyeux),  etc. 

2.  Au. 

§  753.  —  La  diphtongue  au,  tonique  ou  à  la  syllabe 
initiale,  est  traitée  comme  un  o  bref  suivi  de  plusieurs  con- 
sonnes, c'est-à-dire  qu'elle  se  change  en  o  : 

causflm  :    chose        auriculam  :  oreille 
SLurum  :  or  *ausare  :  oser. 

^  754.  —  Suivie  d'un  c  ou  d'un  e  ou  i  consonnifiable, 
•cette  même  diphtongue  devient  oi  : 

gaudia  :  joie  Audiâtis  :    oyez 

*aucam:  oie*  auciônem:  oiso?i. 

§  755.  —  Il  faut  remarquer  que  o  issu  de  au  latin  est 
devenu  ou,  toutes  les  fois  qu'en  français  il  s'est  trouvé  suivi 
d'une  voyelle  : 

IsiVidat  :  \oe,  loue  &ndire  :  oïv,  ouïv. 

§  756.  —  Le  mot  cauda  (français  coe,  queue)  fait  excep- 
tion aux  règles  ci-dessus,  parce  que,  dès  l'époque  latine,  il 
s'était  transformé  en  coda. 

1.  On  trouve  aussi  la  forme  oe,  puis  oice,  sans  influoiice  du  c.  Oie 
n'est  peut-être  qu'une  modification  euphonique  de  oe. 


DEUXIEME  PARTIE 

TRANSFORMATION    DES    CONSONNES 


LOIS    GENERALES    DES    CONSONNES 

§  757.  —  Sous  réserve  des  exceptions  que  nous  aurons 
l'occasion  d'indiquer  à  propos  de  chaque  consonne,  on 
peut  dire  que  la  transformation  des  consonnes  latines  en 
consonnes  françaises  est  soumise  aux  grandes  lois  sui- 
vantes : 

1°  Les  consonnes  latines  se  maintiennent  quand  elles 
sont  au  commencement  des  mots  (ou  après  les  préfixes), 
ou  quand  elles  sont  après  une  autre  consonne  et  devant 
une  voyelle  : 


cor  : 

cœur 

*vincutum  : 

vaincu 

[dejgradum  : 

[dejg^ré 

duh{i)tat  : 

dou^e 

dicit  ; 

dit 

mordentem  : 

mordant 

turrem  : 

tour 

lectiim  : 

m 

patrem  : 

père 

impemtorem  : 

empereur 

aorem  : 

^eur 

alham  : 

au6e. 

[siib]venit  : 

[soujuient 

2°  Entre  deux  voyelles,  ou.  après  une  voyelle  et  avant 
une  autre  consonne. 

Les  gutturales  (c  g)  se  changent  en  y  (écrit  i  ou  y). 

Les  labiales  (p,  b,  f,  v)  se  réduisent  à  v  (sauf  f  qui  se 
maintient). 

Les  dentales  tombent,  après  s'être  réduites  h  d. 

Exemples  : 

Gutturales  :  pacare  :       pa?/er 
factum  :       fait 


TRANSFORMATION   DES  CONSONNES 
Labiales 


313 


fahsim  :  fève 

/ep(o)rem  :  lièvre 

Dentales  :      vitam  :  vie  (d'abord  vide) 

patrem:  père  (d'abord  pédre). 

3°  Quelle  que  soit  leur  place,  Vs,  les  liquides  (/,  r)  et  les 
nasales  {n,  m)  se  maintiennent. 


soror  : 

sœur 

ciirsam  : 

course 

hmom  : 

Zune 

clavem  : 

cZef 

ripam  : 

rive 

prœdam  : 

proie 

nomen  : 

nom 

dec{i]mam 

:  dî?ne 

mt<n<m  : 

mur 

causam  : 

chose 

pastam  : 

paste  (pâte) 

valere  : 

valoir 

altum  î 

haa  (haut) 

perij-e  : 

périr 

*  partir e  : 

partir 

*  panarium  : 

;  panier 

man[i]cam 

:  manche. 

4"  Les  liquides  se  prononcent  difficilement  après  certai- 
nes consonnes,  précisément  après  les  consonnes  énumé- 
rées  sous  le  n"  3  (une  s,  une  autre  liquide  ^  ou  une  nasale). 
Aussi  CCS  groupes  de  consonnes  ne  se  trouvent-ils  pas  dans 
la  langue  latine  ;  mais  la  (  hute  des  voyelles  atones,  dans 
la  transformation  du  latin,  a  fait  souvent  que  deux  con- 
sonnes, qui  étaient  d'abord  séparées  par  une  voyelle,  se 
sont  trouvées  réunies.  Lorsqu'il  était  difficile  de  les  pro- 
noncer ensemble,  une  nouvelle  consonne  s'est  introduite 
entre  les  deux  ;  car  il  est  plus  commode  de  prononcer  stra 
que  sra. 

Kntre  /  ou  n  d'une  part,  et  r  de  l'autre,  la  consonne  eu- 
phonique est  un  d  : 

'môl{e)re      donne  mo?dre  (devenu  moudre) 
gén{c)rum      —      gendre. 

1.  Toutefois  r  et  s  peuvent  être  suivis  de  l  :  parler,  w.aslc  (devenu 
mâle). 

Clédat.  18 


314  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

Entre  s  et  r,  la  consonne  euphonique  est  un  ^  ; 
antecéss{o)r  :  ancestre. 

Entre  m  d'une  part  eir  ou  l  de  l'autre,  la  consonne  eu- 
phonique est  un  b  : 

câ!n(e)ram:  cliaw2bre 
*insimul  :       ense7?jb/e. 

5°  La  cinquième  loi  générale,  relative  au  cas  où  trois 
consonnes  se  suivent,  sera  formulée  plus  loin,  §  823. 

LOIS    PARTICULIÈRES    A    CHAQUE    CONSONNE 

§  758.  —  Nous  allons  maintenant  examiner  de  plus  près 
chacune  des  consonnes.  Nous  dirons  d'abord  quelques 
mots  de  l'aspiration  h,  et  nous  parlerons  ensuite  :  2°  des 
gutturales,  auxquelles  nous  joindrons  le./;  3°  des  denta- 
les; 4°  des  labiales  ;  5°  des  liquides;  6°  des  nasales;  7°  de 
l's;  8"  de  Vx  et  du  s. 

1»  H. 

§  759.  —  L'A  latine  a  disparu  en  principe,  mais  l'or- 
thographe l'a  maintenue  ou  rétablie  au  commencement 
d'un  certain  nombre  de  mots. 

A.U  lalin  howo     correspond  le  français  on 

—  haftere  —  avoir 

—  trah.ere  —  traire. 

Mais  nous  écrivons  par  une  h  :  honneur  (latin  Yionorem), 
herbe  (latin  Yierbam),  heure  (latin  lioram),  etc. 

Une  h,  tantôt  muette,  tantôt  aspirée,  s'est  aussi  in- 
troduite, sous  différentes  influences,  au  commencement 
de  plusieurs  mots  qui  en  latin  n'avaient  pas  d'A  .'  huile 


TRANSFORMATION  DES  CONSONNES.  315 

(latin  olea),  huit  (latin  octo),  haut  (lalin  altum),  etc. 
§  760.  —  Vh  se  trouve  clans  les  mots  latins  après  cer- 
taines consonnes,  notamment  après  Je  c.  Le  ch  latin  se 
prononçait  comme  un  c  dur  (k),  et  a  été  traité  comme  tel 
(voyez  ci-dessous,  §  761)  :  il  est  resté  c  dur  dans  cour  (de 
chortem),  il  est  devenu  ch  français  dans  charte  (de  charta). 
Il  a  été  quelquefois  maintenu  ou  plutôt  rétabli  dans  l'or- 
thographe française,  môme  quand  il  avait  conservé  le  son 
dur  latin,  par  exemple  dans  chœur  de  chorurn. 

2°  Les  gutturales  (c,  g,  q)  et  le  j. 


§  761.  —  Le  c  latin  avait  le  son  dur  (k)  devant  toutes 
les  voyelles.  Dans  les  cas  où  il  doit  se  maintenir  (Voyez  ci- 
dessus,  §  757,  1°)  il  n'a  conservé  le  son  dur  que  lorsqu'il 
était  suivi  en  latin  d'un  o,  d'un  w,  ou  d'une  consonne  :  cœur 
{cor),  cuve  {cupa),  clair  [clarum).  Devant  l'c  ou  Yi,  il  a  pris 
le  son  que  nous  nommons  c  doux  (ou  s  dure),  mais  il  a  con- 
tinué à  s'écrire  de  môme  : 


celum  (cœlum) 

:  ciel 

cmerem  : 

cendre 

mereedcm  : 

merci 

ciliuiii  : 

cil 

centum  : 

cent 

ecct'stum  : 

icestjCet. 

§  762.  —  Il  résulte  de  ce  qui  précède  que  la  lettre  c  a  en 
français  une  double  valeur  :  tantôt  elle  équivaut  à  un  k, 
tantôt,  quand  elle  est  suivie  d'une  voyelle  dérivée  du 
latin  c  ou  i,  elle  équivaut  a  une  .s  dure.  Comme  les  lettres 
dérivées  de  e  ou  i  lalin  sont  en  français  e,  i  ou  ie  *,  l'usage 

1.  L'e  long  tonique  est  bien  devenu  ol  en  principe;  mais,   (juand    il 


316  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

s'est  établi  de  donner  toujours  dans  la  prononciation  la 
valeur  de  Vs  dure  au  c  suivi  de  e  ou  i.  Or  Vo  latin  (ou  Vau 
dans  cauda)  a  quelquefois  produit  un  son  que  nous  écri- 
vons eu;  lorsque  cet  o  était  précédé  d'un  c,  le  c  a  conservé 
régulièrement  le  son  de  c  dur  (k),  mais  on  n'a  pu  con- 
tinuer à  l'écrire  par  la  lettre  c,  car  cette  lettre,  placée 
devant  Ye  de  eu,  aurait  dû,  d'après  l'usage,  être  pro- 
noncée c  doux  (s  dure).  Dans  ce  cas  on  a  remplacé  le  c  latin 
par  qu  (^i<eux  de  coquus,  g^^eue  de  cauda),  ou  on  a  main- 
tenu une  ancienne  graphie  du  son  eu  (ue),  et  le  c,  se  trou- 
vant alors  devant  un  u,  a  pu  être  conservé  (cuei//e  de 
colligit),  ou  bien  enfin  on  a  mélangé  une.  autre  graphie 
du  son  eu  [oe]  avec  la  nouvelle  orthographe  eu,  ou  plu- 
tôt on  a  placé  devant  eu  un  o  rappelant  Vo  du  mot  latin, 
en  écrivant  œu,  et  le  c  a  pu  encore  être  maintenu  {cœur 
de  cor). 

§  763.  —  Devant  les  voyelles  dérivées  de  l'a  latin,  le  c  a 
pris  un  son  spécial,  qu'on  a  écrit  par  ch  : 

caput  :       c/ief 
cornera  :  c/tambre 
vaccam  :    vac/ie 
caulem  :     chon. 

§  764.  —  Dans  la  partie  nord-ouest  de  la  France,  le  c 
placé  devant  l'a  latin  a,  au  contraire,  conservé  le  son  dur, 
et  plusieurs  des  mots  de  ces  dialectes  sont  entrés  ensuite 
dans  le  français  proprement  dit.  C'est  ainsi  que  le  mot 
campum,  par  exemple,  est  représenté  aujourd'hui  par 
deux  mots  français^  champ  et  camp,  qui  d'ailleurs  ont 
pris  des  sens  différents. 

§  765.  —  Dans  quelques  mots  le  c  latin  initial,  ou  suivant 

était  précédé  d'un  f,  on  a  i  au  lieu  de  oi  (voyez  le  tableau  de  l'e  long, 
n"  1). 


TRANSFORMATION   DES  CONSONNES,  317 

une  consonne,  s'est  changé  en  g  :  gonfler  (conflare),  giro- 
fle (caryophylum),  gras  (crassum),  courage  (cora(f  i  cnm). 

C  précédé  àed  a  produit  z  dans  douze  (duof/(e)dm). 

§  766.  —  Lorsque  la  consonne  qui  précédait  le  c  était 
une  s,  il  y  a  eu  souvent  métathcse,  le  c  a  passé  devant  Vs  : 
pascif,  cognoscat,  etc.,  ont  été  traités  comme  si  on  avait 
dit  :  pacsi/,  cognocsat.  Une  métathèse  semblable  explique 
les  mots  cAflnome(canon(i)cum),??îome(mon(a)cAum);  mais 
ces  mots  ne  sont  pas  entièrement  populaires.  Comparez 
manche,  de  man[i)cam. 

§  767.  —  Comme  nous  l'avons  dit  dans  la  règle  géné- 
rale 2,  le  c  entre  deux  voyelles,  ou  avant  une  autre  con- 
sonne (et  ne  commençant  pas  le  mot),  s'est  changé  en  un  y, 
écrit  i  ou  y,  qui  s'est  ajouté  à  la  voyelle  précédente  ou 
confondu  avec  elle,  ou  qui  a  mouillé  la  consonne  suivante. 
On  trouvera  des  exemples  de  ces  faits  dans  les  tableaux 
des  voyelles,  sous  les  n°'6  et  12.  On  remarquera  que  lors- 
que la  voyelle  qui  suivait  était  un  e  ou  un  i,  le  c  a  pu 
produire  aussi  une  s  .*  placet  :  pla?,st,  vicinum  :  \oisin, 
decimam,  dî'sme. 

i;  768.  —  Lorsque  le  c  était  placé  après  un  0  ou  un  u,  et 
avant  un  a,  un  0  ou  un  u,  il  est  complètement  tombé  : 
loue  (locat),  laitue  (lactuca),  etc.  Après  e  ou  a,  le  c  tombe 
aussi  devant  u,  dans  seiir  (sûr)  de  securum,  pieu  (plu)  de 
*placutum,  font  de  *facunt. 

^  769.  —  Entre  un  a  d'une  part,  et  d'autre  part  un  0,  un  n 
ou  une  ?',  le  c  a  pu  se  changer  on  ,7,  précédé  ou  non  d'uni; 
agu  ou  aigu  (aculum),  aiguiser  (acu tiare),  ?«aigre  (marrum). 

§  770.  —  Le  c  dans  le  corps  des  mots,  suivi  d'un  e  ou  i 
consonnifiable  (voyez  §  723),  a  produit  tantôt  is,  tantôt 
un  c  doux  écrit  souvent  ss  (ou  un  z  à  la  fin  du  mot). 
Pour  les  exemples,  voyez  les  tableaux  des  voyelles  sous 
le  n°  3. 


is. 


318  GRAMMAIRE  DU    VIEUX  FRANÇAIS. 

§  771.  —  Quand  deux  c  se  suivent,  le  second  est  traité 
régulièrement,  mais  le  premier  tombe  sans  produire  y  : 
vaccam  a  donné  vache,  sicciun  :  sec.  Toutefois,  quand  le 
second  c  est  placé  devant  e  ou  i,  et  doit  par  conséquent  de- 
venir c  doux,  le  premier  rentre  dans  la  règle  ordinaire  et 
développe  un  y  qui  agit  sur  la  voyelle  précédente  : 
eccistum  a  donné  icest. 

G. 

§  772.  —  Le  traitement  du  g  offre  des  exceptions  ana- 
logues à  celles  qu'on  rencontre  pour  le  traitement  du  c. 

Dans  les  conditions  de  la  règle  générale  1,  c'est  seule- 
ment devant  les  voyelles  issues  de  o  et  m,  et  devant  les 
consonnes,  que  le  ^  a  conservé  le  son  dur  latin  :  goutte 
(^utla),  goujon  (^obionem),  grand  (^randem).  Devant  les 
voyelles  latines  a,  au,  e,  i,  il  s'est  changé  en  q  doux  (écrit 
g  ouj)  : 


9'ambam  : 

jambe 

(/abatam  : 

joue 

Q'audia  : 

joie 

g-enerum  : 

gendre 

gfingivam  : 

gencive  * 

evangelia  • 

évanr/ile. 

§  773.  —  Lorsque  la  consonne  qui  précédait  le  g  était 
une  n,  au  lieu  de  se  changer  en  g  doux,  le  g  latin  a  sou- 
vent mouillé  ïn  et  changé  en  diphtongue  la  voyelle  précé- 
dente :  pldiXigebat  a  donné  «  pla/</nait».  De  môme  pla/7/iant 
(pla>?^entem)  au  participe  présent.  Le  g  s'est  maintenu 
dans  l'orthographe  ;  mais,  suivi  de  Tn,  il  indique  seulement 
que  cette  n  est  mouillée.  Les  verbes  en  cindrc,  oindre, 
aindre  offrent  tous  des  exemples  semblables.  Longe  a 

1.  On  devrait  avoir  gengive,  mais  le  second  g  s'est  changé  en  c  par 
dissimllation. 


TRANSFORMATION   DES  CONSONNES.  319 

aussi  donné  loin,  anciennement  écrit  loign  :  ici  Vn  mouil- 
lée a  disparu  dans  la  nasalisation  de  la  voyelle  précé- 
dente. 

§  774.  —  Conformément  à  la  règle  générale  2,  le  tj  entre 
deux  voyelles  ou  avant  une  autre  consonne  (et  ne  com- 
mençant pas  le  mot)  s'est  changé  en  r/,  écrit  i  ou  y  : 
pla?e  (plasam),  loyal  (legalem),  cuidev  {cog{i)(are),  etc. 

§  775.  —  Le  g  tombe  devant  ïu  dans  our  {eib%  ew,  de 
bonhewr),  qui  vient  de  augûriian,  dans  le  vieux  mot  fou 
(hêtre)  (\m  vient  de  fa^/um. 

§  776.  —  Il  tombe  aussi  devant  Vi,  dans  reine  [reine),  de 
resinam,  gaine  [gaine),  de  vaginam,  seel  [sceau)  de  sigil- 
tum,  etc. 

§  777.  —  Placé  devant  Vn,  ]e  g  a,  mouillé  cette  con- 
sonne :  agneau  (a^nellum),  poing  [pugnum).  Dans  le  se- 
cond exemple,  Vn  mouillée  a  disparu  en  uasalisaut  la 
voyelle  précédente.  Cette  nasalisation  s'est  produite  toutes 
les  fois  que  l'n  mouillée  terminait  le  mot;  c'est  ainsi  que  le 
masculin  de  maligne  est  aujourd'hui  malin.  En  l'écrivant 
avec  un  g,  comme  poing,  on  rai)pcllerait  l'ancienne  mouil- 
lure de  l'n. 

§  778.  —  Dans  imaginem,  le  g  s'est  changé  en  g  doux, 
comme  s'il  était  au  commencement  du  mot,  et  le  mot  fran- 
çais a  été  d'abord  imajnc  (écrit  imagenn);  puis  l'n  est  tom- 
bée, et  on  a  eu  :  image.  D'ailleurs  ce  mot  n'est  pas  entiè- 
rement populaire. 

Q 
§  779.  —  Cette  gutturale  latine  était  toujours  suivie 
d'un  u,  dont  le  son  précis  n'a  pu  encore  être  parraitoment 
étabh.  Dans  les  conditions  de  la  règle  générale  1,  r/u  a  pro- 
duit en  français  un  c  dur,  écrit  c  ou  qu,  quelle  que  fût  la 
voyelle  qui  suivait  : 


320  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 


quare  : 

car 

gui  : 

gui 

qidndecun  : 

guinze 

çM(i)ritare  : 

crier 

quinguaginta 

cinguante 

§  780.  —  Dans  ce  dernier  exemple,  le  qu  initial  s'est 
changé  par  exception  en  c  doux.  De  même  «  cinq»,  de  «ç'uin- 
que  ».  Il  faut  remarquer  que  dans  ces  mots  la  syllabe  sui- 
vante commençait  aussi  par  qu;  il  y  a  eu  un  phénomène 
de  dissimilation. 

§781.  —  Par  une  exception  encore  plus  rare,  qu  s'est 
changé  en  ch  dans  chascun,  de  quisque-unum. 

§  782.  —  Dans  les  conditions  de  la  règle  2,  le  qu  de 
seqnalem  [igal,  égal)  et  de  aqvL{i)lam  (aigle)  a  été  traité 
comme  le  c  de  acutum  (aigu)  et  de  macrurn  (maigre)  ^  Le 
qu  de  coquus  (queux)  est  tombé  comme  lec  de  focum  (feu), 
et  celui  de  coqnit  (cuit)  s'est  changé  en  y  (i)  comme  le  c  de 
facit  (fait).  Qu  suivi  d'un  e  consonnifiable  dans  laqueat  (lacé) 
a  été  traité  comme  le  c  de  faciat  (face,  fasse).  Quant  aux 
différentes  formes  des  mots  eau  (aquam)  et  e'uî'er  (aquarium), 
et  du  verbe  suivre  (*sequere),  elles  présentent  des  particu- 
larités dialectales  qu'il  serait  trop  long  d'expliquer  ici. 


§  783.  —  Le  j  latin  est  devenu  notre  j  français  au  com- 
mencement des  mots  :  ^'eunc  (/uvenem),  ^ouer  (jocare),  g\i 
(;acet).  Entre  deux  voyelles,  ou  avant  une  consonne,  il  a 
produit  un  y  qui  s'est  joint  à  la  voyelle  précédente  ou  con- 
fondu avec  elle  :  maire  (de  major),  piis  (de  pejus),  ma?eur 
(de  majorem);  la  forme  actuelle  «  majeur  »  a  subi  une 
influence  savante. 

1.  A  moins  qu'on  ne  voie  dans  le  g  de  égal  et  de  aigle  le  produit  de 
ïu  qui  suit  le  q. 


TRANSFORMATION  DES  CONSONNES.  321 

Les  dentales  (t,  d). 
Exceptions  à  la  loi  générale  1. 

§  784.  —  Le  c?  initial  disparaît  devant  l'i  consonnifiable 
de  diurnum,  qui  a  donné  you?\  Après  une  consonne,  le  d 
disparaît  aussi  devant  ïe  consonnifiable  dans  ordeunt  qui  a 
donné  orge.  Le  d,  lorqu'il  doit  terminer  le  mot  français, 
s'est  changé  en  t  :  grandiem)  a  donné  grant  (nous  avons 
rétabli  le  d  latin  dans  l'orthographe  de  ce  mot),  et  le  gé- 
rondif ( — anrfo)  s'est  confondu  avec  le  participe  présent 
( — an/eni)  ;  l'un  et  l'autre  s'écrivent  par  un  t.  Le  t  initial 
s'est  changé  en  c  devant  r  dans  craindre,  de  tremere. 

§  785.  — Après  un  b  ou  après  un  c,  séparé  du  t  par  une 
voyelle  dans  le  latin  classique,  le  t  se  change  en  d  :  sou- 
dain (sai?'(i)ianum),  couc?e  (cu^(i)^um),  plairf  (plac(i);um), 
plaif/er  (plac(i)<are).  Le  t  s'est  maintenu  par  dissimilation 
(à  cause  du  d  initial)  dans  doute  de  diih{l)tat  ;  toutefois  à 
côté  de  coude  {cuh[\)twn)  on  trouve  aussi  la  forme  coûte, 
qui  ne  peut  s'expliquer  par  la  dissimilation. 

s;  786.  —  Le  t  est  tombé  par  exception  après  une  autre 
consonne  dans  huis  (os^iiuii),  et  dans  les  secondes  person- 
nes du  singulier  des  prétérits  :  —  as  (de  asfi),  —  is  (de 
ïstl). 

Exceptions  à  la  loi  générale  2. 

§  787.  —  Entre  deux  voyelles,  ou  devant  une  autre  con- 
sonne, les  dentales  ne  sont  pas  tombées  dès  l'origine  de  la 
langue;  on  les  trouve  maintenues  dans  les  plus  uncions 
textes.  Ainsi,  avant  bonté  (bonita^cm)  on  a  eu  buntet,  avant 
jné  (perfem)  on  a  eu  pieà,  piet  (l'orthographe  pied  a 
reparu  au  xv"  siècle  sous  une  influence  savante)  ;  avant  veeir 
[veoir,  voir,  de  vir/cre)  on  a  eu  redeir  ;  avant  chante  (de 
cantal)  on  a  eu  chantct.  nuaiHl  la  dentale  ne  terminait  pas 


322  GRAMMAIRE  DU   VIEUX   FRANÇAIS- 

le  mot  français,  elle  était  toujours  cl,  même  à  la  place  d'un 
t  latin  :  peAre  [père  de  pa^rem),  portede  [portée,  de  por- 
ta^am). 

§  788.  — Placée  devant  une  r,  la  dentale,  avant  de  tom- 
ber de  la  prononciation,  s'est  souvent  assimilée  à  l'r,  et 
est  ainsi  que  nous  écrivons  encore  :  larron  (la^ronem), 
verre  (vi^rum),  etc. 

§  789.  —  Placées  devant  s,  les  dentales  se  sont  ajou- 
tées à  Vs  et  ont  formé  un  z,  qui  aujourd'hui  n'a  pas  d'au- 
tre valeur  qu'une  s,  et  a  été  d'ailleurs  remplacé  par  cette 
consonne  dans  un  bon  nombre  de  mots  :  minat[o)s,  par- 
ticipe passé  pluriel  de  *minare  (mener)  a  donné  menez, 
puis  menés;  minatis,  deuxième  personne  du  pluriel  de 
l'indicatif  présent  du  même  verbe,  a  donné  aussi  menez, 
forme  où  le  z  s'est  conservé. 

§  790.  —  Placé  devant  /,  le  t  s'est  changé  en  c  dans  le 
latin  populaire,  et  a  été  traité  comme  tel.  C'est  ainsi  que 
vet[u)lum,  devenu t'ec/am,  a  produit  le  français  vieil.  Dans 
quelques  mots  anciens,  qui  sont  d'origine  savante,  bien 
qu'ils  présentent  plusieurs  des  caractères  des  mots  popu- 
laires, le  t  s'est  maintenu  devant  17,  qui  s'est  elle-même 
changée  en  r  :  chapitre  (capif(u)/um),  litre  (tif(u)/um). 

§  791.  —  Le  f  s'était  également  confondu  avec  un  c  de- 
vant l'e  ou  \i  consonnifiable.  Te  et  ti  suivis  d'une  voyelle 
ont  donc  été  traités  comme  ce  et  ci  suivis  aussi  d'une 
voyelle  (Comparez  §  770). 

4°  Les  labiales  [-g,  la,  f,v). 
Exceptions  à  la  loi  générale  1. 

§  792.  —  Le  p  initial  est  tombé  dcvnntl'sdnnsles  vieux 
mots  saunie  [psalmum],  soulier  (yosaltcrium).  d  Psaume  »  et 
*t  psautier  »  sont  des  formes  savantes.  Le  v  initial  (ou  sui- 


TRANSFORMATION  DES  CONSONNES.  323 

vant  une  consonne)  s'est  changé  en  /"dans  fois  [vlcem],  en 
fj  flans  Tai'ehis  (ueryecem),  en  g  dur  dans  gué  (vadum), 
guêpe  (vespaj,  gâter  (vastare)  et  quelques  autres  mots. 

Exceptions  à  la  loi  générale  2. 

§  793.  —  Les  labiales  sont  tombées  devant  u  dans  seû 
(su)  de  *saputum,  deû  (dû)  de  *dehutum,  ot  (eut)  de  hahuit, 
clou  de  clavum,  etc. 

§  794.  —  Les  labiales  sont  aussi  tombées  devant  e  ou  i 
consonnifîable  :  ache  (de  apiwn),  sache  (de  sapiam),  aie  de 
kaloeam),  ayant  {de*haToeanfem),  cage  (de  caveam).  Toute- 
fois p  a  subi  le  changement  habituel  en  v  dans  le  vieux 
mot  saive  (autre  forme  de  sage),  de  *sapium. 

§  795.  —  B  est  également  tombé  dans  les  flexions  éham, 
éhas,  etc.,  des  imparfaits,  flexions  qui  sont  devenues  en 
français  eie  (puis  oie,  ais),  eies  [oies,  ais),  etc. 

§  796.  — Lev  entre  deux  voyelles  est  tombé  dans  viande 
{devivenda),  paon{depavonem),  ouaille  {decviculam);  mais 
ils'estmaintenu  dansvivanl,  vivais,  deviventem,  vivebam. 

§  797.  —  Lorsque  la  labiale,  placée  entre  deux  voyelles 
dans  le  mot  latin,  termine  le  mot  français,  elle  est  devenue 
/"et  non  v  :  clef  (de  clavcm),  chef  (de  cajout),  tref,  vieux 
mot  qui  signifie  tente,  (de  traiem),  vif  (de  vivum),  neuf 
(de  noi^em    ou   nouum). 

§  798.  —  Devant  /,  le  b  se  maintient,  et  le  p  se  main- 
tient ou  se  change  en  b  :  muable{de  mutab{i)lem),  hièble{de 
eb[u)lum),  peuple  (de  pop{u)lum),  double  (de  *duplum.) 

§  799.  —  Devant  les  dentales  et  devant  l's,  les  la- 
biales tombent  :  chetel  (écrit  aujourd'hui  cheptel),  de 
ca'p{i)tale;  soudain,  de  su'b{i)tonum ;  cité,  de  ci\[i)tate7n; 
oes,  vieux  mot  signifiant  «  besoin  »,  de  op(m)s.  Elles  tom- 
bent aussi  devant  une  autre  labiale  :  abé  (aujourd'hui  écrit 
abbé),  de  atihatem. 


324  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

§  800.  — Les  exceptions  que  nous  venons  d'énumérer  sont 
si  nombreuses  que  nous  croyons  utile  de  donner  ici  de  nou- 
veaux exemples  de  la  règle  2  pour  les  labiales  (change- 
ment des  p  ei  b  en  v,  maintien  de  u  et  /")  : 


capiUum  : 

cheueu 

capram  : 

chèvre 

crepare  : 

creuer 

lihrum  : 

liure 

ripam  : 

rive 

*sep{e)rare  : 

sevrer 

dehere  : 

deî;oir 

triï[o)Uum  : 

trètle 

cahallum 

cheual 

*hàb(e)rdbeo  : 

aurai  (puis  aurai). 

subinde  : 

souDent 

levât  : 

lève 

5°  Les  liquides  (1,  r). 

§  801.  —  Vr  tombe  exceptionnellement  devant  Vs  dans 
doTsum,  qui  a  donné  dos. 

§  802.  —  L7  redoublée  se  réduit  à  une  seule  /,  mais  le 
plus  souvent  la  consonne  redoublée  du  latin  a  été  rétablie 
dans  l'orthographe  :  elle  (anciennement  ele,  latin  illam), 
belle  (anciennement  èe/e,  latin  bellam). 

§  803.  —  L7  devant  une  consonne  s'est  conservée  quel- 
que temps,  puis  s'est  changée  en  u,  et  a  formé  diphtongue 
avec  la  voyelle  précédente  ou  s'est  confondue  avec  elle  : 
falcem  et  falsum  ont  donné  fa/s,  puis  faws  (faux),  multum 
a  donné  mo/t,  mou/t,  puis  moMt;  mal{o)s  :  ma/s,  puis  vaaus 
(maux);  * volit  :  vue/t,  veu/t,  puis  veut;  ■ma\[e)dicere  : 
ma/dire,  puis  maudire.  Au  pluriel  des  mots  en  el  (sauf  cî'e/), 
ol,  il,  ïl  s'est  maintenue  devant  Vs  ^  Toutefois,  dans  plu- 
sieurs mots  en  il,  par  exemple  dans  sourcil,  VI  est  tombée 
de  la  prononciation,  même  au  singulier,  mais  on  continue 
à  l'écrire. 

§  804.  —  VI  non  suivie  d'une  autre  consonne,  mais  cor- 

1.  Dans  plusieurs  dialectes  do  rancicnuo  langue,  on  a  dit  (eus  yau 
lieu  de  tels),  queus  (au  lieu  de  quels),  morteus  (au  lieu  de  mortels),  etc. 


TRANSFORMATION  DES  CONSONNES.  325 

respondant  à  deux  /  latines,  s'est  changée  en  w  à  la  fin  des 
mots,  dans  mou  (anciennement  mol,  latin  mo//em),  cheveu 
(anciennement  cheve/,  latin,  capi//um),  wowueau  (ancienne- 
ment nouvel,  nouvea/,  latin  nove//um),  etc.  Toutefois  les 
formes  avec  /  vocalisée  en  u  se  sont  d'abord  produites  au 
cas  sujet  singulier  et  au  cas  régime  pluriel,  où  17  était 
suivie  d'une  s. 

§  805.  —  VI  mouillée  est  tombée  après  ou:  *genûculum 
a  donné  genouil,  puis  genou. 

§  806.  — Vl  s'est  changée  enr  dans  Ivsciniolwn,  qui  a 
donné  rossignol,  et,  devant  une  nasale,  dans  ulmum  qui  a 
donné  ovme,  Olnam  qui  a  donné  Orne  (nom  de  rivière). 
Elle  s'est  changée  en  n  dans  libellwn,  qui  a  donné  niveau. 

§  807.  —  L'r  est  devenue  /dans  pèlerin  de  peregrinum, 
autel  de  altare, 

6°  Les  nasales  (n,  m). 

§  808.  —  L'm  finale  des  mots  latins,  à  de  rares  excep- 
tions près  (n'en  de  rem,  mon  cl  mien  de  meum),  n'a  laissé 
aucune  trace  dans  les  langues  romanes. 

§  809.  —  Vm  suivie  d'une  autre  consonne  s'est  changée 
en  n  :  conte  (aujourd'hui  écrit  comte)  de  cotn[i)tem. 

.^810.  —  M  est  encore  devenue  n  au  commencement 
des  mots  ??zespilum  (/(elle)  et  ^//appam  («appe). 

il/ suivie  d'une  autre  consonne  s'est  maintenue  (sans  de- 
venir n)  quand  on  a  intercalé  une  consonne  de  soutien  : 
cwm(u)lMm  a  donné  comble. 

§  811.  —  Deux  m  ou  deux  m  consécutives  se  sont  rédui- 
tes à  une  seule;  mais  souvent  les  deux  consonnes  ont  été 
ensuite  rétablies  dans  l'orthographe  :  annatam  donne  anée 
(année),  grammaticam  :  gramaire  (grammaire). 

§  812.  —  Mn  se  réduit  à  m  :  ]iun\.{i)nem  a  donné  homne, 
puis  home  (homme). 

GlÉOAT.  1  g 


326  GRAMMAIRE   DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

§  813.  —  Nm  se  réduit  aussi  à  m  dans  animam  qui  a 
donné  âme;  mais  l'n  s'est  conservée  assez  longtemps 
devant  Vm  de  ce  mot  {anme,  écrit  quelquefois  aneme), 
et  s'est  même  changée  en  r  dans  certains  dialectes  : 
arme. 

§  814.  —  Dès  le  latin  populaire,  n  était  tombée  devant 
s  :  mensem  était  devenu  mesem,  qui  a  donné  mois. 

§  815.  —  N'  finale  est  tombée  d'assez  bonne  heure  après 
;■  .•  diuvnmn  a  àoxmé  jorn,  jor,  jour. 

§  816.  —  Aujourd'hui,  n  ou  m  suivies  d'une  autre  con- 
sonne n'indiquent  plus  que  la  prononciation  nasale  de  la 
voyelle  précédente.  Comme  consonnes  proprement  dites 
elles  ne  se  sont  réellement  conservées  que  seules  entre 
deux  voyelles  ou  après  une  consonne 

7°  S. 

§  817.  —  L's  est  tombée,  à  une  époque  relativement  ré- 
cente, devant  toutes  les  consonnes  :  paste  est  deverwx  pâte, 
caresme:  carême,  esté:  été,  etc.  L's  ne  s'est  maintenue  devant 
une  autre  consonne,  que  dans  un  certain  nombre  de  mots 
qui  ne  sont  pas  d'origine  populaire,  ou  qui  ont  subi  une 
influence  savante  :  pasteur,  dévaster,  etc. 

§  818.  —  Quand  l's  au  commencement  d'un  mot  latin 
était  suivie  d'une  consonne,  on  la  trouve  précédée  d'un  é 
dans  le  mot  français  correspondant  :  scalatn  est  devenu 
eschelle,  scutum  :  escu,  etc.  L's  est  ensuite  tombée,  sauf 
exceptions,  mais  l'e  s'est  maintenu  :  échelle,  écu. 

§  819.  —  L's  latine  entre  deux  voyelles  est  devenue  en 
français  s  douce  :  chose  (causam),  léser  (*lœsare),  etc. 

§  820.  —  L's  redoublée  s'est  conservée  double  jusqu'à 
nos  jours  dans  l'orthographe  ;  mais  depuis  très  longtemps 
elle  ne  se  prononce  plus  que  comme  une  s  simple  (dure)  : 
passer  de  *passare. 


TRANSFORMATION   DES  CONSONNES.  327 

8°  X  et  z. 

§  821.  —  Vx  se  composant  d'un  c  dur  et  d'une  s,  laxare 
a  donné  régulièrement  laisser  :  Vs  s'est  maintenue  (les 
deux  s  indiquant  simplement  la  prononciation  dure  de  la 
consonne),  et  le  c  a  produit  la  diphtongaison  de  Va  précé- 
dent en  ai.  Quelquefois  il  y  a  eu  métathése  des  deux  con- 
sonnes dont  se  compose  l'a?.  Le  même  verbe  laxare,  pro- 
noncé lascare  (au  lieu  de  /acsare),  a  donné  /ascher;  car  le 
c,  suivant  une  autre  consonne,  et  placé  devant  un  a,  doit  se 
changer  en  ch  (§  763). 

§  822.  —  Le  2,  dans  les  mots  d'origine  populaire,  s'est 
changé  en  j  :  zizyphum  a  donné  ^u^ube,  et  zelosum  :  ja- 
loux. 

LES  GROUPES  DE   PLUS  DE   DEUX   CONSONNES 
Loi  générale  5. 

15  823.  —  Quand  trois  consonnes  se  suivent,  la  première 
et  la  dernière  sont  traitées  d'après  les  lois  générales  1 ,  2 
et  3.  Quant  à  celle  du  miheu,  elle  se  conserve  ou  disparaît 
suivant  qu'elle  se  lie  facilement  ou  non  avec  les  deux  au- 
tres; quand  elle  disparaît,  il  peut  arriver  que  la  loi  géné- 
rale 4  soil  appliqu'Je. 

11  serait  trop  long  de  passer  en  revue  toutes  les  combi- 
naisons possibles  de  consonnes;  nous  indiquerons  seule- 
ment les  plus  importantes  et  les  plus  fréquentes. 

Groupe  commençant  par  deux  consonnes  semblables. 

§  824.  —  Si  le  groupe  de  trois  consonnes  commence 
par  deux  consonnes  semblables,  l'une  des  deux  disparaît, 
elle  groupe  se  trouve  ainsi  réduit  à  deux  consonnes,  aux- 


328  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

quelles  s'appliquent  les  règles  ordinaires  :  cabati[o)a  donne 
cheva/s,  chevai/a?,  ess[e)ve  donne  estve,  etc. 

Groupe  finissant  par  une  s. 

§  825.  —  Quand  la  dernière  des  trois  consonnes  est  une 
s,  ce  qui  arrive  si  souvent,  notamment  au  cas  sujet  singu- 
lier et  au  cas  régime  pluriel  des  noms  et  adjectifs:  1°  si  la 
consonne  du  milieu  est  une  dentale,  elle  s'unit  à  l's  pour 
former  un  z;  2°  si  cette  consonne  est  une  gutturale  ou  une 
labiale,  elle  disparaît;  3°  si  c'est  une  /précédée  d'une  guttu- 
rale, elle  se  maintient  en  se  mouillant  ;  -4°  si  c'est  une  r, 
elle  se  maintient,  et  un  e  muet  de  soutien  se  place  entre 
Vr  et  Y  s. 

Exemples  : 

1°  ^rand(e)s  :  grans  (régime  pluriel  de  grand)  :  fact{o)s  : 
fai'z  (régime  pluriel  de  fait). 

2°  ?emp(i/)s  :  iens  (aujourd'hui  écrit  temps)  ;  corp{u)s  : 
cors  (aujourd'hui  écrit  corps)  ;  cerv(o)s  :  cers  (régime  plu- 
riel de  cerf);  franc[o)s  :  frans  (régime pluriel  de  franc). 

3°  /*an'c(u)l(o)s  :  paretVs. 

4°  Patres  :  pères  ;  petroselinum  :  pei'csW  {ensuiie  persil). 

§  826.  —  Il  faut  remarquer  que  la  consonne  du  milieu, 
lorsqu'elle  disparait,  n'est  pas  toujours  tombée  dès  Tori- 
gine,  et  qu'elle  a  pu  être  rétablie  plus  tard  dans  l'ortho- 
graphe; ainsi  on  trouvera  francs  (au  lieu  de  frans)  dans 
les  plus  anciens  textes,  et  nous  écrivons  encore  ainsi.  De 
même  nous  écrivons  faits,  grands,  etc.,  par  «  ts,  ds  »  au 
lieu  de  z. 

§  827. — Nous  avons  vu  (§  805)  que  1'/  mouillée  qui  ter- 
mine le  mot  est  tombée  après  ou  ;  elle  ne  s'est  pas  conservée 
flavantage  lorsque,  au  lieu  de  terminer  le  mot,  elle  était 
suivie  d'une  s  :  *  cjenuculos  a  d(inn(;  genouils,  puis  genoux. 
Quant  1'/  mouillée  suivait  un  a,  elle  est  ordinairement 


TRANSFORMâTOIN  des  consonnes.  329 

devenue  sèche  et  s'est  ensuite  vocalisée  en  u  devant  l's  : 
lrab2iC{u)\[o)  s  a  donné  ^rarails  puis  irauaux. 

§  828.  —  VI  nniouillée  suivie  d's  s'est  aussi  vocalisée 
•iprès  e,  et  on  trouve  des  formes  telles  que  solews  ou  solaus 
(cas  sujet  singulier  et  cas  régime  plariel  de  soleil,  latin 
solicu/us  et  solicu/os).  Ces  formes,  avec  vocalisation  de 
17,  n'ont  pas  persisté,  et  aujourd'hui  le  pluriel  de  soleil  Q%i 
soleils.  Mais  nous  avons  conservé  vieux  (pour  vieils),  en 
le  faisant  des  deux  nombres. 

§  829.  —  Quand  une  dentale  est  entre  deux  s,  les  trois 
consonnes  se  réduisent  à  z  ous  (hos/es  =oz,  os,  pluriel  du 
vieux  mot  ost  ;  eccistos  a  donné  icez,  ces),  ou  bien  les  trois 
consonnes  se  maintiennent  et  un  e  de  soutien  se  place  entre 
les  deux  dernières  (cantasfis  .•  chantasses,  chantâmes) 

Groupe  finissant  par  une  liquide. 

§  830.  —  Quand  la  dernière  des  trois  consonnes  est  une 
liquide  (/,  r),  et  que  la  première,  d'après  les  règles  géné- 
rales, doit  se  maintenir,  il  peut  se  faire  que  celle  du  milieu 
ne  puisse  se  lier  facilement  avec  les  deux  autres,  et  que 
cependant  les  deux  autres  puissent  se  prononcer  avec  une 
consonne  intermédiaire  différente.  Dans  ce  cas,  la  con- 
sonne du  milieu  tombe,  mais  elle  est  remplacée  par  une 
consonne  euphonique  d'après  la  règle  ordinaire  (Voyez  la 
loi  générale  -i).  C'est  ainsi  que  pulvevem  a  donné  poul- 
dre  (ensuite  poudre),  surgere  :  sourdre,  et  pasc'e)re: 
paistve.  Dans  ce  dernier  exemple,  la  gutturale  du  milieu 
n'est  pas  tombée  entièrement;  elle  a  produit  la  diphton- 
gaison de  la  voyelle  précédente.  Il  en  est  de  même  dans 
plaindre  (i^langere),  croistre  (crescere),  etc. 

§  831.  —  11  faut  remarquer  pour  plangere  (plaindre), 
pasccre  (paître),  crescere  (croître),  que  les  gutturales  média- 
nes étaient  placées  en  latin  devant  un  e,  et  étaient  arrivées 


330  GRAMMAIRE  DU   VIEUX   FRANÇAIS. 

à  se  prononcer,  le  c  ;  ç,  et  le  g  :  j.  Si  elles  avaient  conservé 
le  son  dur  latin  {k,  gu),  elles  auraient  pu  facilement  se  pro- 
noncer devant  la  liquide,  et  elles  se  seraient  probablement 
maintenues  ;  c'est  ainsi  que  les  gutturales  ont  persisté  dans 
ancre  (anco?'am),  oncle  (avuncu^um),  an^le  {ànguhxm}, 
sangle  {cingulum),  parce  que,  suivies  d'un  u  ou  d'un  o 
dans  le  latin,  elles  étaient  demeurées  dures. 

§  832.  — Dans  angelum  (ange),  le  g,  devenu  doux  devant 
Te,  s'est  conservé  quelque  temps  entre  les  deux  conson- 
nes, comme  l'atteste  l'orthographe  angele  (prononcez  an- 
ile)  ;  puis,  au  lieu  de  disparaître  pour  céder  la  place  à  une 
consonne  euphonique,  le  ^  a  chassé  17  et  est  resté  seul  avec 
'n  :  ange.  Un  fait  analogue  s'est  produit  dans  marge  (de 
mar^i?2em).  Nous  avons  vu  d'ailleurs  que  Yn  était  tombée 
après  le  g  doux  (même  non  précédé  d'une  autre  consonne) 
àa.\\%j)age,  image  (§  778). 

§  833.  —  Entre  s  et  /,  la  gutturale  est  tombée  dans 
wiasc(w)li«?i  qui  a  donné  masle,  mâle,  dans  misc[u)lare 
qui  a  donné  mesler,  mêler. 

§  834.  —  Entre  c  et  r,  l's  est  tombée  dans  dua!^^e)runt 
{=  ducs(e)î'unt)  qui  a  donné  duirent,  et  dans  toutes  les 
troisièmes  personnes  en  xerunt  (Voy.  cependant  §  327;. 


MIONS  GÉNÉRALES  SUR  LA  TERSiïlCATION  ÏRANÇAISE 

DU    MOYEN   AGE 


PRINCIPE  DE  LA  VERSIFICATION  FRANÇAISE 
LA  CÉSURE 

§  835.  —  Quand  on  parle,  on  ne  prononce  pas  les  phra- 
ses tout  d'une  haleine.  Il  y  a  des  repos  naturels  de  la  voix, 
dont  quelques-uns  sont  marqués  dans  l'écriture  par  la 
ponctuation;  bien  entendu,  ces  repos  ne  se  placent  jamais 
entre  des  mots  intimement  liés  l'un  à  l'autre  comme 
l'article  et  le  nom,  le  pronom  personnel  sujet  et  le 
verbe,  etc. 

§  836.  —  La  différence  essentielle,  au  point  de  vue  de 
la  forme,  entre  la  poésie  française  et  la  prose,  consiste  en 
ce  que,  dans  la  poésie,  il  y  a  régulièrement  des  repos  après 
un  nombre  déterminé  de  syllabes.  Il  en  résulte- un^iar- 
monie  caractéristique.  Arrangez  les  mots  d'une  phrase  ou 
d'un  membre  de  phrase  pour  qu'il  y  ait  un  repos  après  la 
quatrième  syllnbc  et  un  autre  après  la  dixième,  vous  aurez 
un  vers  de  dix  syllabes. 

12       3     4     15      6     7      8        9     10 
«  Le  duc  Ogicr  j  l'arclievôquc  Turpin  » 

est  un  vers  de  la  chanson  de  Roland. 

Mette/,  un  repos  à  la  sixième  syllabe  et  un  autre  à  la 
douzième,  vous  aurez  le  vers  alexandrin  : 

1        -;        ■■'       'i         \i_    6     \       J         8  9     10   11      12 

«  Je  vous  l'iitcuclSjXéi'oii  I  m'apprend  i)ai-  votre  voix... 


332  GRAMMAIRE  DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

§  837.  —  n  y  a  donc  deux  repos  nécessaires  dans  cha- 
cun de  ces  vers,  l'un  dans  le  corps  du  vers,  l'autre  à  la 
fin.  Celui  du  corps  du  vers  prend  le  nom  de  césure  ;  ainsi 
le  vers  alexandrin  a  la  césure  à  la  sixième  syllabe. 

LA   SYLLABE   MUETTE  A  LA  FIN  DU  VERS 
ET   A   LA   CÉSURE 

§  838.  —  Pour  obtenir  l'harmonie  qui  résulte  de  cette 
disposition  des  repos,  il  faut  que  la  dernière  syllabe  du 
vers  ne  soit  pas  une  syllabe  muette  ;  ou  du  moins,  le  vers 
doit  contenir  le  nombre  de  syllabes  exigé,  abstraction 
faite  de  la  dernière  si  elle  est  muette  : 

1  2  3       4  3    6    I     7       8       9     10    H     12    13 

Quoi  !  VOUS  vous  arrêtez  |  aux  songes  d'une  femme 

Ce  vers  de  Corneille  a  treize  syllabes,  mais  est  considéré 
comme  n'en  ayant  que  douze,  parce  que  la  dernière  est 
muette;  le  repos  est  réellement  après  la  douzième. 

§  839.  —  Pour  la  même  raison,  on  doit  admettre  aussi 
à  la  césure  une  syllabe  muette  qui  ne  compte  pas  : 

12       3  4         5        6     1  j    7   S    9     10  11  12 

Oui  je  viens  dans  son  tera|ple  1  adorer  l'Éternel. 

Mais  d'après  les  règles  actuelles,  la  syllabe  muette  n'est 
admise  à  la  césure  que  si  le  mot  suivant  commence  par 
une  voyelle,  et  si  l'e  muet  n'est  suivi  d'aucune  consonne. 
On  ne  dirait  pas  : 

Oui  jo  viens  dans  son  temple  supplier  l'Éternel. 

ni 

Oui  jo  viens  dans  ses  tcmplejf  adorer  l'Éternel. 

§   840.  —   Dans   raiicionne   langue,    ces    restrictions 


NOTIONS  GÉNÉRALES  SUR  LA  VERSIFICATION  FRANÇAISE.      333 

n'existaient  pas.  A  la  césure,  comme  à  la  fin  du  vers,  on 
admettait  une  syllabe  muette  qui  ne  comptait  pas,  même 
quand  le  mot  suivant  commençait  par  une  consonne.  Ainsi 
dans  la  Chanson  de  Roland  on  trouve,  entre  beaucoup 
d'autres,  ce  vers  de  dix  syllabes  avec  césure  à  la  qua- 
trième : 

1        23      41         15       6|7|8|9|10 
Beau  sire  Gué | ne,  |  dit  Mar|si|le  [  le  |  roi. 

Il  faudrait  aujourd'hui  que  la  seconde  partie  du  vers 
commençât  par  une  voyelle,  par  exemple  : 

Beau  sire  Guène,  a  dit  le  roi  Marsile, 

L'ASSONANCE  ET  LA  RIME 

§841.  —  Après  le  nombre  des  syllabes  et  la  place  de 
la  césure  dans  le  vers,  le  principal  élément  de  la  versifica- 
tion française  consiste  dans  la  répétition  d'un  même  son  â 
la  fin  de  deux  ou  plusieurs  vers,  consécutifs  ou  séparés 
par  d'autres  vers.  Cette  répétition  se  nomme  assonance  ou 
rime,  suivant  qu'elle  porte  seulement  sur  la  dernière 
voyelle  (tonique)  du  vers,  ou  sur  cette  voyelle  et  sur  les 
consonnes  qui  la  suivent.  Ainsi  un  vers  terminé  par  Aomme 
assone,  mais  ne  rime  pas,  avec  un  autre  terminé  par  cou- 
ronne; les  deux  voyelles  toniques  sont  les  mêmes  (o),  mais 
elles  sont  suivies  de  consonnes  différentes  dans  les  deux 
mots. 

§  842.  —  La  plus  ancienne  versiûcation  française  ne 
connaissait  que  l'assonance,  encore  pratiquée  aujourd'hui 
dans  les  chansons  populaires.  Mais  il  faut  remarquer 
que,  par  suite  des  modifications  de  la  prononciation,  bien 
des  mots  qui  assonaient  dans  l'ancienne  langue  n'assone- 
raient  plus  aujourd'hui.  Dans  la  Chanson  de  Roland,  païen 

19. 


334  GRAMMAIRE   DU   VIEUX  FRANÇAIS. 

assone  avec  chevalier,  avec  /?er  (adjectif)  et  Sixec  Michel  : 
c'est  que  ïe  de  pa'ien  n'était  pas  encore  nasalisé,  que  Ve 
de  chevalier  et  celui  de  fier  se  prononçaient  de  même, 
et  qu'on  disait  Michiel  et  non  Michel;  dans  tous  ces  mots 
il  y  avait  la  même  diphtongue  ie. 

L'ÉLISION 

§  843. —  Les  règles  de  l'élision  n'étaient  pas,  dans  l'an- 
cienne versification,  les  mêmes  que  de  nos  jours.  Nous  ne 
pouvons  employer  dans  le  corps  d'un  vers  les  mots  à  ter- 
minaison féminine  dont  Ye  muet  est  précédé  immédiate- 
ment d'une  voyelle  ou  d'une  diphtongue  (joie,  aimée),  à 
moins  que  cete  muet  ne  soit  élidé.  Il  en  résulte  que  le  plu- 
riel de  joie,  «  joies  »,  et  les  formes  verbales  telles  que 
«  s'écrient  »  ne  peuvent  jamais  entrer  dans  le  corps  d'un 
vers,  parce  que  l'e  muet,  étant  suivi  de  consonnes,  ne 
p^ut  être  élidé.  D'après  ces  règles,  le  vers  suivant  de  la 
Chanson  de  Roland  serait  incorrect  : 

Devant  Marsile  il  s'écrie  moult  haut. 

Ainsi  l'e  muet  précédé  d'une  voyelle  pouvait  ne  pas  être 
élidé,  et  comptait  dans  la  mesure  du  vers. 

L'HIATUS 

§  844.  —  En  général  l'élision  était  facultative.  On 
trouve  par  exemple  l'article  le,  la  conjonction  ou  le  piv^nom 
(jue,  comptant  comme  une  syllabe  devant  un  mot  commen- 
çant par  une  voyelle  : 

Chanson  de  Roland  :  «  Ma  bonne  épée  que  ai  ceinte  au 
côté.  » 

On  craignait  donc  fort  peu  la  rencontre  des  voyelles. 
Au>>i  l'hiatus  est-il  fréquent. 


NOTIONS  GENERALES  SUR  LA  VERSIFICATION  FRANÇAISE.      335 

Chanson  de  Roland  :  «  Jusqu'à  un  an  aurons  France 
saisie.  » 

VARIATION    DU    NOMBRE    DES    SYLLABES 
DANS    CERTAINS  MOTS 

§  845.  —  Ce  sont  là  les  principales  différences  entre 
la  versification  du  ni03'en  âge  et  la  versification  moderne. 
Il  faut  ajouter  que  certains  mots  comptent  aujourd'hui 
pour  une  syllabe  de  plus  ou  de  moins  que  dans  l'ancienne 
langue  ;  ainsi  destrier,  aujourd'hui  de  trois  syllabes,  n'en 
avait  que  deux  à  l'origine,  tandis  que  chrétien,  qui  ne 
compte  que  pour  deux  syllabes,  en  avait  trois  dans  les 
poésies  du  moyen  âge. 


FIN 


TABLE  MEIUODlûl  DES  MATIEfiES 


Préface v 

Intivodhction  et  notions  pr.  élimina  ires 1 

Chapitre  I«^  —  La  langue 1 

Origine  de  la  langue  française 1 

Formation  du  vocabulaire t 

I.  —  Époques  et  procédés  de  formation 2 

Origines  diverses  des  mots  français 2 

Mots  savants  et  mots  populaires 3 

Mots  do  formation  latine  et  mots  de  formation  française. 

Préfixes  et  suffixes 5 

II,  —  Règles  générales  de  transformation  des  mots  latins  en 

mots  français^  ou  lois  générales  de  la  phonétique.  14 

Accent  tonique  et  accent  secondaire.  Place  de  l'accent  to- 
nique en  latin  et  en  français 14 

Loi  de  la  chute  des  atones.  Exceptions 15 

Chapitre  IL  —  L'orthographe 1& 

Généralités 18 

Comparaison  de  l'orthographe  actuelle  et  de  l'orthographe 

DU  moyen  AGE 20 

I.  —  Diphtongues  et  voyelles 20 

Oi,  ai 20 

Au,  eau 20 

Eu,  œu 21 

Ou 22 

Ui,  oi 22 

A 23 

É 23 

U 23 


338  TABLE   MÉTHODIQUE   DES   MATIÈRES. 

0 24 

Y,  i 24 

IL  —  Consonnes 24 

Consonnes  chuintantes  et  gutturales 24 

Dentales 25 

Labiales  et  liquides 26 

Nasales 26 

S,  X  et  Z 26 

Consonnes  redoublées 27 

Orthographe  du  quinzième  siècle 28 

Orthoguaphes  dialectales 29 

Tableau  synoptique ^0 


ÉTUDE  DES  FLEXIONS 


Chapitre  l"^.  —  Du  nom 33 

La   déclinaison  en  latin,  GÉNÉnALITÉS 33 

La  déclinaison  en  vieux  français 34 

L  —  Noms  féminins 35 

Dérivation  de  la  première  déclinaison  latine 35 

Pluriels  neutres  transformés  en  noms  féminins 36 

Noms  féminins  dérivés  des  autres  déclinaisons  latines 37 

Résumé 39 

IL  —  Noms  masculins 40 

Dérivation  de  la  seconde  déclinaison  latine 40 

Les  quatrième  et  cinquième  déclinaisons  latines,  et  par- 
tiellement la  troisième 41 

Les  noms  masculins  qui  n'avaient  pas  A's  en  latin  au  no- 
minatif singulier 42 

Noms  neutres  devenus  masculins 43 

La  troisième  déclinaison  latine 44 

Résumé.  —  Les  noms  masculins  dans  la  langue  actuelle.  48 


TABLE   MÉTHODIQUE  DES   MATIÈRES.  339 

III.  —  Noius  indéclinables 49 

Observation  générale  sur  les  noms 51 

Chapitre  II.  —  De  Vadjedif 51 

Les  diverses  déclinaisons  des  adjectifs  en  vieux  français...  51 

Type  «  bonus  « 51 

Type  «  talis  » 54 

Type  «  cantans  » 56 

Adjectifs  indéclinables 57 

1.  Adjectifs  terminés  par  une  s 57 

2.  Adjectifs  en  or 58 

Observation  générale  sur  les  adjectifs 59 

Degrés  de  comparaison;  traces  du  comparatif  et  du  superla- 
tif LATINS 59 

Chapitre  III.  —  Des  noms  de  nombre G2 

Noms  de  nombre  cardinaux 62 

Noms  de  nomure  ordinaux ,    03 

Chapitre  IV.  —  Des  adjectifs  et  pronoms   dcmonsh-atifs  et  de 

Carticle  défini 65 

Le  datif  lat;n 05 

Le  pronom  latin  «  ille  » 05 

I.  —  V article  défini 65 

Origine  et  déclinaison  de  l'article 65 

L'article  neutre 67 

Particularités  phonétiques  des  formes  de  l'article 67 

Articles  contractes 68 

II.  —  Vadjectif  pronom  «  icil,  cil  >• 68 

Origine  et  déclinaison  de  «  icil  » 68 

Le  neutre  cel., 69 

Particularités  phonétiques  des  formes  de  «  idl  « 69 

Le  pronom  latin  «  iste  »  et  le  pronom  français  «  icist,  cist  ».  70 

Le  démonstratif  neutre  «  ço,  ce  » 71 

Chapitre  V.  —  Des  pronoms  per!:onncls 71 

Les  pronoms  personnels  des  deox  premières  personnes 71 

I.  —  En  latin 71 

II.  —  En  frau'jnis. 72 


340  TABLE  MÉTHODIQUE  DES  MATIÈRES. 

Le  proxom  de  la  troisième  personne 74 

Le  pronom  réfléchi 75 

Pronoms  contractes 75 

Chapitre  VL  —  Des  adjectifs  et  pronoms  possessifs 76 

Première  personne  do  singulier 77 

Deuxième  et  troisième  personnes  du  singulier 78 

.    Première  et  deuxième  personnes  du  pluriel 79 

Troisième  personne  du  pluriel 80 

Chapitre    VII.  —  Du  pronom  relatif  et  interrogatif 81 

Chapitre  VIII.  —  Des  adjectifs  et  pronoms  indéfinis 82 

Chapitre     IX.  —  Du  verbe 83 

Notions  préliminaires 83 

I.  —  Du  rôle  de  l'analogie  dans  la  formation  des    verbes 

français 83 

II.  —  Division  des  verbes  en  conjugaisons 85 

La  coujugaison  en  er  et  la  conjugaison  en  re,  oir,  ir 85 

La  conjugaison  inclioative 85 

Résumé.  —  Les  deux  conjugaisons  vivantes 87 

Les  variations  du  radical  des  verbes 88 

I.  —  Variations  dues  au  traitement  différent  des  voyelles 

latines  toniques   et  des  mêmes  voyelles  atones.  Ra- 
dical tonique  et  radical  atone 88 

II.  —  Variations  dues  à  la  présence  dans  la  flexion  latine 

d'un  e  ou  i  consonni fiable 94 

Radical  terminé  par  un  d 95 

Radical  terminé  par  une  labiale 97 

Radical  terminé  par  une  / 9!) 

Radical  terminé  par  r  ou  n lOO 

Radical  terminé  par  c  ou  ^ lOl 

Formes  exceptionnelles ^ 102 

Traces  de  toutes  ces  formes  dans  la  coujugaison  actuelle.  103 

III.  —  Variations  dues  aux  traitements  divers  du  (c)  /Ç?ja/ 

du  radical 104 

IV.  —  Verbes  français  en  oindre,  eindre,  oindre 105 

V.  —  De  lu  vocalisation  de  V  {/)  daiu  les  formes  verbales..  106 

VI.  —  Des  consonnes  euphoniques  introduites  dans  la  conju- 
gaison   108 


TABLE  MÉTHODIQUE  DES  MATIERES.  341 

Les  flexions  du  verce 110 

La  flexion  [ans)  des  premières  persoimes  du  pluriel 110 

Les  flexions  de  chaque  temps 111 

L  —  Infinitif 111 

II.  —  Participe  présent  et  gérondif 113 

III.  —  Participe  passé 115 

Participes  en  é,  i,  des  verbes  eu  er,  ir U5 

Participes  en  t 115 

Participes  en  m 118 

1.  Verbes  en  air 119 

2.  Verbes  en  re 119 

Participes  en  s 120 

Participes  exceptionnels  en  i  et  en  eit 121 

Résumé 122 

IV.  —  Présent  de  l'indicatif 123 

Conjugaison  en  er ; 123 

Conjugaison  en  re,  air,  ir 124 

Conjugaison  inchoativc 128 

V.  —  Présent  du  subjonctif. 128 

Conjugaison  en  er 128 

Conjugaison  en  re,  oir,  ir 130 

VI.  —  Imparfait  de  Vindicatif 132 

Imparfaits  en  ève  et  eu  oe 132 

Imparfaits  en  oie,  ais 134 

Imparfaits  en  ive 135 

VII.  —  Futur  et  conditionnel 135 

Formation  du  futur  et  du  conditionnel 135 

RedoulDlement  de  Vr 138 

Substitution  exceptionnelle,  au  futur  et  au  conditionnel, 

du  radical  tonique  au  radical  atone 1 39 

VIII.  —  Impératif 139 

IX.  —  Prétérit  de  l'indicatif 141 

Prétérits  en  ai 141 

Prétérits  en  f 142 

Prétérits  français  dérivés  des  prétérits  latins  en  evi,  ui...  142 

Prétérits  dérivés  des  prétérits  latins  on  si 146 

Pi'étérits  dérivés  des  prétérits  latins  en  i 149 


342  TABLE  MÉTHODIQUE  DES  MATIÈRES. 

Prétérits  se  rattachant  h  dedi 150 

X.  —  Imparfait  du  subjonctif 151 

XI,  —  Le  temps  archaïque  dérivé  du  plus-que-parfait  latin.  152 

La  conjugaison  du  verbe  «  être  » 154 

Infinitif 154 

Participe  présent  et  participe  passé 154 

Indicatif  présent 154 

Subjonctif  présent 155 

Imparfait  de  l'indicatif 155 

Futur  et  conditionnel 156 

Impératif 157 

Prétérit  de  l'indicatif  et  imparfait  du  subjonctif 157 

Chapitre  X.  —  Des  mots  invariables 158 

L'*  adverbiale 158 

Modifications  intérieures  subies  par  les  adverbes  en  ment.  158 

Formes  contractes  où  entre  l'adverbe  en 159 

LMnterjection  «  hélas!  » 159 


SYNTAXE 

PREMIÈRE   PARTIE 

SYNTAXE    PARTICULIÈRE 

Remarques  communes  aux  noms,  adjectifs  et  pronoms  :  emploi 

DES  CAS 161 

I.  —  Cas  sujet  et  cas  régime. 161 

II,  —  Ellipse  des  prépositions  «  de  »  et  a  à  »  devant  le  cas  ré- 

gime       1 82 

Chapitre  I".  —  Syntaxe  du  nom 163 

Genre  français  des  noms  neutres  en  latin 163 

Noms  féminins  de  la  deuxième  déclinaison  latine 164 

Noms  la  i  ins  en  «  or,  orem  » 164 

règle  générale  du  genre  primitif  des  noms  en  français.  cau- 
ses de  variation 1c4 


TABLE  MÉTHODIQUE  DES  MATIÈRES.  343 

Liste  de  noms  a  genre  variable 166 

Chapitre  II.  —  Sy7itaxe  de  l'adjectif 1 68 

Emploi  ancien  des  formes  féminines  analogiques 168 

Adjectifs  invariables  par  position 169 

Chapitre  III.  —  Syntaxe  des  noms  de  nombre 169 

Article  devant  les  noms  de  nombre  cardinaux 169 

Chapitre  IV.  —  Syntaxe  de  Varticle  et  des  adjectifs  et  pronoms 

démonstratifs 170 

L'Article 170 

I.  —  Emploi  des  noms  sans  article  et  sans  «  de  »  partitif. . .  170 

II.  —  Emploi  de  l'article  après  le  «  de  »  partitif. 171 

III.  —  Non-emploi  de  l'article  devant  les  7ioms  de  pays 171 

Les  adjectifs  et  pronoms  démonstratifs 172 

I.  —  Les  différents  cas  de  «  icist,  cist  « 172 

II.  —  Emploi  de  «  icisf,  cist  »  comme  prono^n 173 

III.  —  L'adjectif  pronom  «  icil,  cil  yt 173 

IV.  —  «  Cist  »  et  «  cil  »  employés  au  lieu  de  l'article 174 

V.  —  «  Cist  »  opposé  à  «  cil  n 1 75 

VI.  —  Le  pronom  neutre  «  ce  » 175 

Chapitre  V.  —  Sy?itaxe  des  pronoms  personnels 176 

Pronom  personnel  non  exprimé 176 

Pronom  pléonastique 177 

Je,  tu,  il  au  lieu  de  moi,  toi,  lui 177 

Moi,  toi,  soi,  lui  au  lieu  de  me,  te,  se,  le 178 

Emploi  de  Ici  et  H 179 

Emploi  de  leur 179 

Lui,  eux  au  lieu  de  se 180 

Chapitre  VI.  —  Syntaxe  des  adjectifs  et  pro?ioms  possessifs 181 

Cas  de  l'adjectif  possessif 18I 

Nostre,  vostre  au  cas  sujet  masculin  pluriel  de  l'adjectif 

possessif,  au  lieu  de  tios,  vos 181 

Nos,  vos,  710,  vo  au  lieu  de  nostre,  vostre 182 

Ma,  (a,  sa  devant  un  nom  commençant  par  une  voyelle..  183 

Le  77iien,  le  tien,  &ic.,  employés  comme  adjectifs 183 

Emplois  exceptionnels  de  difTérontes  formes  de  l'adjectif 

possessif.   184 


344  TABLE  MÉTHODIQUE  DES  MATIÈRES. 

Chapitre  VII.  —  Syntaxe  du  pro7ioin  relatif  et  interrogatif. ...  184 

Cui  ou  qui  au  lieu  de  que,  à  qui 184 

De  supprimé  devant  le  pronom  relatif 185 

Pronom  relatif  avec  un  nom  de  chose  pour  antécédent 185 

Que  pronom  neutre  sujet 186 

Cui  ou  qui  interrogatif  au  lieu  de  à  qui 186 

Que  neutre  interrogatif  entre  deux  verbes 187 

Chapitre  VIII.  —  Syntaxe  des  adjectifs  et  pronoms  indéfinis...  187 

Chapitre     IX.  —  Syntaxe  du  verbe 193 

Emi-loi  des  différentes  espèces  de  verbes 193 

I.  —  Vej'bes  auxiliaires  «  e'tren  et  a  aller  »  suivis  du  géron- 

dif-participe   193 

II.  —  Verbe  suppléant  «  faire  >^ 194 

III.  —  Verbes  transitifs,  inlransitifs  et  réflécliis 194 

Variations  générales  dans  les  acceptions  des  verbes 194 

Auxiliaires  qui  servent  à  conjuguer  les  verbes  transitifs, 

intraiisitifs  et  réfléchis 198 

Emploi  des  différentes  flexions  du  verbe 199 

I.  —  Nombres  et  perso7mes 199 

U.  —  Modes  et  temps 200 

Infinitif  et  gérondif 200 

1.  Particularité   commune  à  l'emploi  du  gérondif  et  de 
l'infinitif 200 

2.  Infinitif  pour  l'impératif 20O 

3.  Infinitifs  pris  substantivement 20O 

4.  Infinitif  après  la  préposition  e?î 201 

5.  Temps  de  l'infinitif 201 

6.  Gérondif 202 

Participe  présent 203 

Participe  passé 203 

1.  Accord  du  participe  employé  avec  l'auxiliaire  avoir..  203 

2.  Participe  avec  êli-e  dans  la  conjugaison  des   verbes 
neutres  et  des  verbes  léfiéchi? 204 

Indicatif 205 

1.  Imparfait 205 

2.  Passé  défini  et  passé  indéfini 205 

3.  Passé  antérieur 206 

Subjonctif 207 


TABLE  MÉTHODIQUE  DES  MATIERES.  345 

1.  Imparfait -207 

2.  Emploi  du  mode  subjonctif 208 

Accord  des  temps 209 

1.  Accord  de  coordination  et  de  subordination  non  com- 
plétive    209 

2.  Accord  de  subordination  complétive 210 

Chapitre  X.  —  Syntaxe  de  la  préposition 210 

A 211 

I.  —  Principales  valeurs  de  la  préposition  «  à  » 211 

II.  —  Divers  sens  de  «  à  »  se  rattachant  à  ridée  de  «  mou- 

vement vers,  tendance  » 211 

Sens  général 211 

A  devant  le  complément  indirect 212 

A  marquant  le  rapport  de  possession 212 

A  au  lieu  de  pour  devant  un  infinitif 213 

A  et  non  de  devant  un  infinitif 213 

A  au  lieu  de  pour  dans  le  sens  de  pour  une  durée  de., ..  214 

A  au  sens  de  à  titre  de,  comme ,  214 

A  dans  le  sens  distributif 215 

III.  —  Divers  sens  rfe  «    à  r>  se  rattaclinnt  à  l'idée  de  «  sé- 

jour, situation,  état  » 215 

Sons  général 215 

A   devant  un  infinitif  ou  un   gérondif  au  lieu  de  e?i  suivi 

du  gérondif 210 

A  sans  idée  de  mouvement,  se  rapportant  à  la  durée 216 

A  au  lieu  de  avec 217 

A  suivi  d'uu  adjectif. 218 

IV.  —  Divers  sens  de  (x  à  »  se  rattachant  à  l'idée  de  «  mou- 

vement hors  de,  origine  « 218 

A  au  lieu  de  par  après  un  verbe  passif  ou  pris  dans  un 

sens  passif 218 

A  au  sens  do  selon,  d'après '>19 

AiNÇOIS,  ANCEIS,  ENCEIS 219 

AiNS 220 

Aprop 220 

As,  ES 220 

A  TOUT 220 


346  TABLE  MÉTHODIQUE  DES   MATIERES. 

Avers 220 

Contre 221 

De 221 

Principales  valeurs  de  la  préposition  de 22 1 

De  marquant  le  rapport  de  possession 222 

De  et  non  à  devant  un  infinitif 222 

De  relativement  à  la  durée 223 

1.  De  au  sens  de  depuis 223 

2.  De  au  sens  de  pendant 223 

2.  De  marquant  le  moment  de  l'action = 223 

De  signifiant  de  la  part  de,  au  nom  de 224 

De  au  lieu  de  par  après  un  participe  passé 224 

De  marquant  l'instrument,  la  manière 224 

De  marquant  restriction  de  l'idée  exprimée  par  le  verbe  ou 

l'adjectif 226 

De  marquant  le  moj-en 227 

De  marquant  la  cause 227 

De  signifiant  au  sujet  de 228 

De  précédant  l'infinitif  ou  le  nom  sujet  logique  d'une  pro- 
position   229 

De  au  lieu  de  que  après  un  comparatif 229 

De  séparant  un  adjectif  ou  un  substantif  qualificatif  du  nom 

qualifié 229 

Decoste 230 

Dedans ,  230 

Defors 230 

Dejuste,  dejoste 230 

Delez 230 

DÈS 231 

Dessous,  dedessous 231 

Desdr,  dessus 232 

Devant,  dedevant 232 

Emprès 232 

En 232 

Enceiz 23$ 

Encontre 233 

Encoste 233 

Endbeit,  endroit 234 

Enmi 234 


TABLE  MÉTHODIQUE  DES  MATIÈRES.  347 

Ensemble 234 

Ens  en 235 

Entour 235 

Entre 235 

Entresque  a 236 

Envers 236 

Environ 236 

Es , 236 

Fors 237 

Juste,  joste 237 

Lez,  lès 237 

Long 237 

Ne  mais  que,  ne  mais 237 

0 238 

Outre 238 

Par 238 

Parmi 240 

Pois 240 

Que  en,  que  a 241 

Selon 241 

Sur 241 

TeESQUE  a,  TRESQUE  en,  TRES 242 

Vers 242 

Chapitre  XI.  —  Syntaxe  de  l'adverbe 242 

Adverbes  qui  sont  aussi  prépositions 242 

Adverbes  proprement  dits 244 

I.  —  Adve7'bes  de  lieu 244 

II.  —  Adverbes  de  temps 243 

III.  —  Adverbes  de  quantité 252 

IV.  —  Adverbes  de  manière 255 

V.  —  Adverbes  d'affirmation,  négation  ou  doute 257 

Chapitre  XII.  —  Syntaxe  de  la  conjonction 259 

Et  et  ni 259 

Que 260 

Conjonctions  formées  avec  «  que  » 260 

ains,  ainçois,  car,  jusques,  sinon 261 


348  TABLE  MÉTHODIQUE  DES  MATIÈRES. 

DEUXIÈME  PARTIE 

SYNTAXE      GÉNÉRALE 

Chapitre  I.  —  Ordi'e  des  mots ■. 263 

Ordre  des  mots  relativement  au  verbe 263 

I.  —  Place  du  participe  et  de  l'auxiliaire 263 

II.  —  Place  du  sujet  et  du  complément  direct 264 

m.  —  Place  du  complément  indirect  et  de  l'attribut 266 

Attribut 267 

Complément  indii'cct 267 

IV.  —  Sujets  et  compléments  d'un  verbe  à  l'infinitif  et  du 

verbe  qui  le  régit 267 

V.  —  Le  pronom  personnel  sujet 268 

VI.  —  Les  pronoms  régimes 269 

VII.  —  Pronoms  sujets  et  régimes  d'un  infinitif 270 

VIII.  —  Place  des  adverbes 272 

Ordre  des  mots  qui  ne  sont  pas  en  rapport  immédiat  avec  le 

VERBE 272 

I.  —  Compléments  des  mots  autres  que  le  verbe 272 

II.  —  Place  de  l'adjectif  épithète 273 

III.  —  Adverbe  se  rapportant  à  un  adjectif  ou  à  un  autre 

adverbe 275 

IV.  —  Place  des  adjectifs  déterminalifs 276 

Chapitre  II.  —  Ordre  des  propositions 276 

TROISIÈME   PARTIE 

VIEUX     GALLICISMES 

Il  y  a,  il  n'y  a  pas,  il  a,  y  a,  a 279 

Faire  à  suivi  d'un  infinitif 280 

Faire  que  suivi  d'un  adjectif  ou  d'un  substantif 280 

Pour  peu,  pour  peu  que,  a  bien  petit  que,  pour  un  peu 

que 281 

Celui  ou  celui  qui  dans  une  proposition  négative 281 

Est  qui  dans  le  sens  de  quelqu'un  (quelqu'un  est  qui).. . .  282 
D'une  chose  à  faire,  pour  une  chose  à  faire,  etc.,  au  lieu 

do  de  faire  une  chose,  pour  faire  une  chose,  ctc 282 


TABLE   MÉTHODIQUE   DES   MATIÈRES.  349 

PHONÉTIQUE 

Définitions 283 

PREMIÈRE    PARTIE 

TRANSFORMATION  DES  VOYELLES   ET   DIPHTONGUES 

GÉNÉRALITÉS 285 

I.  —  Quantité  des  voyelles  en  latin 285 

II.  —  Quantité  naturelle  des  voyelles  suivies  de  plusieurs 

consonnes 285 

III.  —  Influences  diverses  qui  agissent  sur  la  transforma- 

tion des  voyelles 286 

Action  des  gutturales 286 

Action  de  /,  de  c  ou  i  consonnifiable,  de  i  final 287 

Action  d'un  u  atone 288 

Action  de  plusieurs  consonnes  suivant  immédiatement  la 

voyelle 288 

Tableaux  de  phonétique  vocalique 289 

Explication  des  tableaux 289 

A  tonique 292 

A  do  la  syllabe  initiale 294 

E  long  tonique 295 

E  long  de  la  syllabe  initiale 296 

E  bref  tonique 297 

E  bref  do  la  syllabe  initiale 298 

/  long  tonique 299 

/  long  de  la  syllabe  initiale ;}00 

/  bref  tonique ;î01 

l  bref  de  la  syllabe  initiale J02 

0  long  tonique 303 

0  long  de  la  syllabe  initiale 304 

0  bref  toniquo 305 

0  bref  de  la  syllabe  initiale 307 

U  long  tonique 307 

U  long  de  la  syllabe  initiale ;i08 

U  bref  tonique 309 

Clédat.  2  0 


390  TABLE   METHODIQUE  DES  MATII-RES. 

U  bref  de  la  syllabe  initiale 310 

Y ; 310 

Diphtongues 311 

\.  M,  CB 311 

2.  Au., 311 

DEUXIÈME    PARTIE 

TRANSFORMATION    DES    CONSONNES 

Lois  générales  des  consonnes 312 

Lois  particulières  a  chaque  consonne 314 

l"  H 314 

20  Les  guttui-alos  et  le  7 315 

C 315 

G 318 

Q 318 

J 320 

3°  Les  dentales 321 

Exceplious  à  la  loi  gcncralc  1 32 ( 

Exceptions,  à  la  loi  générale  2 321 

4°  Les  labiales 322 

Exceptions  à  la  loi  générale  1 322 

Exceptions  à  la  loi  générale  2 323 

5»  Les  liquides 324 

6°  Les  nasales 325 

70  S 326 

80  X  et  Z 327 

Les  groupes  de  plus  de  deux  consonnes . .  327 

Loi  générale  5 327 

Groupe  commençant  par  deux  consonnes  semblable^ 327 

Groupe  Unissant  par  une  s 328 

Groupe  finissant  par  une  liquide ZT^ 


TABLE  MÉTHODIQUE   DBS  MATIÈRES.  3bl 

NOTIONS  GÉNÉRALES  SIR  LA  VERSIFICATION  FRANÇAISE 

DU    MOYEN  AGE 

Principe  de  la  versification  française.  La  césure ;i31 

La  syllabe  mdette  a  la  fin  du  vers  et  a  la  césure 332 

L'assonance  et  la  rime 333 

L'élision 334 

L'hiatus 334 

Variation  du  nombre  des  syllabes  dans  certains  mots 335 


FIN   DE  LA  TABLE  MÉTHODIQUE  DES  MATIÈRES. 


SiG3-87.  —  ConDBiL.  Typ.  et  stér.  Cftiirà. 


1. 


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s  C  Glédat,    Léon 

2821  Grammaire  élémentaire  de  1; 

G5  vieille  langue  française  ^. 


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